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19/09/2017 | CEDH | N°001-177297

CEDH | CEDH, AFFAIRE BİNNUR UZUN ET AUTRES c. TURQUIE, 2017, 001-177297


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE BİNNUR UZUN ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 28678/10)

ARRÊT

STRASBOURG

19 septembre 2017

DÉFINITIF

19/12/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Binnur Uzun et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens, r>Valeriu Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE BİNNUR UZUN ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 28678/10)

ARRÊT

STRASBOURG

19 septembre 2017

DÉFINITIF

19/12/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Binnur Uzun et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juillet 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28678/10) dirigée contre la République de Turquie et dont quatre ressortissantes de cet État, Mmes Binnur Uzun, Eda Uzun, Gözde Uzun et Özge Uzun (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 4 mai 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérantes ont été représentées par Me H. Demirkılıç, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Les requérantes allèguent en particulier une violation des articles 2 et 6 de la Convention.

4. Le 6 novembre 2015, les griefs concernant les articles 2 et 6 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement, et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérantes, Mme Binnur Uzun (née en 1972) et Mlles Gözde Uzun (née en 1993), Özge Uzun (née en 1994) et Eda Uzun (née en 1999) résident à Istanbul. Elles sont respectivement l’épouse et les filles de M. Ufuk Uzun décédé le 30 mars 2002.

À la suite du décès de son mari, Mme Binnur Uzun s’attacha, le 3 octobre 2002, afin que ses filles et elle-même fussent représentées devant les tribunaux, les services de Me H. Demirkılıç. Aux dires de ce dernier, Mme Binnur Uzun, veuve, sans diplôme, mère de trois filles âgées respectivement de 3 ans (Eda), de 8 ans (Özge) et de 9 ans (Gözde), travaille en tant que femme de ménage pour subvenir aux besoins de sa famille.

6. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A. Le décès de M. Ufuk Uzun et l’enquête pénale

7. Le 30 mars 2002, vers 22 h 30, M. Ufuk Uzun fit une chute dans une cage d’ascenseur d’un bâtiment en construction en état d’abandon. Ce bâtiment était situé dans une zone résidentielle.

8. Après sa chute, M. Uzun fut conduit à l’hôpital public d’İstinye. Selon le rapport médical établi le même jour, il est décédé à son arrivée au service des urgences de l’hôpital.

9. Le 31 mars 2002, des procès-verbaux, assortis d’un croquis, furent dressés. Ils indiquaient que le bâtiment était en chantier, qu’il possédait huit étages, qu’il appartenait à la municipalité de Sarɪyer et qu’il comportait deux cages d’ascenseur de 2 x 1,50 m. Ils précisaient que M. Uzun avait fait une chute dans une cage d’ascenseur d’une hauteur de 30 à 45 mètres. Ils mentionnaient également qu’il n’y avait aucune mesure de sécurité sur le chantier.

10. Le même jour, les témoignages de B.A. et de I.M., qui se trouvaient sur les lieux au moment des faits, furent recueillis au commissariat par des agents de police. Les témoins déclarèrent qu’ils s’étaient rendus ensemble dans le bâtiment en question dans l’intention d’y consommer de l’alcool et que M. Uzun avait fait une chute dans la cage d’ascenseur depuis le dernier étage de la construction.

11. Le 8 avril 2002, le procureur de la République de Sarıyer rendit un non-lieu dans le cadre de l’enquête pénale ouverte d’office, à laquelle les requérantes n’étaient pas parties. Il estimait que, eu égard aux faits de la cause, aucune infraction n’avait été commise et que personne ne pouvait être mis en cause. Le dossier ne contient aucune information quant à la notification dudit non-lieu aux requérantes.

B. Les procédures d’indemnisation

12. Le 31 janvier 2003, faute des ressources nécessaires à l’introduction d’un recours, les requérantes engagèrent d’abord une procédure civile devant le tribunal de grande instance de Sarıyer (« le tribunal de grande instance ») afin d’obtenir l’aide judiciaire pour pouvoir intenter ensuite une action en indemnisation contre la municipalité de Sarıyer. Dans le cadre de cette procédure, elles désignèrent celle-ci comme la principale responsable du décès de leur proche. La municipalité de Sarıyer contesta la demande des requérantes.

