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03/09/2015 | CEDH | N°001-156519

CEDH | CEDH, AFFAIRE SÉRVULO & ASSOCIADOS – SOCIEDADE DE ADVOGADOS, RL ET AUTRES c. PORTUGAL, 2015, 001-156519


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SÉRVULO & ASSOCIADOS - SOCIEDADE DE ADVOGADOS, RL ET AUTRES c. PORTUGAL

(Requête no 27013/10)

ARRÊT

STRASBOURG

3 septembre 2015

DÉFINITIF

03/12/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Sérvulo & Associados - Sociedade de Advogados, RL et autres c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabell

e Berro, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges, ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SÉRVULO & ASSOCIADOS - SOCIEDADE DE ADVOGADOS, RL ET AUTRES c. PORTUGAL

(Requête no 27013/10)

ARRÊT

STRASBOURG

3 septembre 2015

DÉFINITIF

03/12/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Sérvulo & Associados - Sociedade de Advogados, RL et autres c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
Paulo Saragoça da Matta, juge ad hoc,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 juillet 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27013/10) dirigée contre la République portugaise et dont une société civile d’avocats à responsabilité limitée, Sérvulo & Associados - Sociedade de Advogados, RL, et quatre ressortissants de cet État, Mme Teresa Serra, M. José Lobo Moutinho, M. Ricardo Guimarães et M. Pedro Duro (« les requérants »), ont saisi la Cour le 30 avril 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par les deuxième et quatrième requérants, avocats à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure général adjointe.

3. Les requérants alléguaient que la perquisition et la saisie de documents et données informatiques dans leurs locaux professionnels avaient méconnu leur droits garantis par l’article 8 de la Convention.

4. Par une décision du 10 janvier 2012, une chambre de l’ancienne deuxième section a déclaré la requête partiellement irrecevable et les griefs tirés de l’article 8 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement. Après un remaniement de la composition des sections, l’affaire a été attribuée à la première section.

5. À la suite du déport de M. Paulo Pinto de Albuquerque, juge élu au titre de Portugal, la présidente de la chambre a désigné, sur une liste soumise au préalable par le gouvernement portugais, M. P. Saragoça da Matta pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. La première requérante est une société d’avocats ayant son siège à Lisbonne. Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérants sont nés respectivement en 1948, 1963, 1975 et 1974 et résident à Lisbonne.

A. La genèse de l’affaire

7. Les deuxième, troisième, quatrième requérants [personnes physiques] sont avocats membres (sócios) et le cinquième [requérant personne physique] est associé (associado) de la société requérante.

8. En août 2006, le Département central d’enquête et action pénale (« Departamento central de investigação e ação penal- « DCIAP ») ouvrit des poursuites contre plusieurs ressortissants portugais et allemands pour les chefs de corruption, prise illégale d’intérêts et blanchiment d’argent concernant l’achat, le 21 avril 2004, de deux sous-marins par le gouvernement portugais à un consortium allemand.

9. Ces poursuites donnèrent lieu à deux enquêtes pénales, la première relative à l’achat même des sous-marins (procédure interne no 56/06.2TELSB puis procédure interne no 222/11.9TELSB) et la seconde (procédure interne no 125/08.4TELSB) concernant les contreparties prétendument fournies par le consortium allemand en faveur de certaines sociétés portugaises. Le DCIAP soupçonnait des agents de l’État d’avoir obtenus des avantages patrimoniaux au cours de ces négociations au détriment de l’État.

10. Les deux enquêtes furent conduites sous le contrôle du juge d’instruction (juiz de instrução criminal), C.A. qui était, au moment des faits, le seul juge du Tribunal central d’instruction criminelle (« TCIC »).

11. La première procédure a été conclue par une ordonnance de classement sans suite du DCIAP du 17 décembre 2014 (voir ci-après). Quant à la seconde procédure, par un jugement du tribunal de Lisbonne du 14 février 2014, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 19 mars 2015, les accusés furent tous acquittés des chefs qui leur étaient reprochés.

12. La première requérante avait été mandatée par le ministère de la Défense du Portugal pour l’assister et le représenter dans le cadre des négociations ayant mené aux contrats relatifs à l’achat des deux sous-marins. Maître B.A était l’avocat au sein de la société qui avait coordonné l’accompagnement juridique du dossier. Suite au départ de cet avocat de la société, le dossier fut repris par le quatrième requérant.

B. La perquisition dans les locaux professionnels des requérants et la saisie de documents et de données informatiques dans le cadre de l’enquête pénale

13. Le 24 septembre 2009, le DCIAP saisit le juge d’instruction du TCIC d’une demande visant la réalisation d’une perquisition dans les locaux professionnels de trois cabinets d’avocats, dont celui de la première requérante, et la saisie de tout document pertinent pour l’enquête en cours. À l’appui de sa demande, le DCIAP exposa :

. que la société requérante avait été engagée par le ministère de la Défense pour l’assister dans les négociations portant sur l’achat des sous-marins ;

. que Me B.A. qui n’exerçait plus son activité professionnelle dans ladite société avait été en charge du dossier ;

. que la majeure partie des documents concernant les contrats n’avait pas été retrouvée au ministère de la Défense et qu’il était possible qu’ils se trouvent dans les locaux de la société requérante ;

. qu’il existait de forts indices que la société requérante ait participé, à travers notamment de ses avocats, à des agissements frauduleux ;

. que des éléments importants pour l’enquête pouvaient se trouver dans les bureaux concernés, notamment dans les ordinateurs et les serveurs informatiques de la société requérante et qu’il y avait lieu de procéder à des recherches sur la base d’une liste de 35 mots clés. Sur celle-ci figurait, entre autres :

. le nom du quatrième requérant,

. le nom de Me B.A,

. les noms des sociétés allemandes qui avaient vendu les sous-marins,

. le nom du ministre de la Défense en fonction à l’époque des négociations ayant mené aux contrats relatifs à l’achat des sous-marins, actuel vice-premier ministre au Portugal,

. les noms des banques Banco Espírito Santo et Crédit Suisse Boston,

. d’autres mots tels que « contreparties », « financement », « spread[1] » ou « swap[2] ».

14. Les 25 et 29 septembre 2009, le juge d’instruction du TCIC délivra deux mandats de perquisition concernant les locaux professionnels de la société requérante situés à deux adresses différentes à Lisbonne. Fixant la réalisation des opérations au 29 septembre 2009, il déclara que celles-ci seraient présidées (presididas) par un juge d’instruction. En raison d’un empêchement, il demanda à être remplacé, le jour des opérations, par deux juges d’instruction du tribunal d’instruction criminelle de Lisbonne.

Les mandats autorisaient l’accès à tous les bureaux de la société requérante ayant été occupés ou utilisés par les avocats qui avaient accompagné les négociations de l’achat des sous-marins et les contreparties et ordonnaient :

. que soient saisis tout document, objet et autres éléments, notamment en support informatique, en rapport avec les crimes faisant l’objet de l’enquête,

. que soit levé le secret de la correspondance, indiquant que l’accès aux fichiers informatiques devait être fait sur la base des 35 mots clés indiqués par le DCIAP.

. que les fichiers couverts par le secret professionnel soient copiés dans un support numérique autonome et lui soient présentés conformément à l’article 179 § 3 et l’article 188 §§ 1 et 4 du code de procédure pénale (« CPP »).

Pour finir, le juge d’instruction sollicita la présence d’un représentant de l’Ordre des avocats pendant les opérations conformément aux articles 177 § 3 du CPP et 70 du statut de l’Ordre des avocats.

15. Le 29 septembre 2009, l’avocat Me B.A fut mis en examen (constituído arguido) du chef de prévarication dans le cadre de l’enquête portant sur l’achat des sous-marins.

16. Le même jour, de 13h05 à 21h00, les opérations eurent lieu dans les locaux professionnels de la société requérante, soit aux deux adresses indiquées dans les mandats de perquisition. La perquisition à l’adresse principale fut présidée par la juge A.C.S., juge d’instruction du tribunal d’instruction criminelle de Lisbonne, en présence d’un représentant de l’Ordre des avocats ainsi que des deuxième, troisième et cinquième requérants.

17. Avant que les recherches ne démarrent, se prévalant de l’article 72 du statut de l’Ordre des avocats, les requérants formèrent une opposition à la perquisition devant le président de la cour d’appel de Lisbonne. Ils invoquèrent le secret professionnel et soulignèrent qu’aucun des avocats du cabinet n’avait été mis en examen, dans le cadre de la procédure en cause ce qui allait à l’encontre de l’article 71 § 4 du statut de l’Ordre des avocats. Ils soutinrent également que l’utilisation de termes couramment utilisés dans le cadre de négociations, comme « contreparties » et « financement » pour procéder à la recherche informatique pourrait conduire à une perquisition et une saisie disproportionnées.

Constatant qu’à l’exception de l’ancien avocat associé de la société requérante, Me B.A, les avocats de la société n’avaient pas été mis en examen dans le cadre des enquêtes en cause, la juge d’instruction accepta l’opposition et ordonna la mise sous scellés, sans consultation, et la transmission de tous les documents qui seraient saisis au président de la cour d’appel de Lisbonne afin qu’il se prononce sur la validité de l’invocation du secret professionnel conformément à l’article 72 §§ 2 et 3 du statut de l’Ordre des avocats.

18. La perquisition démarra alors dans les locaux de la société requérante. Elle fut conduite par l’un des procureurs chargés de l’enquête, assisté de neuf agents des forces de l’ordre.

19. À l’issue des opérations, un procès-verbal fut dressé et signé par toutes les personnes présentes, à l’exception d’un agent qui avait dû s’absenter avant la fin des opérations. Une liste des documents et pièces saisis fut jointe au procès-verbal. Il y était indiqué qu’il avait été saisi dans le bureau du quatrième requérant les éléments suivants :

. quatorze boîtes et chemises de classement contenant des documents ;

. les fichiers informatiques et boîtes de courriers électroniques extraits de l’ordinateur du quatrième requérant et des différents serveurs du cabinet d’avocats, sélectionnés sur la base des mots-clés indiqués dans le mandat de perquisition et gravés sur quatre DVD-ROM ;

. un disque dur externe contenant des archives.

. le disque dur de l’ordinateur portable qui avait été utilisé par Me B.A et qui se trouvait dans les installations informatiques de la société.

20. Tous les documents et données informatiques saisis furent mis sous scellés à l’intention du juge d’instruction du TCIC aux fins de la procédure devant le président de la cour d’appel de Lisbonne.

21. Par une ordonnance du 6 octobre 2009, le quatrième requérant, M. Ricardo Guimarães, fut mis en examen au motif qu’il était apparu au cours de la perquisition que celui-ci avait également assisté l’État dans le cadre des négociations et des contrats qui faisaient l’objet de l’enquête.

22. Le 8 octobre 2009, les requérants déposèrent au TCIC leur mémoire adressé au président de la cour d’appel de Lisbonne.

Ils dénonçaient la saisie, au moyen de mots clés fréquents dans tout contexte juridique, des documents, fichiers informatiques et messageries électroniques à partir du poste de travail du quatrième requérant et des serveurs de la société requérante. Ils se plaignaient aussi de la saisie des deux disques durs.

Ils faisaient également valoir que le nombre de documents et de données informatiques saisis était tel que des éléments couverts par le secret professionnel avaient nécessairement été emportés, notamment la correspondance d’avocats n’ayant pas été mis en examen dans le cadre de la procédure ou des documents qui concernaient d’autres procédures pénales pendantes devant le TCIC et dans lesquelles les requérants agissaient en qualité d’avocats. À titre d’exemple, ils citèrent deux procédures dans le cadre desquelles les troisième et cinquième requérants intervenaient comme représentants des accusés.

Les requérants soulignaient qu’étant le seul juge d’instruction au sein du TCIC, le juge C.A prendrait nécessairement connaissance d’éléments couverts par le secret professionnel. Ils demandaient ainsi au président de la cour d’appel d’ouvrir et de sélectionner lui-même les documents et données informatiques mis sous scellés et de ne pas envoyer au juge C.A. ceux qui étaient couverts par le secret professionnel et qui n’étaient pas liés aux enquêtes concernant les sous-marins, sous peine de violation du droit à la protection de la vie privée, du domicile et de la correspondance garanti par la Constitution.

Pour finir, les requérants s’élevaient contre la mise en examen du quatrième requérant, estimant qu’il s’agissait là d’un moyen de contourner la législation applicable en matière de protection du secret professionnel, aucun fait ne lui ayant été imputé ni avant ni au moment de sa mise en examen.

23. Le 14 octobre 2009, le juge d’instruction du TCIC adressa la réclamation au président de la cour d’appel. Dans ses observations, le juge d’instruction du TCIC réitéra que tous les éléments saisis étaient susceptibles de constituer des moyens de preuve dans le cadre des enquêtes en cours.

24. Le 19 octobre 2009, le quatrième requérant saisit le juge d’instruction du TCIC d’une demande en nullité de sa mise en examen. Il dénonçait le fait de ne pas avoir été entendu en qualité d’accusé et de ne pas avoir été informé des faits qui lui étaient reprochés. Il faisait également valoir que sa mise en examen avait seulement pour but de justifier la saisie des données informatiques qui avait eu lieu.

25. Le 21 octobre 2009, les requérants adressèrent une requête au président de la cour d’appel de Lisbonne. Ils contestaient à nouveau la mise en examen du quatrième requérant. Invoquant le secret professionnel, ils réitéraient qu’il appartenait au président de la cour d’appel de prendre lui-même en main l’ouverture et la sélection des éléments saisis au motif que le juge d’instruction du TCIC était l’unique juge d’instruction en charge des « grandes affaires » dans le pays.

