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15/02/2011 | FRANCE | N°09/04288

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6ème chambre, 15 février 2011, 09/04288


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES







Code nac : 80A



6ème chambre







ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 FEVRIER 2011



R.G. N° 09/04288



AFFAIRE :



[S] [V]



C/



S.A.S. DELOITTE CONSEIL









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Novembre 2009 par le Conseil de Prud'hommes de NANTERRE

Section : Encadrement

N° RG : 08/2970





Copies exéc

utoires délivrées à :



Me Nicolas SAUVAGE



Me Eric BORYSEWICZ



Me Catherine SAINT GENIEST





Copies certifiées conformes délivrées à :



[S] [V]



S.A.S. DELOITTE CONSEIL



le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





LE QUINZE FEVRIER DEUX MIL...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6ème chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 FEVRIER 2011

R.G. N° 09/04288

AFFAIRE :

[S] [V]

C/

S.A.S. DELOITTE CONSEIL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Novembre 2009 par le Conseil de Prud'hommes de NANTERRE

Section : Encadrement

N° RG : 08/2970

Copies exécutoires délivrées à :

Me Nicolas SAUVAGE

Me Eric BORYSEWICZ

Me Catherine SAINT GENIEST

Copies certifiées conformes délivrées à :

[S] [V]

S.A.S. DELOITTE CONSEIL

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE FEVRIER DEUX MILLE ONZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [S] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Non comparant

Représenté par Me Nicolas SAUVAGE, avocat au barreau de PARIS, et par Me Eric BORYSEWICZ, avocat au barreau de PARIS

DEMANDEUR AU CONTREDIT

****************

S.A.S. DELOITTE CONSEIL

[Adresse 1]

[Localité 4]

Non comparante

Représentée par Me Dominique BORDES substituant Me Catherine SAINT GENIEST, avocat au barreau de PARIS

DÉFENDERESSE AU CONTREDIT

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Décembre 2010, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-Marc DAUGE, président

Madame Claude FOURNIER, conseiller

Madame Mariella LUXARDO, conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MAREVILLE,

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [V] a été engagé par la société BW DELOITTE le 3 août 2001 en qualité d'actuaire, et accède aux fonctions de Senior Manager, statut cadre, position 3.2, coefficient 210 suivant un avenant du 11 octobre 2005 ;

Le 22 juin 2007, Monsieur [V] a signé un document intitulé Charte associative DELOITTE, version du 6 octobre 2005 ;

Son contrat de travail a été transféré à la société DELOITTE CONSEIL, le 19 octobre 2007 à la suite de la fusion-absorption de la société BW DELOITTE ;

Par courrier du 24 juillet 2008, Monsieur [V] a démissionné de la société DELOITTE CONSEIL ;

Par lettres des 30 juillet 2008 et 7 octobre 2008, la société DELOITTE CONSEIL rappelait à Monsieur [V] son obligation de loyauté à l'égard de la Firme et de ses associés, lui demandant de respecter les dispositions de la Charte associative ;

Par déclaration reçue au greffe le 13 octobre 2008, Monsieur [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre et demandé la convocation de la société DELOITTE CONSEIL, en vue de :

- voir prononcer la nullité de diverses dispositions de la Charte associative : nullité du préavis de 6 mois, nullité de la clause de non-concurrence non rémunérée et de la clause de non-débauchage, nullité de la sanction du non-respect de non-concurrence ;

- obtenir le paiement du salaire variable au titre des années 2007-2008 et 2008-2009 ;

La société DELOITTE CONSEIL a conclu devant le Conseil, à titre principal, à l'incompétence du Conseil de prud'hommes pour statuer sur la validité des clauses contenues dans la Charte associative, et a reconventionnellement sollicité la désignation d'un expert informatique pour examiner les disques durs saisis les 15, 16 et 17 octobre 2008, et condamner Monsieur [V] au paiement d'une provision de 150.000 euros au titre de la violation avérée des obligations auxquelles il était soumis en sa qualité de salarié ;

Par jugement du 4 novembre 2009, le conseil de prud'hommes de Nanterre s'est déclaré compétent sur toutes les demandes issues et résultant du contrat de travail et rien que du contrat de travail ;

