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03/02/2004 | FRANCE | N°2002/00314

France | France, Cour d'appel de Lyon, 03 février 2004, 2002/00314


La Deuxième Chambre de la Cour d'Appel de Lyon, composée lors des débats et du délibéré de : Michel BUSSIERE, président, Michèle RAGUIN-GOUVERNEUR, conseillère, Marjolaine MIRET, conseillère, assistés lors des débats tenus en audience non publique par Véronique BARD, faisant fonction de greffière, a rendu l'ARRÊT contradictoire suivant : Exposé du Litige:

Madame X... et Monsieur Y... se sont mariés le 1er septembre 1962 à TUNIS ( Tunisie ), alors que Madame X... était âgée de 11 ans 1/2 et Monsieur Y... de 36 ans. Ils ont eu six enfants aujourd'hui majeurs.
>Par jugement du 18 février 1993, le Tribunal de Grande Instance de LYON a prono...

La Deuxième Chambre de la Cour d'Appel de Lyon, composée lors des débats et du délibéré de : Michel BUSSIERE, président, Michèle RAGUIN-GOUVERNEUR, conseillère, Marjolaine MIRET, conseillère, assistés lors des débats tenus en audience non publique par Véronique BARD, faisant fonction de greffière, a rendu l'ARRÊT contradictoire suivant : Exposé du Litige:

Madame X... et Monsieur Y... se sont mariés le 1er septembre 1962 à TUNIS ( Tunisie ), alors que Madame X... était âgée de 11 ans 1/2 et Monsieur Y... de 36 ans. Ils ont eu six enfants aujourd'hui majeurs.

Par jugement du 18 février 1993, le Tribunal de Grande Instance de LYON a prononcé leur séparation de corps aux torts exclusifs du mari. Par arrêt du 18 janvier 1994, la Cour de céans a confirmé le jugement. Cet arrêt a été régulièrement signifié le 7 septembre 1999. Monsieur Y... a déposé une requête en divorce le 27 août 1999 et Madame X... le 18 octobre 1999 devant le Tribunal de Grande Instance de LYON.

Sur assignation de Madame X... le 31 juillet 1999, le tribunal civil de BEN AROUS a prononcé le divorce à l'amiable de Monsieur Y... et de Madame X... par jugement du 15 octobre 1999.

Par jugement du 3 décembre 2001, le juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance de LYON a dit que la demande de divorce présentée par Madame X... est irrecevable, et constaté que les demandes de prestation compensatoire et de dommages-intérêts sont également irrecevables.

Par déclaration remise au greffe de la Cour le 18 janvier 2002, Madame X... a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions reçues au greffe de la Cour le 21 mai 2002, elle sollicite que sa demande en divorce soit déclarée recevable, que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de Monsieur X..., que la prestation compensatoire soit fixée à 29.270,21 ä (192.000 francs),

payable en 96 mensualités de 304,89 ä, et que Monsieur Y... soit condamné à lui payer la somme de 3.048,98 ä de dommages et intérêts. Au soutien de ses demandes, elle fait valoir notamment que pour recevoir application en France, le jugement tunisien doit être conforme à la convention franco-tunisienne du 28 juin 1972; que les conditions d'application de la décision prévues par cette convention ne sont pas remplies; que Monsieur Y... ne rapporte pas la preuve du caractère définitif du jugement allégué du 15 octobre 1999 rendu par le Tribunal de BEN AROUS (Tunisie); que les deux époux résidant habituellement en France, les tribunaux français sont seuls compétents; que plus de trois années s'étant écoulées depuis la séparation de corps elle est bien fondée à en demander la conversion en divorce; que leur union a duré plus de 40 ans; que Monsieur Y... perçoit une retraite de 915 ä par mois; qu'il ne paye pas de loyer en France; qu'en Tunisie il est usufruitier des biens des époux et ne rend aucun compte à son épouse.

Par conclusions récapitulatives reçues au greffe de la Cour le 3 février 2003, Monsieur Y... demande la confirmation du jugement entrepris; très subsidiairement, la fixation à 150 ä des versements mensuels à effectuer.

Au soutien de ses demandes, il fait valoir notamment que le divorce a été prononcé le 15 octobre 1999 par le tribunal de BEN AROUS ( Tunisie ); qu'il a été régulièrement transcrit à l'état civil; que Madame X... était en outre demanderesse à l'action en divorce en Tunisie; très subsidiairement, que les faits invoqués sont prescrits; à titre infiniment subsidiaire, qu'il a une retraite de 780 ä par mois, qu'à la suite du divorce tunisien, un partage est intervenu, qu'il est colocataire d'un appartement et doit donc régler un loyer, qu'il ne peut payer plus de 150 ä par mois sur huit ans à titre de

prestation compensatoire. Motifs de la décision: Sur la recevabilité Madame X... est de nationalité française alors que Monsieur Y... est de nationalité tunisienne. Ils résident tous deux en France dans des domiciles séparés. Une séparation de corps a été prononcée de manière définitive en France selon la loi française le 18 janvier 1994. L'arrêt de la Cour de céans, contrairement à ce qu'a relevé le premier juge, a été signifié mais très tardivement, puisqu'il l'a été le 7 novembre 1999 seulement. Aucun pourvoi n'a été exercé contre cet arrêt.

