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01/10/2019 | FRANCE | N°17/04894

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 2ème chambre, 01 octobre 2019, 17/04894


N° RG 17/04894 - N° Portalis DBVM-V-B7B-JIDU



N° Minute :



LG







































































Copie exécutoire délivrée

le :



à



la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT



la SELARL AVICENNE

















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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



2EME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU MARDI 01 OCTOBRE 2019





Appel d'une décision rendue par la Commission d'indemnisation des victimes de dommages résultant d'une infraction de VALENCE

en date du 28 septembre 2017

suivant déclaration d'appel du 19 Octobre 2017





APPELANTE :



FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERR...

N° RG 17/04894 - N° Portalis DBVM-V-B7B-JIDU

N° Minute :

LG

Copie exécutoire délivrée

le :

à

la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT

la SELARL AVICENNE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

2EME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 01 OCTOBRE 2019

Appel d'une décision rendue par la Commission d'indemnisation des victimes de dommages résultant d'une infraction de VALENCE

en date du 28 septembre 2017

suivant déclaration d'appel du 19 Octobre 2017

APPELANTE :

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS , prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-bruno PETIT de la SELARL L. LIGAS-RAYMOND - JB PETIT, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMES :

Monsieur [I] [S]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 6]

Madame [Y] [S]

de nationalité Française

[Adresse 8]

[Localité 7]

Madame [M] [A]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 10]

Représentés par Me Noëlle TERTRAIN de la SELARL AVICENNE, avocat au barreau de VALENCE

PARTIE JOINTE ;

MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE GRENOBLE

[Adresse 11]

[Localité 4]

L'affaire a été régulièrement communiquée au ministère public qui a fait connaître son avis.

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Laurent GRAVA, Conseiller,

Monsieur Frédéric BLANC, Conseiller,

Monsieur Olivier CALLEC, Vice-Président placé délégué à la cour d'appel par une ordonnance du premier président en date du 27 mars 2019,

DÉBATS :

A l'audience tenue en chambre du conseil du 11 Juin 2019, Monsieur Laurent GRAVA, Conseiller, faisant fonction de président de chambre, chargé du rapport d'audience, assisté de Monsieur Fabien OEUVRAY, greffier, a entendu seul les avocats en leurs conclusions et plaidoiries, après communication de la procédure au Ministère Public, les parties ne s'y tant pas opposées, conformément aux dispositions de l'articles 786 du Code de Procédure Civile.

Il en a été rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 17 septembre 2006, M. [I] [S], âgé de 46 ans (né le [Date naissance 9] 1960) et exerçant la profession de galvaniseur en CDI, a été victime d'une agression à son domicile par deux individus, agression ayant entraîné une ITT de 5 jours.

Le bilan lésionnel initial établi au centre hospitalier de [Localité 12], où il a été transporté, a fait état de :

- un traumatisme facial avec un hématome sous orbitaire de l''il droit,

- un hématome de l'arcade à gauche avec une plaie minime de 0,5 mm,

- une ecchymose du front,

- une ecchymose linéaire de part et d'autre du nez,

- une ecchymose du nez,

- une ecchymose à la base du cou,

- une plaie ponctiforme du dos de la main droite.

Par jugement en date du 25 mai 2007, le tribunal correctionnel de Valence a, dans ses dispositions essentielles :

Déclaré M. [J] [F] coupable des faits de vol aggravé, escroquerie, arrestation, enlèvement et séquestration, menace ou détention arbitraire suivi d'une libération avant le 7e jour, avec violences ayant entraîné une ITT de 5 jours sur la personne de M. [S] ;

L'a déclaré entièrement responsable du préjudice subi par M. [S] ;

Condamné M. [F] à payer à la CPAM les sommes de :

- 4 877,07 € au titre des débours,

- 926 € au titre de l'indemnité forfaitaire ;

Ordonné une expertise médicale de M. [S].

Par requête du 2 septembre 2009, M. [S] a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI) du tribunal de grande instance de Valence aux fins de provision et d'expertise.

Par ordonnance du 6 octobre 2009, le président de la CIVI du ressort du tribunal de grande instance de Valence a ordonné une expertise judiciaire de M. [S] au docteur [W] [G] et a accordé à M. [S] une somme provisionnelle de 3 000 € versée par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et autres infractions (FGTI), à valoir sur l'indemnisation de son préjudice.

Statuant sur la demande de récusation de cet expert par M. [S], le président de la CIVI a, par ordonnance du 10 décembre 2009, confié l'expertise judiciaire au docteur [N] [L].

Le médecin expert, assisté du docteur [H] sapiteur psychiatre, a déposé un rapport de ses opérations le 20 mai 2011 et a fixé la date de consolidation au 15 septembre 2010.

