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29/05/2006 | FRANCE | N°CRD;05;082

France | France, Cour de cassation, Commission reparation detention, 29 mai 2006, CRD et suivants


INFIRMATION PARTIELLE ET REJET des recours formés par M. Eric X..., l'agent judiciaire du Trésor, contre la décision du premier président de la cour d'appel de Nancy en date du 25 novembre 2005 qui lui a alloué une indemnité de 248 911 euros au titre du préjudice financier subi et une indemnité de 35 000 euros au titre du préjudice moral sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale ; outre une somme de 500 euros par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,

Attendu que, par

décision du 25 novembre 2005, le premier président de la cour d'appel d...

INFIRMATION PARTIELLE ET REJET des recours formés par M. Eric X..., l'agent judiciaire du Trésor, contre la décision du premier président de la cour d'appel de Nancy en date du 25 novembre 2005 qui lui a alloué une indemnité de 248 911 euros au titre du préjudice financier subi et une indemnité de 35 000 euros au titre du préjudice moral sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale ; outre une somme de 500 euros par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,

Attendu que, par décision du 25 novembre 2005, le premier président de la cour d'appel de Nancy a alloué à M. X... une indemnité de 248 911 euros en réparation de son préjudice matériel, une indemnité de 35 000 euros en réparation de son préjudice moral et 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à raison d'une détention de un an, sept mois et huit jours effectuée du 10 mars 2003 au 21 octobre 2004 pour des faits ayant donné lieu à une décision d'acquittement devenue définitive ;

Que M. X... a régulièrement formé un recours contre cette décision tendant à obtenir les sommes de 286 622 euros, au titre du préjudice matériel, 800 000 euros au titre du préjudice moral et 10 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Que l'agent judiciaire du Trésor a également formé un recours limité à certains postes du préjudice matériel, en sollicitant le rejet des demandes d'indemnisation de la perte du " compte épargne temps ", et de celle due au " blocage de carrière ", et la réduction à 11 744,41 euros de la somme destinée à compenser la " perte de cotisations retraite " ;

Que le procureur général ne s'oppose pas à une réévaluation du préjudice moral, et, sur le préjudice matériel, sollicite la confirmation de la décision déférée, sauf en ce qui concerne la somme allouée au titre de la perte de cotisations retraite, adoptant sur ce point le calcul présenté par l'agent judiciaire du Trésor ;

Vu les articles 149 et 150 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, moral et matériel directement lié à la privation de liberté ;

Sur le préjudice matériel :

Attendu que M. X... demande désormais :

- 286 622 euros, au titre du préjudice matériel se décomposant ainsi :

- 107 770,85 euros, pour " perte de rémunérations " ;

- 53 303 euros, pour " perte de bénéfice du compte épargne temps-retraite " ;

- 21 768,68 euros, pour " perte de salaires blocage de l'évolution de carrière " ;

- 100 000 euros, pour " perte de bénéfice du versement des cotisations aux caisses de retraite " ;

- 3 779,47 euros, pour " frais de déménagement " ;

- 800 000 euros au titre du préjudice moral ;

- 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, en sus de la somme déjà allouée à ce titre ;

Sur la perte de rémunération :

Attendu que la somme allouée à ce titre en première instance ne fait pas l'objet de contestation devant la commission nationale ; que seule reste en discussion l'application sollicitée par M. X..., à la somme arrêtée par le premier président, d'un taux d'intérêt de 3,13 %, calculé selon une méthode " généralement appliquée dans le cadre d'une pension alimentaire ", pour tenir compte du temps écoulé ; que cependant cette indexation, réservée aux dettes dont le paiement a vocation à s'échelonner dans le temps, n'est pas applicable en matière d'indemnisation fondée sur les dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale ;

Sur la perte de bénéfice du compte épargne retraite temps :

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor n'apporte pas d'éléments susceptibles de remettre en cause l'évaluation de ce poste de préjudice par le premier président qui s'est appuyé à ce titre sur les termes clairs et précis de l'attestation du directeur de la gestion de l'encadrement de Sollac Lorraine, en date du 30 novembre 2004 ;

Sur la perte d'avancement :

Attendu qu'il en est de même de l'attestation du même directeur quant à la perte d'avancement ; qu'il résulte suffisamment des éléments du dossier que la détention de M. X... a bloqué l'évolution de sa carrière ; que la somme arrêtée en première instance à ce titre doit être maintenue, sans qu'il y ait lieu, pour les motifs déjà énoncés, de l'affecter du coefficient invoqué par M. X... ;

