COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 14A
1ère chambre 1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 SEPTEMBRE 2011
R.G. N° 10/01766
AFFAIRE :
S.N.C. HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES (EDITRICE DU MAGAZINE ICI PARIS)
C/
[F] [I]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Février 2010 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° Chambre : 1
N° Section :
N° RG : 09/7395
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- SCP GAS
- SCP BOMMART MINAULT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE ONZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.N.C. HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES (EDITRICE DU MAGAZINE ICI PARIS)
inscrite au RCS de Nanterre sous le numéro 324 286 319
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
représentée par la SCP GAS - N° du dossier 20100182
Rep/assistant : Me Christophe BIGOT (avocat au barreau de PARIS)
APPELANTE
****************
Monsieur [F] [I]
demeurant [Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par la SCP BOMMART MINAULT - N° du dossier 00038166
Rep/assistant : Me Jean ENNOCHI (avocat au barreau de PARIS)
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 27 Juin 2011 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Evelyne LOUYS, conseiller chargé du rapport en présence de Mme Dominique LONNE, conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Bernadette WALLON, président,
Madame Evelyne LOUYS, conseiller,
Madame Dominique LONNE, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,
Le magazine ICI Paris, édité par la société Hachette Filipacchi, a publié dans son numéro 3335 du 2 au 8 juin 2009 page 57 un article intitulé '[J] [W]- C'est officiel avec [F]! ', illustré d'une photographie prise dans le village charentais de [Localité 4] le 23 mai 2009 au cours d'un déjeuner avec les élus municipaux.
Faisant grief à la société Hachette Filipacchi d'avoir, par cette publication, porté atteinte au respect dû à sa vie privée et à son droit à l'image, par acte du 10 juin 2009, M. [F] [I] a saisi le tribunal de grande instance de Nanterre qui, par jugement du 11 février 2010, a :
- condamné la société Hachette Filipacchi à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- condamné la société Hachette Filipacchi aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Appelante de cette décision, la société Hachette Filipacchi, aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 8 juin 2010 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
-débouter M.[F] [I] de ses demandes,
subsidiairement
-dire n'y avoir lieu qu'à une réparation d'ordre purement symbolique,
- condamner M.[F] [I] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Gas, avoués, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
M.[F] [I], par conclusions signifiées en dernier lieu le 19 novembre 2010, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, demande à la cour de:
-confirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déclaré bien fondé en ses demandes,
-l'infirmer sur le quantum des dommages-intérêts alloués,
statuant à nouveau de ce chef,
-condamner la société Hachette Filipacchi à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts,
-ordonner à titre de réparation complémentaire, sous astreinte de 10 000 euros par numéro de retard, la publication d'un communiqué judiciaire en page 57 de l'hebdomadaire ICI Paris qui paraîtra après le prononcé de la décision à intervenir , sur fond blanc portant en caractères rouges d'un centimètre de haut le titre suivant:
'Publication judiciaire à la demande de monsieur [F] [I]'
et rédigé comme suit: 'La cour d'appel de Versailles a, par arrêt en date du ... condamné la société Hachette Filipacchi Associés pour avoir publié dans le n°3335 du magazine ICI Paris daté du 2 juin 2009, un article attentatoire à l'intimité de la vie privée et au droit à l'image de monsieur [F] [I]'.
- condamner la société Hachette Filipacchi à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Hachette Filipacchi aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement sera effectué pour ceux la concernant par la SCP Bommart-MInault, société titulaire d'un office d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 janvier 2011.
MOTIFS
En application de l'article 9 du code civil, tout personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et peut s'opposer à la divulgation d'informations la concernant.
Si l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme garantit l'exercice du droit à l'information des organes de presse, le droit à l'information du public est cependant limité aux événements relevant pour les personnes publiques de la vie officielle et aux révélations livrées par les intéressés ou que justifient une actualité ou un débat d'intérêt général. Un juste équilibre doit être recherché entre la liberté d'information garantie, sous réserve du droit des tiers, par l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme et le droit au respect de la vie privée.
Une relation sentimentale relève du domaine de la vie privée et ne peut être exposée au regard du public qu'avec le consentement de l'intéressé qui peut seul fixer les limites de ce qui peut être diffusé par voie de presse à son sujet.
