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08/04/2014 | CEDH | N°001-142191

CEDH | CEDH, AFFAIRE DHAHBI c. ITALIE, 2014, 001-142191


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE DHAHBI c. ITALIE

(Requête no 17120/09)

ARRÊT

STRASBOURG

8 avril 2014

DÉFINITIF

08/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Dhahbi c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Guido Raimondi,
Peer Lorenzen,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmen

s,
Egidijus Kūris, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mars 2014,

Rend l’arrêt que voic...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE DHAHBI c. ITALIE

(Requête no 17120/09)

ARRÊT

STRASBOURG

8 avril 2014

DÉFINITIF

08/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Dhahbi c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Guido Raimondi,
Peer Lorenzen,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mars 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 17120/09) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Bouraoui Dhahbi (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 mars 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me V. Angiolini, avocat à Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, et par son coagent, Mme P. Accardo.

3. Le requérant allègue avoir été victime d’une discrimination fondée sur la nationalité qui était la sienne à l’époque des faits, et se plaint par ailleurs que la Cour de cassation a ignoré sa demande de renvoi d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne dans la procédure y afférente.

4. Le 11 juin 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1960 et réside à Marsala (Trapani).

6. Le requérant, qui a ensuite acquis la nationalité italienne, était à l’époque des faits un ressortissant tunisien qui s’était rendu en Italie sur la base d’un permis de séjour et de travail régulier. Il fut embauché par la société A. et assuré auprès de l’Institut national de la sécurité sociale (Istituto Nazionale della Previdenza Sociale –INPS). Sa famille comprenait son épouse et leurs quatre enfants mineurs. Ses revenus pour l’année 1999 s’élevaient à 30 655 000 lires italiennes (ITL – environ 15 832 euros (EUR)).

7. Le 24 mai 2001, le requérant introduisit un recours devant le tribunal de Marsala, appelé à statuer comme juge du travail, afin d’obtenir le versement de l’allocation de foyer familial (assegno per nucleo familiare) prévue par l’article 65 de la loi no 448 de 1998. Aux termes de cette disposition, l’allocation en question était octroyée par l’INPS aux familles composées de ressortissants italiens résidant en Italie, avec au moins trois enfants mineurs, lorsque leur revenu annuel était inférieur aux montants indiqués dans le tableau annexé au décret législatif no 109 du 31 mars 1998 (en l’occurrence 36 millions d’ITL – environ 18 592 EUR – pour les familles composées de cinq personnes).

8. Le requérant considérait que même s’il n’avait pas la nationalité italienne, comme l’exigeait la loi no 448 de 1998, l’allocation lui était due en vertu de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Tunisie – dit « Accord euro-méditerranéen » –, ratifié par l’Italie (loi no 35 du 3 février 1997). L’article 65 de ce texte se lit comme suit :

« 1. Sous réserve des dispositions des paragraphes suivants, les travailleurs de nationalité tunisienne et les membres de leur famille résidant avec eux bénéficient, dans le domaine de la sécurité sociale, d’un régime caractérisé par l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport aux propres ressortissants des États membres dans lesquels ils sont occupés.

La notion de « sécurité sociale »[1] couvre les branches de sécurité sociale qui concernent les prestations de maladie et de maternité, les prestations d’invalidité, de vieillesse, de survivants, les prestations d’accident de travail et de maladie professionnelle, les allocations de décès, les prestations de chômage et les prestations familiales.

Toutefois, cette disposition ne peut avoir pour effet de rendre applicables les autres règles de coordination prévues par la réglementation communautaire fondée sur l’article 51 du traité CE, autrement que dans les conditions fixées par l’article 67 du présent accord.

2. Ces travailleurs bénéficient de la totalisation des périodes d’assurance, d’emploi ou de résidence accomplies dans les différents États membres, pour ce qui concerne les pensions et rentes de vieillesse, d’invalidité et de survie, les prestations familiales, les prestations de maladie et de maternité ainsi que les soins de santé pour eux-mêmes et leur famille résidant à l’intérieur de la Communauté.

