Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort Vu l'assignation en date du 5 avril 2000 par laquelle Bernard X... et 46 autres porteurs du même patronyme sollicitent, sur le fondement des articles 808 et 809 du nouveau code de procédure civile o la suspension immédiate sous astreinte de la diffusion des spots publicitaires entreprise à l'initiative de la société "9 Telecom ; o une mesure de publication dans la presse écrite et sur les chaînes de télévision assurant la diffusion des spots litigieux ; o la condamnation "conjointe et solidaire" des sociétés 9 Telecom et son agence de publicité Ogilvy etamp; Mather à leur payer à chacun la somme de 50 000 francs à titre de provision sur l'indemnisation de leur préjudice et ensemble celle de 20 000 francs au titre des frais hors dépens ; aux motifs que O la publicité met en scène le personnage de monsieur X... dans un contexte de malpropreté, de vulgarité, de bêtise qui contribue à le rendre ridicule et à en présenter une image dégradante et humiliante, constituant ainsi à l'égard des demandeurs une atteinte au droit de la personne et un trouble manifestement illicite ; O la publicité à un effet incitatif qui entraîne à leur égard un phénomène de persécution téléphonique, des railleries, des moqueries, des grossièretés ainsi que des agressions verbales et physiques à l'égard de leurs enfants, le tout traduisant un harcèlement caractérisant à nouveau un trouble manifestement illicite gravement dommageable dans leur vie sociale et professionnelle ; Vu les conclusions déposées le 17 avril 2000 par la société 9 Telecom tendant au rejet de la demande et à l'allocation de la somme de 20 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, aux motifs que o aucune urgence ne justifie la saisine du juge des référés ; o il existe des contestations sérieuses ; o aucun trouble manifestement illicite n'est caractérisé ; o le préjudice allégué est inexistant et l'affaire artificiellement
grossie ; o l'utilisation d'un patronyme dans une oeuvre de fiction ou réalisée pour la publicité n'est fautive que lorsque celui-ci désigne nécessairement une personne ou une famille immédiatement identifiable et que l'utilisation procède d'une volonté de confusion ; o 9 Telecom utilise en l'espèce son propre nom qui lui a été attribué par tirage au sort ; Vu les conclusions déposées le 17 avril 2000 par la société Ogilvy tendant au rejet de l'action entreprise aux motifs que O les demandeurs ne rapportent la preuve ni d'un risque de confusion ni du préjudice ni de l'urgence qu'ils allèguent pour agir en référé ; I Vu les conclusions déposées à l'audience du 2 mai 2000 par lesquelles les demandeurs réfutent les arguments de leurs adversaires et, précisant leur réclamation, sollicitent l'arrêt de la diffusion des spots publicitaires présentant une image ridicule de monsieur X... et mettant en scène le harcèlement téléphonique dont il est victime ; Vu les conclusions de la société Ogilvy tendant à la réfutation des arguments de son contradicteur; DECISION Basée sur le quipropo existant entre le chiffre 9 et le nom patronymique X..., la campagne publicitaire conçue par la société Ogilvy au profit de la société 9 Telecom met en scène au travers de 28 spots différents un personnage de fiction dénommé monsieur X... ;Ce personnage est exposé à une situation de harcèlement téléphonique de la part d'interlocuteurs désireux de rentrer en contact avec le 9 et se trompant de destinataire ; il est caractérisé par le désir na'f qui l'anime de répondre à chacun des appels alors même que ceux-ci le dérangent aux moments les plus intempestifs, ce qui contribue à créer un comique de situation selon le publicitaire et l'annonceur, à dévaloriser et à ridiculiser les personnes portant le nom de X..., selon les demandeurs, ce qui incite les faibles d'esprit à reproduire à leur égard le comportement de harcèlement mis en scène, ce d'autant plus qu'un slogan scande TOUT LE MONDE APPELLE LE 9 ; La campagne
publicitaire s'est déroulée en deux phases La première, du 30 juin au 7 mars a été basée sur 23 saynètes ayant pour point commun de présenter monsieur X... dans une situation de victime de son propre désir de répondre en toutes circonstances aux appels téléphoniques avec une obstination confinant à la bêtise ; Ainsi, à titre d'exemple, il est montré se cognant ou tombant alors que le téléphone le dérange quand il bricole sous son évier et se relève trop tôt, se trouve sur une chaise et perd l'équilibre, se lève dans la nuit et chute ; le personnage devient prisonnier d'un pull qu'il enfile, d'un fauteuil articulé qu'il essaye ; il se fait dérober une saucisse par un chien ou laisse déborder une