La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/03/2017 | CEDH | N°001-171970

CEDH | CEDH, AFFAIRE LOULI-GEORGOPOULOU c. GRÈCE, 2017, 001-171970


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LOULI-GEORGOPOULOU c. GRÈCE

(Requête no 22756/09)

ARRÊT

STRASBOURG

16 mars 2017

DÉFINITIF

16/06/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Louli-Georgopoulou c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Ledi Bianku,
Aleš Pejchal, >Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du c...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LOULI-GEORGOPOULOU c. GRÈCE

(Requête no 22756/09)

ARRÊT

STRASBOURG

16 mars 2017

DÉFINITIF

16/06/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Louli-Georgopoulou c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Ledi Bianku,
Aleš Pejchal,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 février 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. Á l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22756/09) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Dionysia Louli-Georgopoulou (« la requérante »), a saisi la Cour le 6 avril 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Mes A. Anagnostakis et A. A. Anagnostakis, avocats à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. K. Georgiadis, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat, et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. La requérante allègue en particulier une violation de son droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

4. Le 29 avril 2010, le grief tiré de l’article 6 § 1 a été communiqué au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1925 et réside à Athènes.

A. La requête no 43374/06 et l’arrêt rendu par la Cour le 31 juillet 2008

6. Le 23 mai 2002, la requérante déposa en son nom propre et en tant que représentante légale de son mari, qui souffrait de sénilité, une plainte contre trois individus pour escroquerie. Elle les accusait d’avoir dupé son mari et d’avoir réussi à détourner une grande partie de leurs dépôts bancaires communs. Des poursuites pénales furent alors engagées contre ces personnes et la requérante se constitua partie civile en réclamant la somme de quarante-quatre euros.

7. Le 1er août 2003, le mari de la requérante décéda.

8. Le 20 novembre 2003, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes décida de ne pas renvoyer les accusés en jugement (ordonnance no 5066/2003).

9. Le 4 décembre 2003, la requérante déclara devant le greffier du tribunal correctionnel qu’elle interjetait appel de l’ordonnance susmentionnée en tant que partie civile. A cet effet, elle déposa un mémoire, qui mentionnait qu’elle interjetait appel en son nom propre et en tant qu’unique héritière de son mari. Le greffier dressa et signa le procès-verbal de dépôt, dans lequel il indiqua que l’appel était formé par « Dionysia, veuve Themistokli Louli ».

10. Le 21 avril 2004, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes fit partiellement droit au recours et renvoya I.M., l’un des accusés, en jugement (ordonnance no 780/2004). Le 7 mai 2004, I.M. se pourvut en cassation.

11. Le 5 avril 2006, la chambre d’accusation de la Cour de cassation considéra que l’appel contre l’ordonnance no 5066/2003 était irrecevable car il était formé par une personne qui n’avait pas qualité pour agir. En particulier, la Cour de cassation nota que la requérante avait interjeté appel « en tant que partie civile », sans toutefois préciser si elle exerçait ce recours en son nom propre ou en sa qualité de représentante légale de son mari. Or, selon la haute juridiction :

« La [requérante] n’avait pas le droit d’interjeter appel en son nom propre car elle n’était pas directement victime du vol dénoncé, puisqu’elle n’était pas propriétaire ou en possession de l’argent constituant l’objet du vol, même si [le mari de la requérante] avait retiré cet argent de leur compte commun. De plus, [la requérante] n’avait pas le droit d’interjeter appel en tant qu’héritière de son mari/de la victime, car cette qualité ne ressort pas du procès-verbal de l’appel, sa citation en tant que veuve Themistokli Louli ne suffisant pas. »

12. Dès lors, la Cour de cassation cassa l’ordonnance attaquée (ordonnance no 814/2006).

13. Le 4 octobre 2006, la requérante saisit la Cour, en vertu de l’article 34 de la Convention.

14. Par un arrêt du 31 juillet 2008 (Louli c. Grèce, no 43374/06), la Cour déclara la requête recevable et conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au regard du droit de la requérante d’avoir accès à un tribunal. La Cour considéra qu’indépendamment de la question de savoir à qui incombait la responsabilité de l’omission de mentionner expressis verbis dans le procès-verbal la double qualité en laquelle agissait la requérante, question controversée entre les parties, les éléments susmentionnés lui suffisaient pour conclure que la Cour de cassation avait fait en l’occurrence preuve de formalisme excessif, ce qui avait entraîné l’irrecevabilité de l’appel formé par la requérante, l’empêchant ainsi dans les faits de se prévaloir de cette voie de recours que lui offrait le droit interne. Statuant sur l’application de l’article 41 de la Convention, elle condamna la Grèce à verser à la requérante une somme de 5 000 euros au titre du dommage moral.