3. Ces travailleurs bénéficient des prestations familiales pour les membres de leur famille résidant à l’intérieur de la Communauté.

4. Ces travailleurs bénéficient du libre transfert vers la Tunisie, aux taux appliqués en vertu de la législation de l’État membre ou des États membres débiteurs, des pensions et rentes de vieillesse, de survie et d’accident de travail ou de maladie professionnelle, ainsi que d’invalidité, en cas d’accident de travail ou de maladie professionnelle, à l’exception des prestations spéciales à caractère non contributif.

5. La Tunisie accorde aux travailleurs ressortissants des États membres occupés sur son territoire, ainsi qu’aux membres de leur famille, un régime analogue à celui prévu aux paragraphes 1, 3 et 4. »

9. Par un jugement du 10 avril 2002, le tribunal de Marsala rejeta le recours du requérant.

10. Le requérant interjeta appel. Il demanda, entre autres, que soit posée à titre préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) la question de savoir si l’article 65 de l’Accord euro-méditerranéen permettait de refuser à un travailleur tunisien l’allocation familiale prévue par l’article 65 de la loi no 448 de 1998.

11. Par un arrêt du 21 octobre 2004, la cour d’appel de Palerme rejeta l’appel du requérant. Elle observa que, étant fondée uniquement sur les revenus et la situation familiale des bénéficiaires, l’allocation sollicitée relevait de l’assistance sociale (assistenza sociale). Elle était initialement prévue seulement pour les citoyens italiens, et avait ensuite été étendue à tous les ressortissants de l’Union européenne. Or, l’Accord euro-méditerranéen ne concernait que les prestations de prévoyance (prestazioni previdenziali), et n’était donc pas applicable à l’allocation de foyer familial prévue par l’article 65 de la loi no 448 de 1998.

12. Le requérant se pourvut en cassation, réitérant sa demande de renvoi d’une question préjudicielle à la CJUE.

13. Par un arrêt du 15 avril 2008, dont le texte fut déposé au greffe le 29 septembre 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.

14. Dans ses motifs, la Cour de cassation observa tout d’abord que l’article 64 §§ 1 et 2 de l’Accord euro-méditerranéen disposait notamment :

« 1. Chaque État membre accorde aux travailleurs de nationalité tunisienne occupés sur son territoire un régime caractérisé par l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport à ses propres ressortissants, en ce qui concerne les conditions de travail, de rémunération et de licenciement.

2. Tout travailleur tunisien autorisé à exercer une activité professionnelle salariée sur le territoire d’un État membre à titre temporaire bénéficie des dispositions du paragraphe 1 en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération. »

15. Relevant que ce texte se référait explicitement aux relations de travail et aux éléments qui les constituaient, la Cour de cassation en déduisit qu’il ne trouvait à s’appliquer qu’aux prestations de prévoyance, et non aux allocations d’assistance, comme celle revendiquée par le requérant et à laquelle les citoyens tunisiens résidant en Italie n’avaient pas droit. Cette interprétation était selon elle également confirmée par l’article 65 §§ 1 et 2 de l’Accord euro-méditerranéen, qui mentionnait notamment « les prestations de maladie et de maternité, les prestations d’invalidité, de vieillesse, de survivants, les prestations d’accident de travail et de maladie professionnelle, les allocations de décès, les prestations de chômage et les prestations familiales ». La Cour de cassation souligna que son interprétation ne se fondait pas seulement sur la référence textuelle à la « sécurité sociale » (previdenza sociale) mais, comme indiqué par la CJUE, sur les éléments constitutifs de chaque prestation.

16. Cet arrêt fut notifié au requérant le 2 octobre 2008.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

17. Le requérant allègue que la Cour de cassation a ignoré sa demande de poser une question préjudicielle à la CJUE quant à l’interprétation de l’Accord euro-méditerranéen.

Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

18. Le Gouvernement combat la thèse du requérant.

A. Sur la recevabilité

1. L’exception du Gouvernement tirée de la tardiveté de la requête

19. Le Gouvernement excipe tout d’abord de la tardiveté de la requête, observant que celle-ci n’aurait été introduite que le 2 avril 2009, alors que l’arrêt de la Cour de cassation a été déposé au greffe le 29 septembre 2008 (paragraphe 13 ci-dessus).

20. Le requérant rétorque que sa requête a été introduite le 28 mars 2009, date à laquelle il en a envoyé une copie au greffe de la Cour par fax et par courrier. Il précise que l’arrêt de la Cour de cassation ne lui a été notifié que le 2 octobre 2008 (paragraphe 16 ci-dessus). Or, c’est à cette dernière date qu’il conviendrait selon lui de fixer le point de départ du délai de six mois.

21. La Cour note que le 28 mars 2009, le requérant a envoyé par fax au greffe, qui l’a reçue le même jour, une copie du formulaire de requête dûment rempli. Une autre copie a été envoyée par courrier et est parvenue au greffe de la Cour le 2 avril 2009. La requête doit donc être considérée comme ayant été introduite le 28 mars 2009. Dès lors, à supposer même que, comme le voudrait le Gouvernement, le point de départ du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention doive être fixé au 29 septembre 2008, ce délai a de toute manière été respecté.

22. Il s’ensuit que l’exception de tardiveté du Gouvernement ne peut être retenue.

2. L’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes

23. Dans ses observations complémentaires du 17 janvier 2014, le Gouvernement excipe pour la première fois du non-épuisement des voies de recours internes. Si la Cour de cassation a mal appliqué la théorie de l’acte clair et manqué à son obligation de poser une question préjudicielle à la CJUE, le requérant peut selon lui introduire une action en responsabilité extracontractuelle contre l’État devant le juge civil, comme y invitent les arrêts de la CJUE Kobler (30 septembre 2003, affaire C-224/01) et Traghetti del Mediterraneo (13 juin 2006, affaire C-173/03). De telles actions seraient couramment examinées par les juges internes.

24. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 55 de son règlement, si la Partie contractante défenderesse entend soulever une exception d’irrecevabilité, elle doit le faire, pour autant que la nature de l’exception et les circonstances le permettent, dans ses observations écrites ou orales sur la recevabilité de la requête (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 44, CEDH 2002-X). En l’espèce, le Gouvernement n’a soulevé aucune exception de non-épuisement des voies de recours internes dans ses observations du 9 octobre 2013 sur la recevabilité et le fond (dans lesquelles, bien au contraire, il indiquait que l’arrêt de la Cour de cassation « constitue l’épuisement des voies internes »), la question de la non-introduction par le requérant d’une action en responsabilité extracontractuelle contre l’État n’étant abordée pour la première fois que dans ses observations complémentaires et sur la satisfaction équitable. Le Gouvernement ne fournit aucune explication à cet atermoiement et la Cour ne relève aucune circonstance exceptionnelle de nature à l’exonérer de son obligation de soulever toute exception d’irrecevabilité en temps utile.

25. Il s’ensuit que le Gouvernement est forclos à exciper du non-épuisement des voies de recours internes.

3. Autres motifs d’irrecevabilité

26. La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le requérant

27. Le requérant souligne que, dans la mesure où elle était appelée à statuer comme juridiction de dernière instance, la Cour de cassation était tenue de soulever une question préjudicielle en cas de doute quant à l’interprétation du droit communautaire. Or, le requérant fait valoir qu’il avait cité la jurisprudence par laquelle la CJUE avait reconnu un effet direct au principe de non-discrimination en matière de sécurité sociale contenu dans l’accord entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc (et dans d’autres accords conclus par l’Union européenne avec les pays du Maghreb – affaire Kziber, no C-18/90, arrêt du 31 janvier 1991). Cette jurisprudence, initialement développée dans le cadre des accords de coopération, était selon lui « pleinement transposable » aux dispositions pertinentes des accords d’association. La CJUE avait également ajouté, précise-t-il, que son interprétation était conforme aux exigences des articles 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1. Par ailleurs, l’interprétation de la notion de « sécurité sociale » faite par la CJUE était selon lui suffisamment ample pour englober également les prestations d’assistance. Dans ces circonstances, estime le requérant, il n’était pas loisible à la Cour de cassation d’ignorer la demande de question préjudicielle.