13. Le 10 avril 2003, le tribunal de grande instance décida d’octroyer l’aide judiciaire aux requérantes. En l’absence de pourvoi, ce jugement acquit force de chose jugée le 28 mai 2003.

14. Le 10 juin 2003, les requérantes intentèrent une action en dommages-intérêts contre la municipalité de Sarıyer devant le même tribunal.

15. Le 20 avril 2004, un rapport d’expertise fut rendu dans le cadre de la procédure civile devant le tribunal de grande instance. Il indiquait que la municipalité de Sarıyer et M. Uzun étaient coresponsables de la chute, à hauteur respectivement de 15 % et de 85 %.

16. Le 26 avril 2005, un deuxième rapport d’expertise fut déposé. Il évaluait la responsabilité de la municipalité et celle de M. Uzun respectivement à 70 % et à 30 %.

17. À une date non précisée, un troisième rapport d’expertise fut versé au dossier. Selon ce document, la municipalité et M. Uzun étaient coresponsables de la chute à hauteur respectivement de 30 % et de 70 %.

18. Le 10 avril 2006, le tribunal de grande instance donna gain de cause aux requérantes et décida d’octroyer à Mme Binnur Uzun 18 599,75 livres turques (TRY) (environ 11 481 euros (EUR)) et aux autres requérantes, Gözde, Özge et Eda Uzun, respectivement, 3 744,92 TRY (environ 2 311 EUR), 4 110,82 TRY (environ 2 537 EUR) et 6 550,18 TRY (environ 4 043 EUR) à titre d’indemnité pour perte de soutien financier (destekten yoksun kalma tazminatı). Il accorda également 2 500 TRY (environ 1 543 EUR) à chacune des requérantes à titre de dommage moral. Il fondait son jugement sur les constats du troisième rapport. Il estimait ainsi que M. Uzun avait la responsabilité principale de la chute au motif qu’il avait agi avec imprudence en pénétrant dans un bâtiment en construction, dans l’obscurité et sous l’emprise de l’alcool. Il considérait également que l’absence de mise en place de mesures de sécurité par la municipalité sur le chantier en cause avait constitué un facteur concourant au décès de M. Uzun.

19. À une date non précisée dans le dossier, la municipalité se pourvut en cassation.

20. Le 17 mai 2007, la Cour de cassation infirma le jugement rendu par le tribunal de grande instance au motif que la juridiction administrative était seule compétente pour statuer sur le fond de l’affaire.

21. À la suite de l’arrêt de la Cour de cassation, les requérantes saisirent le tribunal administratif d’Istanbul d’un recours de pleine juridiction. Par un jugement du 15 mai 2008, cette juridiction, ayant examiné d’office la question du non-respect du délai de saisine, rejeta leur recours pour méconnaissance de ce délai, sur le fondement de l’article 13 de la loi no 2577 relative à la procédure administrative (« la loi no 2577 »), sans rechercher si leur demande déposée le 31 janvier 2003 afin d’obtenir l’aide judiciaire avait interrompu le délai de prescription. Le tribunal administratif d’Istanbul admettait que, en vertu de l’article 9 de cette même loi, lorsque, dans un premier temps, est saisie une juridiction qui n’a pas compétence pour statuer sur une affaire, la date de saisine de cette instance est réputée être la date de saisine des juridictions administratives. Néanmoins, il estimait que le délai d’un an avait commencé à courir à la date du décès, à savoir le 30 mars 2002, et il constatait que ce délai avait déjà expiré à la date de saisine du tribunal de grande instance, le 10 juin 2003.

22. Le 23 janvier 2009, le Conseil d’État confirma le jugement du tribunal administratif du 15 mai 2008.

23. Par un arrêt du 12 octobre 2009, signifié aux requérantes le 12 novembre 2009, le Conseil d’État rejeta la demande en rectification de son arrêt du 23 janvier 2009.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La loi no 2577 relative à la procédure administrative

24. L’article 9 de la loi no 2577 se lit comme suit :

« Lorsqu’une affaire, relevant de la compétence du Conseil d’État ou des tribunaux administratifs ou fiscaux, est portée devant les juridictions civiles ou militaires et que ces dernières se déclarent incompétentes pour en connaître, le demandeur peut saisir la juridiction compétente dans les trente jours à compter du lendemain de la date à laquelle la décision rendue à son égard est devenue définitive. La date de recours (başvurma tarihi) devant la juridiction qui a décliné sa compétence est alors réputée être celle de la saisine du Conseil d’État ou des tribunaux administratifs ou fiscaux.