B. La suite des procédures devant les instances grecques

1. La demande de révision

15. Le 5 novembre 2008, sur la base de l’arrêt de la Cour, la requérante demanda au procureur près la Cour de cassation de rouvrir la procédure pénale contre I.M.

16. Le 3 octobre 2008, le procureur rejeta cette demande, au motif que le code de procédure pénale ne prévoit pas la révision du procès à l’encontre d’une personne acquittée par la chambre d’accusation, même lorsque la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que la Cour de cassation avait fait preuve de formalisme excessif dans l’interprétation des règles applicables.

2. Le second procès contre I.M. pour une autre affaire de fraude contre feu le mari de la requérante

17. Le 5 mai 2008, débuta devant la cour d’assises d’Athènes un nouveau procès contre I.M. pour une autre affaire de fraude envers Themistoklis Loulis. Au début de l’audience, la requérante se constitua partie civile. A cet effet, elle affirme avoir produit devant le tribunal l’acte de décès de son mari, le testament de ce dernier la désignant comme son unique héritière, la décision du tribunal de première instance d’Athènes prononçant la validité du testament et son enregistrement au registre spécial du tribunal, une attestation du greffier du même tribunal qu’aucun autre testament du défunt n’avait été publié, une attestation du fisc certifiant qu’elle avait déposé la déclaration relative à l’impôt sur les successions, ainsi que l’acceptation de l’héritage de feu son mari par acte notarial. La requérante affirme par ailleurs avoir expressément déclaré qu’elle se constituait partie civile en tant qu’héritière de son mari, mais que la greffière du tribunal omit de le mentionner dans le procès-verbal.

18. Le 26 juin 2008, la cour d’assises déclara I.M. coupable et le condamna à une peine de quinze ans de réclusion criminelle. Le tribunal le condamna en outre à verser à la requérante, en sa qualité d’héritière de la victime, 44 euros au titre du dommage moral (jugement no 3532/2008).

19. À la page 2 du procès-verbal de l’audience, il était précisé :

« A ce moment du procès, Dionysia Louli-Georgopoulou, domiciliée à Athènes, s’est présentée et a déclaré qu’elle comparaissait comme partie civile pour se voir accorder une indemnité de 44 euros au titre du dommage moral qui lui a été causé par l’infraction litigieuse. »

20. Dans ses motifs, l’arrêt contenait le considérant suivant :

« Considérant que l’accusé doit verser la somme de 44 euros (...) à la partie civile en sa qualité d’héritière de Themistoklis Loulis, qui s’était constituée partie civile lors de l’instruction, le 12 mars 2002 (...). »

21. L’accusé, I.M., interjeta appel contre ce jugement.

22. L’audience devant la cour d’appel d’Athènes, siégeant en formation de cinq juges, débuta le 21 janvier 2009. La requérante déclara qu’elle se constituait partie civile en son nom propre et en tant qu’unique héritière de son mari, justificatifs à l’appui. Le lendemain, la cour d’appel déclara irrecevable la constitution de partie civile de la requérante, au motif que sa constitution de partie civile lors de l’audience en première instance n’était pas valide, puisqu’elle n’avait pas déclaré qu’elle agissait en tant qu’héritière de son mari (arrêt no 206A/2009).

23. Le 28 janvier 2009, la requérante déposa une demande de rectification du procès-verbal de l’arrêt no 3532/2008 de la cour d’assises, afin d’y faire inclure qu’elle s’était constituée partie civile en tant qu’héritière de son mari. Dans l’attente de cette décision, la cour d’appel d’Athènes ajourna le procès en appel d’I.M. (arrêt no 213/2009).

24. Le 4 mars 2009, la présidente de la cour d’assises refusa la rectification du procès-verbal du jugement no 3532/2008, au motif qu’il ne ressortait d’aucun élément du dossier que la requérante avait déclaré solennellement qu’elle agissait en tant qu’héritière de son mari (paragraphe 27 ci-dessous). La présidente souligna que l’examen du compte rendu de l’audience, établi par la greffière, ne démontrait pas que la requérante avait fait une telle déclaration. En outre, il n’était pas établi qu’une telle déclaration figurait dans un document du dossier et qui aurait été égaré, comme le soutenait la requérante. La présidente admit que la cour d’assises avait accepté la constitution de partie civile de la requérante en sa qualité d’héritière, mais estima que cette acceptation était fondée sur l’ensemble des éléments du dossier et témoignait de la volonté de la cour d’assises de ne pas faire preuve de formalisme excessif dans l’examen de la recevabilité de la constitution de partie civile de la requérante (décision no 1249/2009).