26. Par une décision du 29 octobre 2009, le vice-président de la cour d’appel de Lisbonne rejeta la réclamation des requérants présentée le 8 octobre précédent. À titre préliminaire, il rappela que son intervention en l’espèce tendait à vérifier s’il existait un risque flagrant et disproportionné de porter atteinte au secret professionnel. Ensuite, il exposa que :

. l’avocat Me B.A et le quatrième requérant avaient participé aux négociations qui faisaient l’objet de l’enquête ;

. la saisie des données informatiques à partir du poste de travail du quatrième requérant était conforme à l’article 71 § 4 du statut de l’Ordre des avocats étant donné que celui-ci avait entretemps été mis en examen et que ces données n’avaient en outre pas auparavant été consultées vu leur mise sous scellés après la présentation de l’opposition au titre de l’article 72 du statut de l’Ordre des avocats ;

. la question de la nullité de la mise en examen du quatrième requérant échappait à son domaine d’intervention dans le cas concret, lequel relevait uniquement de l’article 72 du statut de l’Ordre des avocats ;

. après ouverture et visualisation, tous les documents et fichiers informatiques saisis semblaient revêtir un intérêt, direct ou indirect, pour l’enquête en cause, et à elle seule, la saisie litigieuse ne portait pas, à première vue, atteinte au secret professionnel des avocats ;

. les mots clés utilisés pour procéder aux recherches semblaient en rapport avec l’enquête en cours et, même s’ils avaient pu permettre d’accéder à d’autres matières, il appartenait au juge d’instruction de le vérifier ;

. dans la mise en balance des intérêts en jeu dans le cas concret, l’administration de la justice et la découverte de la vérité prévalaient sur le secret professionnel des avocats.

Le vice-président de la cour d’appel en conclut que la saisie des documents et fichiers informatiques était proportionnée au but recherché, à savoir l’administration de la justice concernant des affaires d’une grande complexité et qu’il n’y avait eu aucune violation du principe constitutionnel du respect de la vie privée. Jugeant que les craintes exprimées à l’égard du juge d’instruction du TCIC étaient hasardeuses et que la loi ne prévoyait pas qu’il soit éloigné pour les raisons invoquées, cette question n’étant en outre pas de son ressort dans le cas concret, il ordonna, conformément à la loi, la remise sous scellés des documents saisis et leur transmission au TCIC.

27. Par une ordonnance du 3 novembre 2009, le juge d’instruction du TCIC rejeta la demande en nullité déposée le 19 octobre précédent par le quatrième requérant concernant sa mise en examen. Ce dernier attaqua cette ordonnance devant la cour d’appel de Lisbonne.

28. Le 12 novembre 2009, les requérants déposèrent un recours constitutionnel devant le Tribunal constitutionnel contre la décision du 29 octobre 2009 du vice-président de la cour d’appel de Lisbonne. Entre autres, ils invoquaient le secret de la correspondance et le droit à la vie privée de leurs clients, dénonçant la mise en examen du quatrième requérant et le pouvoir du juge d’instruction du TCIC.

29. Dans une requête déposée le 17 décembre 2009 auprès de la cour d’appel de Lisbonne, les requérants déclarèrent qu’ils renonçaient, sur indication du ministère de la Défense, à la partie de leur recours constitutionnel concernant la saisie des documents papiers portant sur les négociations entreprises entre l’État portugais et le consortium allemand en vue de l’acquisition des sous-marins. Ils demandaient alors l’ouverture de ces documents et leur transmission au juge d’instruction du TCIC. Ils déclarèrent qu’ils maintenaient néanmoins la partie du recours portant sur la saisie des données informatiques contenues dans les deux disques durs saisis et celles qui avaient été gravées dans les quatre DVDs.

30. Par un arrêt du 15 avril 2010, la cour d’appel de Lisbonne annula la décision du 3 novembre 2009 du juge d’instruction du TCIC, jugeant que la mise en examen du quatrième requérant était illégale. Elle estima que la loi ne permettait pas qu’une mise en examen soit ordonnée postérieurement à une perquisition, pour justifier la saisie de documents professionnels. Outre l’annulation de la mise en examen du quatrième requérant, la cour d’appel ordonna la restitution de toute la « correspondance » le concernant qui avait été saisie.

31. Le 14 juillet 2010, le Tribunal constitutionnel prononça son arrêt concernant le recours qui avait été formé par les requérants. Il décida d’abord que, s’agissant de la saisie de la correspondance concernant le quatrième requérant, le recours constitutionnel était dépourvu d’utilité, la cour d’appel de Lisbonne ayant déjà ordonné la restitution de toute correspondance saisie qui le concernait. Quant à la question portant sur la saisie des documents et données informatiques et le pouvoir du juge du TCIC, le Tribunal constitutionnel déclara le recours irrecevable, considérant qu’aucune question d’inconstitutionnalité normative n’avait été soulevée de manière adéquate par les intéressés, les requérants ayant uniquement mis en cause les décisions judiciaires prises dans le cadre de la procédure.

32. Le 10 novembre 2010, le juge d’instruction du TCIC procéda à l’ouverture des scellés, en présence des deuxième, quatrième et cinquième requérants, de deux procureurs, d’un greffier du DCIAP et de trois experts informatiques.

33. Faisant droit à la demande des procureurs, le juge d’instruction ordonna que, dans la mesure où ils présentaient un intérêt pour l’enquête, tous les documents papiers soient joints au dossier de l’enquête pénale, à l’exception d’un classeur et d’une lettre, lesquels furent rendus aux requérants.

34. Le juge d’instruction ouvrit ensuite les scellés des quatre DVDs sur lesquels avaient été gravés les fichiers informatiques et les boîtes de courriers électroniques extraites de l’ordinateur du quatrième requérant et des différents serveurs du cabinet d’avocats, après avoir été sélectionnées sur la base des mots-clés indiqués dans le mandat de perquisition (voir ci-dessus paragraphe 19). Après audition des parties, le juge d’instruction ordonna que les deux boîtes de messageries électroniques de l’avocat Me B.A et les fichiers informatiques présentant un intérêt pour l’enquête qui avaient été gravés sur ces DVDs soient copiés et mis sous scellés et que les DVDs originaux soient rendus à la société requérante. Il déclara ensuite que le TCIC procéderait au visionnage des éléments copiés dans un délai de soixante jours.

35. Tous les fichiers informatiques identifiés comme « correspondance » du quatrième requérant furent rendus à celui-ci.

36. S’agissant des deux disques durs qui avaient été saisis, il ordonna la réalisation, par des experts informatiques, d’une opération visant la sélection de fichiers informatiques sur la base des mots clés qui avaient été utilisés lors de la perquisition.

37. Le 17 janvier 2011, les experts informatiques remirent au DCIAP deux rapports, accompagnés des deux disques durs et de leurs copies respectives. Ils annexèrent également un troisième disque dur contenant les copies des fichiers sélectionnés, à partir des deux disques durs, sur la base des mots clés utilisés dans le cadre de l’enquête. Le matériel fut remis sous scellés à l’intention du juge du TCIC.

38. Par une ordonnance du 2 février 2011, le juge d’instruction prit note que les experts informatiques avaient conclu l’analyse des fichiers informatiques des disques durs et que les fichiers (messageries électroniques) sélectionnés au moyen des mots clés avaient été copiés sur un disque dur séparé et mis sous-scellés. Il ordonna que cette copie soit gardée sous coffre, en attendant qu’il fixe une date pour le visionnage des contenus respectifs et l’élimination des fichiers relevant de la vie privée des personnes visées.

39. Les 1er 4, 5, 6 et 11 avril 2011, le juge d’instruction du TCIC procéda à l’ouverture des scellés des DVDs. Il visionna les fichiers informatiques qui y avaient été copiés (voir ci-dessus paragraphe 34), ordonnant la suppression des fichiers présentant des informations de caractère personnel, couverts par le secret professionnel ou ne concernant pas les personnes mises en examen conformément à l’article 188 § 6 alinéas a) à c) du CPP, comme suit :

. Séance du 1er avril 2011 (matin) : il visionna 4 500 fichiers dont 115 fichiers furent supprimés ;

. Séance du 1er avril 2011 (après-midi : il visionna 4356 fichiers dont 100 furent supprimés ;

. Séance du 4 avril 2011 (matin) : il visionna 2698 fichiers dont 16 fichiers furent éliminés ;

. Séance du 5 avril 2011 (après-midi) : il visionna 4946 fichiers dont 260 furent supprimés ;

. Séance du 6 avril 2011 (après-midi) : il visionna 6802 fichiers et 336 furent éliminés ;

. Séance du 11 avril 2011 (après-midi) : il visionna 1504 fichiers et 36 furent éliminés. Il visionna ensuite 3539 fichiers du deuxième DVD, estimant qu’aucun élément n’était à supprimer.

À l’issue de la séance du 11 avril, le juge d’instruction ordonna que les fichiers informatiques du premier DVD jugés pertinents pour l’enquête soient copiés sur un support autonome, ce qui fût fait le 12 avril 2011. Cette copie fut alors mise sous scellés.

40. Au cours de la séance du 4 avril 2011, le juge d’instruction conclut également le visionnage des messages électroniques qui avaient été sélectionnés à partir des disques durs (voir ci-dessus paragraphes 37-38). Après une analyse sommaire de leur contenu, il considéra qu’ils ne contenaient pas d’informations à caractère personnel, couvertes par le secret professionnel ou concernant des personnes autres que celles qui avaient mises en examen conformément à l’article 188 § 6 alinéas a) à c) du CPP. Par conséquent, il ordonna qu’ils soient envoyés au DCIAP afin que soit faite la sélection des éléments pertinents pour l’enquête.

41. Par une ordonnance du 21 juin 2011, le DCIAP estima nécessaire d’autonomiser l’enquête concernant les faits par rapport auxquels l’avocat Me B.A. n’était pas intervenu, comme suit :

« (...)

Le noyau des faits faisant l’objet de la présente enquête, pour autant qu’il s’agisse de la personne mise en examen, B.A., concerne l’accompagnement qu’il a fait des négociations et conclusion des contrats (...), faits susceptibles d’intégrer, entre autres, la pratique du crime de prévarication (...).

(...) ces faits ont fait l’objet d’une enquête commune avec l’ensemble des investigations concernant l’exécution du « Programme relatif à l’acquisition des sous-marins » (PRAS), seulement pour des questions de célérité et d’économie procédurales.

En effet, bien qu’on puisse admettre l’existence d’un lien avec les faits faisant l’objet des investigations mentionnées, il est certain que l’accusé B.A. n’a eu aucun type d’intervention par rapport à celles-ci.

(...) le ministère public considère que l’on devra procéder à l’autonomisation de l’enquête portant sur les faits qui ne concernent pas l’intervention de l’accusé B.A., tout en garantissant l’exercice de ses droits de défense, préservant et permettant néanmoins la poursuite de l’intérêt public à une enquête efficace et rapide des faits ci-dessus.

(...)

(...) afin qu’une enquête soit ouverte pour investiguer de façon autonome les faits relatifs aux circonstances dans lesquelles ont été négociés les contrats avec le GSC concernant l’acquisition des sous-marins, les contreparties et le financement, il est demandé à M. le juge d’instruction qu’il autorise l’extraction du présent dossier d’enquête et des annexes 54, 58, 62, 63, 70, 73 à 82, 86, 87, 89, 90, 91, 92, 94, 95, 97 et 98.

(...) »

42. Par une ordonnance du 24 juin 2011, le juge du TCIC fit droit à la demande du DCIAP, comme suit :

« (...)

En ce qui concerne la séparation des procédures, au vu des éléments indiqués par le ministère public/DCIAP qui, en l’occurrence et quant à la substance de la question posée, a reçu l’accord écrit de l’accusé Me B.A, nous accueillons la demande, l’autorisant dans ses termes précis et exacts et nous la reproduisons ici dans l’intégralité (même si nous ne connaissons pas la teneur entière des pièces procédurales (annexes) qui y sont indiquées).

(...) »

43. Le 1er juillet 2011, le DCIAP ordonna qu’une copie soit faite des pièces du dossier demandées dans le but d’ouvrir une nouvelle enquête concernant les autres suspects et activités. Celle-ci fut enregistrée sous le numéro de procédure no 222/11.9TELSB.

44. Le 17 mai 2012, les agents du DCIAP terminèrent l’analyse de 89 000 fichiers informatiques et de 29 000 messages électroniques saisis dans les équipements informatiques de la société requérante et dans la résidence de Me B.A et établirent un rapport concernant la participation de l’avocat Me B.A aux négociations qui faisaient l’objet de l’enquête.

45. Le 4 juin 2012, le DCIAP classa l’enquête ouverte à l’encontre de l’avocat Me B.A sans suite. Il considéra qu’aucun élément du dossier ne permettait de prouver que celui-ci avait commis les crimes qui lui étaient imputés. Le DCIAP tint, entre autres, compte de messages électroniques échangés entre Me B.A et des représentants du ministère de la Défense et d’autres avocats. En l’absence de tout recours, cette ordonnance devint définitive.

46. Le 6 juin 2012, les deux disques externes durs qui avaient été saisis furent rendus à la société requérante.

47. Le 15 juillet 2013, constatant que le classement sans suite de l’enquête qui portait sur l’avocat Me B.A. était devenu définitif, le DCIAP ordonna que les pièces dont la copie avait été demandée soient simplement extraites du dossier et jointes à celui de l’enquête concernant les autres suspects et faits (procédure no 222/11.9TELSB).