Par ordonnance du 15 décembre 2011, le président de la CIVI a rejeté la demande de nouvelle expertise et de nouvelle provision de M. [S].

Par ordonnance juridictionnelle du 9 octobre 2012, le conseiller de la mise en état de la 2e chambre civile de la cour d'appel de Grenoble a déclaré caduc l'appel de cette ordonnance par M. [S].

Par arrêt du 9 avril 2013, la cour d'appel de Grenoble a confirmé cette ordonnance juridictionnelle de caducité du conseiller de la mise en état.

Par requête du 4 juillet 2016, M. [S], sa s'ur Mme [Y] [S] épouse [B] et sa nièce Mme [M] [A] ont saisi la CIVI aux fins d'obtenir l'indemnisation de leurs préjudices.

Par décision réputée contradictoire en date du 28 septembre 2017, la CIVI du ressort du tribunal de grande instance de Valence a :

Fixé à 103 975,78 € le préjudice subi par M. [S] consécutivement à son agression du 17 septembre 2006 ;

Fixé à 100 975,78 €, compte tenu de la provision de 3 000 € déjà payée, somme que devra verser le FGTI à M. [S] en réparation de ses préjudices ;

Ordonné l'exécution provisoire de la décision dans la limite de la somme de 15 000 € ;

Fixé à 4 500 € la somme que devra verser le FGTI à Mme [S] épouse [B] en réparation de son préjudice moral ;

Fixé à 1 500 € la somme que devra verser le FGTI à Mme [A] en réparation de son préjudice moral ;

Alloué à M. [S], Mme [S] épouse [B] et Mme [A], la somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

Dit que les dépens seront supportés par l'État.

L'indemnité ainsi fixée correspond aux montants suivants :

# Préjudices patrimoniaux :

- pertes de gains professionnels actuels : 14 924,28 €

- perte de gains professionnels futurs : 69 224 €

# Préjudices extra-patrimoniaux :

- déficit fonctionnel temporaire : 6 627,50 €

- souffrances endurées : 4 000 €

- préjudice esthétique temporaire : 2 000 €

- déficit fonctionnel permanent : 7 200 €.

La CIVI a retenu que :

- l'état de fragilité de M. [S], antérieur à l'agression, est sans incidence notamment au niveau de sa vie professionnelle et sociale puisqu'il travaillait en CDI depuis 2000 dans la même entreprise et qu'il a eu une activité professionnelle depuis 1978 sans période de maladie notable ;

- l'expert a conclu que M. [S] avait une personnalité immature et partiellement inhibée, carencée, limitée et vulnérable, constituant un état antérieur avéré, et a indiqué que le soutien de sa famille et la vie au domicile de sa s'ur ont été indispensables pour redonner un sentiment de sécurité à M. [S] ;

- les difficultés de M. [S] pour retrouver du travail sont liées à son peu de ressources intellectuelles ainsi qu'à son âge, même s'il n'a pas fait d'efforts pour en chercher ;

- la solidarité nationale n'a pas à supporter les frais liés à l'action en justice comme les frais de déplacement de M. [S] à l'audience correctionnelle ;

- M. [S] n'a pas produit suffisamment de documents permettant de vérifier l'intégralité des sommes qui lui ont été versées à différents titres, notamment ses avis d'imposition ;

- il bénéficie de l'allocation adulte handicapé depuis le 2 décembre 2008, ce qui confirme son incapacité à travailler depuis et cela à cause de l'agression ;

- se disant incapable se reprendre un travail, M. [S] ne peut, sans contradiction, réclamer de préjudice au titre d'une reprise de travail ;

- l'expert n'a retenu aucun besoin de tierce personne, poste qui ne concerne que les gros handicaps lorsque la victime a besoin d'être assistée de manière définitive ;

- M. [S] a vécu de nouveau seul à partir du mois de juillet 2008 et n'a intégré une structure qu'en mars 2012 ;

- de plus, sa demande était imprécise et forfaitaire ;

- au vu des éléments produits et des constatations cliniques de l'expert, il n'y a pas lieu de réévaluer le taux de déficit fonctionnel permanent fixé par l'expert ;

- M. [S], dont le taux de déficit fonctionnel permanent n'est que de 3 %, ne justifie pas l'indemnisation d'un préjudice moral de ses proches ;

- cependant il est indéniable que l'accueil à son domicile par Mme [B], sa s'ur, a engendré un préjudice au détriment de la vie personnelle et familiale de celle-ci pendant plus d'un an ;

- Mme [A], fille de Mme [B], ne rentrait chez ses parents que le samedi matin, cependant c'est dans sa chambre que M. [S] dormait dans la semaine, et compte tenu du comportement de son oncle, il était impensable pour elle d'inviter des amis à la maison.