25. À une date non précisée, la cour d’appel d’Athènes, siégeant en formation de cinq juges, condamna I.M. à une peine de réclusion de six ans pour fraude et à une peine d’emprisonnement de deux ans pour soustraction de fausse déclaration. Elle rejeta aussi la demande de la requérante tendant à la révocation des décisions susmentionnées de la même juridiction de la reconnaître comme partie civile (arrêts no 1843/2009 sur la condamnation et no 887/2009 sur la qualité de partie civile de la requérante).

26. Par un arrêt no 1277/2010, du 24 juin 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi d’I.M. contre l’arrêt de la cour d’appel d’Athènes, siégeant en formation de cinq juges, ainsi que le pourvoi de la requérante contre ce même arrêt concernant la non-reconnaissance de sa qualité de partie civile. La Cour de cassation déclara irrecevable le pourvoi de la requérante au motif que celle-ci n’avait pas qualité pour agir et introduire donc le pourvoi.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

27. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale disposent :

Article 63 – Constitution de partie civile

La constitution de partie civile pour la réparation du préjudice résultant de l’infraction ou pour l’obtention d’une satisfaction pécuniaire pour dommage moral (...) peut être faite devant la juridiction pénale selon les dispositions du code civil. (...)

Article 68 – Exercice et manifestation de la partie civile

« 1. Celui qui a le droit de se constituer partie civile peut toujours tenter de satisfaire ses prétentions à indemnisation à l’audience devant la juridiction pénale, jusqu’au début du stade de l’administration de preuves (...), et lorsqu’il a notifié à l’accusé une copie du dossier conformément aux dispositions du code de procédure civile et dans le délai prévu par l’article 167 [du présent code].

2. Par voie d’exception, celui qui selon le code civil a droit à une indemnité pour dommage moral (...), peut soumettre ses prétentions à la juridiction pénale jusqu’au début du stade de l’administration des preuves, sans procédure préalable écrite. »

Article 167 – Délai pour la notification de la constitution de partie civile

« La notification de la constitution de partie civile à l’accusé ou au civilement responsable doit être faite au moins cinq jours avant l’audience. »

Article 171

« Les cas de nullité qui sont pris en considération d’office par le tribunal, à tout stade de la procédure, ainsi que devant la Cour de cassation, sont les suivants :

1) le non-respect des dispositions qui déterminent : a) la composition du tribunal, conformément aux dispositions spécifiques du code des tribunaux et de la loi relative aux cours d’assises et ayant trait à la nullité pour mauvaise composition du tribunal ; b) l’engagement des poursuites pénales par le procureur et sa participation obligatoire à l’audience et aux actes d’instruction fixés par la loi ; c) la suspension des poursuites dans les cas prévus par la loi ;

2) la comparution illégale de la partie civile à l’audience. »

Article 525

« 1) La procédure pénale qui a pris fin par une décision irrévocable est rouverte, dans l’intérêt du condamné pour crime ou délit, seulement dans les cas suivants : (...) e) si la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation d’un droit relatif au caractère équitable de la procédure suivie ou à la disposition substantielle appliquée. »

Article 526

« À l’encontre de celui qui a été acquitté pour crime ou délit par une décision irrévocable, la procédure pénale est rouverte seulement a) s’il a été constaté que de faux documents ou d’autres preuves ou la corruption (...) d’un magistrat ou d’un juré ayant participé à l’acquittement ont exercé une influence décisive sur la décision d’acquittement et b) s’il n’y a pas eu depuis l’acquittement, prescription du caractère condamnable de l’acte. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

28. Invoquant l’article 46 de la Convention, la requérante se plaint du refus des autorités nationales de rouvrir le premier procès engagé contre I.M., sur la base de l’arrêt de la Cour Louli c. Grèce, précité, en date du 31 juillet 2008.

29. La Cour réitère que, si elle n’est pas soulevée dans le cadre de la « procédure en manquement » prévue à l’article 46 §§ 4 et 5 de la Convention, la question du respect par les Hautes Parties Contractantes des arrêts de la Cour échappe à la compétence de celle-ci. L’article 46 § 2 de la Convention donne au Comité des Ministres le pouvoir de surveiller l’exécution des arrêts de la Cour et d’apprécier les mesures prises par les États défendeurs. (Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 33, 5 février 2015). La Cour constate que la procédure de surveillance de l’exécution de l’arrêt Louli c. Grèce précité est toujours pendante devant le Comité des Ministres.

