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27/02/1998 | FRANCE | N°1996-5041

France | France, Cour d'appel de Versailles, 27 février 1998, 1996-5041


Par acte du 07 juin 1984, la Société THE ARAB INVESTMENT COMPANY (T.A.I.C.) a consenti à la Société de droit saoudien AGRIPROJECTS un prêt de 7.000.000 de dollars U.S.

Par acte séparé du même jour, Monsieur Samir A..., Monsieur Omar A... et Madame Diala A... ont garanti l'engagement de l'emprunteur.

Le 14 août 1985, Monsieur Y... Mustapha est devenu associé dans la Société AGRIPROJECTS par l'acquisition de 50 % des parts.

L'emprunteur a été défaillant et T.A.I.C. a poursuivi les garants et Monsieur Y... en qualité d'associé.

Par jugement du 19

mars 1996, le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES a : - condamné Monsieur Samir A.....

Par acte du 07 juin 1984, la Société THE ARAB INVESTMENT COMPANY (T.A.I.C.) a consenti à la Société de droit saoudien AGRIPROJECTS un prêt de 7.000.000 de dollars U.S.

Par acte séparé du même jour, Monsieur Samir A..., Monsieur Omar A... et Madame Diala A... ont garanti l'engagement de l'emprunteur.

Le 14 août 1985, Monsieur Y... Mustapha est devenu associé dans la Société AGRIPROJECTS par l'acquisition de 50 % des parts.

L'emprunteur a été défaillant et T.A.I.C. a poursuivi les garants et Monsieur Y... en qualité d'associé.

Par jugement du 19 mars 1996, le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES a : - condamné Monsieur Samir A... à payer à la Société T.A.I.C. la somme de 7.000.000 de dollars U.S. ou son équivalent en francs français au titre de son engagement de caution, - condamné solidairement Monsieur Y... à payer ladite somme à concurrence de 50 % au titre de sa qualité d'associé, - condamné solidairement Monsieur A... et Monsieur Y... à payer à la Société T.A.I.C. la somme de 10.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, - mis hors de cause Monsieur Omar A... et Madame Diala A....

Monsieur Samir A... et Monsieur Mustapha Y... ont interjeté appel de ce jugement.

La Société T.A.I.C. a formé un appel provoqué contre Omar et Diala A....

Assignés et réassignés, ceux-ci n'ont pas été cités à personne et n'ont pas constitué avoué.

Monsieur Samir A... a fait assigner en intervention forcée Monsieur Mohammad X... AL HATHLAINE.

Celui-ci assigné et réassigné n'a pas été cité à personne et n'a pas constitué avoué.

Monsieur A... demande à la Cour de : - dire que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour connaître du litige et renvoyer la Société T.A.I.C. à mieux se pourvoir devant le tribunal anglais ou le tribunal saoudien désigné dans le clause attributive de compétence signée par les parties, - au cas où la Cour se déclarerait compétente : - déclarer l'action de T.A.I.C. irrecevable sur le fondement des articles 31, 32, 122 et 480 du Nouveau Code de Procédure Civile, - dire, à titre principal, que le Droit anglais, choisi par les parties pour régir leurs rapports est applicable et que par conséquent, les obligations de Monsieur A... se trouvent prescrites, - dire que la Loi saoudienne, dont l'application est revendiquée par T.A.I.C., n'est pas applicable, et qu'en tout état de cause, T.A.I.C. n'a pas démontré que les conditions d'application de l'article 180 de la Loi saoudienne étaient remplies et qu'en tout état de cause cette Loi doit être écartée car contraire à l'ordre public international français, - pour le cas où la Cour aurait un doute sur le Droit applicable et son contenu, désigner un expert avec mission de déterminer la Loi applicable et son contenu, - à titre subsidiaire, déclarer recevable l'action en intervention forcée formée contre Monsieur AL HATHLAINE, - débouter T.A.I.C. de l'ensemble de ses demandes, - si la Cour jugeait la demande de T.A.I.C. bien fondée en son principe, ramener la condamnation prononcée par le Tribunal de Grande Instance au montant de la quote-part de T.A.I.C. dans l'emprunt consenti à la Société AGRIPROJECTS, - condamner T.A.I.C. au paiement d'une somme de 50.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur la compétence, il invoque une clause attributive de compétence contenue dans l'acte de garantie et soutient que cette clause vaut renoncement à se prévaloir d'un privilège de juridiction que ce soit

au titre de l'article 15 du Code Civil ou au titre de l'article 42 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur la qualité pour agir, Monsieur A... soutient, d'une part, que T.A.I.C. ne démontre pas qu'elle a la capacité pour agir et soutient qu'elle n'établit pas que le Syndicat de Banque pour le compte duquel elle agit lui a donné pouvoir d'initier la procédure.