Concernant les affaires portées devant les juridictions civiles ou militaires et rejetées au motif que ces dernières n’avaient pas compétence pour statuer, même si la durée de trente jours stipulée au premier alinéa se trouve écoulée, il reste possible d’introduire une action administrative tant que le délai prévu pour l’introduction de pareille action n’a pas expiré. »

25. L’article 13 § 1 de la loi no 2577 se lit comme suit :

« 1. Toute personne qui estime que ses droits ont été violés par un acte administratif doit, avant de former un recours devant les juridictions administratives, saisir l’administration en cause d’une demande de réparation dans un délai d’un an à partir de la date à laquelle elle a été informée de l’acte litigieux par une notification écrite ou par un autre moyen, et en tout état de cause dans un délai de cinq ans à compter de la date de l’acte en question. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n’a été obtenue dans un délai de soixante jours, un recours contentieux peut être introduit devant les juridictions administratives.

Lorsqu’un recours de pleine juridiction est introduit à la suite d’une décision de rejet pour incompétence rendue par un tribunal civil ou militaire, il n’est pas exigé que la condition de recours administratif préalable prévue au premier alinéa soit remplie. »

B. Le code des obligations

26. D’après l’article 60 du code des obligations en vigueur à l’époque des faits, toute victime d’un dommage matériel et moral résultant de l’acte d’un tiers pouvait en demander réparation dans le délai d’un an à compter de la date de prise de connaissance de l’acte en cause et de l’identité de son auteur.

C. Le code des taxes (Harçlar Kanunu)

27. Aux termes de l’article 127 du code des taxes, sauf dérogation prévue par la loi, un acte soumis à taxes ne peut être effectué avant que l’intégralité des taxes ait été acquittée.

D. La circulaire relative à la santé et à la sécurité des travailleurs du bâtiment

28. À l’époque des faits, les dispositions pertinentes en l’espèce de la circulaire no 15004 du 12 septembre 1974 relative à la santé et à la sécurité des travailleurs du bâtiment étaient ainsi libellées :

Article 8

« Les parties dangereuses de la zone de construction doivent être clairement délimitées, et des panneaux d’avertissement doivent être installés de manière visible et éclairés la nuit par des lampes rouges. »

Article 11

« En cas de présence de trous et de fentes dans le toit ou dans le sol, il convient soit d’assurer une protection au moyen d’un garde-corps, soit de les fermer temporairement par le dessus de manière appropriée. »

Article 18

« Avant le commencement des fouilles de construction (creusement du sol), dans les zones résidentielles de la municipalité la zone de construction doit être entourée de clôtures en bois d’environ deux mètres de haut, munies de contreforts fabriqués à partir de l’intérieur, et elle doit rester sécurisée de cette manière jusqu’à l’achèvement de la construction. Lorsque la zone de la construction est large et ouverte, les clôtures en bois doivent être remplacées par un parapet de 90-100 cm de haut construit à partir de l’arrière de la limite d’excavation. »

E. Éléments jurisprudentiels pertinents

29. À l’époque des faits, l’aide judiciaire était régie par les
articles 465-472 du code de procédure civile du 18 juin 1927. Selon ces dispositions, une demande d’aide judiciaire pouvait être soit introduite séparément par un recours tendant à l’obtention de l’aide judiciaire soit engagée en même temps que l’action à l’égard de laquelle elle était effectuée. Tandis que la demande tendant à l’obtention de l’aide judiciaire déposée séparément n’était soumise à aucun frais de justice, le tribunal pouvait exiger le paiement partiel des frais de justice lorsque la demande d’aide judiciaire était introduite en même temps que l’action à l’égard de laquelle elle était effectuée.

