FAITS ET PROCEDURE,
Suivant acte notarié en date du 27 septembre 1995, Monsieur X... et Madame Y... ont acquis pour moitié chacun auprès des consorts ROUSSEAU, une propriété cadastrée B59, B60, B61 et B62 au lieudit LES AUTELS VILLEVILLON.
Suivant acte notarié en date du 27 avril 1996, Monsieur et Madame Z... ont acquis la parcelle B57 qui jouxte la parcelle B59.
Le 8 octobre 1996, Monsieur X... et Madame Y... ont assigné Monsieur et Madame Z... au possessoire devant le tribunal d'instance de NOGENT LE ROTROU, en vue d'obtenir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, d'une part, le libre accès à leur parcelle B59, à défaut les autoriser à procéder aux opérations nécessaires et d'autre part, l'interdiction du stationnement de tout véhicule et notamment celui des défendeurs, pouvant obstruer cet accès et ce, sous astreinte, ainsi que le paiement, outre des dépens comprenant le coût du constat d'huissier, de la somme de 10.000 Francs de dommages-intérêts et de celle de 8.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Monsieur X... et Madame Y... ont exposé que la sortie du garage édifié sur leur parcelle B59 s'effectue par un portail à deux battants refait en 1992, donnant sur une ruelle qui débouche dans la rue principale dite "Grande Rue" ; que Monsieur et Madame Z... ont entrepris des travaux et interdit l'accès à ce portail, en implantant devant une clôture et en tendant une chaîne à l'extrémité de la ruelle devant laquelle ils garent leur véhicule ; que ces faits ont été consignés selon constat d'huissier en date du 8 juin 1996 et ont été reconnus par Monsieur et Madame Z....
Ils ont produit diverses attestations affirmant que le droit de passage litigieux a toujours existé et fait état d'actes de vente antérieurs, ainsi que de leur propre titre qui le mentionnent.
Ils ont rappelé que, selon les usages locaux, une ruelle est réputée commune jusqu'à preuve du contraire.
Monsieur et Madame Z... ont répliqué que le droit de passage n'est pas établi de manière claire et précise par les actes notariés ; qu'en outre, le remembrement de 1986, dont le procès-verbal ne souligne aucune servitude de passage, a purgé toutes celles qui auraient pu exister ; qu'aucune des deux propriétés n'est enclavée et que toutes deux ont accès à la "Grande Rue".
A titre reconventionnel, ils ont donc sollicité la condamnation de Monsieur X... et Madame Y... à leur payer la somme de 20.000 Francs à titre de dommages-intérêts et celle de 10.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par jugement en date du 18 juillet 1997, le tribunal d'instance de NOGENT LE ROTROU a débouté Monsieur X... et Madame Y... de l'intégralité de leur demandes, Monsieur et Madame Z... de leur demande en paiement de dommages-intérêts et les parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, tout en condamnant les demandeurs aux dépens.
Le 20 octobre 1997, Monsieur X... et Madame Y... ont interjeté appel.
Ils reprennent leurs arguments de première instance.
Ils reprochent au premier juge d'avoir opéré le cumul référentiel du possessoire et du pétitoire, en violation des dispositions de l'article 1265 du nouveau code de procédure civile. Ils déclarent se prévaloir d'une possession paisible, publique et annale troublée par des faits contraires, de sorte qu'ils sont fondés en leur action uniquement possessoire. Ils ajoutent que la preuve de la servitude de passage est rapportée par les titres respectifs des parties.