30. Toutefois, le rôle que joue le Comité des Ministres dans le cadre de l’exécution des arrêts de la Cour n’empêche pas celle-ci d’examiner une nouvelle requête portant sur des mesures prises par un État défendeur en exécution de l’un de ses arrêts si cette requête renferme des éléments pertinents nouveaux touchant des questions non tranchées dans l’arrêt initial (Bochan précité, § 33), ce qui est le cas en l’espèce.

31. Il s’ensuit que ce grief de la requérante, pour autant qu’il concerne le refus de redressement de la violation constatée par la Cour dans son arrêt de 2008, est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

32. La requérante se plaint d’une violation de son droit à un tribunal, en ce que la cour d’appel d’Athènes a fait preuve de formalisme excessif en déclarant irrecevable sa constitution de partie civile au motif qu’il manquait au procès-verbal de l’audience en première instance le mot « héritière », alors que cette qualité ressortait sans équivoque de toutes les pièces du dossier. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

A. Sur la recevabilité

33. La Cour rappelle que la Convention ne reconnaît pas en soi le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers. Pour entrer dans le champ de la Convention, ce droit doit impérativement aller de pair avec l’exercice par la victime de son droit d’intenter l’action, par nature civile, offerte par le droit interne, ne serait-ce qu’en vue de l’obtention d’une réparation symbolique ou de la protection d’un droit de caractère civil (Perez c. France [GC], no 47287/99, § 70, CEDH 2004‑I).

34. Il ressort de cette jurisprudence que l’article 6 § 1 de la Convention s’applique aux procédures relatives aux plaintes avec constitution de partie civile dès l’acte de constitution de partie civile, à moins que la victime ait renoncé de manière non équivoque à l’exercice de son droit à réparation (voir Perez, précité, § 66).

35. En l’occurrence, la requérante s’est constituée partie civile, pour une somme équivalant à quarante-quatre euros, dans une procédure pénale relative à des accusations d’escroquerie. Partant, l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous son volet civil. En outre, la procédure revêt un caractère patrimonial, ce qui ressort de la somme de quarante-quatre euros, si symbolique soit-elle, pour laquelle la requérante s’est constituée partie civile.

36. La Cour constate, par ailleurs, que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

37. La requérante soutient que devant la juridiction de première instance, lorsqu’elle a déclaré qu’elle comparaissait comme partie civile, elle a précisé expressément sa qualité d’héritière, mais que le greffier a omis de le transcrire dans le procès-verbal. Quoi qu’il en soit, les documents qu’elle avait produits et qui ont été lus à l’audience démontraient cette qualité.

38. Le Gouvernement souligne que la prétention pécuniaire d’un héritier au titre d’un supposé dommage moral ne constitue pas une prétention autonome, indépendante de celle du défunt, mais la continuation de celle-ci. Pour cette raison, pour que l’héritier puisse soumettre valablement cette prétention, il doit déclarer et prouver sa qualité d’héritier, selon les termes du droit civil. L’indication de cette qualité conditionne le locus standi de l’héritier et l’omission de le faire ne peut pas être réparée par le dépôt de documents ne pouvant, tout au plus, que suggérer cette qualité, et cela quelle que soit leur nature. Cette omission entraîne l’illégalité de la constitution de partie civile car il n’est pas démontré qu’elle est faite par une personne autorisée par la législation pertinente. L’omission de l’héritier d’une partie civile décédée de déclarer à l’audience sa qualité d’héritier ne peut qu’entraîner un constat de défaut de qualité pour agir de l’héritier. Cette exigence, qui a pour but d’assurer la sécurité juridique et le bon fonctionnement de la justice, ne constitue en aucun cas un obstacle à l’accès à un tribunal, tel que garanti par l’article 6 § 1.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

39. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d’autres, García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36, CEDH 2000‑II). Par ailleurs, le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d’autres, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, § 34). En effet, le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir la substance de son litige tranchée par la juridiction compétente.

40. La Cour rappelle enfin que la réglementation relative aux formalités pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que les règles soient appliquées (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 33, CEDH 2000-I).