Il n’existe aucune disposition sur la question de savoir si la demande d’aide judiciaire devant les juridictions du premier degré interrompt ou non les délais pour agir. Toutefois, par un arrêt du 24 février 1995 (1995/926 E. et 1995/2327 T.), la deuxième chambre de la Cour de cassation a jugé que les règles du code des obligations relatives à l’interruption du délai de prescription s’appliquaient également à la procédure civile. À cet égard, se référant à l’article 133 § 2 du code des obligations énumérant les situations d’interruption du délai de prescription, elle a estimé que la demande d’aide judiciaire n’interrompait pas le délai de prescription prévu pour engager un recours sur le fondement du code civil. Elle a notamment considéré que, dans le cadre d’une procédure soumise à des frais de justice, lorsqu’une demande d’aide judiciaire était déposée et parafée en même temps que l’action à l’égard de laquelle elle était effectuée, l’action était présumée avoir été introduite à la date d’acceptation de la demande d’aide judiciaire ou, en cas de rejet de cette demande, à la date de paiement des frais de justice.

30. Le Gouvernement a présenté à la Cour deux arrêts rendus par les juridictions nationales. D’après l’arrêt du 27 janvier 2010, adopté par la chambre plénière de la Cour de cassation, l’aide judiciaire peut être demandée pour un pourvoi en cassation. Dans le même arrêt, se référant à un arrêt adopté le 15 octobre 1973 par la 15e chambre de la Cour de cassation, la chambre plénière précise qu’une demande d’aide judiciaire n’interrompt pas les délais, y compris le délai de prescription.

31. Dans l’arrêt du 20 septembre 2011, la 10e chambre du Conseil d’État a considéré qu’un recours tendant à l’obtention de l’aide judiciaire interrompt le délai d’un an prévu à l’article 13 de la loi no 2577. Cet arrêt se lit ainsi, en ses passages pertinents en l’espèce :

« (...) À la suite d’un accident de passage à niveau survenu le 18 mars 2003, le tribunal de grande instance d’İzmir a accueilli, par un jugement du 7 avril 2004, un recours tendant à l’obtention de l’aide judiciaire introduit le 18 mars 2004 (...)

(...) la volonté d’intenter une action [en dommages-intérêts] s’est manifestée par l’introduction d’un recours [tendant à obtenir l’aide judiciaire] devant le tribunal de grande instance d’İzmir le 18 mars 2004; eu égard au fait que la procédure judiciaire pour la demande d’indemnités au titre de préjudices matériel et moral s’est déclenchée à cette date, il convient d’accepter que l’action en question a été engagée dans le délai d’un an prévu à l’article 13 de la loi relative à la procédure administrative. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

32. Les requérantes soutiennent que l’absence de mesures de sécurité sur le chantier de construction a coûté la vie à leur proche et a ainsi emporté violation du droit à la protection de la vie de celui-ci. Par ailleurs, elles allèguent que les tribunaux internes n’ont apporté aucune réponse judiciaire adéquate à cet accident. Elles dénoncent une violation de l’article 2 de la Convention, qui se lit comme suit en sa partie pertinente en l’espèce :

« Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »

33. Le Gouvernement combat la thèse des requérantes.

A. Sur la recevabilité

34. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

35. Les requérantes font grief à la municipalité de Sarıyer de ne pas avoir sécurisé le chantier d’une construction appartenant à la commune et de n’avoir pris aucune mesure positive pour éviter que de tels accidents surviennent. Elles se plaignent également de l’impunité de l’administration, qu’elles considèrent comme responsable du décès de leur proche en raison d’un manquement à l’obligation positive d’adopter des mesures de sécurité sur le chantier en question. Elles affirment que, alors qu’elles auraient engagé deux recours indemnitaires, elles n’ont pu obtenir ni un établissement définitif des faits et des responsabilités ni une évaluation judiciaire de leur dommage.

36. Le Gouvernement conteste les thèses des requérantes. Il se réfère aux conclusions du rapport d’expertise sur lequel le tribunal de grande instance de Sarıyer s’est fondé pour rendre son jugement du 10 avril 2006. Il indique que, d’après ce rapport, les mesures nécessaires n’ont pas été prises par la municipalité de Sarıyer. Il entend attirer également l’attention de la Cour sur les termes de ce même rapport, selon lesquels la municipalité de Sarıyer et M. Uzun étaient coresponsables de l’accident à hauteur respectivement de 30 % et de 70 %. À cet égard, il précise que, selon le rapport en question, la responsabilité principale de la chute est imputable à M. Ufuk Uzun au motif qu’il avait agi avec imprudence en pénétrant dans ce bâtiment en construction dans l’obscurité et sous l’emprise de l’alcool. Néanmoins, le Gouvernement laisse à la discrétion de la Cour l’appréciation du grief des requérantes à cet égard.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes pertinents