Monsieur A... se prévaut encore d'un jugement rendu par la juridiction saoudienne qui a condamné la Société AGRIPROJECTS seule, alors que la condamnation solidaire de Monsieur A... était également demandée. Il invoque l'autorité de la chose jugée.

Il fait valoir encore que le contrat principal de prêt est nul car ne respectant pas les conditions de validité exigées par la Loi saoudienne, que si la Loi française est applicable, le cautionnement ne remplit pas les conditions prévues par les articles 1326, 2015 et 2022 du Code Civil, enfin, que l'article 180 du code des sociétés saoudien est inapplicable car la preuve n'est pas rapportée que AGRIPROJECTS a subi des pertes ayant atteint les 3/4 de son capital social.

Sur le Droit applicable, il soutient qu'il a été expressément convenu que seul le Droit anglais serait applicable et qu'au regard des règles de Droit anglaises l'action est prescrite (prescription de 6 ans, s'agissant d'un "simple contrat").

Il expose, enfin, que l'article 180 du code des sociétés saoudien n'a pas d'effet rétroactif et n'est entré en vigueur qu'en 1992, soit postérieurement à la date à laquelle la Société AGRIPROJECTS aurait subi la perte par T.A.I.C. lui impute.

En cas de condamnation, Monsieur A... demande à être garanti par Monsieur AL HATHLAINE qui s'était engagé à rembourser le prêt consenti par T.A.I.C.

Monsieur Y... demande à la Cour de : - dire les juridictions

françaises non compétentes pour connaître du présent litige et renvoyer la T.A.I.C. à mieux se pourvoir devant la juridiction anglaise ou saoudienne, ou devant la juridiction du domicile de Monsieur Y... au LIBAN, - déclarer la demande de T.A.I.C. irrecevable sur le fondement des articles 31, 32, et 122 du Nouveau Code de Procédure Civile, - dire que T.A.I.C. n'a pas démontré le bien fondé de ses prétentions au regard de la Loi anglaise, seule applicable et, subsidiairement, au regard de la Loi saoudienne, - dire que l'article 180 de la Loi saoudienne est inapplicable à Monsieur Y..., - subsidiairement, réduire la condamnation à hauteur du montant réel de la créance de T.A.I.C. correspondant à sa quote-part dans l'emprunt consenti à AGRIPROJECTS, - condamner la T.A.I.C. à lui payer une indemnité de 50.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Monsieur Y... développe les mêmes moyens que Monsieur A... mais y ajoute qu'il est domicilié au LIBAN et qu'en tout état de cause, il ne peut être attrait devant une juridiction française.

La T.A.I.C. demande à la Cour de : - dire les tribunaux français compétents pour connaître du litige, - dire la Loi saoudienne seule applicable, - déclarer irrecevable la demande en intervention forcée de Monsieur BEN AL HATHLAINE pour la première fois en appel, - condamner solidairement Samir A..., Omar A... et Diala A... à payer à la T.A.I.C. la somme de 7.000.000 dollars U.S., avec intérêts et frais depuis l'origine jusqu'au 31 décembre 1995 selon attestation "Arthur ANDERSEN", en date du 23 juin 1996, sauf à parfaire jusqu'à parfait paiement et, subsidiairement, avec intérêts au taux légal depuis l'assignation, - condamner conjointement et solidairement au paiement de 7.000.000 dollars U.S., - Samir A..., Omar A... et Diala A... chacun respectivement à hauteur de 30 %, 10 % et 10 % de la dette et ce dans le seul cas où ils ne seraient pas condamnés au

paiement de la dette au titre de l'action de garantie solidaire qu'ils ont souscrit, - Monsieur Mustapha Y..., solidairement à hauteur de 50 %, - condamner solidairement Samir, Omar et Diala A... et Mustapha Y... au paiement d'une indemnité de 50.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur la compétence des juridictions françaises, elle invoque les articles 15 du Code Civil et 42 du Nouveau Code de Procédure Civil et fait valoir que Monsieur A... ne pouvait renoncer par une clause ambige à un privilège de juridiction qu'il n'avait pas au moment où il a souscrit l'acte de garantie ; quant à l'application de l'article 180 du code des sociétés saoudien, elle soutient que la compétence du tribunal du domicile du défendeur s'impose et que l'un des défendeurs étant domicilié à VERSAILLES, le tribunal de ce siège était applicable.