Ils demandent à la Cour de :
- déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par Madame Solange Y... et Monsieur Guiseppe X...,
Y faisant droit,
- infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau,
Vu les articles 2282 et suivants du code civil et les articles 1264 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile,
- ordonner la suppression par les époux Z... des trois piquets de bois et les jambes de force qui les soutiennent, du grillage fixé sur ces trois piquets, plantés devant le portail en fer à deux battants, ainsi que la chaîne tendue entre le premier piquet et le mur de la maison des époux Z..., leur permettant d'accéder à leur garage, et au besoin autoriser les concluants à faire enlever lesdits éléments, faute pour les époux Z... de l'avoir fait dans les 24 heures de l'arrêt à intervenir,
- interdire aux époux Z... de garer tout véhicule, y compris le leur, sur la ruelle, sous astreinte pour manquement constaté de 1.000 Francs par jour,
- condamner les époux Z... à payer à Madame Y... et a Monsieur X... la somme de 10.000 francs pour trouble possessoire, et celle de 8.000 francs pour les troubles de santé subis du fait de leurs agissements,
- condamner Monsieur Jean-Luc RAPY et Madame Karine Z... à porter et
payer aux concluants la somme de 15.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- condamner Monsieur Jean-Luc Z... et Madame Karine, en tous les dépens, qui comprendront les frais du constat du 8 juin 1996,
- dire que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS ET ASSOCIES, titulaire d'un office d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Monsieur et Madame Z... répondent que la Cour de cassation a précisé à plusieurs reprises que les servitudes discontinues non apparentes sont insusceptibles de protection possessoire lorsqu'elles ne reposent sur aucun titre ; que les appelants évitent de démontrer que leur droit de passage, servitude discontinue ou non apparente en application des dispositions des articles 691 et 682 du code civil, a fait l'objet d'un titre. Ils développent les arguments présentés devant le tribunal.
Ils demandent à la Cour de :
- recevant les époux Z... en leurs conclusions ; les y déclarant bien-fondés ; y faisant droit :
- débouter les consorts Y...-X... de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté les consorts X.../Y... de leur action possessoire,
Et, statuant à nouveau,
- recevant les époux Z... en leur appel incident,
- les y déclarant bien fondés,
- condamner les consorts Y.../X... à payer aux concluants la somme de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamner les mêmes à payer aux concluants la somme de 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Laurent BOMMART, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
L'ordonnance de clôture a été signée le 7 octobre 1999 et l'affaire plaidée à l'audience du 19 octobre 1999.
SUR CE, LA COUR,
Considérant que s'il est de droit constant que les servitudes discontinues et non apparentes, lorsqu'elles ne reposent sur aucun titre, sont exclues de la protection possessoire, il est tout aussi constant que les servitudes discontinues mais apparentes en bénéficient ; que de même, il est de droit constant que l'action en réintégration, qui suppose une dépossession par voie de fait, peut avoir pour objet une servitude de passage, même ne reposant pas sur un titre ;
Considérant qu'en l'espèce, les appelants produisent un procès-verbal de constat d'huissier en date du 8 juin 1996 ; qu'il ressort de ce procès-verbal et des photographies annexées que le portail donnant accès à la parcelle B59, comporte deux battants en fer sur lequel est fixé un grillage ; qu'il est supporté par deux poteaux en béton fixés au sol ; que devant ce portail, à une distance comprise entre 93 et 36 centimètres, ont été plantés trois piquets de bois, d'une hauteur de 1,40 mètres environ, le premier étant soutenu par une jambe de force et un grillage étant fixé sur ces trois piquets ; qu'enfin, une chaîne est tendue entre le premier piquet et le mur de la maison
cadastrée B57 et qu'une voiture immatriculée 491 AEH 92 est stationnée à cet endroit ;
Considérant que Monsieur et Madame Z... ont déclaré à l'huissier avoir édifié l'ouvrage de clôture devant le portail sus-visé, car il n'existerait pas, selon eux, de servitude de passage ;
Considérant qu'il s'agit là, manifestement, d'une voie de fait destinée à empêcher tout passage et non pas seulement d'un trouble possessoire, ce qui ouvre, donc droit à l'action possessoire en réintégration ;
Considérant qu'au surplus, la servitude de passage est en l'espèce matérialisée par un ouvrage apparent, à savoir le portail décrit et photographié par l'huissier ;