Le 19 octobre 2017, le FGTI a interjeté appel de cette décision, limité à l'indemnisation :

- des pertes de gains professionnels actuels de M. [S],

- des pertes de gains professionnels futurs de M. [S],

- des préjudices moraux de Mme [S] et de Mme [A].

Par conclusions n° 3 notifiées par voie électronique le 29 avril 2019, le FGTI demande à la cour de :

Dire et juger recevable et bien fondé son appel ;

Y faisant droit,

Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a indemnisé les postes de perte de gains professionnels actuels et futurs ainsi que le préjudice moral des proches ;

Statuant à nouveau,

Dire et juger que l'indemnisation relative à la perte de gains professionnels actuels ne saurait excéder la somme de 2 612,28 €, déduction faite des indemnités journalières réglées par la sécurité sociale ;

Dire et juger n'y avoir lieu à indemniser le poste de perte de gains professionnels futurs en ce qu'il n'est pas prouvé ni justifié ;

Débouter Mmes [S] et [A] de leurs demandes au titre du préjudice moral comme étant non fondées ;

Pour le surplus,

Confirmer la décision entreprise ;

Débouter les consorts [S] et [A] des fins de leur appel incident comme étant non fondées ;

Réduire à de plus justes proportions la demande présentée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dire et juger que les dépens d'appel seront à la charge de l'État conformément aux dispositions des articles R. 91 et R. 93 II 11° du code de procédure pénale.

Il fait valoir que :

- le rapport d'expertise ne retient aucune période de perte de gains professionnels actuels pendant toute la période de l'incapacité temporaire alors que M. [S] considère désormais que l'indemnisation de ce poste de préjudice doit couvrir une période de 48 mois, ce qui constitue une demande nouvelle en appel et en contradiction avec l'expertise ;

- l'expertise n'a retenu aucun retentissement professionnel compte tenu, notamment, de son état antérieur et de sa décision personnelle de changement de mode de vie, l'indemnisation de ce poste de préjudice n'étant pas médicalement justifiée, car non imputable à l'infraction, ne peut donner lieu à indemnisation ;

- le poste d'assistance par tierce personne n'a pas été retenu par l'expert, ce qui est tout à fait normal en l'état d'un taux de déficit fonctionnel permanent de 3 % ;

- M. [S] a pu vivre seul depuis son agression et le fait qu'il ait décidé d'aller vivre chez sa s'ur, constitue un choix de vie de sa part dans la mesure où il est tout à fait valide et n'a besoin d'aucune aide pour accomplir tous les actes de la vie courante ;

- le poste de préjudice moral des proches est réservé par la jurisprudence au cas où la victime est lourdement handicapée.

Par conclusions récapitulatives n° 2 (avec appel incident) notifiées par voie électronique le 17 mai 2019, M. [I] [S], Mme [Y] [S] épouse [B] et Mme [M] [A] demandent à la cour de :

Dire et juger recevable et bien fondé leur appel incident ;

En conséquence,

Infirmer partiellement la décision entreprise en ce qu'elle a statué sur :

- les postes de :

* déficit fonctionnel permanent,

* perte de gains professionnels actuels et futurs,

* incidence professionnelle,

* tierce personne,

- les préjudices des victimes par ricochet,

- l'article 700 du code de procédure civile ;

Allouer à M. [S] au titre de :

# Préjudices patrimoniaux :

- pertes de gains professionnels actuels : 54 020,28 €

- pertes de gains professionnels futurs : 154 958,40 €

- incidence professionnelle : 32 000 €

- tierce personne : 35 000 €

# Préjudices extra-patrimoniaux :

- déficit fonctionnel permanent : 32 000 € ;

Allouer à Mme [S] la somme de 65 000 € ;

Allouer à Mme [A] la somme de 8 000 € ;

Allouer à M. [S] la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Confirmer le jugement pour le surplus ;

Dire que les dépens seront laissés à la charge de l'État.

Ils font valoir que :

# Sur l'expertise :

- les magistrats ne sont pas liés par les rapports d'expertise et peuvent s'en affranchir, il leur appartient d'en relever les défaillances et les contradictions ;

- le docteur [H], sapiteur, n'a pas fourni de liste des documents et pièces médicales communiquées, il a reconnu que l'expert principal ne lui a pas communiqué de compte-rendu médical, et il n'a pas répondu à l'ensemble de la mission fixée par l'expert principal ;

- M. [S] présente un état de stress post-traumatique et une dépression ;

- une prédisposition pathologique ne saurait réduire l'indemnisation si elle n'a été révélée que par le fait générateur ;

- la fragilité de la victime ou une personnalité inhibée ne constitue pas un état antérieur au sens médico-légal s'il n'y avait pas de réduction de capacité constatée ;

- M. [S] est revenu en France en 2017, occupant de nouveau son ancien logement ;