La cour est saisie d'un contredit régulièrement formé par Monsieur [V] contre cette décision ; initialement appelée à l'audience du 3 mai 2010, l'affaire a été renvoyée en formation collégiale à la demande de la société DELOITTE CONSEIL, au 14 décembre 2010 ;

Par requête du 1er décembre 2009, Monsieur [V] a également formé une requête en interprétation auprès du conseil de prud'hommes de Nanterre concernant sa décision du 4 novembre 2009 ; le conseil de prud'hommes a, par jugement du 4 mai 2010, refusé de se livrer à l'interprétation sollicitée au motif que la décision, objet de la requête en interprétation, a été déférée à la cour d'appel ;

Entre temps, la société DELOITTE SA a mis en oeuvre la procédure d'arbitrage, par courrier du 20 mai 2009, sur le fondement de la clause compromissoire prévue à l'article VII de la Charte associative DELOITTE ;

Par une sentence du 13 juillet 2010, le tribunal arbitral a décidé :

- que la qualité d'associé ou actionnaire, acquise à l'égard de DELOITTE SA du fait de la Charte associative, pouvait être cumulée avec celle de salarié au sein de l'une des sociétés du groupe DELOITTE,

- que la Charte créait une relation juridique par nature différente du contrat de travail,

- qu'elle n'était pas l'accessoire du contrat de travail,

- que les demandes présentées par DELOITTE SA n'étaient pas relatives à l'exécution du contrat de travail,

- que l'exception d'incompétence devait être rejetée,

et condamné Monsieur [V] in solidum avec Monsieur [R] au paiement de diverses sommes en raison de la violation de leurs obligations d'associés ;

Monsieur [V], par écritures visées par le greffier et soutenues oralement, demande à la Cour de :

dire que la Charte constitue dans son intégralité ou tout au moins pour partie, un avenant à son contrat de travail et, ce faisant, déclarer le juge prud'homal compétent pour connaître de son application,

déclarer nulle et non écrite la clause compromissoire prévue à l'article VII de la charte dès lors que le litige porte sur la validité, l'interprétation ou l'exécution des dispositions qualifiées d'avenant au contrat de travail,

user de son droit d'évocation et en conséquence déclarer la nullité de plusieurs dispositions de la Charte et condamner la société DELOITTE CONSEIL à lui verser diverses sommes à titre de rappel de salaire variable et de dommages et intérêts pour privation d'une liberté fondamentale,

condamner la société DELOITTE CONSEIL à lui verser 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

en exposant essentiellement :

Sur la nature de la Charte associative :

- à titre principal, que la Charte constitue dans son intégralité un avenant au contrat de travail, la Firme désignant l'ensemble des entreprises membres du Réseau international DELOITTE TOUCHE TOHMATSU, parmi lesquelles figure DELOITTE CONSEIL, les Associés étant nécessairement salariés d'une des sociétés de la Firme, et les Actionnaires, salariés ou prestataires de services de l'une des sociétés ;

- que la signature de la Charte constitue une condition à la promotion d'un salarié en application de l'article I.1.2 de la Charte, l'Associé ne détenant aucuns droits sociaux, mais est seulement un cadre salarié disposant de hautes fonctions avec délégation de signature ;

- que la nomination d'un Associé en tant qu'Actionnaire constitue la promotion ultime d'un salarié, l'Associé promu en qualité d'Actionnaire étant contraint d'acheter des actions de la Firme, sous peine de se voir rétrograder au poste de Senior manager ;

- que la Charte fixe les éléments constitutifs du contrat de travail, à savoir la fourniture d'un travail, le paiement d'une rémunération, et l'existence d'un lien de subordination ;

- que les modalités de la rémunération prévues par l'article II.8.1 de la Charte, sont identiques à la rémunération perçue, en ce qui concerne la prime d'objectifs, la prime de 13ème mois et le salaire mensuel moyen effectivement perçu ;

- que le lien de subordination est caractérisé par l'existence de directives (article II.1.1 de la Charte), une délégation de signature sous le contrôle des organes dirigeants (article II.1.2), des objectifs assignés à chaque Associé ou Actionnaire, évalués annuellement, et l'existence de sanctions pour le non-respect des objectifs sur plusieurs exercices, en comparaison avec la réalisation des objectifs des autres Associés ou Actionnaires(Article II.5) ;

