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12/06/1997 | FRANCE | N°1997-9744

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12 juin 1997, 1997-9744


I-1

Considérant qu'en janvier 1997 la société GILLETTE FRANCE a lancé sous formes de film télévisé, de messages radiophoniques et de supports visuels une campagne publicitaire pour la promotion du rasoir mécanique rechargeable "Sensor excel" ; qu'un des thèmes de cette campagne était en substance que ledit rasoir était promis à une préférence par rapport au "jetable" ;

I-2

Considérant que la société BIC, tenant cette campagne pour constitutive d'une concurrence déloyale et d'un dénigrement, et y déplorant une publicité comparative trompeuse et prohibÃ

©e, a fait assigner la société GILLETTE FRANCE pour que sa cessation soit ordonnée, que...

I-1

Considérant qu'en janvier 1997 la société GILLETTE FRANCE a lancé sous formes de film télévisé, de messages radiophoniques et de supports visuels une campagne publicitaire pour la promotion du rasoir mécanique rechargeable "Sensor excel" ; qu'un des thèmes de cette campagne était en substance que ledit rasoir était promis à une préférence par rapport au "jetable" ;

I-2

Considérant que la société BIC, tenant cette campagne pour constitutive d'une concurrence déloyale et d'un dénigrement, et y déplorant une publicité comparative trompeuse et prohibée, a fait assigner la société GILLETTE FRANCE pour que sa cessation soit ordonnée, que soit interdite toute autre campagne du même ordre et que lui soient alloués des dommages-intérêts ; que par jugement du 4 novembre 1997 le Tribunal de Commerce de Nanterre a rejeté ces demandes ; que la même décision a débouté la société GILLETTE FRANCE d'une demande reconventionnelle taxant de déloyale et dénigrante une campagne publicitaire inverse entreprise par la société BIC en février 1997 ;

II

II-1

Considérant que la société BIC, appelante, réitère sa demande aux fins d'interdiction de la campagne, sous astreinte journalière de 500.000,00 F ; qu'elle demande en outre que soit interdite à la société GILLETTE FRANCE "toute autre campagne... dénigrant... les rasoirs jetables...", sous une pénalité de 100.000,00 F par infraction ; qu'elle réclame à la société GILLETTE FRANCE une somme de 3.000.000,00 F à titre de dommages-intérêts, sauf à parfaire, le tout avec publication ; qu'elle sollicite une somme de 50.000,00 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

II-2

Considérant que la société GILLETTE FRANCE, qui relève appel incident, renouvelle sa demande reconventionnelle en paiement par la société BIC de dommages-intérêts à hauteur de 1.000.000,00 F ; qu'elle demande acte de ce qu'elle est étrangère à la diffusion,

en 1998, d'un film publicitaire dont la teneur est invoquée par la société BIC comme reconnaissance du caractère déloyal de la campagne litigieuse; qu'elle sollicite une somme de 50.000,00 F pour frais hors dépens ;

III

Sur les demandes de la société BIC

III-1

Considérant que le film et les messages reprochés à la société GILLETTE FRANCE mettent en présence l'utilisateur présumé heureux d'un "Sensor excel" et l'usager réputé moins heureux, voire "grimaçant", d'un "jetable", le tout préfigurant un abandon de ce dernier accessoire par persuasion de la supériorité de l'autre ; que le tribunal, pour rejeter les demandes de la société BIC, a relevé que la publicité ne la citait pas et ne représentait pas ses produits et qu'en dépit de l'assimilation possible de ses fabrications à des objets "jetables" la seule référence faite à une telle caractéristique "ne (pouvait) permettre l'identification du rasoir concurrent du Sensor excel comme étant un BIC", les illustrations de "jetables" utilisées présentant par ailleurs des différences par rapport aux rasoirs BIC ; que déduisant de ces constatations une absence de l'identification nécessaire à la constitution d'une

concurrence déloyale ou d'un dénigrement il a encore énoncé qu'aucun discrédit n'était jeté sur un quelconque produit, la publicité en cause ne faisant qu'"invit(er) le consommateur à l'utilisation d'un autre type de matériel" et les marchés des rasoirs jetables et de leurs homologues rechargeables pouvant coexister ;

III-2

Considérant qu'au soutien de son appel la société BIC fait valoir que sa marque est notoirement, depuis 1952, assimilée aux produits "jetables", le rasoir ainsi qualifié ayant été créé par elle en 1975, cette assimilation étant constante et générale et entraînant forcément son identification comme fabricant du produit mentionné dans la publicité ; qu'elle déclare ne fabriquer, comme rasoirs, que des jetables, sa part sur le

marché étant prépondérante et la référence faite par la publicité incriminée la visant nécessairement ; qu'elle ajoute que la configuration et les couleurs du rasoir jetable présenté, qui résultent d'ailleurs d'une rectification de l'image initiale, ne dissipent pas une telle identification ; qu'elle tient l'"exhortation à ne plus utiliser de rasoir jetable" pour constitutive d'un dénigrement en raison des allégations l'accompagnant sur le plan de la qualité ou de l'efficacité, "affirmations outrancièrement simplificatrices" alors que le service rendu par un rasoir dépend des conditions, multiples et diverses, du rasage ; qu'enfin elle énumère des irrégularités présentées selon elle par les publicités en cause au regard du régime de la publicité comparative, irrégularités relatives au défaut de communication préalable, à un manque d'objectivité par référence à une appréciation subjective, et à un caractère trompeur ;