37. La Cour renvoie aux principes pertinents pour l’examen de la présente affaire, tels que récapitulés, par exemple, dans l’arrêt Cevrioğlu c. Turquie (no 69546/12, §§ 49 à 52, 4 octobre 2016), arrêt qui, au demeurant, présente nombre d’affinités avec l’espèce. Il convient notamment de rappeler que l’obligation positive tirée de la première phrase de l’article 2 § 1 de la Convention couvre un large éventail de secteurs (Ciechońska c. Pologne, no 19776/04, §§ 62-63, 14 juin 2011), y compris les accidents de chantier de construction (Pereira Henriques et autres c. Luxembourg (déc.), no 60255/00, 26 août 2003) ou bien ceux survenus dans des bâtiments mal entretenus (Banel c. Lituanie, no 14326/11, §§ 67‑73, 18 juin 2013, et Kostov et Kostova c. Bulgarie (déc.), no 28511/11, 15 avril 2014), ou encore ceux causés par les installations de distribution d’électricité à haute tension (Iliya Petrov c. Bulgarie, no 19202/03, § 56, 24 avril 2012). Ce catalogue de situations susceptibles de tomber sous le coup de l’article 2 n’est nullement exhaustif, car l’obligation positive dont il s’agit vaut dans le contexte de toute activité susceptible de mettre en jeu le droit à la vie (Cavit Tınarlıoğlu c. Turquie, no 3648/04, § 64, 2 février 2016).

38. Le devoir, pour l’État, de sauvegarder la vie des personnes relevant de sa juridiction a été interprété de façon à y inclure les volets matériel et procédural et, notamment, l’obligation positive d’adopter des mesures réglementaires, d’informer le public de manière adéquate de toute situation pouvant mettre la vie en danger et d’assurer que toutes les circonstances des décès ainsi survenus feront l’objet d’une enquête judiciaire (Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, §§ 89-118, CEDH 2004 XII, et Boudaïeva et autres c. Russie, nos 5339/02, 21166/02, 20058/02, 11673/02 et 15343/02, § 131, CEDH 2008 (extraits)).

39. À cet égard, la Cour a jugé que, si l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas volontaire, l’obligation positive de mettre en place un « système judiciaire efficace » n’exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale et il peut y être satisfait par l’offre de recours de nature civile, administrative ou même disciplinaire (voir, par exemple, Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no [32967/96](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2232967/96%22%5D%7D), § 51, CEDH 2002-I, Mastromatteo c. Italie [GC], no [37703/97](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2237703/97%22%5D%7D), §§ 90 et 94-95, CEDH 2002-VIII et Vo c. France [GC], no [53924/00](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2253924/00%22%5D%7D), § 90, CEDH 2004-VIII,).

b) Application de ces principes

40. En l’espèce, la Cour constate que les requérantes reprochent aux autorités deux défaillances majeures. En premier lieu, elles allèguent que la municipalité de Sarıyer n’a pas sécurisé le chantier d’un bâtiment en construction en état d’abandon lui appartenant et qu’elle n’a pris aucune mesure positive tendant à éviter que des accidents surviennent. En deuxième lieu, elles critiquent la réaction judiciaire des autorités après le décès de leur proche : la chute qui a coûté la vie à M. Ufuk Uzun n’a pas donné lieu à une enquête qui aurait permis d’apprécier si les autorités avaient agi de manière conforme à leurs obligations avant et après l’accident. À cet égard, elles se plaignent de l’impunité de l’administration, qu’elles considèrent comme responsable du décès de leur proche en raison d’un manquement à son obligation positive de prendre des mesures de sécurité dans la construction litigieuse.

41. S’agissant des allégations d’absence de mesures de sécurité et d’insuffisance du mécanisme de contrôle, la Cour observe d’emblée qu’il n’est pas contesté entre les parties que Ufuk Uzun est décédé des suites d’une chute accidentelle dans la cage d’ascenseur d’un bâtiment en construction en état d’abandon, appartenant à la municipalité de Sarıyer. Comme le tribunal de grande instance l’a précisé, il n’est pas non plus contesté que la municipalité n’avait pas pris de mesures de sécurité sur le chantier en cause (paragraphe 19 ci-dessus). En somme, ni la cage d’ascenseur ni le bâtiment en question n’avaient été clôturés et rien n’avait été mis en place pour marquer les limites du chantier en état d’abandon, qui était donc facilement accessible à tous les passants.