28. Le requérant ajoute que la Cour de cassation n’a pas motivé son refus de soulever la question préjudicielle et se serait méprise quant à la dimension « personnelle » et à la dimension « matérielle » du régime de non-discrimination, qui seraient deux notions bien distinctes. Il ajoute que la qualification de l’allocation litigieuse comme relevant de l’« assistance sociale » a été opérée uniquement par rapport au droit interne et non sur la base des critères développés par la CJUE (à savoir le caractère légal et l’ambivalence de la prestation, et le rattachement de cette dernière à l’un des risques énumérés à l’article 4 § 1 du règlement no 1408/71). Ainsi, la portée « communautaire » de cette opération de qualification a selon lui été ignorée. Une analyse du droit européen et de la jurisprudence de la CJUE montre, à ses yeux, que les prestations « non contributives » et financées par l’État ne peuvent pas être automatiquement exclues du champ d’application du régime de non-discrimination établi par l’accord (le requérant cite, par exemple, les affaires Yousfi, no C-58/93, arrêt du 20 avril 1994, relative à l’octroi d’une allocation pour handicapés ; Commission c. Grèce, no C‑185/96, arrêt du 29 octobre 1998, concernant différentes catégories de prestations pour « famille nombreuse » ; Hughes, no C-78/91, arrêt du 16 juillet 1992, ayant pour objet le « family credit » britannique). De l’avis du requérant, ses références à cette jurisprudence auraient dû amener la Cour de cassation soit à inclure elle-même, par analogie, l’allocation qu’il revendiquait dans le champ d’application du règlement no 1408/71, soit à interroger la CJUE, qui ne s’était pas encore prononcée quant à la nature de cette allocation spécifique.

29. Le requérant note également que l’article 13 de la loi no 97 du 6 août 2013 (entrée en vigueur le 4 septembre 2013) a prévu l’extension de l’allocation instituée par l’article 65 de la loi no 448 de 1998 aux ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis de séjour de longue durée. Il ajoute que dans son arrêt no 133 de 2013, la Cour constitutionnelle a jugé déraisonnable et incompatible avec le principe d’égalité devant la loi la condition de résidence de cinq ans sur le territoire d’une région pour le versement d’une allocation régionale ayant un objet similaire (le requérant cite également l’arrêt no 222 de 2013).

b) Le Gouvernement

30. Le Gouvernement expose que la Cour de cassation a expressément examiné le champ d’application de l’Accord euro-méditerranéen et estimé que l’allocation pour les familles comprenant au moins trois enfants mineurs ne pouvait pas rentrer dans la notion de sécurité sociale, même au sens large que celle-ci a au niveau communautaire. La Cour de cassation a donc considéré comme claire la disposition qu’elle devait interpréter ; ce faisant, le Gouvernement estime qu’elle a satisfait à ses obligations sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

31. La Cour rappelle que dans l’affaire Vergauwen c. Belgique et autres ((déc.), no 4832/04, §§ 89-90, 10 avril 2012), elle a exprimé les principes suivants :

– l’article 6 § 1 met à la charge des juridictions internes une obligation de motiver au regard du droit applicable les décisions par lesquelles elles refusent de poser une question préjudicielle ;

– lorsqu’elle est saisie sur ce terrain d’une allégation de violation de l’article 6 § 1, la tâche de la Cour consiste à s’assurer que la décision de refus critiquée devant elle est dûment assortie de tels motifs ;

– s’il lui revient de procéder rigoureusement à cette vérification, il ne lui appartient pas de connaître d’éventuelles erreurs qu’auraient commises les juridictions internes dans l’interprétation ou l’application du droit pertinent ;