- que l'ensemble des sociétés de la Firme ont la qualité de co- employeurs, le pouvoir de direction étant partagé entre ces différentes sociétés ;

- que la Direction Générale de la Firme organise l'exercice et le contrôle des activités, fixe les objectifs des activités et évalue les Associés, par le biais des memoranda relatifs au processus d'évaluation (Article V.2.4 de la Charte) ;

- que le Conseil d'Administration de la Firme participe au processus d'évaluation des performances et des objectifs des Associés par le biais des Fiches ELPA portant sur les objectifs et la rémunération ;

- que la Firme définie par la Charte, n'a pas de personnalité juridique propre, et recouvre en réalité l'ensemble des sociétés la composant, avec une identité de direction, une identité des sièges sociaux et des locaux pour la quasi-totalité des 20 sociétés de la Firme, une identité d'activités et d'intérêts, une identité des moyens d'exploitation ;

- A titre subsidiaire, que la Charte constitue, en partie, un avenant au contrat de travail ;

- que la Charte distingue deux catégories distinctes d'obligations: celles afférentes aux Associés et Actionnaires dans l'exercice de leur fonctions professionnelles salariées et celles afférentes aux Actionnaires en leur qualité de porteurs de parts ou d'actions ;

- que la plupart des clauses communes aux Associés et aux Actionnaires valent avenant au contrat de travail, et qu'il convient d'exclure quelques dispositions éparses visant le rachat des actions des Actionnaires ;

Sur la nullité des clauses contenues dans la Charte :

- que la clause compromissoire prévue par l'article VII de la Charte est nulle en application des articles 2060 du Code civile et L.1411-4 du Code du travail ;

- qu'elle serait également nulle au motif qu'elle contrevient au principe d'ordre public d'égalité entre les parties, et viole les dispositions de l'article 6 de la CEDH ;

- qu'en tout état de cause, le tribunal arbitral n'a pas été saisi par DELOITTE CONSEIL mais par DELOITTE SA ;

- que sont également nulles, la clause portant sur le préavis, la clause de non-concurrence et la clause pénale ;

La société DELOITTE CONSEIL, par écritures visées par le greffier et soutenues oralement, demande à la cour de :

confirmer le jugement du 4 novembre 2009,

En conséquence,

renvoyer les parties devant le conseil de prud'hommes de Nanterre afin qu'il statue sur les demandes reconventionnelles de la société DELOITTE CONSEIL relatives à la désignation d'un expert informatique avant dire droit et à la condamnation de Monsieur [V] au paiement d'une provision de 150.000 euros au titre de la violation des obligations contenues dans son contrat de travail,

débouter Monsieur [V] de l'ensemble de ses demandes,

le condamner à verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

en soutenant essentiellement :

- que le contredit formé par Monsieur [V] n'est manifestement pas fondé, le jugement du 4 novembre 2009 étant conforme à l'article L.1411-1 du Code du travail, Monsieur [V] n'ayant formé ce recours, que pour obtenir par la voie du contredit , l'évocation et l'examen des questions de fond ;

- que les arguments qu'il présente devant la Cour, sont exactement les mêmes ;

- que ceux développés devant le tribunal arbitral, selon lesquels la Charte associative constituerait intégralement ou partiellement, un avenant au contrat de travail ;

- que cette demande a déjà été tranchée, en dernier ressort, par la sentence arbitrale du 13 juillet 2010 ;

- que le juge prud'homal n'est pas compétent pour connaître de l'application de la Charte associative DELOITTE qui relève de la seule compétence de la juridiction arbitrale ;

- que Monsieur [V] a formé un recours en annulation à l'encontre de la sentence arbitrale, le 19 août 2010, devant la Cour d'appel de Paris ;

- que ce recours en nullité est limité aux questions précises, indépendantes du fond du litige, listées à l'article 1484 du Code de procédure civile, et ne remet pas en cause le fond de cette sentence, ni en fait, ni en droit ;

- que la société DELOITTE CONSEIL qui n'était pas partie à la procédure arbitrale, peut se prévaloir de la sentence arbitrale, puisque toute sentence arbitrale est opposable aux tiers ;