42. Pour la Cour, il ne fait pas de doute que l’obligation positive découlant de l’article 2 s’applique au contexte en question. Les activités menées sur les sites de construction sont parmi celles qui peuvent causer un risque pour la vie humaine en raison de leur nature intrinsèquement dangereuse, et elles peuvent exiger de l’État qu’il prenne des mesures raisonnables pour assurer la sécurité des personnes (voir, mutatis mutandis, Pereira Henriques et autres, décision précitée, Banel, précité, et Kostov et Kostova, décision précitée). Les obligations positives énoncées ci-dessus impliquent non seulement la mise en place par l’État d’un cadre réglementaire approprié, mais elles comprennent aussi un devoir d’assurer le fonctionnement effectif de ce cadre réglementaire (Ciechońska, précité, § 69). Il va sans dire que la protection offerte par les mesures de sécurité pertinentes est illusoire si un mécanisme de contrôle adéquat n’est pas mis en place (Cevrioğlu, précité, § 62). La Cour se doit donc de rechercher si, dans la présente espèce, les autorités turques ont mis en place une réglementation adéquate relativement au site de construction en question et si elles ont veillé à ce que ladite réglementation fût effectivement appliquée.

43. La Cour note à cet égard que, selon les informations fournies par le gouvernement défendeur, la circulaire relative à la santé et à la sécurité des travailleurs du bâtiment était à l’époque des faits le cadre réglementaire principal relatif aux sites de construction. Ce texte plaçait les employeurs dans l’obligation de prendre des mesures pour la sécurité des travailleurs dans le contexte spécifique des sites de construction, notamment la fermeture des zones dangereuses sur le site, le placement de panneaux visibles avertissant des risques et l’installation d’une clôture à la périphérie des chantiers de construction. Ces mesures devaient être mises en place dès le démarrage des travaux et être maintenues jusqu’à l’achèvement de la construction. Ce texte disposait également que, en cas de présence de trous et de fentes dans le toit ou dans le sol, il convenait soit d’assurer une protection au moyen d’un garde-corps, soit de fermer temporairement leurs parties supérieures de manière appropriée. De l’avis de la Cour, pareilles normes semblent à première vue suffisamment précises et exigeantes, et leur observation devait en principe suffire à assurer la sécurité des sites de construction et la prévention d’accidents potentiellement mortels comme celui de l’espèce.

44. Toutefois, dans le cas présent, il s’agissait d’un bâtiment en construction en état d’abandon et non d’un site de construction. La Cour voit mal comment la circulaire précitée pouvait constituer un cadre approprié pour un tel bâtiment laissé à l’abandon dans lequel aucun travail de construction n’était, à l’époque des faits, entrepris. De toute manière, il n’est pas contesté qu’aucune mesure de sécurité n’a été prise en l’espèce. Par ailleurs, en l’absence d’un cadre réglementaire adéquat relatif aux bâtiments en état d’abandon, il n’est pas nécessaire de rechercher s’il existait une procédure de contrôle suffisamment efficace pour assurer l’application effective des règles de sécurité.

45. Il est vrai que l’article 2 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant à toute personne un niveau absolu de sécurité dans toutes les activités de la vie comportant un risque d’atteinte à l’intégrité physique, et ce en particulier lorsque la victime s’est mise inutilement en danger et a de ce fait une certaine part de responsabilité dans la survenance de l’accident (Cavit Tınarlıoğlu, précité, § 108). La Cour ne saurait non plus spéculer sur la question de savoir si la prise des mesures en question et le contrôle effectif de leur mise en application auraient pu permettre d’éviter tout risque d’accident mortel.

46. En effet, la tâche de la Cour consiste non pas à se prononcer sur la responsabilité civile ou pénale des parties en cause, mais plutôt à déterminer si l’État a rempli son obligation de protéger le droit à la vie, en adoptant un cadre réglementaire adéquat et en assurant le contrôle de la mise en œuvre de celui-ci. Cela dit, il ne s’agit pas d’une obligation de résultat, mais de moyens. Ladite obligation peut être satisfaite par des règles obligeant les responsables d’adopter des mesures raisonnables sur les chantiers de construction pour assurer la sécurité des travailleurs du bâtiment et celle du grand public, et par la mise en place d’un mécanisme efficace pour l’exécution de ces mesures (Cevrioğlu, précité, § 70). Cela vaut notamment lorsqu’est en cause, comme en l’espèce, un bâtiment en construction en état d’abandon, qui peut causer un risque pour la vie humaine.