Les deux époux ont déposé une requête en divorce pour faute: Monsieur Y... le 27 août 1999, et Madame X... le 18 octobre 1999. Cela signifie que Monsieur Y... considérait les juridictions françaises comme compétentes. Madame X... demande en appel l'application de la convention franco-tunisienne du 28 juin 1972 relative à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires, effectivement applicable en l'espèce.

Cette convention prévoit, dans son article 15, l'application de plein droit sur le territoire de l'autre Etat des décisions rendues par les juridictions en France ou en Tunisie, à certaines conditions limitativement énumérées. Ces décisions doivent émaner d'une juridiction compétente, c'est à dire en matière de divorce quand les époux n'ont pas la même nationalité, lorsque le demandeur a la nationalité de l'Etat où la décision a été rendue et résidait habituellement depuis au moins un an sur le territoire de cet Etat à la date de l'acte introductif d'instance.

Il n'est pas contesté que les époux ont établi leur domicile en France aussitôt après leur mariage. Dans ses dernières conclusions, Monsieur Y... se déclare domicilié 85 avenue Jean Moulin à CALUIRE et CUIRE ( Rhône ). Il produit des avis d'échéance à son nom pour un

logement appartenant à l'OPAC du Rhône 69 rue des deux fermes à SAINT FONS ( Rhône) pour les mois d'août et septembre 2002. Auparavant, d'après des documents qu'il verse lui-même aux débats, il habitait 45 avenue Jean Jaurès à SAINT PRIEST ( Rhône), ancien domicile conjugal. En tout état de cause, toutes les adresses qu'il communique sont en France et non pas sur le territoire tunisien, raison pour laquelle, probablement, il a saisi lui-même les tribunaux français avant les tribunaux tunisiens.

En outre, l'article 22 de la même convention prévoit que la partie qui invoque la reconnaissance ou qui demande l'exécution d'une décision judiciaire doit produire un certain nombre de pièces. Si Monsieur Y... produit désormais un certificat de non appel du jugement rendu le 15 octobre 1999, il ne produit pas l'original de l'exploit de signification de la décision ou de tout autre acte qui tient lieu de signification.

Il est constant que Madame X... a saisi les tribunaux tunisiens le 31 juillet 1999, ce qui ne rend pas pour autant ces juridictions compétentes, dans la mesure où les dispositions de la convention franco-tunisienne doivent être respectées. Madame X... était donc bien fondée à saisir les juridictions françaises, qui avaient d'ailleurs déjà rendu une décision de séparation de corps en 1994, n'ayant fait l'objet d'aucune contestation quant à la compétence des tribunaux français de la part de Monsieur Y...

La décision entreprise sera réformée en conséquence. Sur la loi applicable

Les deux époux avaient leur domicile en France au jour de l'introduction de la demande en divorce, Monsieur Y... ayant d'ailleurs été le premier à déposer sa requête le 29 août 1999. Dès lors, la loi française est la loi applicable conformément à l'article 310 alinéa 2 du Code civil, étant rappelé que Madame X... est de nationalité

française.

Sur les griefs

Madame X... demande expressément dans ses dernières conclusions la conversion de la séparation de corps en divorce, alors qu'elle a engagé une demande en divorce pour faute. Monsieur Y... a lui aussi déposé une demande en divorce fondée sur l'article 242 du Code civil. Il est constant que la séparation de corps n'a été signifiée aux parties que le 7 novembre 1999, soit postérieurement à ces nouvelles demandes. Dès lors, il ne peut s'agir d'une demande de conversion, non conforme à l'assignation délivrée par Madame X... en première instance, mais d'une demande en divorce pure et simple.

Les dispositions des articles 306 et 307 du Code civil n'excluent d'ailleurs pas la possibilité d'une demande principale en divorce formée postérieurement au jugement de séparation de corps. Toutefois, la demande ne peut être fondée que sur des faits postérieurs au jugement de séparation de corps.

Monsieur Y... affirme ne pas avoir quitté le domicile conjugal en 1991, mais avoir regagné la Tunisie à sa mise à la retraite. Il prétend avoir demandé de le suivre à Madame X..., qui aurait refusé. D'une part Monsieur Y... ne rapporte pas la preuve qu'il aurait effectivement demandé à Madame X... de l'accompagner en Tunisie, n'ayant jamais fait de sommation de réintégrer le domicile conjugal, d'autre part Monsieur Y... n'a jamais communiqué d'adresse en Tunisie pendant la procédure, étant apparemment toujours domicilié en France d'après les différentes pièces versées aux débats. Il ne peut donc prétendre avoir transféré le domicile conjugal en Tunisie, d'autant qu'en 1991, deux des enfants du couple étaient encore mineurs et qu'il n'est ni allégué ni démontré qu'ils aient suivi leur père.