Sur le Droit applicable, elle fait valoir qu'il s'agit du Droit saoudien car les parties au contrat étaient saoudiens et l'objet du contrat était situé en ARABIE SAOUDITE.

S'agissant d'un contrat interne à l'ARABIE SAOUDITE, elle prétend que toute référence à une Loi étrangère et inopérante.

Elle répond qu'elle a qualité pour agir car elle est l'organisme prêteur pour la totalité du montant, que Monsieur A... n'était pas partie, en son nom propre, au procès qui s'est déroulé en ARABIE SAOUDITE, que sa demande est bien fondée tant au titre de l'acte de garantie qui est conforme aux règles du Droit saoudien que de celles du Droit français ou du Droit anglais, que de l'obligation de payer pesant sur les associés en application de l'article 180 alinéa 2 du Décret Royal sur les sociétés commerciales, enfin, que le Droit anglais soumet la prescription à la Loi du for saisi, en l'espèce, la Loi française.

La procédure a été déclarée clôturée le 27 novembre 1997.

La veille, Monsieur A... avait fait signifier de nouvelles conclusions en réponse.

La T.A.I.C. a demandé le rejet des débats de ces conclusions.

MOTIFS DE L'ARRET

Attendu que l'arrêt sera réputé contradictoire;

Attendu que la T.A.I.C. a été en mesure de répondre aux conclusions signifiées par Monsieur A... le 26 novembre 1997;

Qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats ces conclusions ;

Attendu que l'action engagée par T.A.I.C. a deux fondements juridiques différents (la garantie donnée par les Consorts A... et la qualité d'associé de Messieurs A... et Y...) qu'il convient d'examiner séparément ; I - SUR LA GARANTIE A PREMIERE DEMANDE :

A - LA COMPETENCE DES TRIBUNAUX FRANCAIS :

Attendu que contrairement à ce que soutient Monsieur A... la saisine du Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES ne peut résulter de l'application des règles de compétence ordinaire puisque les parties ont souscrit une clause attributive de compétence au profit des juridictions saoudiennes ou anglaises, dont la validité, en tant que telle, n'est pas contestée ;

Qu'en application de cette clause, la T.A.I.C. aurait dû saisir une juridiction de l'un ou l'autre des états désignés ;

Qu'ainsi, la compétence des juridictions françaises ne peut résulter que de l'article 15 du Code Civil qui dispose que "un français pourra être traduit devant un tribunal de FRANCE, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger" ;

Attendu que la T.A.I.C. invoque ce privilège de juridiction tandis que Monsieur A... prétend y avoir renoncé en souscrivant la clause attributive de compétence aux juridictions saoudiennes ou anglaises;

Attendu certes qu'il est possible de renoncer au privilège de juridictions de l'article 15 du Code Civil ;

Que cependant, cette renonciation doit être certaine et résulter d'une manifestation de volonté consciente et libre ;

Attendu que le 07 juin 1984, date à laquelle Monsieur A... a signé les actes contenant la clause attributive de compétence, celui-ci avait la nationalité saoudienne ;

Qu'il n'a acquis la nationalité française que postérieurement ;

Qu'en souscrivant cette clause en 1984 Monsieur A... ne pouvait donc avoir conscience de renoncer à un privilège dont il ne bénéficiait alors pas ;

Que la clause ne vaut donc pas renonciation à un droit qui n'était même pas encore en germe à la date de sa souscription;

Qu'ainsi, les juridictions françaises sont compétentes pour connaître du litige et ce en application de l'article 15 du Code Civil ;

B - LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE :

. La capacité pour agir :

Attendu que T.A.I.C. verse aux débats le contrat par lequel sept Etats du monde arabe ont décidé sa constitution en date du 16 juillet 1974 ;