47. À cet égard, la Cour ne sous-estime pas l’imprévisibilité du comportement humain et l’imprudence dont M. Ufuk Uzun a fait preuve en pénétrant avec deux autres personnes dans un bâtiment visiblement à l’abandon. Cela dit, la Cour est convaincue que, comme le tribunal de grande instance l’a relevé, l’absence de mise en place de mesures de sécurité par la municipalité sur le site en cause avait constitué un facteur concourant au décès de M. Ufuk Uzun (paragraphe 20 ci-dessus). À cet égard, la sécurisation du chantier de construction d’un bâtiment en abandon et la mise en œuvre correcte d’un mécanisme de contrôle auraient pu permettre d’éviter le décès de celui-ci et de remédier aux défaillances en question. En effet, on ne peut nier qu’un simple contrôle aurait forcé la municipalité à barrer l’accès au chantier de construction d’un bâtiment en abandon et qui était situé dans une zone d’habitation, et à prendre des précautions, ce qui aurait pu exonérer l’État défendeur de sa responsabilité au regard de l’article 2 de la Convention dans la présente affaire. En l’absence de telles mesures, la survenue d’un accident comparable à celui de l’espèce dans une construction en état d’abandon au cœur d’une zone d’habitation n’était qu’une question de temps. La Cour estime que la carence des autorités est d’autant plus regrettable que la sécurisation du site en cause ne demandait apparemment pas des moyens considérables.

48. S’agissant de la réaction judiciaire requise au regard de l’article 2 de la Convention, la Cour observe que, à la suite de l’accident du 30 mars 2002, l’enquête pénale ouverte d’office par le parquet de Sarıyer s’est soldée par un non-lieu pour absence d’élément constitutif d’une infraction. Pour ce qui est de la procédure civile ouverte devant les tribunaux de droit civil, celle-ci n’a abouti qu’à la détermination de la proportion des fautes imputables aux parties de la cause sans toutefois que les tribunaux aient définitivement tranché l’affaire faute de compétence en la matière. Quant au recours de pleine juridiction engagé par les requérantes à la suite de la décision d’incompétence rendue par les tribunaux de droit civil, il a été rejeté pour méconnaissance du délai de saisine. Il en découle que, quelle que soit la cause, les procédures internes relatives aux évènements en question n’ont pas été en mesure d’identifier les manquements qui ont pu contribuer à l’accident du 30 mars 2002 et n’ont donc pas permis d’offrir la réponse judiciaire qu’exigeait le décès de M. Ufuk Uzun. De surcroît, la Cour observe que le tribunal administratif, ayant examiné d’office la question du non-respect du délai de saisine (paragraphe 21 ci-dessus), n’a pas tenu compte du fait que les requérantes ne pouvaient engager une action en dommages-intérêts devant le tribunal civil sans avoir obtenu au préalable l’aide judiciaire. Il est important de noter que, même si les intéressées ont présenté leur demande tendant à obtenir l’aide judiciaire environ dix mois après le décès de leur proche en désignant la municipalité de Sarıyer comme la principale responsable du décès en question (paragraphe 12 ci-dessus), elles n’ont obtenu l’aide judiciaire que le 10 avril 2003, c’est-à-dire après le dépassement du délai d’un an (paragraphe 13 ci-dessus). En l’absence d’une exigence de délai dans le traitement des demandes d’aide judiciaire, les requérantes n’ont donc pas été en mesure de saisir valablement le tribunal civil dans le respect du délai d’un an, au sens de l’article 13 de la loi no 2577, tel qu’interprété, à l’époque des faits, par les tribunaux administratifs (comparer avec Staszkow c. France, no 52124/08, § 45, 6 octobre 2011, voir aussi paragraphe 31 ci-dessus). Or ces derniers ne se sont aucunement prononcés sur la question de savoir si la demande précitée, qui a donné lieu à une procédure contentieuse, pouvait constituer ou non un « recours » au sens de l’article 9 de la même loi.