Considérant que par conséquent, les intimés ne sont pas fondés à dénier aux appelants le bénéfice de la protection possessoire, au seul motif que, s'agissant d'un droit de passage, ils ne produisent pas de titre ; que Monsieur X... et Madame Y... versent au dossier de la cour, outre le procès-verbal d'huissier sus-visé, de nombreuses attestations qui démontrent que jusqu'à la réalisation de
l'ouvrage de clôture par les époux Z..., ils avaient (soit par eux mêmes, soit par leurs auteurs) la possession publique, paisible et annale du droit de passage par le portail pour accéder à la ruelle donnant sur la Grande rue ; qu'ainsi, l'ancienne propriétaire de la parcelle B59, Madame COURTIN, témoigne qu'elle a utilisé ce droit de passage sans que cela soit contesté par les propriétaires voisins ; que deux voisins confirment ce témoignage quant à l'existence du droit de passage, de même que le maire honoraire de la commune des Autels Villevillon ;
Considérant qu'au surplus, le titre des époux Z..., à savoir l'acte notarié du 27 avril 1996, tout comme l'acte antérieur de vente du 4 juillet 1986 de la parcelle B57 entre les consorts TAVIGNOT et Monsieur SEBAG (auteur des époux Z...) précisent "Monsieur et Madame ROUSSEAU, propriétaires voisins, paraissent avoir un droit de passage au midi de la ruelle dépendant du pré ci-dessus pour entrer avec voiture dans une parcelle de pré leur appartenant cadastrée section B 59, contiguù à celui ci-dessus, en vertu de titres antérieurs au 1er janvier 1956"; que Maître WAECHTER, notaire associé à Brou, a rédigé le 6 décembre 1996, une attestation, par laquelle il déclare que dans un acte antérieur au titre des appelants, le droit de passage était mentionné ; que dans ces conditions, cette servitude étant visée dans leur propre titre, les époux Z... ne sont pas fondés à tout le moins, à prétendre que le procès-verbal de remembrement de 1986, antérieur de 10 ans, aurait purgé ce droit de passage ;
Considérant que les appelants, qui justifient posséder la servitude de passage aux conditions de l'article 1264 du nouveau code de procédure civile, sont donc fondés à réclamer le bénéfice de l'action possessoire en réintégration et à demander qu'il soit ordonné aux époux Z... d'une part, de supprimer l'ouvrage de clôture qui empêche la possession de la servitude de passage et d'autre part, de stationner leur véhicule sur la ruelle, sous astreintes, telles que définies au dispositif ;
Considérant que la cour évalue à la somme de 3.000 Francs le trouble possessoire des appelants; que néanmoins, ces derniers ne démontrent pas que ce trouble aurait entraîné pour eux des ennuis de santé ; que la cour les déboute de ce chef de demande ;
Considérant qu'eu égard à l'équité, il y a lieu d'allouer à Monsieur X... et Madame Y... la somme de 6.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
ET STATUANT A NOUVEAU :
VU les articles 2282 et suivants du code civil et 1264 et suivants du nouveau code de procédure civile ;
DIT que Monsieur X... et Madame Y... bénéficient de la protection possessoire en réintégration concernant la servitude de passage apparente par le portail situé en limite de propriété et la ruelle donnant accès à la Grande Rue ;
ORDONNE la suppression par les époux Z... des trois piquets de bois et des jambes de force qui les soutiennent, du grillage fixé sur ces trois piquets, plantés devant le portail de fer à deux battants, ainsi que de la chaîne tendue entre le premier piquet et le mur de leur maison, afin de permettre à Monsieur X... et Madame Y... d'exercer leur droit de passage par le portail et la ruelle et ce, sous astreinte de 500 Francs par jour passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ;
INTERDIT aux époux Z... de stationner leur véhicule sur la ruelle, sous astreinte de 300 Francs par manquement constaté, passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ;
CONDAMNE Monsieur et Madame Z... à verser à Monsieur X... et Madame Y... la somme de 3.000 Francs (TROIS MILLE FRANCS) en réparation du préjudice occasionné par l'impossibilité d'exercer le droit de passage ;
DEBOUTE Monsieur et Madame Z... des fins de toutes leurs demandes ;
CONDAMNE Monsieur et Madame Z... à payer à Monsieur X... et Madame Y... la somme de 6.000 Francs (SIX MILLE FRANCS) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
LES CONDAMNE à tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement contre eux par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS ET ASSOCIES, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Et ont signé le présent arrêt :
Le Greffier,
Le Président,
B. TANGUY
Alban CHAIX