Le devoir de cohabitation étant une des obligations principales du mariage, l'abandon du domicile conjugal sans réintégration après le

prononcé de la séparation de corps constitue une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune.

Monsieur Y... ne formant aucun grief contre Madame X... au sens de l'article 242 du Code civil, le divorce doit être prononcé aux torts exclusifs de l'époux. Sur la prestation compensatoire

Madame X... n' a jamais travaillé et s'est consacrée à l'éducation de ses six enfants. S'étant mariée à moins de 12 ans, elle n'a aucune formation. Elle perçoit depuis le 1er janvier 1997 une pension d'invalidité de 3 630 F ( 553, 39 ä ) par mois en 1999. Le montant de cette pension n'a pas été actualisé. Elle semble bénéficier également du Fonds National de Solidarité, sans que soit précisé le montant de cette aide. Elle règle un loyer de 1 461, 13 F ( 222, 75 ä ) par mois aide personnalisée au logement déduite, d'après l'avis d'échéance d'août 1999. Elle ne fournit pas la déclaration sur l'honneur exigée par l'article 271 du code civil. Elle verse aux débats un certificat de propriété qui démontre qu'elle possède en indivision avec Monsieur Y... et avec un Monsieur Z... un bien immobilier en Tunisie. La traduction de deux contrats de vente et de deux actes conventionnels datant de novembre 1999, établit que l'indivision à cette date est réduite à Monsieur Y... et à Madame X..., et que l'immeuble en question a été cédé aux deux fils du couple avec réserve d'usufruit pour les parents, chacun bénéficiant d'un étage.

D'après son avis d'imposition pour 2001, Monsieur Y... a perçu 8 268 ä pour l'année, soit 689 ä par mois. Il justifie percevoir en novembre 2002 une pension de la CRAM de 538, 17 ä par mois, d'une retraite complémentaire de l'ARRCO de 145, 07 ä par trimestre soit 48, 35 ä par mois, et d'une retraite complémentaire du CRI de 413, 06 ä par trimestre soit 137, 68 ä par mois, ce qui correspond avec une légère augmentation aux revenus de 2001. Il affirme que Madame X... est

propriétaire en propre d'un bien immobilier sans le démontrer, ce que Madame X... dément formellement. Il ne fournit pas davantage la déclaration sur l'honneur exigée par l'article 271 du code civil.

Il résulte des seuls éléments versés aux débats qu'il n'existe pas de véritable disparité entre les époux. Leur mode de vie et leur train de vie réels sont vraisemblablement différents de ce qu'ils affirment, compte tenu des actes relatifs au patrimoine indivis signés en 1997 et en 1999.

Madame X... sera par conséquent déboutée de sa demande de prestation compensatoire. Sur les dommages-intérêts

Le dossier dans son ensemble laisse percevoir une réalité différente de celle que les parties affichent. Madame X..., dont le comportement procédural n'est pas clair, s'appuie, pour cette demande qu'elle ne prend pas la peine de motiver à nouveau en appel, sur des faits antérieurs à la séparation de corps, prononcée il y a près de dix ans. Si elle avait voulu que sa situation juridique soit claire rien ne l'empêchait de signifier la décision de la Cour d'appel plus tôt. Aujourd'hui, il n'est pas démontré que Monsieur Y... ait commis une faute lui causant un préjudice autre que celui qui est réparé par le prononcé du divorce. Madame X... sera déboutée de sa demande. Sur les dépens

Compte tenu de la nature du litige et de sa particularité, chaque partie conservera la charge de ses propres dépens. Par ces motifs, La Cour, Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions; Et statuant à nouveau, Déclare l'action de Madame X... recevable; Dit que les tribunaux français sont compétents et que la loi française est applicable; Prononce le divorce de Monsieur Y... et de Madame X... aux torts exclusifs du mari; Ordonne la mention du dispositif du présent arrêt en marge de l'acte de mariage dressé le 1er septembre 1962 à TUNIS ( Tunisie ) et des actes de naissance de chacun des époux,

Prononce la dissolution du régime matrimonial ayant existé entre les époux, Commet Monsieur le Président de la Chambre des Notaires du Rhône afin de désigner un notaire qui ne soit le conseil d'aucune des parties pour procéder aux opérations de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux sous la surveillance du Conseiller de la Mise en Etat de la Chambre de la famille , et faire rapport en cas de difficultés; Déboute Madame X... de sa demande de prestation compensatoire; Déboute Madame X... de sa demande de dommages-intérêts; Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens tant de première instance que d'appel.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Numéro d'arrêt : 2002/00314
Date de la décision : 03/02/2004

Analyses

DIVORCE, SEPARATION DE CORPS - Règles spécifiques à la séparation de corps - Conversion en divorce - Demande

Les dispositions des articles 306 et 307 du Code civil n'excluent pas la possibilité d'une demande principale en divorce formée postérieurement au jugement de séparation de corps, à condition toutefois que le demande soit fondée sur des faits postérieurs au jugement de séparation de corps


Références :

Articles 306 et 307 du Code civil

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.lyon;arret;2004-02-03;2002.00314 ?
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