41. À ce jour, la Cour a conclu à plusieurs reprises que l’application par les juridictions internes de formalités à respecter pour former un recours est susceptible de violer le droit d’accès à un tribunal. Il en est ainsi quand l’interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche, de fait, l’examen au fond du recours exercé par l’intéressé (Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 69, CEDH 2002-IX ; Zvolský et Zvolská c. République tchèque, no 46129/99, § 55, CEDH 2002‑IX ; Vamvakas c. Grèce, no 36970/06, § 29, 16 octobre 2008 ; Kallergis c. Grèce, no 37349/07, § 18, 2 avril 2009 ; Kontantinos Petropoulos c. Grèce, no 55484/07, § 21, 15 octobre 2009).

b) Application des principes en l’espèce

42. En l’espèce, la Cour note que, par son arrêt du 22 janvier 2009, la cour d’appel d’Athènes a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la requérante, au motif que sa constitution de partie civile lors de l’audience en première instance n’était pas valable, puisqu’elle n’avait pas déclaré qu’elle agissait en tant qu’héritière de son mari. Le 4 mars 2009, la présidente de la cour d’assises, saisie par la requérante, a refusé la rectification du procès-verbal du jugement de première instance au motif qu’il ne ressortait d’aucun élément du dossier que la requérante avait déclaré solennellement qu’elle agissait en tant qu’héritière de son mari.

43. À n’en pas douter, l’irrecevabilité de l’appel prononcée par la cour d’appel d’Athènes a constitué une limitation du droit d’accès à un tribunal de la requérante. Pour vérifier si cette limitation imposée se concilie avec l’article 6 § 1, la Cour se penchera sur la proportionnalité de celle-ci par rapport aux exigences de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice.

44. À cet égard, la Cour note que le 5 mai 2008, au début de l’audience devant la cour d’assises d’Athènes, la requérante, en se constituant partie civile, a déposé les documents suivants : l’acte de décès de son mari, le testament de ce dernier la désignant comme son unique héritière, la décision du tribunal de première instance d’Athènes concluant à la validité du testament et à son enregistrement au registre spécial du tribunal, une attestation du greffier du même tribunal qu’aucun autre testament du défunt n’avait été publié, une attestation du fisc certifiant qu’elle avait déposé la déclaration relative à l’impôt sur les successions, ainsi que l’acceptation de l’héritage de feu son mari par acte notarial. Même si dans le procès-verbal de l’audience il est nulle part indiqué que la requérante agissait en tant qu’héritière de feu son mari, dans ses considérants, la cour d’assises a conclu que l’accusé devait verser la somme de 44 euros à la requérante partie civile en sa qualité d’héritière de Themistoklis Loulis, lequel s’était constitué partie civile lors de l’instruction.

45. En rejetant la demande de rectification du procès-verbal du jugement, la présidente de la cour d’assises a elle-même souligné que l’acceptation de la constitution de partie civile de la requérante était fondée sur l’ensemble des éléments du dossier et témoignait de la volonté de la cour d’assises de ne pas faire preuve de formalisme excessif dans l’examen de la recevabilité de celle-ci.

46. Dans ses conditions, la Cour n’aperçoit pas pour quelle raison la cour d’appel d’Athènes a décidé d’infirmer la conclusion de la cour d’assises quant à la qualité d’héritière de la requérante, qui ne prêtait à aucun doute et à aucune controverse, compte tenu des éléments du dossier et de la volonté manifeste de la cour d’assises d’éviter d’assortir le procès d’un formalisme rigide ne servant les intérêts d’aucune des parties à la procédure.

47. La Cour considère qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel d’Athènes a empêché la requérante de se prévaloir d’une voie de recours que lui offrait le droit interne (voir en ce sens, Boulougouras c. Grèce, no 66294/01, 7 mai 2004). Par ailleurs, ni la cour d’appel statuant en formation de cinq juges, ni la Cour de cassation n’ont par la suite remédié à cette situation.

48. A la lumière des considérations qui précèdent, la Cour estime qu’en l’espèce, la limitation au droit d’accès à un tribunal imposée par les juridictions grecques n’était pas proportionnée au but de garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice et a porté atteinte à l’essence même de ce droit.

49. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

50. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

51. La requérante réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.

52. Le Gouvernement considère que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

53. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 3 000 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

54. La Cour note que la requérante ne présente aucune demande de remboursement des frais et dépens. Elle ne lui accorde donc aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

55. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 mars 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Renata DegenerKristina Pardalos
Greffière adjointePrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-171970
Date de la décision : 16/03/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : LOULI-GEORGOPOULOU
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ANAGNOSTAKIS A. ; ANAGNOSTAKIS A.-A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award