Qu'il est expressément prévu par l'article 1 des statuts que la société aura la personnalité morale et juridique ;

Attendu que sont également produits le certificat d'immatriculation de la société au bureau du registre du commerce de la Ville de RYADH, le Décret du Roi du Royaume d'ARABIE SAOUDITE approuvant le contrat de constitution de la société et ses statuts, et la décision du Conseil des Ministres ;

Qu'il en résulte que T.A.I.C. a une existence légale, qu'elle est immatriculée au registre du commerce et qu'elle jouit de la

personnalité morale;

Attendu que cette société est représentée par un Président du Conseil d'Administration ;

Qu'aucun élément du dossier ne permet de dire que l'action judiciaire engagée en FRANCE aurait dû être autorisée préalablement ou que la société n'est plus in bonis ;

Qu'il appartenait aux défendeurs d'en rapporter la preuve ;

Qu'il appartenait aux défendeurs d'en rapporter la preuve ;

Qu'à défaut, il convient de rejeter l'exception tirée du défaut de capacité de T.A.I.C.;

. La qualité pour agir :

Attendu certes que le prêt de 7.000.000 dollars U.S. a été consenti à la Société AGRIPROJECTS par un groupe de banques dont la T.A.I.C. qui a limité son apport à 3.000.000 dollars U.S.;

Mais attendu que la T.A.I.C. agissait également en qualité d'agent des prêteurs ;

Que surtout par une décision du 05 avril 1414 de l'Hégire (22 septembre 1993) le Bureau du Contentieux des effets de commerce de RYADH a condamné la Société AGRIPROJECTS, prise en la personne de Samir A..., à payer à la T.A.I.C. la somme de 7.000.000 dollars U.S. correspondant au montant du billet à ordre qui avait été émis lors de la souscription du prêt ;

Que cette décision, dont il n'est pas contesté qu'elle est définitive, constitue un titre permettant à la T.A.I.C. d'agir contre les garants ;

Qu'en tout état de cause, elle aurait qualité pour agir en paiement de la somme de 3.000.000 dollars U.S., montant de son investissement ;

Que l'action de T.A.I.C. est recevable ;

C - LE DEFAUT DE VALIDITE DE LA GARANTIE :

Attendu que Monsieur A... invoque d'abord l'absence de la mention manuscrite exigée par la Loi française ;

Mais attendu d'abord que les parties sont expressément convenues de soumettre leurs relations contractuelles au Droit anglais ;

Qu'ensuite, à supposer que le Droit français soit applicable, l'acte est une garantie à première demande et non un cautionnement ;

Qu'il a un caractère commercial puisque Monsieur A... était le dirigeant de l'entreprise et n'obéit donc pas aux règles du Code Civil ;

Qu'enfin, il vaut comme commencement de preuve par écrit et est complété par la signature de Monsieur A..., en sa qualité de dirigeant, sur l'acte de prêt principal ;

Attendu ensuite, que Monsieur A... ne verse aux débats aucun certificat de coutume ou analyse juridique permettant de penser que cet acte serait irrégulier au regard de la Loi anglaise ;

Que son exception sera rejetée ;

D - LA PRESCRIPTION :

Attendu que Monsieur A... soulève la prescription de l'action en application de la Loi anglaise à laquelle les parties ont entendu soumettre leurs relations contractuelles ;

Attendu que la prescription extinctive d'une obligation est soumise à la Loi qui régit celle-ci ;

Que la détermination de cette Loi passe par la reconnaissance ou non de la validité de la clause contractuelle selon laquelle les parties sont convenues que le contrat sera régi et interprété selon les Lois de Z... ou selon le Droit anglais (selon l'acte qui est

pris en considération) ;

Attendu qu'il n'est pas discutable que le prêt souscrit par la Société AGRIPROJECTS et la garantie donnée par Monsieur A..., qui en est l'accessoire, avaient pour objet le financement d'une opération agricole en ARABIE SAOUDITE ;

Que pour que la clause soumettant le contrat à une Loi étrangère à l'ARABIE SAOUDITE soit valable, il faut que le contrat présente un caractère international et que le choix de cette Loi ne soit pas frauduleux ;

Attendu que le prêt a été consenti par un pool bancaire comprenant une banque saoudienne mais aussi une banque koweitienne, une banque de BARHAIN et une banque française ;

Qu'il est rédigé en anglais et non en arabe;