– dans le cadre spécifique du troisième alinéa de l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne (soit l’actuel article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union (TFUE)), cela signifie que les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne sont tenues, lorsqu’elles refusent de saisir la CJUE à titre préjudiciel d’une question relative à l’interprétation du droit de l’UE soulevée devant elles, de motiver leur refus au regard des exceptions prévues par la jurisprudence de la Cour de justice. Il leur faut donc indiquer les raisons pour lesquelles elles considèrent que la question n’est pas pertinente, ou que la disposition de droit de l’UE en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la CJUE, ou encore que l’application correcte du droit de l’UE s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

32. En l’espèce, le requérant a demandé à la Cour de cassation de poser à la CJUE la question préjudicielle de savoir si l’article 65 de l’Accord euro-méditerranéen permettait de refuser à un travailleur tunisien l’allocation de foyer familial prévue par l’article 65 de la loi no 448 de 1998 (paragraphes 10 et 12 ci-dessus). Ses décisions n’étant susceptibles d’aucun recours juridictionnel en droit interne, la Cour de cassation avait l’obligation de motiver son refus de poser la question préjudicielle au regard des exceptions prévues par la jurisprudence de la CJUE.

33. La Cour a examiné l’arrêt de la Cour de cassation du 15 avril 2008 sans y trouver aucune référence à la demande de renvoi préjudiciel formulée par le requérant et aux raisons pour lesquelles il a été considéré que la question soulevée ne méritait pas d’être transmise à la CJUE. La motivation de l’arrêt litigieux ne permet donc pas d’établir si cette question a été considérée comme non pertinente, ou comme relative à une disposition claire ou déjà interprétée par la CJUE, ou bien si elle a été simplement ignorée (voir, a contrario, Vergauwen, précité, § 91, où la Cour a constaté que la Cour constitutionnelle belge avait dûment motivé son refus de poser des questions préjudicielles). À cet égard, la Cour observe que le raisonnement de la Cour de cassation ne contient aucune référence à la jurisprudence de la CJUE.

34. Ce constat suffit pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8

35. Le requérant estime avoir été victime d’une discrimination fondée sur sa nationalité pour l’obtention du bénéfice de l’allocation prévue par l’article 65 de la loi no 448 de 1998.

Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention, ainsi libellés :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

a) Le requérant

36. Le requérant se réfère à la jurisprudence de la Cour (citant, notamment, les arrêts Gaygusuz c. Autriche, 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV ; Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, Recueil 1998-II ; Niedzwiecki c. Allemagne, no 58453/00, 25 octobre 2005 ; Okpisz c. Allemagne, no 59140/00, 25 octobre 2005 ; Weller c. Hongrie, no 44399/05, 31 mars 2009 ; Fawsie c. Grèce, no 40080/07, 28 octobre 2010 ; et Saidoun c. Grèce, no 40083/07, 28 octobre 2010). Il expose que l’allocation en question concrétise le droit à une contribution financière au maintien de la vie familiale des familles nombreuses aux faibles revenus. Sa mise en place trouverait sa source dans un acte volontaire de l’État basé sur le constat que les familles nombreuses sont exposées à des frais plus importants, principalement liés à l’entretien et à l’éducation des enfants.

Le requérant conteste la thèse du Gouvernement selon laquelle cette allocation relèverait de l’assistance sociale. Se fondant sur une analyse de l’évolution du régime des allocations familiales en Italie, il considère qu’elle vise en réalité à améliorer les prestations spécifiques versées aux travailleurs. La Cour aurait à plusieurs reprises jugé que des « prestations sociales » similaires permettaient à l’État de « témoigner son respect pour la vie familiale au sens de l’article 8 », et rentraient donc dans le champ d’application de cette disposition ou bien dans celui de l’article 1 du Protocole no 1, et ce indépendamment du versement préalable de cotisations de la part du bénéficiaire (voir, notamment, Stec et autres c. Royaume-Uni [GC] (déc.), nos 65731/01 et 65900/01, §§ 49-56, CEDH 2005-X).