Sur la perte de bénéfice du versement des cotisations aux caisses de retraite :

Attendu que, durant son incarcération, M. X... n'a pu cotiser ni pour sa retraite de base, ni pour ses retraites complémentaires ; que le préjudice subi s'analyse en une perte de chance d'obtenir les points de retraite qu'il était en droit d'escompter si, n'étant pas incarcéré, il avait pu normalement cotiser ; que ce préjudice ne peut correspondre comme il le demande à la perte de pensions de retraite qu'il aurait pu toucher ; que la commission nationale trouve au dossier les éléments d'appréciation pour arrêter à la somme de 20 000 euros l'indemnisation due au requérant au seul titre de la perte de ces points ; que le recours de l'agent judiciaire est donc fondé de ce chef ;

Sur les frais de déménagement de son épouse :

Attendu que M. X... ne peut prétendre qu'à la réparation d'un préjudice personnel lié à son incarcération, ce qui n'est pas le cas de ce poste de préjudice ;

Sur le préjudice moral :

Attendu que pour obtenir la majoration de l'indemnisation obtenue de ce chef, M. X..., fait valoir qu'il a été éloigné de ses enfants et de son conjoint et que son existence familiale et sa vie conjugale ont été brutalement anéanties par l'incarcération qu'il a subie ; que l'incarcération a été pour lui une épreuve humiliante, ainsi qu'une déchéance morale aux yeux de sa famille, et qu'il a été abandonné par ses amis, collègues ainsi que les personnes qu'il côtoyait dans le cadre de ses fonctions associatives ; qu'il se prévaut encore de l'importance de la condamnation afflictive prononcée par la cour d'assises et de la nature infamante des faits qui lui étaient reprochés, et soutient enfin, qu'outre la durée de la détention elle-même, le délai anormalement long entre le procès de première instance et celui d'appel lui a causé un important préjudice en l'éloignant de la société et en rendant difficile sa réinsertion professionnelle ;

Mais attendu que le préjudice qui serait imputable à un mauvais fonctionnement de l'institution judiciaire ne peut être indemnisé en application des dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale ;

Que compte tenu de l'âge du requérant lors de son incarcération (45 ans), de la durée de celle-ci (cinq cent soixante-dix-huit jours) du choc psychologique enduré, aggravé par la condamnation prononcée par la première cour d'assises avec arrestation à l'audience, de la circonstance que M. X... n'avait pas d'antécédent en matière de privation de liberté, il apparaît que la somme allouée par le premier président assure l'indemnisation intégrale de ce préjudice ;

Sur l'article l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Attendu que l'équité ne commande pas d'allouer à ce titre à M. X... la somme demandée ; dès lors que son recours est rejeté ;

Par ces motifs :

ACCUEILLE le recours de l'agent judiciaire du Trésor du chef de la perte du bénéfice du versement des cotisations aux caisses de retraite et statuant à nouveau ;

ALLOUE à M. Eric X... la somme de 20 000 euros (vingt mille euros) à ce titre ;

REJETTE le recours de M. Eric X... ;

REJETTE le recours de l'agent judiciaire du Trésor pour le surplus ;

REJETTE la demande d'indemnité formée sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Commission reparation detention
Numéro d'arrêt : CRD;05;082
Date de la décision : 29/05/2006
Sens de l'arrêt : Infirmation partielle et rejet

Analyses

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION - Préjudice - Préjudice matériel - Réparation - Préjudice économique - Perte de chance d'obtenir les points de retraite.

Le demandeur n'ayant pu cotiser ni pour sa retraite de base, ni pour ses retraites complémentaires, le préjudice subi s'analyse en une perte de chance d'obtenir les points de retraite qu'il était en droit d'escompter si, n'étant pas incarcéré, il avait pu normalement cotiser, et non en une perte des pensions de retraite qu'il aurait pu percevoir.


Références :

Code de procédure pénale 149, 150

Décision attaquée : Cour d'appel de Nancy, 25 novembre 2005


Publications
Proposition de citation : Cass. Commission reparation detention, 29 mai. 2006, pourvoi n°CRD;05;082, Bull. civ. criminel 2006 CNRD N° 8 p. 27
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles criminel 2006 CNRD N° 8 p. 27

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Gueudet
Avocat général : Avocat général : M. Charpenel.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Breillat.
Avocat(s) : Avocats : Me Robinet, Me Couturier-Heller.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2006:CRD
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