49. À la lumière de ce qui précède, et en tenant compte notamment de l’absence de la sécurisation du chantier de construction en état d’abandon et de la mise en œuvre correcte d’un mécanisme de contrôle, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

50. Les requérantes soutiennent que le rejet pour tardiveté de leur action de pleine juridiction a constitué une atteinte à leur droit à un procès équitable. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention.

51. Après avoir expliqué les jurisprudences pertinentes des juridictions civile et administrative (paragraphes 30-31 ci-dessus), le Gouvernement laisse à la discrétion de la Cour l’appréciation du grief des requérantes à cet égard.

52. Eu égard au constat de violation auquel elle est parvenue pour l’article 2 de la Convention (paragraphe 49 ci-dessus), la Cour estime avoir examiné la question juridique principale posée par la présente requête. Compte tenu de l’ensemble des faits de la cause et des arguments des parties, elle considère qu’il ne s’impose plus de statuer séparément ni sur la recevabilité ni sur le fond du grief tiré de l’article 6 de la Convention (Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 64, 10 mai 2007, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

53. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

54. Les requérantes réclament 200 000 euros (EUR) pour préjudice matériel et 400 000 EUR pour préjudice moral.

55. Le Gouvernement conteste ces demandes.

56. S’agissant des demandes pour dommage matériel, la Cour note tout d’abord que, se basant sur un rapport d’expertise, le tribunal de grande instance a alloué une certaine somme aux requérantes à titre d’indemnité pour perte de soutien financier (paragraphe 19 ci-dessus). Tenant compte des sommes allouées à ce titre, elle décide d’allouer conjointement aux requérantes une somme de 20 000 EUR pour dommage matériel. Pour ce qui est du dommage moral, la Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer conjointement aux requérantes la somme de 10 000 EUR.

B. Frais et dépens

57. Les requérantes demandent également 50 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour, sans toutefois fournir aucun justificatif.

58. Le Gouvernement conteste cette demande.

59. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu de l’absence de documents pertinents, la Cour rejette la demande formulée au titre des frais et dépens (Ato c. Turquie, no 29873/02, § 27, 8 juin 2010).

C. Intérêts moratoires

60. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 2 de la Convention ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention ;

3. Dit, par six voix contre une, qu’il ne s’impose plus de statuer séparément ni sur la recevabilité ni sur le fond du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel,

ii. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 septembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Hasan BakırcıRobert Spano
Greffier adjointPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Paul Lemmens.

R.S.
H.B.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE LEMMENS

Je suis d’accord avec l’arrêt. Quant à la décision de ne pas statuer séparément sur le grief tiré de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, j’aurais toutefois préféré un raisonnement différent.

Au paragraphe 52, la majorité « estime avoir examiné la question juridique principale posée par la présente requête » et « considère qu’il ne s’impose plus de statuer séparément ni sur la recevabilité ni sur le fond du grief tiré de l’article 6 de la Convention ».

J’ai déjà exprimé mes réserves au sujet de la formule consistant à faire une distinction entre la question juridique « principale » posée par un des griefs et les autres questions juridiques posées par d’autres griefs. En principe, la Cour, en tant qu’instance juridictionnelle, doit se pencher sur chaque grief qui lui est soumis (je me permets de me référer à mon opinion en partie dissidente dans l’affaire Balta et Demir c. Turquie, no 48628/12, 23 juin 2015).

J’aurais préféré que la Cour n’utilise pas la formule précitée, critiquable à mon humble avis, du point de vue de sa fonction juridictionnelle. La Cour aurait pu se fonder sur d’autres motifs pour conclure que, dans le cas d’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de la violation de l’article 6 § 1. Elle aurait pu dire, par exemple, que ce grief se trouve absorbé par celui tiré de la violation de l’article 2 (volet procédural, voir en particulier la discussion au paragraphe 48 de l’arrêt), ou que l’examen du grief concernant l’article 6 § 1 n’apporterait rien à la conclusion sous l’angle de l’article 2.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-177297
Date de la décision : 19/09/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2 - Obligations positives;Article 2-1 - Enquête effective) (Volet procédural)

Parties
Demandeurs : BİNNUR UZUN ET AUTRES
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DEMIRKILIC H.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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