casserole en allant répondre à un appel ; il fait une lourde chute alors qu'il se trouvait sur des skis dans son salon ; La seconde phase, du 8 mars au 25 juin, en cours actuellement, porte sur un nombre de saynètes réduit à sept dont cinq nouvelles qui ont pour principales caractéristiques de ne plus mettre en scène exclusivement monsieur X... mais également d'autres personnages et de ne plus montrer monsieur X..., lorsqu'il apparaît, dans la situation systématique de harcèlement téléphonique ; Comme l'a reconnu le directeur de création de l'agence Ogilvy, la première phase de la campagne répond à "un choix audacieux" ; L'examen des spots publicitaires, diffusés publiquement et contradictoirement à l'audience permet de considérer que ce choix a consisté à créer un personnage dont les actions sont ridicules et dévalorisantes, ce caractère culminant dans les spots à la connotation scatologique évidente comme - les WC, spot dans lequel on peut voir monsieur X... sortir des toilettes pour répondre au téléphone, retenant son pantalon dégrafé puis y retourner dans la même posture; - le thermomètre, spot dans lequel, par le mouvement qu'il accomplit pour saisir le téléphone qui sonne alors qu'il est au lit, monsieur X... se brise dans l'anus le thermomètre qu'il venait
d'y placer; A la différence de la première phase de la campagne, la seconde gomme le caractère ridicule et dévalorisant de monsieur X... qui n'est plus montré en position de harcèlement téléphonique ; L'action des demandeurs repose expressément sur le trouble manifestement illicite que leur cause la campagne publicitaire ; elle est donc fondée sur l'article 809 du nouveau code de procédure civile ; La mise en oeuvre de ces dispositions ne suppose pas la démonstration préalable de l'urgence et les développements des défendeurs sur ce point sont inopérants ; En jetant le discrédit sur le nom de X... par la représentation d'un personnage qui, jusqu'à l'achèvement de la première phase de la campagne était ridicule et prêtait à rire, les sociétés Ogilvy et 9 Telecom n'ont cherché ni à corriger les moeurs ni à distraire ; elles ont agi dans un but purement commercial dans des conditions de nature à troubler les porteurs du patronyme de X... dans leur vie quotidienne par une modification dévalorisante de leur image favorisant la persécution dont ils se plaignent ; Elles ont ainsi manifestement excédé les limites de la liberté d'expression au détriment des droits de la personnalité des tiers ; Les sociétés Ogilvy et 9 Telecom ne peuvent sérieusement contester la réalité du préjudice allégué par les demandeurs, consistant soit dans des persécutions téléphoniques se rattachant directement au contexte notamment scatologique des spots diffusés, soit dans des railleries quotidiennes ; De nombreuses coupures de presse produites aux débats font état des plaintes émises par des X... auxquels cette publicité "pourrit la vie"; En outre, la société 9 Telecom n'a jamais contesté l'existence du préjudice des personnes qui se sont plaintes auprès d'elle des désagréments éprouvés notamment en matière de persécution téléphonique et leur a ,au contraire, proposé des mesures pour y remédier; Enfin, et de façon spectaculaire, la société Ogilvy a utilisé ce préjudice comme
matière d'un de ses spots, dit du commissariat; On peut en effet y voir des policiers hilares, pouffant de rire au seul motif que monsieur X... vient déposer plainte en raison du harcèlement téléphonique dont il est l'objet ; Dans ces conditions, l'obligation des défendeurs à réparer le préjudice généré par le trouble manifestement illicite dont ils sont responsables, n'est pas sérieusement contestable ; Ils seront condamnés in solidum à payer à chacun des demandeurs une somme de 5000 francs à titre provisionnel ; En revanche, la tonalité de la campagne en cours étant différente de celle de la première phase et ne présentant pas de caractère manifestement illicite, aucune mesure d'interdiction de diffusion ne sera édictée ; Les conditions d'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile sont réunies au profit des demandeurs ; PAR CES MOTIFS Vu les articles 1382 du code civil et 809 du nouveau code de procédure civile ; ' Condamnons les sociétés Ogilvy etamp; Mather et 9 Telecom à payer in solidum à chacun des 47 demandeurs la somme de 5000 francs à titre provisionnel; Rejetons la demande de cessation de diffusion de la campagne publicitaire en cours ; Condamnons in solidum les sociétés Ogilvy etamp; Mather et 9 Telecom à payer aux demandeurs la somme globale de 15 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; Condamnons in solidum les défendeurs aux dépens. Ont signé Le greffier Le président