48. Par une ordonnance du DCIAP du 17 décembre 2014, cette dernière fut classée sans suite.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Sur la procédure pénale en général au Portugal

49. Au Portugal, la conduite de l’enquête appartient au ministère public, lequel se trouve sous l’autorité du Procureur-général de la République.

50. Au sein du ministère public, le Département central d’enquête et action pénale est l’autorité qui coordonne et conduit toute enquête portant sur la criminalité hautement organisée ou particulièrement complexe (article 46 de la loi no 47/86 du 15 octobre 1986 dans la rédaction introduite par la loi no 60/98 du 27 août 1998).

51. On entend par instruction (instrução), le contrôle judiciaire de l’enquête par le juge d’instruction. À cet égard, dans ses parties pertinentes, l’article 286 du CPP stipule :

« 1. L’instruction vise le contrôle judiciaire de la décision d’inculper (acusar) ou de classer une enquête sans suite (arquivar) dans le but de renvoyer ou non la cause en jugement.

2. L’instruction est facultative.

(...) »

En outre, l’article 32 § 4 de la Constitution dispose :

« Toute instruction est de la compétence d’un juge qui peut, aux termes de la loi, déléguer à toute autre entité la pratique des actes d’instructions qui ne portent pas direction sur les droits fondamentaux. »

52. S’il appartient au ministère public de diriger l’enquête, avec l’assistance des organes de police criminelle (article 263 du CPP), certains actes ne peuvent être réalisés que par le juge d’instruction et d’autres requièrent son autorisation. À cet égard, les dispositions pertinentes du CPP se lisent ainsi :

Article 17
Compétence du juge d’instruction

« Il est de la compétence du juge d’instruction de procéder à l’instruction, de décider le renvoi en jugement (pronúncia) et d’exercer toutes les fonctions juridictionnelles jusqu’à ce que l’affaire soit transmise aux fins du jugement, aux termes prescrits dans ce code. »

Article 268
Actes relevant de la compétence du juge d’instruction

« 1. Au cours de l’enquête, il est de la compétence exclusive du juge d’instruction de :

a) Procéder au premier interrogatoire judiciaire d’un accusé détenu ;

b) Procéder à l’application d’une mesure de contrainte ou de garantie patrimoniale (...) ;

c) Procéder aux perquisitions et saisies dans un cabinet d’avocats, un cabinet médical ou un établissement bancaire (...) ;

d) Prendre connaissance en premier lieu de la correspondance saisie aux termes de l’article 179 § 3 ;

e) Déclarer la perte, en faveur de l’État, de tout bien saisi en cas de classement sans suite d’une affaire par le ministère public (...) ;

f) Réaliser tout acte expressément réservé par la loi au juge d’instruction.

2. Le juge accomplit les actes indiqués au paragraphe précédent, à la demande du ministère public, de l’autorité de la police criminelle en cas d’urgence ou risque de retard, de l’accusé ou de l’assistente (auxiliaire du ministère public).

(...) »

Article 269
Actes devant être ordonnés ou autorisés par le juge d’instruction

« 1. Au cours de l’enquête, il est de la compétence exclusive du juge d’instruction d’ordonner ou d’autoriser :

a) La réalisation d’expertises (...) ;

b) La réalisation d’examens (...) ;

c) Les perquisitions au domicile aux termes et dans les limites de l’article 177 ;

d) La saisie de correspondance, aux termes de l’article 179 § 1 ;

e) L’interception, l’enregistrement ou le registre de conversations ou de communications, aux termes des articles 187 et 189 ;

f) La réalisation de tout acte dont la loi prévoit qu’il dépende de l’ordre ou l’autorisation du juge d’instruction.

(...) »

Dans un arrêt du 18 mai 2006 (procédure no 54/2006-9), la cour d’appel de Lisbonne a observé :

« (...)

L’enquête comprend un ensemble de démarches visant à investiguer sur l’existence d’un crime, identifier ses agents et leurs responsabilité et découvrir et recueillir des preuves aux fins de la décision portant sur les réquisitions (acusação) (...).

Il revient au ministère public de la diriger, avec l’assistance des organes de police criminelle (...).

L’enquête est donc une procédure relevant du ministère public et non du juge, il appartient donc au premier, et non à ce dernier, de sélectionner et recueillir la preuve.

Il est incontestable que l’investigation criminelle appartient au ministère public durant l’enquête, le juge d’instruction étant, néanmoins, par impératif constitutionnel, compétent en ce qui concerne les actes qui ont directement à voir avec les droits fondamentaux.

(...).

Par conséquent, dans la mesure où le juge d’instruction est le juge des libertés et des garanties, il lui appartient « à peine » d’assurer (...) que la collecte des preuves- dont la sélection, nous le rappelons, est de la compétence du ministère public- s’effectue légalement (et constitutionnellement).

(...) »

53. L’article 399 du code de procédure pénale pose le principe général en matière de recours en matière pénale, disposant ce qui suit :

« Il est permis de faire appel des arrêts, jugements et ordonnances dont le caractère inattaquable n’est pas prévu par la loi. »

B. Sur la procédure de perquisition et saisie

54. Concernant la procédure de perquisition et de saisie, le code de procédure pénale prévoit ce qui suit :

Article 174
Conditions

« 1. S’il existe des indices qu’une personne dissimule sur elle-même des objets ayant un lien avec un crime ou pouvant servir de preuve, une fouille corporelle est ordonnée.

2. S’il existe des indices que les objets mentionnés à l’alinéa précédent, ou si la personne mise en examen (arguido) ou une autre personne devant être détenue, puisse se trouver dans un lieu réservé ou n’étant pas librement accessible au public, une perquisition est ordonnée.

3. Les fouilles corporelles et les perquisitions sont autorisées ou ordonnées par une ordonnance de l’autorité judiciaire compétente, celle-ci devant, dans la mesure du possible, présider l’opération.

4. L’ordonnance prévue à l’alinéa précédent est valable pendant 30 jours, sous peine de nullité.

5. Les exigences prévues à l’alinéa 3 ne s’appliquent pas aux fouilles corporelles et aux perquisitions effectuées par un organe de la police criminelle dans les cas :

a) De terrorisme, criminalité violente ou hautement organisée, lorsqu’il y a des indices fondés de la commission imminente d’un crime pouvant mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne ;

b) Où les personnes visées donnent leur consentement (...) ;

c) Au moment d’une détention en flagrant délit pour un crime auquel s’applique une peine de prison.

6. Dans les cas indiqués à la lettre a) de l’alinéa précédent, la réalisation de l’opération est, sous peine de nullité, immédiatement portée à la connaissance du juge d’instruction qui doit l’apprécier afin de pouvoir la valider. »

Article 176
Formalités de la perquisition

« 1. Sauf dans les cas indiqués à l’alinéa 5 de l’article 174, avant de procéder à la perquisition, l’occupant du lieu concerné reçoit une copie de l’ordonnance ayant déterminée celle-ci indiquant :

. qu’il peut assister à l’opération et

. se faire accompagner ou remplacer par une personne de sa confiance ;

. qu’il se présente sans attendre.

2. Si les personnes indiquées à l’alinéa précédent sont absentes, une copie est, dans la mesure du possible, remise à un membre de la famille, un voisin, un concierge ou la personne qui le remplace.

(...) »

Article 177
Perquisition

« (...)

5. La perquisition d’un cabinet d’avocats (...) est, sous peine de nullité, présidée (presidida) par le juge en personne, lequel informe au préalable le président du conseil local de l’Ordre des avocats (...) afin que celui-ci ou une autre personne agissant en son nom soit présent.

(...) »

Article 178
Objets pouvant être saisis et sous quelles conditions

« 1. Sont saisis les objets ayant servi ou étant destinés à servir à commettre un crime, ceux qui en sont le produit, le bénéfice, le prix ou la récompense et tous les objets laissés par l’auteur du crime sur les lieux, ainsi que tout autre pouvant servir de preuve.

2. Les objets saisis sont versés au dossier de la procédure (...).

3. Les saisies sont autorisées, ordonnées et validées par ordonnance de l’autorité judiciaire.

4. Les organes de police criminelle peuvent faire des saisies au cours des fouilles corporelles ou des perquisitions lorsqu’il y a urgence ou risque de perte en cas de retard (...).

(...)

6. Les propriétaires des objets ou les titulaires des biens saisis peuvent demander au juge d’instruction la modification ou l’annulation de la mesure. (...)

(...) »

Article 179
Saisie de correspondance

« 1. Sous peine de nullité, le juge peut autoriser ou requérir, par ordonnance, la saisie (...) de lettres, paquets, valeurs, télégrammes ou tout autre correspondance s’il existe des raisons fondées de croire que :

a) La correspondance a été expédiée ou reçue par le suspect (...) ;

b) Est en cause un crime pouvant être puni d’une peine supérieure à trois ans de prison ;

c) L’acte se révèle d’un grand intérêt pour la découverte de la vérité ou pour la preuve.

2. Sous peine de nullité, il est interdit de saisir ou d’exercer un contrôle, sous une autre forme, de toute correspondance entre l’accusé et son défenseur, sauf si le juge a des raisons fondées de croire que celle-ci constitue l’objet ou l’élément d’un crime.

3. Le juge ayant autorisé ou ordonné l’acte est la première personne à prendre connaissance du contenu de la correspondance saisie. S’il considère qu’elle présente un intérêt aux fins des preuves, il la fera joindre au dossier de la procédure ; dans le cas contraire, il la rend à qui de droit, celle-ci ne pouvant être utilisée comme moyen de preuve, il reste alors lié au secret par rapport à tout ce dont il a pris connaissance et qui ne présente pas d’intérêt pour la preuve. »

Article 180
Saisie dans un cabinet d’avocats ou médical

« 1. Ce qui est prévu à l’alinéa 5 (...) de l’article 177 s’applique aux saisies réalisées dans un cabinet d’avocats (...).

2. Il est interdit, sous peine de nullité, de saisir des documents couverts par le secret professionnel (...) sauf si ces documents ont eux-mêmes servi en tant qu’objet ou élément d’un crime.

3. Ce qui est prévu à l’alinéa 3 de l’article précédent s’applique en conséquence. »

Article 183
Photocopie et copies certifiées conformes (certidões)

« 1. Il est possible de joindre une photocopie des documents saisis au dossier de la procédure (autos), l’original devant être rendu. S’il est nécessaire de conserver l’original, il est possible d’en faire une photocopie ou une copie certifiée conforme (certidão) et de remettre celle-ci à qui appartenait l’original. (...)

(...) »

Article 184
Mise sous scellés et ouverture des scellés

« Dans la mesure du possible, les objets saisis sont mis sous scellés. L’ouverture des scellés est faite, si possible, en présence des personnes qui étaient présentes au moment de leur apposition, celles-ci vérifiant si les scellés n’ont pas été violés et que les objets saisis n’ont pas été changés. »

Article 186
Restitution des objets saisis

« 1. Les objets saisis sont restitués à qui de droit dès qu’il apparaît que le maintien de la saisie aux fins de la preuve n’est plus nécessaire.

2. Dès que le jugement devient définitif, les objets saisis sont rendus à qui de droit sauf s’ils ont été déclarés perdus en faveur de l’État. »

Article 187
Admissibilité [écoutes téléphoniques]

« 1. L’interception et l’enregistrement de conversations ou communications téléphoniques ne peuvent être utilisés pendant un enquête que s’il existe des raisons de croire que cette mesure est indispensable à la découverte de la vérité ou si la preuve serait, d’une autre façon, impossible ou très difficile à obtenir, par une ordonnance fondée du juge d’instruction et sur demande du ministère public, s’agissant de crimes :

a) punis par une peine de prison supérieure, dans son délai maximum, à trois ans ;

b) relatifs au trafic de stupéfiants ;

c) de détention d’arme interdite ou de trafic d’armes ;

d) de contrebande ;

e) d’injure, menace, contrainte, intrusion dans la vie privée ou perturbation de la paix et de la tranquillité, lorsqu’ils sont commis par la voie du téléphone ;

f) de menace de crime ou d’abus et simulation de signes de dangers ; ou

g) d’évasion, lorsque l’accusé a été condamné à un des crimes prévus aux lettres précédentes.

(...)

4. L’interception et l’enregistrement (...) ne peuvent être autorisés (...) qu’à l’encontre de :

a) Un suspect ou une personne mis en examen ;

b) Une personne utilisée comme intermédiaire, par rapport à laquelle il existe des raisons fondées qui permettent de croire qu’elle reçoit ou transmet des messages destinés ou provenant d’un suspect ou d’une personne mis en examen ou ;

c) La victime d’un crime, avec son consentement (...).

5. L’interception et l’enregistrement de conversations ou de communications entre une personne mise en examen et son défenseur sont interdits, sauf si le juge a des raisons fondées de croire qu’elles constituent l’objet ou un élément du crime.

(...)

7. Sans préjudice de ce qui est prévu à l’article 248, l’enregistrement de conversations ou de communications ne peut être utilisé dans une autre procédure, en cours ou à instaurer, que s’il résulte de l’interception d’un moyen de communication utilisé par une personne indiquée à l’alinéa 4 et dans la mesure où il est indispensable pour prouver un des crimes figurant à l’alinéa 1.

8 Dans les cas prévus à l’alinéa précédent, les supports techniques des conversations ou des communications et les ordonnances qui ont fondé les interceptions respectives sont joints, par ordonnance judiciaire, à la procédure pour laquelle elles doivent être utilisées comme élément de preuve, une copie devant être extraite si nécessaire. »

Article 188
Formalités des opérations [écoutes téléphoniques]

« (...)