En l'espèce, l'article publié par le magazine ICI Paris, sous prétexte de rendre compte d'une manifestation publique, la visite informelle de la présidente du conseil régional de [Localité 3] dans la localité de [Localité 4], accompagnée de M.[F] [I], consacre l'intégralité du propos à la prétendue relation sentimentale entre Mme [W] et ce dernier et fait état des liens affectifs supposés entre eux. L'article indique que le maire du village, lequel précise qu'il ignorait le nom du monsieur accompagnant la présidente et n'avait pas eu l'indiscrétion de le demander, a été sans le savoir le 'témoin d'un scoop politico-people', que 'c'était la première fois que l'ancienne candidate PS à la présidentielle présentait officiellement son nouveau compagnon, [F] [I]', 'qu'elle posait avec lui sans réticence', qu'elle 'n'a plus envie de cacher son bonheur'.
Le texte de l'article démontre que, contrairement aux affirmations de l'auteur, Mme [W] n'a nullement présenté M.[I] comme son compagnon puisque le maire de [Localité 4] ignorait jusqu'au nom de ce dernier, qu'il ne s'agissait donc pas d'une présentation officielle. Par ailleurs la photographie qui l'illustre ne révèle aucune proximité entre les intéressés; ils sont assis à table l'un à côté de l'autre sans que leur attitude laisse transparaître la nature de leur relation.
Aucun motif d'actualité ne justifie ces intrusions dans la vie privée de M.[I] . L'article litigieux est entièrement consacré à la vie sentimentale réelle ou supposée de M.[F] [I] et de Mme [J] [W], laquelle relève de leur stricte intimité et il n'obéit à aucun objectif d'information légitime du public .
Chacun dispose sur son image d'un droit lui permettant de s'opposer à sa fixation, sa reproduction ou à son utilisation sans son autorisation.
L'article est illustré d'une photographie, exclusivement centrée sur le couple, recadrée , la photographie originale montrant la présence d'autres personnes autour de la table, représentant Mme [W] et M.[I]; côte à côte. Cette photographie n'a pas été prise à l'insu de l'intéressé, bien qu'il ait tenté de s'écarter du champ de prise de vue et se montre très réservé, mais elle est détournée de son contexte de fixation car il ne s'agit pas de rendre compte du déplacement de la présidente du conseil régional de [Localité 3] dans la commune de [Localité 4] mais seulement de révéler au public la relation sentimentale réelle ou supposée entre Mme [W] et M.[I].
Il s'ensuit que cet article, tant par son texte que par son illustration destinée à accréditer les supputations développées par le journaliste, porte une atteinte caractérisée aux droits fondamentaux en s'immisçant dans la sphère la plus intime de sa vie. Cette publication ne peut être légitimée par les précédents articles publiés par la presse française, non consentis par l'intéressé, et dont il a fait reconnaître le caractère illicite à plusieurs reprises avant même la parution du numéro litigieux.
C'est par une exacte appréciation des faits de la cause que le tribunal a retenu l'atteinte à la vie privée et au droit à l'image. Le jugement sera confirmé de ce chef.
La seule constatation de l'atteinte au respect dû à la vie privée et au droit à l'image ouvre droit à réparation dont la forme est laissée à la libre appréciation du juge qui tient de l'article 9 du code civil, le pouvoir de prendre toute mesure propre à empêcher ou à faire cesser l'atteinte ainsi qu'à en réparer le préjudice en proportion des atteintes retenues au sens de la Convention européenne des droits de l'homme.
Le préjudice subi doit s'apprécier à la date de la publication litigieuse. M.[I] justifie, par le témoignage de proches et un certificat médical de son médecin, que la réitération de publications relatives à sa relation avec Mme [W] est à l'origine d'un état de stress important invalidant, qu'il est très perturbé par l'intrusion des médias dans sa vie privée, laquelle se poursuit en dépit de sa volonté, manifestée à deux reprises par lettres du 4 mars 2009 et 18 mai 2009, de s'opposer à la publication d'articles attentatoires à sa vie privée.
Il convient de porter à 10 000 euros le montant des dommages-intérêts dus à M.[F] [I]. Le jugement déféré sera infirmé sur le quantum des dommages-intérêts alloués.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de publication judiciaire non justifiée en l'espèce, le préjudice subi étant suffisamment réparé par l'octroi de dommages-intérêts.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives au quantum des dommages-intérêts alloués à M.[F] [I],
L'infirme de ce chef,
Condamne la société Hachette Filipacchi à payer à M.[F] [I] la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,
Condamne la société Hachette Filipacchi à payer à M.[F] [I] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel,
Condamne la société Hachette Filipacchi aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Bommart-Minault, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Evelyne LOUYS, conseiller lors des débats et du délibéré, et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le CONSEILLER,