37. Le requérant note que le seul obstacle à l’octroi de l’allocation était sa nationalité, ce qui s’analyserait en une discrimination par rapport aux citoyens italiens se trouvant dans une situation financière et familiale comparable à la sienne.

b) Le Gouvernement

38. Le Gouvernement considère que l’objet de la requête n’entre pas dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention, l’allocation d’assistance sociale revendiquée par le requérant n’ayant pas un caractère « primaire ».

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’applicabilité de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8

39. Comme la Cour l’a constamment déclaré, l’article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention et de ses Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses (voir, parmi beaucoup d’autres, Van Raalte c. Pays-Bas, 21 février 1997, § 33, Recueil 1997-I ; Petrovic, précité, § 22 ; et Zarb Adami c. Malte, no 17209/02, § 42, CEDH 2006-VIII).

40. La Cour estime d’abord que le refus des autorités d’accorder au requérant l’allocation litigieuse ne visait pas à briser sa vie familiale et n’a pas eu cet effet, l’article 8 n’imposant pas aux États une obligation positive de fournir l’assistance financière en question (Petrovic, précité, § 26 ; Zeïbek c. Grèce, no 46368/06, § 32, 9 juillet 2009 ; et Fawsie, précité, § 27).

41. Néanmoins, la Cour a déjà jugé que l’attribution de l’allocation pour famille nombreuse permet à l’État de « témoigner son respect pour la vie familiale » au sens de l’article 8 de la Convention et tombe donc sous l’empire de ce dernier (Okpisz, précité, § 32 ; Niedzwiecki, précité, § 31 ; Fawsie, précité, § 28 ; et Saidoun, précité, § 29 ; voir également, mutatis mutandis, Petrovic, précité, §§ 27-29 – à propos d’une allocation de congé parental –, et Weller, précité, § 29 – à propos d’une allocation de maternité). L’objet de la requête tombe donc sous l’empire de l’article 8 de la Convention. L’article 14 trouve dès lors à s’appliquer.

b) Autres motifs d’irrecevabilité

42. La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, et ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le requérant

43. Le requérant observe que le Gouvernement justifie la différence de traitement entre lui et les ressortissants de l’Union européenne et/ou les réfugiés par la qualification donnée à l’allocation (qui relèverait de l’ « assistance sociale »), ainsi que par les coûts financiers qu’entraînerait l’extension éventuelle de son bénéfice à de nouvelles catégories de personnes. Or, selon lui, pareilles justifications sont insuffisantes au regard de la Convention et de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne.

Le requérant concède que dans l’affaire Ponomaryovi c. Bulgarie (no 5335/05, § 54, CEDH 2011) la Cour a estimé que le traitement préférentiel dont bénéficient les nationaux des États membres de l’Union européenne repose sur une justification objective et raisonnable, l’Union européenne constituant un ordre juridique particulier, qui a en outre établi sa propre citoyenneté. Cependant, il faut selon lui tenir compte du fait que les ressortissants non communautaires contribuent eux aussi activement aux ressources du pays, notamment par le surcroît de cotisations qu’ils apportent aux assurances sociales et par leur assujettissement à l’impôt sur le revenu. Le requérant ajoute que la discrimination dont il a été victime était fondée sur la nationalité, et non sur un statut qui lui aurait été conféré par la loi au regard du droit des étrangers (il mentionne, a contrario, Bah c. Royaume-Uni, no 56328/07, CEDH 2011). Par ailleurs, il conviendrait de rappeler que la directive CE 109/2003 vise à garantir l’intégration des ressortissants des pays tiers durablement installés dans un État membre.

b) Le Gouvernement

44. Le Gouvernement expose que l’extension du bénéfice de l’allocation litigieuse a été refusée uniquement pour des raisons budgétaires, et non pour des raisons discriminatoires.