6. (...) le juge ordonne la destruction immédiate des supports techniques et des rapports manifestement étrangers à la procédure :

a) Qui concernent des conversations où ne sont pas intervenues les personnes indiquées à l’alinéa 4 de l’article précédent ;

b) Qui portent sur des domaines couverts par le secret professionnel, de fonctionnaire ou de l’État ; ou

c) Dont la divulgation peut porter gravement atteinte aux droits, libertés et garanties ;

(...). »

Article 248
Communication de la notitia criminis

« 1. Les organes de police criminelle qui ont eu connaissance d’un crime, par leurs propres moyens ou après une dénonciation, transmettent cette information au ministère public dans le délai le plus court, lequel ne peut dépasser dix jours.

(...) »

Article 189
Extension

« 1. Les dispositions prévues aux articles 187 et 188 sont applicables aux conversations ou communications transmises par n’importe quel autre moyen technique autre que le téléphone, notamment le courrier électronique (...).

(...) »

55. Dans un arrêt du 23 octobre 2002 (procédure no 125/00), la Cour suprême a considéré qu’il fallait distinguer les connaissances relevant d’une enquête (conhecimentos de investigação) des « connaissances fortuites » (conhecimentos fortuitos). Dans le premier cas, les informations ont été obtenues dans le cadre de la propre enquête en cours, il existe donc plus ou moins une certaine proximité entre les situations recherchées (il s’agit par exemple du concours réel d’infractions, des cas de coparticipations). Dans de telles situations, rien n’empêche et il est même justifié que les données légalement obtenues à travers des écoutes téléphoniques concernant certains faits soient utilisées pour prouver d’autres faits présentant avec elles une certaine affinité. Dans le second cas de figure, les informations sont obtenues de façon latérale et sont sans rapport avec l’enquête en cours. Les informations obtenues de façon fortuite dans le cadre d’écoutes téléphoniques peuvent être admises dans le cadre d’une autre procédure si celles-ci ont été réalisées conformément à la loi, si le crime faisant l’objet de l’autre procédure fait partie de la liste des crimes indiquées à l’article 187 § 1 du CPP, si les informations présentent un intérêt pour la découverte de la vérité ou la preuve dans la procédure vers où elles sont transférées, si l’accusé a la possibilité de contrôler ou contredire les résultat obtenus par cette voie.

Dans un arrêt du 29 avril 2010 (procédure no 128/05.0JDLSB-A.S1), la Cour suprême a relevé que par « connaissances fortuites », il fallait entendre les informations recueillies de façon légale au cours notamment de l’enregistrement de conversations téléphoniques, ne concernant pas le crime à l’origine de ce moyen d’obtention de preuves.

C. Sur la conservation des dossiers relatifs à une procédure pénale

56. Au moment des faits, en ce qui concerne la conservation des supports techniques de conversations ou de communications téléphoniques enregistrées dans le cadre d’une enquête pénale, l’alinéa 3 de la directive du procureur général de la République du 9 janvier 2008 prévoyait ce qui suit :

« (...)

Les supports techniques de conversations ou de communications téléphoniques enregistrées dans le cadre d’une enquête pénale ayant fait l’objet d’une ordonnance finale de classement sans suite sont conservés, pour la durée correspondante au délai de prescription de l’enquête pénale, dès lors que la réouverture de l’enquête se montre possible d’un point de vue juridique (...) »

Adopté le 24 décembre 2013 par l’arrêté ministériel (Portaria) no 368/2013, le règlement sur la conservation aux archives des tribunaux prévoit la conservation et le versement aux archives de tout dossier d’une procédure pénale relative à une enquête pénale classée sans suite jusqu’au terme du délai de prescription du crime qui faisait l’objet de l’enquête.

Conformément à l’article 118 § 1 a) et c) du code pénal (dans sa rédaction issue de la loi no 32/2010 du 2 septembre 2010), les délais de prescription sont les suivants :

. 15 ans en ce qui concerne les crimes de corruption, prise illégale d’intérêts et blanchiment d’argent ;

. 10 ans pour le crime de prévarication.

D. Sur la saisie de données informatiques

57. Entrée en vigueur le 15 octobre 2009, la loi sur la cybercriminalité (approuvée par la loi no 109/2009 du 15 septembre 2009) transpose dans l’ordre juridique portugais la directive du Conseil de l’Union européenne no 2005/222/JAI du 24 février 2005 relative aux attaques visant les systèmes d’informations. Les dispositions pertinentes de cette loi se lisent ainsi :

Article 15
Recherche de données informatiques

« 1. Lorsqu’au cours d’une procédure il devient nécessaire, pour produire une preuve, en vue de la découverte de la vérité, d’obtenir des données informatiques spécifiques et déterminés, stockés dans un système informatique, l’autorité judiciaire compétente autorise ou ordonne par ordonnance qu’une recherche soit effectuée dans ce système informatique, et doit, dans la mesure du possible, présider (presidir) cette opération (diligência).

2. Sous peine de nullité, l’ordonnance prévue à l’alinéa précédent a une durée de validité pouvant aller jusqu’à 30 jours.

(...) »

Article 16
Saisie de données informatiques

« 1. Si au cours d’une recherche informatique ou d’un tout autre accès légitime à un système informatique, sont découverts des données ou des documents informatiques nécessaires pour produire une preuve en vue de la découverte de la vérité, l’autorité judiciaire compétente autorise ou ordonne, par ordonnance, leur saisie.

2. L’organe de police criminelle peut effectuer des saisies, sans autorisation préalable de l’autorité judiciaire, au cours d’une recherche informatique ordonnée de façon légale aux termes de l’article précédent, ou bien lorsqu’il existe une urgence ou un risque de perte en cas de retard.

3. Si des données ou des documents informatiques saisis contiennent des éléments personnels ou intimes, pouvant mettre en cause la vie privée de la personne respective ou d’un tiers, ceux-ci sont, sous peine de nullité, présentés au juge, qui déterminera leur jonction au dossier de l’enquête en tenant compte des intérêts du cas concret.

4. Les saisies effectuées par un organe de police criminelle sont toujours sujettes à validation de l’autorité judiciaire, dans un délai maximum de 72 heures.

5. Les saisies relatives aux systèmes informatiques utilisés dans le cadre de l’exercice de la profession d’avocat et des activités médicales ou bancaires sont sujettes, avec les adaptations nécessaires, aux règles et formalités prévues dans le code de procédure pénale (...).

(...)

7. Les saisies de données informatiques (...) peuvent notamment présenter les formes suivantes :

a) Saisie du support où est installé le système ou saisie du support où sont stockés les données informatiques, ainsi que les dispositifs nécessaires à leur lecture respective ;

b) Réalisation d’une copie des données, en support autonome, qui sera versée au dossier ;

c) Préservation, par des moyens technologiques, de l’intégrité des données, sans réalisation d’une copie ou retrait de celles-ci ; ou

d) Élimination irréversible ou blocage de l’accès aux données.

(...) »

E. Sur le Tribunal central d’instruction criminelle

58. La loi relative à l’organisation des tribunaux judiciaires (loi no 3/99, du 13 janvier 1999) prévoit dans son article 80 § 1 que, si l’activité délictuelle a lieu dans des ressorts (comarcas) appartenant à divers districts judiciaires, l’instruction des affaires portant sur la « criminalité violente, hautement organisée ou particulièrement complexe » est de la responsabilité du Tribunal central d’instruction criminelle. Aux termes du règlement d’application de la loi d’organisation des tribunaux judiciaires (décret-loi nº 186-A/99 du 31 mai 1999), ce tribunal a son siège à Lisbonne. Au moment des faits, il disposait d’un seul juge d’instruction. Depuis septembre 2014, il est composé de deux juges d’instruction.

F. Sur le secret professionnel

59. L’article 87 du statut de l’Ordre des avocats (Estatuto da Ordem dos Advogados), approuvé par la loi no 15/2005 du 26 janvier 2005, dispose :

« 1. L’avocat est tenu au secret professionnel concernant tous les faits dont il a connaissance étant donné ses fonctions et la prestation de ses services (...).

(...) »

60. Les autres dispositions du statut de l’Ordre des avocats pertinentes sont les suivantes :

Article 70
(...) perquisitions (buscas) dans un cabinet d’avocats

« 1. (...) les perquisitions (...) dans un cabinet d’avocats ou dans tout autre local destiné aux archives, l’interception et l’enregistrement de conversations ou communications, par voie téléphonique ou électronique, utilisés par l’avocat dans l’exercice de sa profession, figurant dans le registre de l’Ordre des Avocats, ne peuvent être ordonnés et présidés que par le juge compétent.

2. (...) le juge doit convoquer, pour assister (...) aux recherches, l’avocat concerné, le président du conseil du district, le président de la délégation ou le délégué de l’Ordre des avocats, selon les cas, lesquels peuvent déléguer à un autre membre du conseil du district ou de la délégation.

(...)

4. Les membres de la famille ou les employés de l’avocat concerné peuvent aussi assister aux procédures indiquées à l’alinéa 2 de cet article lorsqu’ils se présentent à celles-ci ou si le juge les convoque.

(...)

6. Le procès-verbal de la procédure fait mention expresse des personnes présentes, ainsi que de tout événement survenu au cours de celle-ci. »

Article 71
Saisie de documents

« 1. Indépendamment du support utilisé, il n’est pas possible de saisir la correspondance relative à l’exercice de la profession.

(...)

3. Sont comprises dans la correspondance les instructions et les informations écrites sur l’objet de la désignation [d’office] ou du mandat ou l’avis demandé.

4. Est exclue la correspondance portant sur un acte criminel pour lequel l’avocat a été mis en examen. »

Article 72
Réclamation

« 1. Au cours [de la perquisition], l’avocat concerné (...) peut présenter une réclamation.

2. La réclamation ayant pour but de préserver le secret professionnel, le juge doit immédiatement prendre en compte la demande pour ce qui est des documents ou objets en cause ; le juge met de suite ces documents ou objets sous scellés, sans les lire ou les examiner.

3. Les motifs de la réclamation sont déposés, sous cinq jours, auprès du tribunal où la procédure est pendante ; le juge remet au président de la cour d’appel, dans le même délai, la réclamation accompagnée de son avis et, le cas échéant, des documents ou objets mis sous scellées.

4. Le président de la cour d’appel peut, sous réserve du secret, procéder à l’ouverture des scellés, les retournant à nouveau scellés, avec sa décision. »

G. Sur le recours en inconstitutionnalité

61. S’agissant du recours en inconstitutionnalité, selon la jurisprudence constante et réitérée du Tribunal constitutionnel, seules des questions d’inconstitutionnalité « normative » peuvent être examinées dans le cadre d’un recours constitutionnel, le recours direct en protection d’un droit fondamental n’existant pas en droit constitutionnel portugais. Tout recours dirigé contre la décision judiciaire elle-même est ainsi jugé irrecevable par le Tribunal constitutionnel (voir, par exemple, les arrêts du Tribunal constitutionnel nos 192/94 du 1er mars 1994, 178/95 du 5 avril 1995 et 18/96 du 16 janvier 1996).

H. Sur les sociétés d’avocats

62. Les sociétés d’avocats sont des sociétés civiles formées par deux ou plusieurs avocats dans le but d’exercer conjointement leur activité professionnelle et de répartir entre eux les recettes (article 1 du décret-loi nº 229/2004 du 10 décembre 2004). Contrairement aux membres (sócios), les associés (associados) ne disposent pas de parts sociales dans la société et ne participent pas à ses assemblées générales (article 6, 12, 13 et 25). Tous les membres d’une société sont tenus au respect du secret professionnel (article 5).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

63. Les requérants estiment que la perquisition et la saisie de fichiers informatiques et messages électroniques du système informatique de leurs locaux professionnels a porté atteinte à leur droits garantis par l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’Ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

64. Le Gouvernement récuse la thèse du requérant.

A. Sur la recevabilité

1. Sur le non-épuisement des voies de recours internes

65. Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il souligne que le contrôle effectué par le Tribunal constitutionnel peut porter sur la manière dont une certaine norme a été appliquée dans un cas concret. Pour cela, il aurait fallu que les requérants eussent soulevé devant la cour d’appel de Lisbonne une question concrète d’inconstitutionnalité, ce qu’ils n’ont pas fait. Pour le Gouvernement, les intéressés n’auraient ainsi pas donné aux juridictions internes – pour des raisons qui leur sont imputables – l’occasion de porter remède à leurs griefs.

66. Les requérants reconnaissent que les conditions de recevabilité de leur recours constitutionnel n’étaient pas remplies étant donné que le recours devant le Tribunal constitutionnel ne pouvait concerner qu’une inconstitutionnalité normative. Ils estiment qu’aux fins de l’article 35 § 1, ce recours n’était donc pas à épuiser car il n’aurait pas permis de redresser la violation alléguée, soulignant que le recours direct en protection d’un droit fondamental n’existe pas dans le droit constitutionnel portugais. Partant, l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne doit être considéré comme la décision interne définitive dans le cas d’espèce.

67. La Cour rappelle que, selon l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux États contractants : prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention (voir, par exemple, Moreira Barbosa c. Portugal (déc.), no 65681/01, CEDH 2004-V, et Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200). Cette règle se fonde sur l’hypothèse – objet de l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V).

68. La Cour rappelle en outre que l’article 35 de la Convention ne prescrit toutefois l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, parmi beaucoup d’autres, Vernillo c. France, 20 février 1991, § 27, série A no 198, et Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998-I).