- que DELOITTE CONSEIL doit tenir compte de la modification de l'ordonnancement juridique créée par la sentence arbitrale exequaturée le 28 juillet 2010 par le Tribunal de Grande Instance de Paris, et notamment, de la qualification juridique que le Tribunal arbitral, a donné à la Charte Associative de DELOITTE en décidant qu'elle n'était pas l'accessoire des contrats de travail ;

- que Monsieur [V] est mal venu à contester devant la Cour d'appel de Versailles, les effets de cette sentence dans la mesure où il était partie à la procédure arbitrale, de sorte que la sentence a autorité de la chose jugée à son égard ;

- que Monsieur [V] a renoncé à faire appel de la sentence arbitrale qui a, de ce fait, été rendue en dernier ressort, en application de l'article 1482 du Code de procédure civile, de l'article VII de la Charte Associative, et en signant le 27 juillet 2009 l'acte de mission des arbitres qui prévoit expressément que ceux-ci statuent en dernier ressort ;

- que par ordonnance du 9 avril 2009, devenue définitive, Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Nanterre a constaté que la clause compromissoire figurant à l'article VII de la Charte Associative de DELOITTE, n'était pas manifestement nulle ;

- que DELOITTE CONSEIL ne sollicite pas de la juridiction prud'homale, l'application des dispositions de la Charte, mais invoque les obligations auxquelles est tenu Monsieur [V] en sa qualité de salarié, alors que les demandes de celui-ci concernent exclusivement la charte associative et relèvent donc exclusivement du tribunal arbitral ;

- que Monsieur [V] ne peut pas demander à la Cour d'appel de Versailles, de se prononcer sur la validité d'une clause compromissoire qui n'a pas été débattue devant le Conseil de prud'hommes, la Cour n'étant pas saisie de l'appel d'un jugement au fond mais d'un jugement qui statue sur sa seule compétence ;

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience du 14 décembre 2010, ainsi qu'aux explications complémentaires rappelées ci-dessus ;

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de rappeler que Monsieur [V] embauché depuis le 3 août 2001 par la société BW DELOITTE aux droits de laquelle se trouve DELOITTE CONSEIL, a saisi le 13 octobre 2008 le Conseil de prud'hommes de Nanterre, aux fins de dire que la Charte associative DELOITTE constitue en tout ou partie un avenant au contrat de travail, et par suite déclarer la nullité de certaines dispositions ; que la société DELOITTE CONSEIL a soulevé à titre principal l'incompétence du Conseil de prud'hommes au motif que seul le tribunal arbitral était compétent pour statuer sur la validité des dispositions contenues dans la Charte associative DELOITTE ;

Par jugement du 4 novembre 2009, le conseil de prud'hommes de Nanterre s'est déclaré compétent sur toutes les demandes issues et résultant du contrat de travail et rien que du contrat de travail ;

Sur l'autorité de la chose jugée attachée à la sentence arbitrale du 13 juillet 2010

En application de l'article 1351du Code civil, l'autorité de la chose jugée est soumise à la triple condition de l'identité des parties, de cause et d'objet du litige ;

En l'espèce, la société DELOITTE CONSEIL sollicite la confirmation du jugement du 4 novembre 2009 au motif que la sentence arbitrale du 13 juillet 2010 serait opposable aux tiers et aurait autorité de la chose jugée ;

Or, il convient de relever que la procédure arbitrale a été mise en 'uvre par la société DELOITTE SA, par courrier du 20 mai 2009 ; que la sentence rendue entre la société DELOITTE SA et Messieurs [V] et [R], ne concerne pas les mêmes parties que celles présentes dans le cadre de l'instance prud'homale, les qualités de Messieurs [V] et [R] étant au surplus différentes puisque le premier a qualité d'Associé au sens de la Charte, et le second d'Actionnaire ; que les demandes présentées devant la Conseil de prud'hommes de Nanterre sont dirigées contre la société DELOITTE CONSEIL ;

En outre, la sentence a fait l'objet d'un recours en annulation devant la Cour d'appel de Paris. Les dispositions de l'article 1484 du Code de procédure civile qui limitent l'objet du recours, réservent toutefois la possibilité de l'annulation en cas de violation d'une règle d'ordre public. Une telle cause d'annulation a vocation à s'appliquer dans les litiges relatifs au contrat de travail ;