III-3

Mais considérant que lorsque des critiques visent, pour des besoins publicitaires, un produit, il ne peut y avoir concurrence déloyale ou dénigrement que si lesdites critiques s'accompagnent d'une désignation, au moins implicite, de l'entreprise qui fabrique ce produit, ou si elles induisent chez le consommateur une possibilité d'identification produisant le même effet ; qu'en l'espèce et nonobstant l'antériorité de la fabrication, par la société BIC, d'un rasoir jetable, caractéristique de commodité par laquelle cette entreprise a paru trouver, pour divers produits, l'essentiel de ses marchés, il n'est pas soutenu qu'une telle caractéristique ait été, par elle, appropriée au point qu'il soit exclu que d'autres puissent l'exploiter ; que cela est confirmé par la coexistence admise, sur le marché du rasoir jetable, de plusieurs fabricants dont d'ailleurs la société GILLETTE FRANCE ; que la position de la société BIC sur ledit marché, si elle est importante puisqu'égale selon les indications données à 34,3 % en volume et à 25,6 % en valeur ou si elle a conservé un caractère précurseur, n'est pas, à tout le moins, suffisamment dominante pour qu'une utilisation du terme "jetable" s'agissant d'un rasoir fasse, même de façon, "subliminale", référence à ses produits plutôt qu'à une catégorie générique, à la production de laquelle la société GILLETTE FRANCE prend

selon les mêmes indications une part de 35,1 % en volume et de 49,9 % en valeur ; que cette analyse n'est nullement démentie par le fait que le rasoir jetable est le seul fabriqué par la société BIC alors que la société GILLETTE FRANCE fabrique aussi des rasoirs rechargeables, un parti pris dans le sens d'une monoproduction (selon les conclusions de l'appelante, "BIC donc jetable") n'impliquant évidemment pas, sur le marché correspondant, un monopole ou une domination génératrice d'une identification du produit dans le public (selon les mêmes écritures, "jetable donc BIC") ; qu'au surplus, la configuration en forme et en couleurs du rasoir jetable représenté renvoie indistinctement à ce produit, dont le public même intéressé n'a qu'une appréhension globale, sans renvoyer à un "BIC" ; que ces éléments interdisent de tenir pour constitués la concurrence déloyale ou le dénigrement allégués, imputés au surplus à une société qui fabrique elle-même le produit en cause dans les proportions susindiquées et qui peut sans invraissemblance préférer que sa clientèle se porte sur le "Sensor excel" ; qu'il sera encore observé qu'à défaut d'un terme identifiable de comparaison la référence faite aux normes gouvernant la publicité comparative est inopérante, la mie en oeuvre de connotations subjectives telles l'"onctuosité" et la "douceur" sur un mode se voulant plaisant ne pouvant au surplus être incriminée dans un domaine tel le rasage, éminemment évocateur de

telles connotations ; que les informations fournies par la société GILLETTE FRANCE abondent en données techniques interdisant de tenir pour trompeuses, sans des investigations non réclamées en l'espèce, les énonciations incriminées tenant à l'efficacité présumée du "Sensor excel" ; que l'éventuelle diffusion, en 1998, d'un film relatif au même rasoir et jugé sans reproche par la société BIC n'ôte ni n'ajoute rien aux éléments qui viennent d'être rapportés ; qu'en définitive les demandes de la société BIC seront rejetées par la Cour comme elles l'ont été par le tribunal ; que l'acte sollicité par la société GILLETTE FRANCE, indifférent aux droits et obligations des parties, n'a pas à être donné ;

IV

Sur la demande reconventionnelle de la

société GILLETTE FRANCE

Considérant que cette demande, qui vise à la réparation d'une "concurrence déloyale" est basée sur le fait, pour la société BIC, d'avoir diffusé en riposte à la publicité dont il vient d'être question, des messages télévisés par lesquels elle "n'a pas craint de tourner en dérision et de ridiculiser le film Sensor excel ainsi que l'image de la marque GILLETTE" ; que l'éventuelle dérision visant le film publicitaire n'est évidemment pas une dérision visant le produit qu'il vantait ; qu'en faisant rebondir une expression publicitaire sur un mode lui donnant la réplique la même dérision n'a pu nuire, sur un marché tel celui en cause, à la marque concernée ; que le premier juge sera approuvé d'avoir rejeté cette demande ;

V

Et considérant que le jugement devant être purement et simplement confirmé, chaque partie, partiellement perdante, conservera la charge de ses dépens d'appel ; que les données de la cause ne font ressortir aucun motif particulier d'équité autorisant une application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris,

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens d'appel. Dit n'y avoir lieu à allocation d'une somme quelconque pour frais hors dépens.

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRÊT :

Monsieur GILLET, Président, qui l'a prononcé,

Mademoiselle X..., Greffier, qui a assisté au prononcé,

LE GREFFIER

LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-9744
Date de la décision : 12/06/1997

Analyses

CONCURRENCE DELOYALE OU ILLICITE - Faute - Dénigrement

Lorsque, pour des besoins publicitaires, des critiques visent un produit, la concurrence déloyale ou le dénigrement ne sont constitués que si ces mêmes critiques s'accompagnent d'une désignation, au moins implicite, de l'entreprise qui fabrique ledit produit ou si elles sont de nature à produire chez le consommateur une possibilité d'identification produisant le même effet. En l'espèce, dès lors que l'utilisation du terme " jetable ", pour désigner un rasoir, ne permet pas de faire référence, fut-ce de manière " subliminale ", à une entreprise donnée et que la représentation du produit -forme et couleur- renvoie indistinctement " au produit rasoir jetable " dont le public n'a qu'une appréhension globale dépourvue de référence à une marque, en l'occurrence " BIC ", ces éléments ne permettent pas de tenir pour constitués la concurrence déloyale ou le dénigrement alors qu'au surplus le marché de ce produit se partage entre plusieurs producteurs, dont celui à l'origine de la campagne publicitaire critiquée


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1997-06-12;1997.9744 ?
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