69. Se penchant sur la présente espèce, la Cour constate d’abord qu’il n’est pas contesté que le recours constitutionnel au Portugal ne peut concerner qu’une disposition « normative » et non pas une décision judiciaire (Colaço Mestre et SIC – Sociedade Independente de Comunicação, S.A. c. Portugal (déc.), nos 11182/03 et 11319/03, 18 octobre 2005). Dans son arrêt du 14 juillet 2010, pour autant qu’il s’agisse de la saisie des documents et données informatiques, le Tribunal constitutionnel a relevé que les requérants attaquaient, pour l’essentiel, les décisions judiciaires prises dans le cadre de la procédure et qu’il n’était pas compétent pour examiner les doléances à leur égard.

70. La Cour en conclut que le recours constitutionnel introduit par les requérants n’était donc pas de nature à porter remède au grief qu’ils ont porté devant elle s’agissant de la saisie des documents et donnée informatiques. L’exception soulevée par le Gouvernement doit donc être rejetée.

2. Sur la qualité de victime des requérants personnes physiques

71. Le Gouvernement conteste la qualité de victime des requérants personnes physiques. Il allègue que les deuxième, troisième et cinquième requérants n’ont indiqué aucun fait les concernant personnellement, leur droits se confondant ainsi avec ceux de la société requérante. Pour ce qui est du quatrième requérant, il observe que toute la « correspondance » lui appartenant lui a été rendue, consécutivement l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 15 avril 2010 ayant ordonné l’annulation de sa mise en examen, celui-ci n’étant donc plus victime en l’espèce.

72. Les requérants personnes physiques allèguent, qu’en leur qualité d’avocats de la société requérante, ils ont l’obligation d’observer le secret professionnel autant par rapport à leurs propres clients que par rapport à ceux de la société. Ils soutiennent qu’étant avocats membres (deuxième, troisième et quatrième requérants) et associé (cinquième requérant) de la société requérante, les données informatiques saisies peuvent aussi les concerner personnellement puisqu’elles proviennent de deux disques durs appartenant à la société requérante, la saisie litigieuse ayant de cette façon également porté atteinte à leur droit au respect de la vie privée et du domicile.

73. Le quatrième requérant reconnaît que la correspondance lui a été retournée. Il observe, toutefois, qu’à l’instar des autres requérants, la saisie des autres données informatiques se maintient toujours.

74. La Cour rappelle que, pour se prévaloir de l’article 34 de la Convention, un requérant doit pouvoir se prétendre victime d’une violation de la Convention. Selon la jurisprudence constante de la Cour, la notion de « victime » doit être interprétée de façon autonome et indépendante des notions internes telles que celles concernant l’intérêt ou la qualité pour agir. Par ailleurs, pour qu’un requérant puisse se prétendre victime d’une violation de la Convention, il doit exister un lien suffisamment direct entre le requérant et le préjudice qu’il estime avoir subi du fait de la violation alléguée (voir Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne, no 62543/00, § 35, CEDH 2004‑III, et les références qui s’y trouvent citées).

75. La Cour rappelle en outre avoir tenu la fouille opérée au cabinet d’un avocat pour une immixtion dans la « vie privée » et la « correspondance » et, éventuellement, le domicile, au sens plus large qu’implique le terme français par rapport au texte anglais qui emploie le terme « home » (Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, §§ 29-33, série A no 251-B, et Tamosius c. Royaume-Uni (déc.), no 62002/00, CEDH 2002-VIII ; voir aussi Sallinen et autres c. Finlande, no 50882/99, § 71, 27 septembre 2005, qui confirme que la fouille des locaux professionnels d’un avocat porte également atteinte à son droit au respect de son « domicile »). La Cour a aussi estimé que la perquisition opérée dans les locaux d’une société commerciale portait atteinte au droit de celle-ci au respect de son « domicile » (Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, §§ 40-42, CEDH 2002-III).

76. La Cour a aussi considéré la fouille et la saisie de données électroniques comme une ingérence dans le droit des requérants au respect de la « correspondance » au sens de l’article 8 (Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH c. Autriche, no 74336/01, § 45, CEDH 2007 IV).

77. Elle a souligné qu’en vertu de l’article 8, la correspondance entre un avocat et son client, quelle qu’en soit la finalité (la correspondance strictement professionnelle étant incluse : Niemietz précité, § 32), jouit d’un statut privilégié quant à sa confidentialité (Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, §§ 46-48, série A no 233 ; voir aussi, notamment, Ekinci et Akalın c. Turquie, no 77097/01, 30 janvier 2007, § 47 ; cela vaut, comme indiqué précédemment, pour toutes les formes d’échanges entre les avocats et leurs clients). Elle a en outre indiqué qu’elle « accorde un poids singulier au risque d’atteinte au secret professionnel des avocats car il est la base de la relation de confiance entre l’avocat et son client (André et autre c. France, no 18603/03, § 41, 24 juillet 2008 et Xavier Da Silveira c. France, no 43757/05, § 36, 21 janvier 2010) et il peut avoir des répercussions sur la bonne administration de la justice » (Wieser et Bicos, précité, §§ 65-66 ; Niemietz, précité, § 37, et André, précité § 41).

78. En l’espèce, le Gouvernement ne conteste la qualité de victime que des requérants personnes physiques, acceptant ainsi uniquement celle de la société requérante.

79. La Cour note que les requérants personnes physiques sont des avocats membres et un associé de la société requérante, exerçant au sein de celle-ci leur activité professionnelle. Elle observe qu’ils ne se plaignent que de la perquisition et de la saisie de données informatiques figurant dans le système informatique de leurs locaux professionnels. Par conséquent, la Cour n’aperçoit aucun motif de distinguer en l’espèce la situation des requérants personnes physiques de la société requérante, l’appartenance d’un avocat à une société ne le dispensant pas de ses droits et devoirs déontologiques, en particulier en ce qui concerne l’obligation d’observer le secret professionnel envers ses clients.

80. La Cour estime également qu’il n’y a pas lieu de faire une distinction entre les requérants personnes physiques même. En effet, ces derniers se trouvent tous concernés par cette saisie. Le fait que la « correspondance » concernant le quatrième requérant gravée dans les DVDs lui ait été rendue n’est donc pas pertinente dans le cas d’espèce. En effet, la saisie des autres données informatiques est ici mise en cause, ces éléments concernant tous les membres de la société requérante.

81. Au vu de ce qui précède, l’exception du Gouvernement tirée de l’absence de qualité de victime des requérants doit être rejetée.

3. Conclusion

82. La Cour constate que les griefs des requérants tirés de l’article 8 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

83. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants dénoncent la perquisition et la saisie de fichiers informatiques et messages électroniques dans le système informatique de leurs locaux professionnels.

84. Ils se plaignent que les recherches aient été conduites sur la base de 35 mots clés et, en particulier, à partir de mots courants, de surcroît dans le cadre d’un cabinet d’avocats, comme « contreparties », « Banco Espírito Santo », « swap », « financement » ou « spread », ce qui a eu pour conséquence d’englober des fichiers informatiques et des messages électroniques sans rapport avec l’enquête pénale.

85. Les requérants font valoir que le juge d’instruction du TCIC de Lisbonne est l’unique juge au Portugal chargé des affaires criminelles les plus complexes et que nombre d’entre elles concernent certains de leurs clients, citant à cet égard deux affaires comme exemples. Ils affirment qu’en étant la première autorité à prendre connaissance du contenu des données saisies comme le prévoit l’article 179 § 3 du CPP applicable en vertu de l’article 180 § 3 du CPP, le juge d’instruction accède à des informations sans aucun rapport avec l’enquête à l’origine du mandat de perquisition et de saisie. Ils estiment qu’en conséquence ce juge d’instruction peut avoir accès à des documents couverts par le secret professionnel, voire personnels et qui, le cas échéant, peuvent avoir un intérêt pour d’autres affaires qu’il instruit. Selon eux, la réclamation devant le président de la cour d’appel n’a pas constitué un mécanisme pour prévenir les abus car elle n’a pas permis d’éviter que le juge d’instruction du TCIC accède aux éléments saisis. Elle l’aurait été si le tri des fichiers avait été fait en premier lieu par le président de la cour d’appel.

86. Ils dénoncent la non-restitution des copies des éléments informatiques saisies en dépit du classement sans suite de la procédure pénale qui avait été ouverte à l’encontre de Me B.A.

87. Pour finir, ils exposent ensuite que des copies des fichiers informatiques et messages électroniques saisis ont été extraites du dossier de l’enquête concernant Me B.A. qui se trouve à présent classée (procédure interne no 56/06.2TELSB) pour être annexées à l’enquête ouverte à l’encontre des autres suspects (procédure no 222/11.9TELSB). Ils allèguent notamment que des messages électroniques privés ou professionnels, échangés entre des avocats de la société requérante et leurs clients, sans aucun rapport avec l’enquête ouverte à l’encontre de l’avocat Me B.A ont ainsi été joints à cette nouvelle procédure. Ces avocats n’ayant pas été mis en examen dans le cadre d’une quelconque enquête, ceci enfreint l’article 71 § 1 du statut de l’Ordre des avocats et le secret professionnel.

b) Le Gouvernement

88. Le Gouvernement reconnaît en l’espèce l’existence d’une ingérence. Il fait valoir qu’elle était prévue par la loi et poursuivait un but légitime, à savoir la prévention des infractions pénales, l’enquête en cause portant notamment sur des chefs de corruption et blanchiment d’argent. Même si les requérants n’avaient pas la qualité de personne mise en examen, il existait des raisons de croire qu’un ensemble d’éléments pertinents pour l’enquête pénale se trouvaient dans les installations du cabinet d’avocats étant donné que les dossiers avaient été traités par Me B.A, ancien avocat de la société requérante, puis par le quatrième requérant et qu’aucun document n’avait été retrouvé au ministère de la Défense. Le Gouvernement affirme que l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but poursuivi, un juste équilibre ayant été ménagé entre les intérêts de l’enquête et les droits des requérants. Certes, un nombre importants d’éléments ont été saisis. Néanmoins, ceci s’explique par l’ampleur et l’extrême complexité de l’enquête. En outre, les recherches informatiques ont été faites sur la base de 35 mots clés en rapport avec l’objet de l’enquête ce qui a permis de cibler raisonnablement la recherche, minimisant ainsi l’ingérence.

89. Le Gouvernement souligne que la loi interne prévoit un ensemble de garanties procédurales spécifiques dans le cas d’une perquisition dans un cabinet d’avocats, lesquelles ont toutes été respectées en l’espèce. Tous les éléments saisis ont été mis sous scellés à la suite de la réclamation présentée par les requérants. Un représentant de l’Ordre des avocats et les quatre requérants personnes physiques étaient présents pendant les perquisitions et les saisies. En outre, un juge d’instruction a autorisé et présidé la perquisition et la saisie dans les installations de la société requérante. À cet égard, contestant l’argument des requérants, le Gouvernement souligne que le juge d’instruction au Portugal ne dispose pas de pouvoirs d’enquête pénale et qu’il n’intervient au cours de la procédure que pour réaliser certains actes. Celui-ci agit de façon indépendante, comme « garant des libertés individuelles » afin d’assurer le respect des droits individuels dans le cadre de toute enquête criminelle. En ce qui concerne, en particulier, le juge d’instruction du TCIC, il juge les craintes des requérants non-fondées et purement spéculatives. Il souligne que celui-ci est tenu à une obligation de confidentialité et au secret de l’instruction comme tout magistrat. Pour finir, il souligne que les requérants ont bénéficié d’un recours effectif devant le président de la cour d’appel de Lisbonne qui s’est prononcé sur la pertinence de la saisie pour les besoins de l’enquête, conformément à l’article 72 du statut de l’Ordre des avocats.

90. Le Gouvernement estime que les allégations concernant les données informatiques saisies ayant été joints au dossier d’une nouvelle enquête, ne sont pas étayées, les requérants ne précisant pas en quoi ils sont sans rapport avec l’enquête portant sur l’achat des sous-marins. Il ajoute que les requérants auraient dû contester devant le juge du TCIC la saisie des documents prétendument personnels ou sans rapport avec l’enquête, ne l’ayant pas fait ils n’ont pas épuisé les voies de recours internes sur ce point.

91. S’agissant la non-restitution des copies des fichiers informatiques saisis, le Gouvernement affirme ne pas disposer d’informations à cet égard.

2. L’appréciation de la Cour

92. À titre préliminaire, la Cour note que les requérants ne dénoncent pas la perquisition en soi opérée dans leurs locaux professionnels ; ils ne se plaignent pas davantage de la saisie des documents papiers. Ils s’en prennent uniquement aux recherches effectuées dans leur système informatique et à la saisie de fichiers informatiques et de messages électroniques, ce qui comme la Cour l’a dit ci-dessus (paragraphe 75) constitue une ingérence dans leurs droits au respect de la « correspondance » au sens de l’article 8 de la Convention. En l’occurrence, sélectionnés sur la base de 35 mots clés, il s’agissait de fichiers informatiques et de deux boîtes de courriers électroniques de l’avocat Me B.A. ayant été extraits à partir :

. de l’ordinateur du quatrième requérant,

. du disque dur de l’ordinateur portable qui avait été utilisé par Me B.A.,

. d’un disque dur externe contenant des archives et,

. des serveurs de la société requérante (voir ci-dessus paragraphes 19 et 34).

93. Une ingérence enfreint l’article 8 de la Convention, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire, dans une société démocratique », pour le ou les atteindre.

a) Prévue par la loi

94. La Cour rappelle qu’une ingérence ne saurait passer pour « prévue par la loi » que si, d’abord, elle a une base en droit interne. Dans le domaine du paragraphe 2 de l’article 8, le terme « loi » doit être entendu dans son acception « matérielle » et non « formelle ». Dans un domaine couvert par le droit écrit, la « loi » est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété (Société Colas Est et autres, précité, § 43, avec d’autres références, et Sallinen et autres, précité, § 77).