Que l'unité monétaire choisie est le dollar américain;

Que les remboursements par l'emprunteur doivent s'effectuer dans une banque de NEW YORK ;

Que cet ensemble d'éléments démontre que le contrat et les garanties qui en sont l'accessoire ont un caractère international ;

Que les parties pouvaient donc valablement convenir de soumettre le contrat à la Loi anglaise, alors surtout que T.A.I.C. ne démontre pas le caractère frauduleux d'un tel choix dont elle est à l'origine ;

Attendu qu'il convient donc de rechercher si comme le soutient Monsieur A..., l'action est prescrite au regard des règles du Droit anglais ;

Attendu que Monsieur A... verse aux débats deux certificats de coutume dont le contenu n'est pas remis en cause par un document de valeur équivalente;

Qu'il en résulte qu'en Droit anglais le délai de prescription d'une action varie selon la nature du contrat concerné ;

Que pour un "simple contract" ce délai est de six ans tandis que pour

un "specialty contract" il est de douze ans ;

Attendu que le juriste britannique, rédacteur des certificats de coutume, a analysé les contrats et après avoir énoncé les critères permettant de distinguer un "simple contract" d'un "specialty contract" a conclu que le contrat de prêt, la garantie donnée par Monsieur A... et le protocole d'accord du 16 octobre 1986 sont des contrats simples ;

Attendu que la T.A.I.C. ne produit aucun document établissant le contraire ;

Qu'ainsi, le délai de prescription de l'action est de six ans ;

Attendu sur le point de départ de ce délai que si la défaillance de l'emprunteur a été notifié aux garants le 25 janvier 1986, postérieurement à cette date, soit le 16 octobre 1986, un protocole d'accord est intervenu organisant un rééchelonnement du prêt ;

Attendu que la première échéance fixée par ce document se situait cinq jours après la date de sa signature, soit le 21 octobre 1986 ;

Attendu que cette échéance n'a pas été respectée et constitue le point de départ du délai de prescription ;

Attendu que l'assignation introductive d'instance a été délivrée aux Consorts A... le 19 janvier 1995, soit plus de six ans après le 21 octobre 1986 ;

Que contrairement à ce que soutient la T.A.I.C., ce délai n'a pas été suspendu par l'instance engagée contre AGRIPROJECTS en ARABIE SAOUDITE car Monsieur A... n'a pas été appelé dans cette procédure en son nom personnel ;

Que dès lors, il convient de constater la prescription de l'action fondée sur l'acte de garantie;

II - SUR L'ACTION FONDEE SUR L'ARTICLE 180 DU DECRET ROYAL SUR LES SOCIETES SAOUDIENNES

A - LA COMPETENCE :

Attendu que sur le fondement de cet article Messieurs A... et Y... sont poursuivis non pas en tant que garants de la Société AGRIPROJECTS mais en qualité d'associés de cette société dont ils seraient, aux termes de cet article, responsables des dettes ;

Que la clause attributive de compétence incluse dans l'acte de garantie est donc inopérante;

Que celle incluse dans le contrat de prêt, à la supposer applicable, n'est pas exclusive et permet ainsi la saisine des juridictions à compétence ordinaire ;

Attendu que Monsieur A..., l'un des défendeurs, est français et est domicilié en FRANCE dans le ressort du Tribunal de VERSAILLES ;

Qu'il résulte des dispositions de l'article 42 du Nouveau Code de Procédure Civile que ce tribunal, siège du lieu où demeure l'un des défendeurs, était compétent ;

Attendu que Monsieur A... soutient que l'action fondée sur l'article 180, tiré du Droit des sociétés, relève de la compétence du Tribunal du siège de la société ;

Mais attendu que Monsieur A... ne verse aux débats aucun texte légal ou réglementaire émanant des autorités saoudiennes ou même britanniques prévoyant une attribution de compétence particulière en la matière ;

Qu'en Droit français, l'action directe contre les associés obéit aux règles de compétence générales ;

Qu'ainsi, le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES et la Cour d'Appel de ce Siège sont compétents pour connaître de l'action fondée sur l'article 180 du Décret Royal Saoudien sur les sociétés ;

Qu'à l'égard de Monsieur Y..., domicilié au LIBAN, cette compétence résulte de l'article 42 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile qui dispose qu'en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l'un

d'eux ;