2. Appréciation de la Cour

b) Principes généraux

45. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour qu’une question se pose au regard de l’article 14, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables. Une telle différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (X et autres c. Autriche [GC], no 19010/07, § 98, CEDH 2013, et Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 76, CEDH 2013). La notion de discrimination au sens de l’article 14 englobe également les cas dans lesquels un individu ou un groupe se voit, sans justification adéquate, moins bien traité qu’un autre, même si la Convention ne requiert pas le traitement plus favorable (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 82, série A no 94).

46. Par ailleurs, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des différences de traitement (X et autres c. Autriche, précité, § 98, et Vallianatos et autres c. Grèce, précité, § 76). L’étendue de cette marge d’appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte, mais il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention. Une ample latitude est d’ordinaire laissée à l’État pour prendre des mesures d’ordre général en matière économique ou sociale (Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 60, CEDH 2008 ; Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], no 42184/05, § 61, CEDH 2010 ; Şerife Yiğit c. Turquie [GC], no 3976/05, § 70, 2 novembre 2010 ; et Stummer c. Autriche [GC], no 37452/02, § 89, CEDH 2011). Toutefois, seules des considérations très fortes peuvent amener la Cour à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement exclusivement fondée sur la nationalité (Gaygusuz, précité, § 42 ; Koua Poirrez c. France, no 40892/98, § 46, CEDH 2003-X ; Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 87, CEDH 2009 ; et Ponomaryovi, précité, § 52).

47. La Convention étant avant tout un mécanisme de protection des droits de l’homme, la Cour doit en outre tenir compte de l’évolution de la situation dans les États contractants et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre (Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 126, CEDH 2012, et Fabris c. France [GC], no 16574/08, § 56, CEDH 2013).

b) Sur le point de savoir s’il y a eu différence de traitement entre des personnes se trouvant dans des situations similaires

48. Aux yeux de la Cour, il ne fait pas de doute que le requérant a été traité de manière différente par rapport aux travailleurs ressortissants de l’Union européenne qui, comme lui, avaient une famille nombreuse. En effet, à la différence de ces derniers, le requérant n’avait pas droit à l’allocation familiale prévue par l’article 65 de la loi no 448 de 1998. Le Gouvernement ne le conteste d’ailleurs pas.

49. La Cour observe de surcroît que le refus d’accorder au requérant le bénéfice de cette allocation avait pour fondement exclusif la nationalité de l’intéressé, qui à l’époque n’était pas ressortissant d’un État membre de l’Union européenne. En effet, il n’a pas été allégué que le requérant ne remplissait pas les autres conditions légales pour l’attribution de la prestation sociale en question. À l’évidence, il a donc, en raison d’une caractéristique personnelle, été moins bien traité que d’autres individus se trouvant dans une situation analogue (voir, mutatis mutandis, Ponomaryovi, précité, § 50).

c) Sur le point de savoir s’il existait une justification objective et raisonnable

50. La Cour relève que dans plusieurs affaires précitées similaires à la présente (Niedzwiecki ; Okpisz ; Weller ; Fawsie ; et Saidoun) et qui concernaient également l’octroi de prestations sociales à des familles d’étrangers, la Cour a conclu à une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8, du fait que les autorités n’avaient pas donné de justification raisonnable à la pratique consistant à exclure de certaines allocations les étrangers légalement installés sur le territoire de ces États, sur la seule base de leur nationalité.

51. Notamment, dans les affaires Fawsie et Saidoun précitées, qui, à l’instar de la présente, concernaient l’allocation pour famille nombreuse, son constat de violation se fondait, en particulier, sur le fait que les requérantes et les membres de leurs familles s’étaient vu reconnaître le statut de réfugié politique et que le critère choisi par le Gouvernement (qui s’était en l’occurrence essentiellement attaché à la nationalité ou à l’origine grecque des intéressés) pour déterminer les bénéficiaires de l’allocation ne semblait pas pertinent à la lumière du but légitime poursuivi (à savoir, faire face au problème démographique du pays).