95. Le Gouvernement affirme que les mesures litigieuses avaient une base en droit interne, ce que les requérants ne contestent pas.

96. La Cour constate qu’au moment des faits, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi sur la cybercriminalité (voir ci-dessus paragraphe 57), le droit portugais ne contenait pas de dispositions régissant spécifiquement la recherche et la saisie de données informatiques. Les articles 174, 178 et 179 du CPP qui sont toujours en vigueur prévoyaient néanmoins la perquisition et la saisie d’objets et de la correspondance. En outre, la perquisition d’un cabinet d’avocats et la saisie de documents et de la correspondance à l’intérieur de celui-ci étaient spécifiquement prévues par les articles 177 § 5 et 180 § 2 du CPP et les articles 70 et 71 du statut de l’Ordre des avocats. La Cour note enfin que l’article 183 du CPP prévoit la possibilité de joindre une photocopie des documents saisis au dossier de la procédure, l’original devant, si possible, être rendu. L’ingérence était donc bien « prévue par la loi ».

b) But légitime

97. La Cour constate que, conformément à l’article 174 § 3 du CPP et l’article 70 § 1 du statut de l’Ordre des avocats, la recherche et la saisie des éléments informatiques dans le système informatique de la société requérante ont été ordonnées dans le cadre d’une enquête pénale ouverte à l’encontre de plusieurs ressortissants portugais et allemands pour les chefs de corruption, prise illégale d’intérêts, blanchiment d’argent et prévarication, ce dernier chef concernant un ancien avocat de la société requérante, Me B.A.. Elles visaient donc un but légitime, à savoir la prévention des infractions pénales.

98. La question qui se pose est donc celle de savoir si pareille ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le but légitime poursuivi dans les circonstances particulières de l’affaire. En particulier, il s’agit de vérifier si la législation et la pratique internes ont offert des garanties suffisantes contre les abus et l’arbitraire.

c) Nécessaire dans une société démocratique

i. Principes généraux

99. Selon la jurisprudence constante de la Cour, la notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché. Pour déterminer si une ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour tient compte du fait qu’une certaine marge d’appréciation doit être laissée aux États contractants (voir, parmi d’autres arrêts, Camenzind c. Suisse, 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII, § 44). Toutefois, les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite, et leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante (voir Buck, précité, § 44).

100. La Cour a toujours jugé que les États contractants peuvent estimer nécessaire de recourir à des mesures telles que des perquisitions et des saisies pour établir la preuve matérielle de certaines infractions. Elle contrôle alors le caractère pertinent et suffisant des motifs invoqués pour justifier pareilles mesures, ainsi que le respect du principe de proportionnalité susmentionné. En ce qui concerne ce dernier point, la Cour doit d’abord veiller à ce que la législation et la pratique pertinentes apportent aux individus des garanties adéquates et effectives contre les abus. Elle doit ensuite examiner les circonstances particulières de l’espèce afin de déterminer si, in concreto, l’ingérence litigieuse était proportionnée au but recherché. Les critères que la Cour prend en compte pour trancher cette dernière question sont notamment les circonstances dans lesquelles le mandat a été émis, en particulier les autres éléments de preuve disponibles à l’époque, le contenu et l’étendue du mandat, la façon dont la perquisition a été menée, y compris la présence ou non d’observateurs indépendants, et l’étendue des répercussions possibles sur le travail et la réputation de la personne visée par la perquisition (voir Société Colas Est et autres, précité, § 48 ; Buck c. Allemagne, no 41604/98, § 45, CEDH 2005‑IV, Chappell c. Royaume-Uni, précité, § 46-48 ; Camenzind c. Suisse, précité, § 46 ; Funke, précité, § 57 ; Niemietz, précité, § 37 ; Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 44, 7 juin 2007 ; Robathin c. Autriche, no 30457/06, § 44, 3 juillet 2012). S’agissant d’un cabinet d’avocats, la présence d’un observateur indépendant est nécessaire afin que des documents couverts par le secret professionnel ne soient pas soustraits (Niemietz, précité, § 37, et Tamosius, décision précitée, voir aussi références indiquées ci-dessus au paragraphe 77). La Cour note également que figure parmi ces garanties l’existence d’un « contrôle efficace » des mesures attentatoires à l’article 8 de la Convention (Lambert c. France, 24 août 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V).

ii. Application à la présente espèce

α) Sur le caractère pertinent et suffisant des motifs invoqués

101. En l’espèce, les recherches dans le système informatique de la société requérante et la saisie des données informatiques ont été ordonnées par deux mandats du juge d’instruction du TCIC du 25 et 29 septembre 2009, consécutivement à la demande du DCIAP (voir ci-dessus paragraphes 13 et 14). Ceux-ci reposaient sur des soupçons de corruption, prise illégale d’intérêts, blanchiment d’argent, à l’encontre de plusieurs ressortissants portugais et allemands, concernant l’achat de deux sous-marins par le gouvernement portugais à un consortium allemand. Me B.A était, quant à lui, poursuivi du chef de prévarication au motif qu’il avait représenté l’État dans le cadre des négociations entre les parties alors qu’il travaillait pour le compte de la société requérante. Dans ces conditions, la Cour est convaincue que les mandats de perquisition reposaient bien sur des motifs plausibles de soupçons (voir a contrario, Smirnov, § 46 ; André, précité, § 46).

Β) Sur le contenu et la portée des mandats de perquisition et saisie

102. En ce qui concerne le contenu et la portée des mandats de perquisition et saisie, la Cour note que les recherches et saisies dénoncées par les requérants ont été opérées dans le système informatique de la société requérante et bureaux des requérants et, plus particulièrement :

. dans l’ordinateur du quatrième requérant,

. dans le disque dur de l’ordinateur portable qui avait été utilisé par Me B.A.,

. dans un disque dur externe qui contenait des dossiers archivés et

. dans les serveurs du cabinet d’avocats.

103. Même si les enquêteurs ne disposaient pas de pouvoirs illimités (voir à cet égard, Robathin, précité, § 52 et aussi, mutatis mutandis, Bernh Larsen Holding AS et autres c. Norvège, no 24117/08, § 159, 14 mars 2013), la Cour constate que les recherches dans le système informatique de la société requérante ont été effectuées sur la base de 35 mots clés, lesquels étaient en rapport avec l’enquête. Parmi ceux-ci, elle note que figuraient quelques mots généraux, tels que « contreparties », « financement », et des mots couramment utilisés dans un cabinet d’avocats spécialisé dans le droit financier tels que les mots anglais « swap » ou « spread » (voir ci-après paragraphe 13). Par conséquent, à première vue, l’étendue des mandats de perquisition et de saisie apparaît large.

104. La Cour note qu’après le contrôle du juge d’instruction du TCIC, à l’issue duquel environ 850 fichiers ont été supprimés, le DCIAP a analysé 89 000 fichiers informatiques et 29 000 messages électroniques saisis dans les équipements informatiques de la société requérante et, en outre, dans la résidence de Me B.A (voir ci-dessus paragraphes 39 et 44). Il convient donc de se demander si l’étendue des mandats de perquisition et saisie a pu être compensée par des garanties de procédure adéquates et suffisantes pour prévenir les abus ou l’arbitraire et protéger le secret professionnel des avocats.

γ) Sur le caractère adéquat et effectif des garanties contre les abus

105. Avant tout, la Cour note qu’aux termes de l’article 70 §§ 1 et 4 du statut de l’Ordre des avocats, il est interdit de saisir les documents couverts par le secret professionnel des avocats (en d’autres mots, par la confidentialité des communications entre les avocats et leurs clients), sauf si l’avocat a été mis en examen dans le cadre de l’enquête. Le code de procédure pénale et le statut de l’Ordre des avocats prévoient en outre un certain nombre de garanties procédurales en ce qui concerne les perquisitions et les saisies dans un cabinet d’avocats :

a) l’avocat concerné doit être présent (Article 70 § 2 du statut de l’Ordre des avocats) ;

b) un représentant de l’Ordre des avocats est requise (Article 70 § 2 du statut de l’Ordre des avocats) ;

c) un juge d’instruction doit personnellement présider les perquisitions et saisies (Articles 177 § 5, 180 § 1 et 268 § 1 c) du CPP et Article 70 § 1 du statut de l’Ordre des avocat), il est la seule autorité pouvant autoriser ou ordonner la saisie de correspondance et il est la première personne à prendre connaissance de celle-ci (Articles 179 §§ 1 et 3 et 269 § 1 d) du CPP). Il est en outre tenu au secret professionnel par rapport à toute information n’étant pas en rapport avec l’enquête comme l’indique l’article 179 § 3 du CPP (voir ci-dessus paragraphe 54) ;

d) l’avocat intéressé peut présenter une réclamation devant le président de la cour d’appel (Article 72 § 1 du statut de l’Ordre des avocats) ;

e) en cas de réclamation, les éléments saisis doivent être mis sous scellés, sans consultation (Article 72 § 2 du statut de l’Ordre des avocats) ;

f) un procès-verbal est dressé à l’issue des opérations avec mention expresse des personnes qui étaient présentes et de tout événement survenu au cours de celles-ci (Article 70 § 6 du statut de l’Ordre des avocats) ;

g) le juge d’instruction doit ordonner la suppression de tout fichier à caractère personnel, portant atteinte au secret professionnel ou ne concernant pas des personnes ayant été mises en examen dans le cadre de l’enquête en cause (Article 188 § 6 du CPP, applicable en vertu de l’article 189 du CPP).

106. Il reste à savoir si ces garanties ont été appliquées, en l’espèce, de manière concrète et effective et non pas théorique et illusoire, notamment eu égard au grand nombre de documents informatiques et messages électroniques saisis, ainsi à l’exigence renforcée du respect de la confidentialité qui s’attache aux correspondances échangées entre un avocat et son client.

107. Avant tout, la Cour note qu’un avocat qui travaillait auparavant pour le compte de la société requérante (Me B.A) avait été mis en examen du chef de prévarication dans le cadre de l’enquête pénale en cause. En ce qui concerne le déroulement des opérations, elle relève ce qui suit :

. les deuxième, troisième et cinquième requérants étaient présents au moment des opérations ;

. un représentant de l’Ordre des avocats était également sur place ;

. un juge d’instruction a présidé les opérations (voir ci-dessus paragraphe 16) ;

. les requérants ont immédiatement présenté une réclamation au président de la cour d’appel et, par conséquent, les DVD (contenant les fichiers qui avaient été gravés au moment des opérations) et les disques durs saisis ont été mis sous scellés, sans que le juge d’instruction ne les visualise avant leur renvoi au président de la cour d’appel et la décision de ce dernier ;

. un procès-verbal a été dressé à l’issue des opérations indiquant les éléments qui avaient été saisis ;

. le vice-président de la cour d’appel a examiné la demande des requérants, concluant qu’il n’y avait pas d’atteinte flagrante au secret professionnel des avocats en l’espèce ;

. le juge d’instruction du TCIC a contrôlé les éléments saisis et ordonné, conformément à l’article 188 § 6 alinéas a) à c) du CPP, la destruction d’environ 850 fichiers au motif qu’ils contenaient des informations de caractère personnel, couvertes par le secret professionnel ou concernant des personnes autres que celles qui avaient mises en examen.

108. Les requérants estiment que ces garanties n’étaient pas suffisantes. Ils mettent en particulier en cause l’intervention du juge d’instruction du TCIC et l’inefficacité du recours devant le président de la cour d’appel. Ils allèguent par ailleurs que des éléments informatiques qui avaient été saisis dans le cadre de la procédure ouverte à l’encontre de Me B.A ne leur ont pas été rendus et qu’ils ont été versés dans le dossier de l’enquête concernant les autres suspects.

. Sur le juge d’instruction du TCIC

109. À titre liminaire, la Cour observe qu’en droit portugais, il appartient au ministère public de diriger l’enquête, le juge d’instruction n’intervenant que pour autoriser certains actes, à la demande du ministère public ou de l’autorité de police criminelle, ou pour contrôler leur régularité conformément aux articles 268 et 269 du CPP (voir ci-dessus paragraphe 52). Comme l’indique l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 18 mai 2006 (procédure no 54/2006-9), il intervient comme garant des libertés dans le cadre d’une enquête pénale, à l’instar du juge des libertés et de la détention en France.

110. S’agissant des perquisitions et saisies dans un cabinet d’avocats, la Cour note que le contrôle effectué par le juge d’instruction survient avant, pendant et après les opérations. Pour ce qui est du contrôle a posteriori des éléments saisis à l’issue d’une perquisition, la Cour relève qu’aux termes de l’article 188 § 6 du CPP (applicable en vertu de l’article 189 du CPP), le juge d’instruction doit ordonner la destruction de tout élément :

. ne concernant pas le suspect, l’accusé, un intermédiaire ou la victime ;

. portant sur des domaines couverts par le secret professionnel, de fonctionnaire ou de l’État ;

. dont la divulgation peut gravement porter atteinte aux droits, libertés et garanties.

En l’espèce, par différentes ordonnances du 1er, 4, 5, 6 et 11 avril 2011, après visualisation des documents informatiques et messages électroniques qui avaient été saisis, le juge d’instruction du TCIC ordonna la destruction de 850 fichiers informatiques qu’il estimait être de caractère privé, couverts par le secret professionnel ou qui ne concernaient pas Me B.A. (voir ci-dessus paragraphe 39).

