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15/11/2012 | CEDH | N°001-114453

CEDH | CEDH, AFFAIRE MEHMET YOLCU c. TURQUIE, 2012, 001-114453


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MEHMET YOLCU c. TURQUIE

(Requête no 33200/05)

ARRÊT

STRASBOURG

15 novembre 2012

DÉFINITIF

15/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Mehmet Yolcu c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Danutė Jočienė,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl

Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le ...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MEHMET YOLCU c. TURQUIE

(Requête no 33200/05)

ARRÊT

STRASBOURG

15 novembre 2012

DÉFINITIF

15/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mehmet Yolcu c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Danutė Jočienė,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 octobre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33200/05) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mehmet Yolcu (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 septembre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me M. Bayat, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le 27 mai 2008, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1957 et réside à Malatya.

5. A l’époque des faits, le requérant, titulaire d’un doctorat, était assistant de recherche à l’université publique de Yüzüncü Yıl.

6. Le 14 mars 1998, une annonce relative à un poste vacant de maître de conférences de langue et de littérature arabes à la faculté de théologie de l’université publique d’İnönü fut publiée et le requérant postula au poste en question.

7. Après avoir examiné son dossier, le rectorat de l’université publique d’İnönü (« le rectorat ») accueillit favorablement la candidature du requérant. Par la suite, le doyen de la faculté de théologie de l’université publique d’İnönü (« le doyen ») désigna un jury composé de trois académiques de l’université publique de Selçuk afin qu’ils examinent les travaux académiques du candidat et qu’ils présentent leur opinion écrite concernant sa nomination.

8. Les académiques concernés préparèrent leur rapport au cours du mois de juin 1998 et les envoyèrent au doyen. Ils conclurent que le candidat satisfaisait aux critères requis pour sa nomination en tant que maître de conférences de langue et de littérature arabes.

9. Le 24 juin 1998, le doyen envoya le dossier du requérant au rectorat pour sa nomination.

10. Par une lettre du 30 novembre 1998, le rectorat lui fit savoir qu’il ne donnerait pas suite à la proposition de nomination.

11. Le 1er février 1999, le requérant intenta une action en demandant l’annulation de la décision du rectorat devant le tribunal administratif de Malatya (« le tribunal»).

12. Par un jugement du 28 décembre 1999, le tribunal donna gain de cause au requérant eu égard au pouvoir discrétionnaire reconnu au recteur en matière de nomination qui n’est pas absolu et illimité. Le tribunal considéra que ce pouvoir doit être exercé en observant l’intérêt général et les nécessités du service, tout en se basant sur des motifs juridiques valables. En se fondant sur l’absence de raisons juridiques plausibles concrètes justifiant le refus de nomination de l’intéressé, il annula la décision concernée.

13. A une date non précisée, le rectorat forma un pourvoi devant le Conseil d’État.

14. Par un arrêt du 6 février 2002, le Conseil d’État infirma le jugement de première instance au motif que le jury n’avait pas été constitué conformément à l’article 23 a) de la loi no 2547 relative à l’enseignement supérieur, qui prévoit qu’un des dirigeants du département du poste concerné doit également faire partie du jury.

15. Par un jugement du 26 février 2003, le tribunal se conforma à l’arrêt du 6 février 2002 et rejeta la demande du requérant en se fondant sur les mêmes motifs que le Conseil d’État.

16. Le 7 juillet 2003, le requérant forma un pourvoi devant le Conseil d’État.

17. Le 5 mars 2004, le Conseil d’État confirma le jugement de première instance.

18. Par un arrêt du 23 mars 2005, le Conseil d’État rejeta le recours en rectification d’arrêt formé par le requérant.

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITE

A. Le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1

19. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, le requérant soutient que s’il avait été nommé en tant que maître de conférences, il aurait pu toucher un salaire plus élevé que celui d’un assistant de recherche. Il considère donc que le refus de le nommer lui a causé une certaine perte de salaire mensuel, ce qui constitue, selon lui, une atteinte à son droit au respect de ses biens.

20. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante, le revenu futur ne peut être considéré comme un « bien » que s’il a déjà été gagné ou s’il a fait l’objet d’une créance certaine (voir Ian Edgar (Liverpool) Ltd c. Royaume-Uni (déc.), no37683/97, CEDH 2000-I, Wendenburg et autres c. Allemagne (déc.), no 71360/01, CEDH 2003-II (extraits), et Levänen et autres c. Finlande (déc.), no 34600/03, 11 avril 2006).

21. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Sur le grief tiré de l’article 14 de la Convention

22. Le requérant soutient que l’administration de l’université publique d’İnönü a nommé d’autres candidats en se fondant sur des rapports de jurys dont le mode et les principes de désignation étaient similaires à son cas. Selon lui, ces nominations constituent une discrimination au sens de l’article 14 de la Convention.

23. La Cour a examiné ce grief tel qu’il a été présenté par le requérant. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, elle estime que le requérant formule ses allégations de manière très générale et n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention.

24. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

C. Sur le surplus de la requête

25. La Cour constate qu’aucun des griefs restant à examiner n’est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention ni ne se heurte par ailleurs à un quelconque autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de déclarer le restant de la requête recevable.

II. SUR LA DUREE DE LA PROCEDURE CIVILE

26. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

27. Le Gouvernement conteste cette thèse.

28. La Cour note que la période à considérer a débuté le 1er février 1999 et s’est terminée le 23 mars 2005. Elle a donc duré plus de six ans et un mois pour deux degrés de juridiction.

29. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII, Ümmühan Kaplan c. Turquie, no 24240/07, §§ 32-50, 20 mars 2012).

30. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR LE DÉFAUT DE COMMUNICATION PRÉALABLE DE L’AVIS DU PROCUREUR

31. Le requérant dénonce une violation de l’article 6 de la Convention du fait que l’avis du procureur près le Conseil d’État ne lui a pas été communiqué dans le cadre de l’examen du pourvoi et du recours en rectification d’arrêt.

32. Le Gouvernement conteste cette thèse.

33. La Cour rappelle avoir examiné un grief similaire à celui présenté par le requérant et avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la non-communication de l’avis du procureur général (Meral c. Turquie, no 33446/02, §§ 27-39, 27 novembre 2007). Elle ne voit aucune raison en l’espèce de s’écarter de cette jurisprudence.

34. Par conséquent, il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention de ce chef.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

35. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

36. Le requérant réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral et 15 000 EUR au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi.

37. Le Gouvernement conteste ces montants.

38. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 500 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

39. Le requérant demande également 4 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. A cet égard, il ne fournit aucun document.

40. Le Gouvernement conteste ce montant.

41. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu de l’absence des documents soumis par la requérant et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

42. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de la durée de la procédure civile et de l’absence de communication de l’avis du procureur général et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention en raison de la durée de la procédure suivie devant les juridictions internes ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention en raison de l’absence de communication de l’avis du procureur général ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) pour dommage moral, à convertir en livres turque au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithIneta Ziemele
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-114453
Date de la décision : 15/11/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Délai raisonnable);Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Procès équitable;Egalité des armes)

Parties
Demandeurs : MEHMET YOLCU
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BAYAT M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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