Enfin, Monsieur [V] qui a saisi la juridiction prud'homale dès le 13 octobre 2008, a toujours contesté la compétence du Tribunal arbitral, en soulevant la nullité de la clause compromissoire intégrée dans la Charte associative, à la fois dans le cadre de la procédure arbitrale et de la procédure prud'homale ;

Par suite, il convient de constater l'absence d'autorité de la chose jugée attachée à la sentence arbitrale du 13 juillet 2010 ;

Sur le bien-fondé du contredit

En application des articles L.1411-1 et suivants du Code du travail, le Conseil de prud'hommes règle les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient ;

Suivant l'article L.1411-4 alinéa 1, le Conseil de prud'hommes est seul compétent pour connaître de ces différends ; toute convention contraire est réputée non écrite ;

La relation de travail suppose l'existence d'un lien de subordination caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ;

En l'espèce, il ressort des termes de la Charte associative DELOITTE et notamment de l'article 2 intitulé 'portée de la Charte associative' que 'la Charte s'ajoute aux statuts des entreprises composant la Firme. Elle constitue un contrat liant les Associés et Actionnaires de la Firme. Chaque signataire déclare être parfaitement informé de la portée de l'engagement qu'il contracte en vertu de la présente Charte associative. Si des désaccords viennent à se manifester, les Associés et Actionnaires de la Firme s'engagent à s'en remettre à la clause compromissoire stipulée à l'article VII de la Charte'.

Plus précisément, la Charte est un document soumis à la signature des Associés et Actionnaires, dont la définition et le statut sont précisés par la Charte, dans les conditions suivantes :

article I.1.2 : Sont reconnus comme Associés, les professionnels, personnes physiques, bénéficiant, de la part de la Firme, d'une délégation de signature et qui ont le pouvoir à ce titre, de l'engager ;

Les Actionnaires sont les Associés qui détiennent des actions ou des parts dans une des sociétés de la Firme, et qui peuvent choisir soit d'être salarié soit de travailler au titre de prestations de services ;

article I.1.1 : La Firme désigne l'ensemble des entreprises membres du Réseau international DELOITTE TOUCHE TOHMATSU et dont les Associés et les Actionnaires adhèrent à la présente Charte Associative.

Il n'est pas contesté par DELOITTE CONSEIL, que la Firme n'a aucune personnalité juridique ;

article II.1.1 : L'Associé et l'Actionnaire doivent leur entière activité -et de manière exclusive- à la Firme ;

article II.2.1 : Les nouveaux Associés sont choisis parmi les collaborateurs dont les qualités s'harmonisent avec l'esprit de la Firme et qui ont démontré une excellence et des qualités remarquées sur les plans professionnel (technique, diplôme, gestion ... ), gestion des clients et des ressources humaines, comportement associatif (esprit d'équipe) et personnalité (éthique, style, maturité ... ) ;

article II.2.3 : Les demandes d'admission des Associés internes sont présentées généralement par les Responsables d'activité au Président de la Direction Générale ; le Conseil d'Administration prend la décision d'admission, après instruction de la cooptation des nouveaux Associés ;

article II.2.5 : Le Conseil d'Administration décide du passage du statut d'Associé au statut d'Actionnaire, sur proposition du Président de la Direction Générale ; la qualité d'Actionnaire sera définitive lorsque l'apport en capital aura été intégralement versé ;

Il n'est pas contesté par DELOITTE CONSEIL, que la Firme n'a aucune personnalité juridique ;

Par ailleurs, la Charte réglemente directement des questions qui relèvent des relations de travail : article II.5, exclusion ; article II 6, non concurrence ; article II 8, rémunération ; article II.10.4 : sanction de la violation des obligations de non concurrence et de non débauchage.