La Cour rappelle qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer son point de vue à celui des autorités nationales quant à la pertinence des éléments de preuve utilisés lors d’une procédure judiciaire (voir par exemple l’arrêt Johansen c. Norvège, 7 août 1996, § 73, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III). En ce qui concerne l’argument des requérants selon lequel des documents sans rapport avec l’enquête ont été saisis, la Cour répète qu’il incombe en premier lieu aux autorités nationales de juger de l’opportunité pour elles de fournir et retenir des preuves pendant la procédure interne et qu’il n’entre pas normalement dans ses attributions de substituer son point de vue au leur en la matière. La Cour n’aperçoit aucun motif de mettre en question l’évaluation à laquelle s’est livré le juge d’instruction du TCIC aux fins de l’article 188 § 6 du CPP. Certes, ce dernier était effectivement, au moment des faits, le seul juge d’instruction en charge des affaires les plus complexes au Portugal (voir ci-dessus paragraphe 58). Cependant, il est intervenu dans la présente espèce, en sa qualité de juge d’instruction, pour contrôler la légalité de la perquisition et des saisies et spécialement protéger le secret professionnel des avocats. En outre, il ne disposait d’aucun pouvoir pour engager une enquête. Les allégations des requérants à son égard se résument en réalité à des hypothèses et ne sont pas suffisamment étayées pour jeter le doute sur l’effectivité du contrôle qu’il a exercé sur les mesures litigieuses.

. Sur la réclamation devant le président de la cour d’appel

111. La Cour note que consécutivement à la réclamation faite par les requérants au titre de l’article 72 du statut de l’Ordre des avocats, les documents informatiques et messages électroniques saisis ont été mis sous scellés, sans que le juge d’instruction n’ait pris connaissance de leur contenu, et transmis au président de la cour d’appel de Lisbonne, en application de l’article 72 § 2 et 3 du statut de l’Ordre des avocats (voir ci-dessus paragraphe 20). Les scellés ont ensuite été ouverts par le vice-président de la cour d’appel de Lisbonne qui en a examiné le contenu. Par une décision du 29 octobre 2009, celui-ci a rejeté la réclamation, estimant que :

. les 35 mots-clés choisis lui paraissaient être en rapport avec l’enquête et, dès lors, proportionnés au but recherché ;

. les éléments saisis semblaient revêtir un intérêt direct ou indirect pour l’enquête pénale ;

. il n’y avait pas d’atteinte flagrante au secret professionnel des avocats ;

. il appartenait au juge d’instruction du TCIC de faire le tri des éléments pertinents pour l’enquête et que les allusions des requérants à son encontre étaient simplement hasardeuses (voir ci-dessus paragraphe 26).

112. Outre le fait que l’examen du vice-président de la cour d’appel de Lisbonne visait à déterminer s’il existait un risque flagrant de violation du secret professionnel des avocats, constituant ainsi une garantie supplémentaire au contrôle exercé par le juge d’instruction, la Cour estime que, dans la présente espèce, la décision est suffisamment motivée sur ce point. Par conséquent, la réclamation devant le président de la cour d’appel de Lisbonne a constitué un recours adéquat et effectif complémentaire au contrôle exercé par le juge d’instruction pour compenser l’étendue du mandat de perquisition (voir a contrario, Smirnov, § 47 ) et, ainsi, prévenir la saisie de données couvertes par le secret professionnel.

113. Il reste à se pencher sur le dernier argument des requérants concernant la non-restitution des copies des éléments informatiques saisis et leur utilisation dans le cadre d’une procédure pénale qui ne concernait pas Me B.A.

. Sur la non-restitution des fichiers informatiques et messages électroniques et sur leur utilisation en dehors de la procédure concernant Me B.A.

114. La Cour constate que si l’enquête à l’origine de la saisie litigieuse visait plusieurs ressortissants portugais et allemands pour des chefs de corruption, prise illégale d’intérêts et blanchiment d’argent, celle ouverte à l’encontre de Me B.A concernait uniquement un chef de prévarication. Elle note que ces deux enquêtes ont été autonomisées par une ordonnance du juge du TCIC du 24 juin 2011, suite à la demande du DCIAP, à laquelle Me B.A. ne s’est pas opposé (voir ci-dessus paragraphes 41 et 42). Au demeurant, l’enquête concernant ce dernier a été classée sans suite par le DCIAP le 4 juin 2012 (voir ci-dessus paragraphe 45).

115. La Cour constate que les quatre DVDs originaux, sur lesquels avaient été gravés les fichiers informatiques et les boîtes de courriers électroniques extraits de l’ordinateur du quatrième requérant et des différents serveurs du cabinet d’avocats, et les deux disques durs saisis ont été rendus à la société requérante, conformément à l’article 183 du CPP (voir ci-dessus paragraphes 34 et 46), ce que les requérants ne contestent pas. En revanche, il apparaît que les copies des fichiers informatiques et des messages électroniques qui avaient été triés par le juge d’instruction n’ont pas été rendues aux requérants, la loi ne prescrivant d’ailleurs pas leur restitution immédiate. La Cour note, en effet, que d’après le droit interne, le dossier d’une procédure pénale relative à une enquête pénale classée sans suite peut être conservé pendant le délai de prescription des crimes en cause (voir ci-dessus paragraphe 56), soit 15 ans pour ce qui est des crimes de corruption, prise illégale d’intérêts et blanchiment d’argent et 10 ans s’agissant du crime de prévarication.

Aux yeux de la Cour, la conservation du dossier d’une procédure pénale, comprenant des éléments de preuves, ne saurait à elle seule soulever une question sous l’angle de l’article 8 de la Convention, à moins qu’elle n’inclue des informations à caractère personnel d’un individu, ce qui, eu égard à ce qui est indiqué ci-dessus au paragraphe 110, n’apparaît pas être le cas dans la présente espèce (voir, a contrario, Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 70, CEDH 2000‑II s’agissant de la conservation d’informations personnelles obtenues dans le cadre d’écoutes téléphoniques, S. et Marper c. Royaume‑Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 68, CEDH 2008 et M.K. c. France, no 19522/09, § 55-57, 18 avril 2013 concernant la conservation d’empreintes digitales, de profils d’ADN et des échantillons cellulaires, Z c. Finlande, 25 février 1997, § 71, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I concernant la conservation d’une information médicale et Khelili c. Suisse, no 16188/07, § 55-57, 18 octobre 2011 sur la conservation d’une information relative à une profession).

116. Il reste à savoir si les craintes des requérants quant à l’utilisation abusive des données informatiques saisies étaient fondées. À cet égard, la Cour note que conformément à l’article 187 §§ 1, 7 et 8 du CPP, applicable en vertu de l’article 189 du CPP, l’utilisation de messages électroniques appartenant au dossier d’une procédure pénale dans le cadre d’une autre procédure pénale est possible dans un nombre restreint de situations, notamment lorsque le crime poursuivi est passible d’une peine de prison supérieure à trois ans, dans sa limite maximale et dans la mesure où cela est indispensable à la découverte de la vérité. En dehors de ces cas, ils ne peuvent servir comme moyens de preuve dans le cadre d’une autre procédure pénale, mais ils peuvent néanmoins donner lieu à l’ouverture d’une nouvelle enquête en application de l’article 187 § 7 et 248 du CPP, comme le confirment les arrêts de la Cour suprême du 23 octobre 2002 (procédure no 125/00) et du 29 avril 2010 (procédure no 128/05.0JDLSB-A.S1) (voir ci-dessus paragraphe 55). Dans les deux hypothèses, l’autorisation du juge en charge de la procédure est requise conformément à l’article 187 § 8 du CPP). Au demeurant, la Cour note à cet égard que les requérants n’ont pas fait appel de l’ordonnance du juge du TCIC du 24 juin 2011 comme le permet l’article 399 du CPP en ce qui concerne toute ordonnance judiciaire.

117. Il apparaît que ces garanties ont été respectées en l’espèce. En effet, la Cour note que, consécutivement à l’autonomisation de l’enquête concernant Me B.A., le DCIAP a demandé au juge du TCIC d’autoriser que le dossier de l’enquête pénale et diverses pièces annexes à celui-ci soient copiés afin d’être versés au dossier de l’enquête qui concernait les autres suspects et activités qui faisaient l’objet de l’investigation (voir ci-dessus paragraphe 41). Le juge du TCIC a fait droit à cette demande par une ordonnance du 24 juin 2011 (voir ci-dessus paragraphe 42).

118. L’utilisation des éléments demandés par le DCIAP visait à poursuivre les recherches concernant les autres suspects et faits, sans que la continuation de l’enquête à leur égard ne porte préjudice à Me B.A. dont l’enquête fut ensuite classée sans suite. La Cour estime que les motifs invoqués étaient donc légitimes. En l’occurrence, elle observe que les copies demandées visaient bien une enquête étroitement liée celle à l’origine de la saisie litigieuse. Quant à l’argument des requérants concernant l’usage de messages électroniques privés ou couverts par le secret professionnel, la Cour n’a rien à ajouter à ce qu’elle a indiqué ci-dessus au paragraphe 110.

. Conclusion

119. Au vu des observations qui précèdent, la Cour estime qu’en dépit de l’étendue des mandats de perquisition et saisie, les garanties offertes aux requérants pour prévenir les abus, l’arbitraire et les atteintes au secret professionnel des avocats, en particulier le contrôle du juge d’instruction complété par l’intervention du président de la cour d’appel au titre de l’article 72 du statut de l’Ordre des avocats, ont été adéquates et suffisantes. La perquisition et la saisie des documents informatiques et messages électroniques dénoncées en l’espèce n’a donc pas porté une atteinte disproportionnée au but légitime poursuivi.

120. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 septembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Saragoça Da Matta.

I.B.L.
S.N.

OPINION DISSIDENTE
DU JUGE SARAGOÇA DA MATTA

I – Tout d’abord, j’estime que la requête est recevable, pour les raisons présentées dans l’arrêt, à l’unanimité avec les autres juges.

II – Ensuite, sur le fond, je ne peux pas voter en faveur de l’arrêt, pour différentes raisons qui ne sont pas fondées sur l’appréciation de la loi portugaise applicable en la matière.

En effet, les raisons qui ne me permettent pas de voter en faveur de l’arrêt résultent du raisonnement logique de l’arrêt et de l’application des règles de la Convention aux faits de l’espèce ; il s’agit donc de raisons objectives, présentées ci-après.

III – En ce qui concerne la première partie de l’arrêt (Procédure – En Fait – I. Les circonstances de l’espèce) :

1.Le motif de la perquisition dans un cabinet d’avocats invoqué par le parquet a été la circonstance qu’« aucun document n’avait été retrouvé au ministère de la Défense » !

a.Cela signifie que la violation du secret professionnel des avocats en question trouvait son origine dans une irrégularité commise dans la procédure administrative par l’État même !

b.On ne peut pas comprendre qu’un ministère puisse perdre ou détruire ses archives. Cette irrégularité a été couverte par le parquet au moyen d’une voie offensive dirigée contre un cabinet d’avocats, sans aucune conséquence pour les titulaires du pouvoir administratif et politique au sein dudit ministère.

c.On ne peut pas admettre que, pour retrouver les documents qui avaient disparu du ministère de la Défense, il ait fallu procéder à une perquisition générale des archives d’un cabinet d’avocats.

d.Les agissements répréhensibles de l’État sont soulevés par l’intrusion dans la sphère des professionnels privés soumis au secret professionnel, lequel est l’essence de l’activité de ces derniers (la constatation par le public / les clients qu’un cabinet d’avocats n’est pas un espace garantissant le secret peut réduire à néant le fonctionnement de ce cabinet et, par conséquent, gravement compromettre la vie professionnelle des avocats visés par la perquisition).

2.En plus de cette irrégularité initiale, « l’étendue des mandats de perquisition et saisie » était « large » – ce qui n’est admissible pour aucune investigation.

a.Rien ne peut justifier qu’une violation du secret professionnel des avocats ait été mise en œuvre à partir d’une liste de 35 mots clés, dont certains relevaient du jargon juridique des cabinets d’avocats et d’autres étaient des noms de banques et de personnalités.

b.Cela signifie qu’il fallait préciser d’une façon très stricte l’étendue de la perquisition, en prenant en considération non seulement le motif de cette mesure, mais aussi la nécessaire atteinte aux droits fondamentaux des avocats et de leurs clients qui, en raison de la taille de la liste de mots clés, découlerait de la saisie inéluctable d’un nombre plus important de dossiers concernant d’autres clients.

c.Pour admettre ce nombre de mots clés, il fallait déterminer la pertinence de chaque mot pour la perquisition, ce qui n’a pas été fait (et ce qui serait même impossible, la Cour n’ayant pas la possibilité de juger le fond du procès pénal en cause).

3.Les garanties prévues par le droit portugais sont adéquates (selon le sens donné par la loi), mais leur effectivité n’a pas été établie au cours de la procédure devant la Cour.

a.Ce qui a été démontré, c’est que la procédure prévue par la loi a été suivie, mais non que les garanties ont été effectives.

b.J’estime que les règles procédurales ont été respectées, mais cela ne signifie pas que la garantie du secret professionnel a été respectée en ce qui concerne tous les dossiers d’autres clients du cabinet dont les documents, fichiers et courriers électroniques ont été saisis et, pire, transférés ensuite aux fins de leur utilisation dans le cadre d’une autre procédure.

c.Eu égard au nombre de courriers électroniques saisis (plus de 28 000), on ne peut que conclure que la perquisition n’a pas été proportionnée au but poursuivi – il est objectivement impossible que tous les messages électroniques saisis aient eu un quelconque lien avec l’objet du procès pénal en cause –, et, par conséquent, qu’aucune garantie réelle des droits des requérants n’a été assurée.

d.La démonstration de la disproportion de la saisie résulte clairement du transfert ultérieur des documents, fichiers et courriers électroniques précités en vue de leur utilisation dans le cadre d’une autre procédure qui, logiquement, avait un autre objet (sauf à admettre que les autorités d’investigation aient ouvert plus d’une procédure avec exactement le même objet).