52. La Cour considère que des considérations analogues s’appliquent, mutatis mutandis, en l’espèce. Elle note à cet égard qu’à l’époque des faits le requérant était titulaire d’un permis de séjour et de travail régulier en Italie, et qu’il était assuré auprès de l’INPS (paragraphe 6 ci-dessus). Il payait des contributions à cet organe d’assurance au même titre et sur la même base que les travailleurs ressortissants de l’Union européenne (voir, mutatis mutandis, Gaygusuz, précité, § 46). L’intéressé n’était pas un étranger séjournant sur le territoire pour une courte durée ou en violation de la législation sur l’immigration. Il n’appartenait donc pas à la catégorie des personnes qui, en règle générale, ne contribuent pas au financement des services publics et pour lesquelles un État peut avoir des raisons légitimes de restreindre l’usage de services publics coûteux – tels que les programmes d’assurances sociales, d’allocations publiques et de soins (voir, mutatis mutandis, Ponomaryovi, précité, § 54).

53. Quant aux « raisons budgétaires » avancées par le Gouvernement (paragraphe 44 ci-dessus), la Cour reconnaît que la protection des intérêts budgétaires de l’État constitue un but légitime de la distinction litigieuse. Ce but ne saurait toutefois, à lui seul, justifier la différence de traitement dénoncée. Il reste à établir s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le but légitime susmentionné et les moyens employés en l’occurrence. À cet égard, la Cour rappelle que le refus des autorités nationales d’accorder au requérant le bénéfice de l’allocation familiale repose exclusivement sur le constat qu’il ne possédait pas la nationalité d’un État membre de l’Union européenne. Il n’est pas contesté qu’un citoyen d’un tel État se trouvant dans les mêmes conditions que le requérant se verrait accorder l’allocation litigieuse. La nationalité constitue donc le seul et unique critère de la distinction en cause ; or la Cour rappelle que seules des considérations très fortes peuvent l’amener à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement exclusivement fondée sur la nationalité (paragraphe 46 ci-dessus). Dans ces circonstances, et nonobstant la grande marge d’appréciation dont bénéficient les autorités nationales en matière de sécurité sociale, l’argument invoqué par le Gouvernement ne suffit pas à convaincre la Cour de l’existence, dans la présente affaire, d’un rapport raisonnable de proportionnalité qui rendrait la distinction critiquée conforme aux exigences de l’article 14 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Andrejeva, précité, §§ 86-89).

d) Conclusion

54. Compte tenu de ce qui précède, la justification avancée par le Gouvernement ne paraît pas raisonnable et la différence de traitement constatée s’avère ainsi discriminatoire au sens de l’article 14 de la Convention. Il y a donc eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

55. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

56. Le requérant réclame 9 416,05 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi. Ce montant correspondrait aux allocations non perçues de 1999 à 2004 (8 016,05 EUR), augmentées des intérêts légaux (1 400 EUR).

57. Il demande en outre l’octroi d’une réparation pour dommage moral, sans en indiquer le montant.

58. Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations sur ce point.

59. La Cour relève qu’elle a conclu à la violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8, en raison du fait que le refus d’octroyer au requérant l’allocation familiale prévue à l’article 65 de la loi no 448 de 1998 s’analysait en une discrimination fondée sur la nationalité. Dès lors, le préjudice matériel subi par le requérant correspond au montant des allocations non perçues – dont le calcul n’a pas été contesté par le Gouvernement, soit 8 016,05 EUR. À cette somme devant s’ajouter les intérêts légaux, la Cour octroie au requérant le montant qu’il sollicite, soit 9 416,05 EUR.

60. La Cour considère en outre que le requérant a subi un tort moral certain. Compte tenu des éléments en sa possession, la Cour décide d’octroyer à l’intéressé la somme de 10 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

61. Le requérant n’a formulé aucune demande de remboursement des frais et dépens engagés devant la Cour et/ou devant les juridictions internes. Par conséquent, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu de lui allouer une somme à cet égard.

C. Intérêts moratoires

62. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8 ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 9 416,05 EUR (neuf mille quatre cent seize euros et cinq centimes) pour dommage matériel ;

ii) 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente

* * *

[1] Dans la version italienne du texte : « previdenza sociale ».


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