S'agissant de la rémunération, elle est définie comme la part du résultat perçue annuellement par les Associés et Actionnaires. Elle est déterminée en fonction des performances de l'année précédente, et tient compte notamment de la participation à la bonne marche du groupe, la technicité, l'ancienneté, la qualité de service, la formation des équipes. Elle est payée sous forme de salaires pour les Associés, et pour les Actionnaires elle est payée soit sous forme de salaires pour les Actionnaires salariés, soit sous forme d'honoraires pour les Actionnaires non salariés ;

Il n'est pas contesté par DELOITTE CONSEIL que la prime d'objectifs, la prime de 13ème mois et le salaire mensuel moyen effectivement perçus par Monsieur [V] le 1er juin 2007, ont été conformes à ces modalités de rémunération prévues par la Charte.

Par ailleurs, Monsieur [V] ne possède ni actions, ni parts sociales dans la société qui l'employait ;

Il a saisi le Conseil de prud'hommes de NANTERRE le 13 octobre 2008, pour faire trancher les difficultés qui sont apparues suite à sa démission du 24 juillet 2008, et en réponse aux lettres adressées par son employeur, la société DELOITTE CONSEIL, les 30 juillet 2008 et 7 octobre 2008, lui demandant de respecter les dispositions de la Charte associative.

Il apparaît également que DELOITTE CONSEIL lui a remis une attestation Assedic avec la mention 'Associé', entretenant ainsi la confusion entre le statut de salarié et le statut propre à la Firme d'Associé ; que le Bureau de conciliation a dû enjoindre la remise d'une attestation conforme au statut de salarié ;

Au vu de l'ensemble de ces clauses, il apparaît que la Charte associative DELOITTE se définit comme un Code interne de reconnaissance professionnelle applicable dans l'ensemble des sociétés du groupe DELOITTE, auquel adhèrent les

salariés des sociétés du groupe dès lors qu'ils atteignent un niveau de responsabilité, et qu'ils sont choisis par leur employeur en raison de leur ancienneté et de leurs résultats ;

Par suite, la Charte associative DELOITTE est un élément de la relation de travail et en tant que telle, constitue un avenant au contrat de travail dans son intégralité, dont la validité peut être soumise à l'appréciation de la juridiction prud'homale ;

Seules échappent au Code du travail les dispositions de la Charte applicables aux actionnaires non salariés, qui travaillent pour le compte de l'une des sociétés du groupe en qualité de prestataires de services ; que tel n'est pas le cas de Monsieur [V] qui n'a pas perdu sa qualité de salarié en devenant Associé au sens de la Charte ;

Par ailleurs, le Conseil de prud'hommes n'ayant été saisi que de demandes dirigées contre la société DELOITTE CONSEIL, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la qualité de co-employeur des autres sociétés du groupe DELOITTE ;

Enfin, sur la clause compromissoire, suivant l'article L.1411-4 alinéa 1, le Conseil de prud'hommes est seul compétent pour connaître de ces différends ; toute convention contraire est réputée non écrite ;

En conséquence, et par application de ce texte, la cour, à qui il incombe, statuant sur le contredit de compétence, de trancher ce point du litige qui y est rattaché, déclare inopposable à Monsieur [R] la clause compromissoire, toutefois non nulle en elle-même, figurant à l'article VII de la Charte ;

En tout état de cause, la Cour décide qu'il n'y a pas lieu d'évoquer l'affaire pour statuer sur la validité des clauses de fond contenues dans la Charte, afin de ne pas priver les parties du double degré de juridiction ;

L'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, sera fixée à 2.500 euros ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

STATUANT par arrêt contradictoire, mis à disposition et en dernier ressort,

DÉCLARE le contredit recevable et bien fondé,

DIT que la Charte associative DELOITTE constitue un avenant au contrat de travail dont la validité des dispositions relève de l'appréciation du Conseil de prud'hommes ;

DÉCLARE inopposable à Monsieur [V], la clause compromissoire figurant à l'article VII de la Charte ;

RENVOIE les parties devant le Conseil de Prud'hommes de Nanterre pour débats sur le fond de l'affaire à la plus proche audience ;

ORDONNE la transmission de la procédure au greffe de cette juridiction ;

CONDAMNE la société DELOITTE CONSEIL aux frais du contredit et au paiement d'une indemnité de 2.500 € (DEUX MILLE CINQ CENTS EUROS) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Monsieur Jean-Marc DAUGE, Président, et par Madame Sabine MAREVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 09/04288
Date de la décision : 15/02/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-02-15;09.04288 ?
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