4.Par ailleurs :

a.Le fait que la perquisition a été autorisée par un mandat judiciaire délivré par le juge d’instruction n’est pas une garantie effective de non-violation du secret professionnel des avocats relativement aux dossiers du cabinet autres que celui qui a motivé la perquisition – il s’agit seulement d’une « formalité » (malheureusement, de plus en plus, une simple et stricte formalité) qui a été suivie « formellement ». Admettre le contraire reviendrait à affirmer que la délivrance d’un mandat permet de garantir effectivement les droits de la personne visée par la perquisition, et ce indépendamment du contenu dudit mandat.

b.La même observation peut être formulée en ce qui concerne l’affirmation sur le contrôle des opérations de perquisition effectué par le juge compétent.

c.Il en va de même de la présence de certains des requérants et de la possibilité de recours devant le vice-président de la cour d’appel, ce qui ressort directement des éléments versés au dossier devant la Cour.

d.Le vice-président de la cour d’appel ayant estimé qu’il n’y avait pas de risque flagrant de violation du secret professionnel des avocats, je peux conclure qu’il n’y a même pas eu de réflexion portée sur le volume des fichiers saisis à la suite de la perquisition par rapport au volume moyen représenté par le dossier d’un client (même si ce client est le ministère de la Défense portugais) auprès d’un cabinet d’avocats.

e.En conclusion, les garanties prévues par le droit portugais pour les perquisitions et saisies sont abstraitement adéquates, mais elles n’ont été pas effectives dans la présente espèce.

5.Un raisonnement objectif et impartial portant sur la proportionnalité m’amène à conclure que la décision du juge d’instruction sur le contenu des éléments saisis n’a pas pu effectivement écarter toutes les données qui relevaient de la vie privée ou du secret professionnel des avocats (il s’agit là d’un raisonnement purement objectif sur l’usage moyen des ordinateurs et du courrier électronique au sein d’une société, en particulier s’agissant d’un cabinet composé de dizaines d’avocats et traitant des milliers de dossiers concernant plusieurs clients).

a.En effet, sur 28 345 courriers électroniques saisis, le juge d’instruction en a écarté 863, ce qui permet de conclure que le nombre de messages électroniques considérés par le juge comme étant en rapport avec l’investigation menée en l’espèce s’élevait à 27 482 (quant au nombre de fichiers informatiques, il s’élevait à 89 000).

b.Même le dossier d’un ministère auprès d’un cabinet d’avocats peut difficilement atteindre un si grand volume : une telle masse de documents, fichiers et courriers électroniques est nécessairement relative à plus qu’un dossier.

c.Cela signifie, à mon avis, que la déclaration de la pertinence pour l’investigation d’un si grand nombre de fichiers saisis démontre objectivement et logiquement que la garantie prévue par la loi n’a pas été réellement effective.

6.À mon avis, on ne peut pas affirmer que les craintes exprimées par les requérants à l’encontre du juge d’instruction sont abstraites et non étayées et qu’aucun élément ne permettait de mettre en doute l’intervention de ce magistrat dans le cadre de la procédure. À cet égard, les deux séries d’observations exposées ci-après, en opposition avec le raisonnement suivi par la Cour, méritent d’être soulignées.

a.D’un côté, il n’appartenait pas aux requérants de justifier concrètement les craintes présentées par eux, puisque la simple perquisition dans un cabinet d’avocats traduit per se une crainte objective et étayée relative au secret et à l’activité professionnelle des avocats visés par la perquisition.

b.Comme cela a déjà été dit, la perquisition dans un cabinet d’avocats porte atteinte au secret professionnel et à l’essence même de la profession, et, pour cette raison, il ne pouvait être procédé à la perquisition des fichiers et documents ne présentant aucun lien objectif avec le dossier sous investigation.

c.Cela n’a sûrement pas été le cas en l’espèce, non seulement eu égard à l’étendue et au critère de la perquisition (jargon juridique normal de l’activité des avocats d’affaires, noms de personnalités et d’institutions bancaires, etc.), mais aussi principalement en raison de l’intervention du « juge des garanties », lequel a considéré les fichiers et documents saisis, dans leur quasi-totalité, comme pertinents alors que ceux-ci étaient objectivement trop nombreux au regard des caractéristiques de l’affaire concernant le cabinet d’avocats (voir supra).

d.D’un autre côté, à mon avis, l’arrêt même présente tous les éléments permettant de conclure que l’intervention du juge d’instruction a été formelle. Cette intervention n’aurait pas été purement formelle si ce magistrat avait objectivement écarté un plus grand nombre de fichiers et documents du volume des éléments saisis à la suite de la perquisition (l’arrêt se réfère à 89 000 fichiers informatiques et 29 000 messages électroniques saisis).

e.Il faut souligner qu’environ 3 % du total des éléments saisis ont été écartés, et il faut rappeler que la perquisition a été définie à partir d’une liste de 35 mots clés, dont certains relevaient du jargon juridique des cabinets d’avocats et d’autres étaient des noms de banques et de personnalités.

f.En conclusion, les craintes exprimées par les requérants à l’encontre du juge d’instruction sont concrètes et étayées, et les éléments de la procédure permettent de mettre en doute l’intervention de ce dernier dans le cadre de la procédure comme « juge des garanties » des citoyens.

7.Il faut aussi nécessairement souligner que les éléments saisis à la suite de la perquisition n’ont pas été rendus aux requérants, mais transférés en vue de leur utilisation dans le cadre d’une autre procédure pénale.

a.Eu égard à cette situation, on ne peut certainement que conclure qu’il y a eu une utilisation abusive desdits éléments.

b.En tout état de cause, il devient évident que tous les éléments saisis à la suite de la perquisition, qui étaient plus ou moins en lien avec l’objet du procès initial (voir les arguments présentés), étaient encore moins en rapport avec l’objet du deuxième procès.

c.Il devient évident que, si les deux procès avaient eu « le même objet », il n’aurait pas été nécessaire d’ouvrir deux procès, mais seulement un. Dès lors, les éléments saisis en raison de leur lien avec l’objet du premier procès ne pouvaient pas avoir le même type de pertinence pour l’objet du deuxième procès.

d.De surcroît, même en admettant que ces éléments étaient objectivement pertinents pour les deux procédures, la saisie était trop étendue et couvrait un nombre trop important de dossiers des archives du cabinet perquisitionné.

e.Tout ceci amène à conclure que :

i.la perquisition avait pour objet de permettre le recueil des éléments de preuve, soit pour un procès, soit pour un quelque autre procès (il est facile de conclure en ce sens eu égard à la détermination de la perquisition sur la base de la liste de 35 mots clés, dont certains relevaient du jargon juridique normal des avocats d’affaires et d’autres étaient des noms de banques ...),

ii.c’est-à-dire que les éléments de preuve étaient si nombreux que l’on pouvait les utiliser dans le cadre de plusieurs procédures : ceci résulte de l’utilisation du grand nombre de mots clés relevant du jargon juridique des avocats d’affaires ;

iii.les autorités ont utilisé ces éléments de preuve à leur convenance, pour une, deux ou plusieurs procédures ;

iv.les interventions du juge d’instruction et du juge d’appel ont été, à mon avis, des interventions formelles et n’ont pas permis de garantir effectivement les droits constitutionnellement proclamés et légalement assurés (il ne peut en être autrement avec l’autorisation d’une perquisition sur la base d’une liste de 35 mots clés, dont certains relevaient du jargon juridique normal des avocats d’affaires et d’autres étaient des noms de banques) ;

v.les droits fondamentaux des avocats requérants ont sûrement été violés d’une façon non proportionnée aux besoins d’une investigation nécessairement précise et déterminée ;

vi.il y a donc eu violation de la Convention.

IV – Les considérations présentées auparavant démontrent que l’exposé de la loi portugaise figurant dans l’arrêt n’amène aucune objection de ma part (II) Le droit et la pratique internes pertinents). On ne se trouve pas devant un « problème » d’interprétation de la loi (c’est pourquoi il n’y aurait pas d’atteinte à la marge de décision de l’État dans son propre cadre légal si la Cour avait adopté une position contraire à celle retenue par elle).

Il est ici question d’une affaire dans laquelle les procédures requises ont été formellement accomplies, mais n’ont pas abouti à une garantie effective des droits des requérants (c’est pourquoi il est seulement procédé à l’appréciation de l’activité de l’État à l’égard des droits assurés par la Convention).

V – Sur le fond (En Droit – B) Sur le fond)

1.Je souscris à la thèse des requérants (même en ce qui concerne la compétence du juge d’instruction, lequel était, à l’époque des faits, l’unique juge chargé des affaires criminelles les plus complexes – ce qui ne peut pas être sans pertinence dans le cadre de l’appréciation du fond de l’affaire), précisément pour les raisons présentées auparavant (points III, 1-7, et IV supra).

2.Je ne peux pas soutenir la thèse du Gouvernement, également pour les raisons présentées auparavant (points III, 1-7, et IV supra).

3.Il est certain que l’ingérence était bien « prévue par la loi ».

4.Pour autant, le but de l’ingérence n’a pas été intégralement légitime :

a.le motif de la perquisition résidait uniquement dans la perte ou la destruction d’archives au sein du ministère de la Justice – c’est-à-dire au sein de l’État même ;

b.l’ingérence aurait été légitime si elle avait été ordonnée et accomplie, dans un cadre de proportionnalité et de stricte nécessité, dans un but concret et spécifique à la procédure pénale en cause – ce qui ne peut être le cas avec un mandat tel que celui délivré en l’espèce ;

c.il n’en a pas été ainsi dans la présente affaire : si le motif de la perquisition résidait dans le (mauvais) fonctionnement de l’administration publique de l’État défendeur, l’ingérence devait être réduite à ce qui était strictement nécessaire pour l’investigation menée en l’espèce. La perquisition ne devait pas permettre d’obtenir un aussi grand nombre d’éléments de preuve pertinents pour (au moins) une autre procédure pénale autonome (c’est-à-dire présentant un autre objet – si l’objet avait été le même, il n’y aurait pas eu de raison d’ouvrir deux procédures différentes).

5.Il convient de formuler les mêmes observations et conclusions en ce qui concerne la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique (il faut souligner l’extrait suivant de l’arrêt, qui aurait dû mener la Cour à conclure à la violation de l’article 8 de la Convention : « la notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché. Pour déterminer si une ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour tient compte du fait qu’une certaine marge d’appréciation doit être laissée aux États contractants (...). Toutefois, les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite, et leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante. (...) Elle [la Cour] contrôle alors le caractère pertinent et suffisant des motifs invoqués pour justifier pareilles mesures, ainsi que le respect du principe de proportionnalité susmentionné. En ce qui concerne ce dernier point, la Cour doit d’abord veiller à ce que la législation et la pratique pertinentes apportent aux individus des garanties adéquates et effectives contre les abus. Elle doit ensuite examiner les circonstances particulières de l’espèce afin de déterminer si, in concreto, l’ingérence litigieuse était proportionnée au but recherché. Les critères que la Cour prend en compte pour trancher cette dernière question sont notamment les circonstances dans lesquelles le mandat a été émis, en particulier les autres éléments de preuve disponibles à l’époque, le contenu et l’étendue du mandat, la façon dont la perquisition a été menée (...) et l’étendue des répercussions possibles sur le travail et la réputation de la personne visée par la perquisition »).

Cela signifie que la Cour doit veiller à éviter que des perquisitions ne mènent à des situations d’abus de la part des gouvernements – à l’instar de la perquisition menée en l’espèce, caractérisée par le contenu et l’étendue du mandat en cause. Cela s’impose d’autant plus lorsque le motif de la perquisition réside dans une violation de la loi ou un mauvais fonctionnement de l’administration publique de l’État même.

De même, la Cour doit aussi veiller à empêcher que des situations comme celle dénoncée dans la présente affaire ne se produisent : si le contenu et l’étendue du mandat étaient en l’espèce objectivement et strictement nécessaires par rapport au but légitime de sanctionner les infractions pénales en cause, on ne pouvait toutefois pas admettre la délivrance d’un mandat « général », justifiée par la nécessité de trouver des fichiers et courriers électroniques, sur la base de mots communs propres à l’activité des avocats d’affaires.

Il s’agit là d’un point de vue sur le juste équilibre à atteindre entre le but légitime poursuivi par l’État et les répercussions sur le travail et la réputation des avocats visés par la perquisition.

VI – Conclusion

C’est pourquoi je ne peux pas, en conscience, souscrire aux conclusions de la majorité. À mon avis, la Cour aurait dû se prononcer en faveur d’une violation de l’article 8 de la Convention.

* * *

[1] Le « spread » est l’écart entre l'offre et la demande d'un actif financier

[2] Le « swap » ou l'échange financier est un contrat d'échange de flux financiers entre deux parties, généralement des banques ou des institutions financières.


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-156519
Date de la décision : 03/09/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Exceptions préliminaires rejetées (Article 34 - Victime);Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la correspondance)

Parties
Demandeurs : SÉRVULO & ASSOCIADOS – SOCIEDADE DE ADVOGADOS, RL ET AUTRES
Défendeurs : PORTUGAL

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DURO P. ; MUTINHO J.L.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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