B - LE FOND :

Attendu que le Décret Royal du 30 juillet 1412 de l'Hégire portant modification du régime des sociétés a été publié le 02 septembre 1412 de l'Hégire correspondant au 06 mars 1992 du calendrier grégorien;

Que son article 180 dispose : "dans le cas où les pertes de la société atteignent les 3/4 du capital social, les dirigeants sociaux doivent, dans un délai n'excédant pas un mois de la constatation de la perte, convoquer les associés à une assemblée afin d'analyser la situation de la société et de décider du paiement des dettes ou de sa mise en liquidation, et dans le cas où l'activité sociale se poursuit, sans la décision de poursuite de l'activité ou de la liquidation dont s'agit, les associés deviennent indéfiniment et solidairement responsables des dettes et il appartiendra à toute personne qui y a intérêt de demander sa mise en liquidation" ;

Attendu que d'après les documents émanant de T.A.I.C. elle-même, la totalité du prêt de 7.000.000 dollars U.S. est devenue exigible le 25 janvier 1986, soit bien antérieure à la publication du Décret Royal instituant un article 180 dont l'application est sollicitée ;

Qu'aucun certificat de coutume ne précise que cet article avait un effet rétroactif ;

Qu'il ne peut donc être reproché aux associés de ne pas avoir effectués en 1986 des démarches qui ne leur ont été imposées qu'en 1992 ;

Que de plus, s'agissant d'une sanction que les associés peuvent encourir, il serait contraire à l'ordre public international français de la faire rétroagir ;

Attendu enfin, que T.A.I.C. ne justifie pas que les conditions d'application de l'article 180 sont réunies ;

Que le montant du capital social est inconnu;

Que le montant des pertes l'est également puisque l'existence d'une dette n'entraîne pas forcément une perte si, par ailleurs, la société dispose d'un actif suffisant ;

Que le seul fait que la Société AGRIPROJECTS n'ait pas communiqué de bilan depuis 1980, ce qui est curieux puisque cette date est antérieure à l'octroi du prêt par T.A.I.C., ne permet pas à lui seul de dire que AGRIPROJECTS a subi des pertes atteignant les 3/4 de son capital social ;

Que pour ces motifs, la Société T.A.I.C. sera déboutée de ses demandes sur le fondement de l'article 180 du Décret Royal Saoudien sur les sociétés ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Messieurs A... et Y... les frais irrépétibles qu'ils ont exposés ;

Attendu que l'assignation en intervention forcée de Monsieur AL HATHLAINE est sans objet ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement entrepris,

Rejette l'exception d'incompétence soulevée par Messieurs A... et Y...,

Dit que l'action fondée sur l'acte de garantie est soumise au Droit anglais,

Déclare cette action prescrite par application des règles de Droit britannique,

Déboute la Société T.A.I.C. de sa demande fondée sur l'article 180 du Décret Royal Saoudien sur les sociétés,

Condamne la Société T.A.I.C. à payer à Messieurs Samir A... et Mustapha Y... une indemnité de 10.000 francs chacun par

application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Condamne la Société T.A.I.C. aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SCP JULLIEN LECHARNY ROL et Maître B..., Avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Arrêt prononcé par Monsieur FALCONE, Président,

Assisté de Monsieur LANE, Greffier Divisionnaire,

Et ont signé le présent arrêt,

Monsieur FALCONE, Président,

Monsieur LANE, Greffier Divisionnaire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-5041
Date de la décision : 27/02/1998

Analyses

CONFLIT DE JURIDICTIONS - Compétence internationale - Privilège de juridiction - Article 15 du code civil

Dès lors qu' aux termes de l'article 15 du Code civil, " un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations contractées par lui en pays étranger, même avec un étranger ", un créancier saoudien est fondé à poursuivre son débiteur français en application de ce privilège de juridiction, sauf renonciation de son bénéficiaire. La renonciation à ce privilège doit résulter d'une manifestation de volonté consciente et libre. Celui qui, antérieurement à l'acquisition par lui de la natio- nalité française, a valablement souscrit une clause attributive de compétence, ne peut prétendre ensuite avoir renoncé à un privilège dont il ne bénéficiait alors pas


Références :

Code civil, article 15

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : - Rapporteur : - Avocat général :

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-02-27;1996.5041 ?
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