- son agression l'a conduit à une addiction à l'alcool ayant elle-même entraîné un accident vasculaire et une atrophie cérébrale, et il a développé un bégaiement ;

- le besoin de tierce personne a été établi par un ergothérapeute en février 2018 ;

# Sur la liquidation des préjudices :

- le poste de perte de gains professionnels actuels ne se confond pas avec la durée des arrêts de travail, de sorte qu'il doit couvrir la période de mi-septembre 2006 à mi-septembre 2010, soit 48 mois ;

- M. [S] aurait pu prétendre à une retraite à taux plein à l'âge de 67 ans de sorte qu'il n'aurait pas arrêté de travailler à l'âge légal de 62 ans pour faire valoir ses droits ;

- la jurisprudence récente de la Cour de cassation ne reproche pas aux juges du fond d'allouer une somme au titre de l'incidence professionnelle conjointement à une somme au titre des pertes de gains professionnels futurs pour une victime ne pouvant retravailler, mais de n'avoir pas explicité en quoi la première réparait un préjudice différent de la seconde ;

- l'agression de M. [S] a engendré une incidence professionnelle puisqu'il n'a plus retravaillé, a perdu son cercle de relations professionnelles et il est dans l'incapacité de le remplacer par absence d'emploi ;

- M. [S] a un besoin d'une tierce personne définitive, l'évaluation de ce besoin devant se faire in concreto, l'assistance par une tierce personne n'étant pas limitée aux cas de gros handicaps ;

- elle ne se réduit pas à la seule impossibilité d'accomplir l'ensemble des actes ordinaires de la vie courante mais peut se justifier pour des gestes non correctement faits ou des déplacements extérieur rendus compliqués ;

- le taux de déficit fonctionnel permanent de M. [S] doit être réévalué à 16 %;

- Mme [S] épouse [B] a fait office de tierce personne de 2006 à 2012, elle a dû régulièrement se rendre en Espagne pendant 6 ans, et a dû reprendre en charge M. [S] depuis son retour en France ;

- Mme [A], fille de Mme [S] épouse [B], a souffert de la présence de son oncle lorsqu'elle rentrait chez ses parents le week-end, elle ne bénéficiait plus d'aucune intimité, ne pouvait plus inviter ses amis et était délaissée par ses parents qui s'occupaient de M. [S].

Le dossier a été communiqué au ministère public qui a conclu, par mention au dossier en date du 2 octobre 2018, communiquée aux parties le 3 octobre 2018, s'en rapporter sur les montants alloués, indiquant également qu'il n'assistera pas à l'audience.

La clôture de l'instruction est intervenue le 28 mai 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'indemnisation

Le FGTI a interjeté appel de la décision, appel limité à l'indemnisation des pertes de gains professionnels actuels de M. [S], des pertes de gains professionnels futurs de M. [S] et des préjudices moraux de Mme [S] et de Mme [A].

Dans le cadre d'un appel incident, les intimés demandent à la cour de statuer sur les postes de déficit fonctionnel permanent, pertes de gains professionnels actuels et futurs, incidence professionnelle et tierce personne de M. [I] [S] ainsi que sur les préjudices moraux des victimes par ricochet (s'ur et nièce de M. [S]).

L'indemnisation des préjudices de M. [S] se fera au vu du rapport d'expertise médicale des docteurs [L] et [H] qui concluaient notamment ainsi :

- Un déficit fonctionnel temporaire total du 17 septembre 2006 au 17 décembre 2006, soit une période de 3 mois ;

- Un déficit fonctionnel temporaire partiel de classe III (50 %) du 18 décembre 2006 au 18 mars 2007, soit une période de 3 mois ;

- Un déficit fonctionnel temporaire partiel de classe I (10 %) du 19 mars 2007 au 14 septembre 2010, soit une période de 1 275 jours ;

- La consolidation de M. [S] est fixée au 15 septembre 2010 ;

- Un déficit fonctionnel permanent de 3 % ;

- Pas de retentissement professionnel ;

- Des souffrances endurées évaluées à 2,5/7 ;

- Un préjudice esthétique temporaire (avant consolidation) évalué à 2/7 ;

- Pas de préjudice esthétique permanent ;

- Absence de préjudice d'agrément ou sexuel ;

- Le soutien familial a été indispensable pour lui redonner un sentiment de sécurité ;

- Le séjour familial a permis une amélioration de l'état psychiatrique ;

- Cette assistance et l'impossibilité temporaire de vivre seul ont débuté dans les suites de l'agression et ont pris fin à la mi-juillet 2008 ;

- Depuis cette date, il peut vivre seul.

1) Les préjudices de M. [I] [S] restant en débat

Pertes de gains professionnels actuels (PGPA)

Il s'agit de la perte de gains liée à l'incapacité provisoire de travail, c'est-à-dire aux pertes actuelles de revenus éprouvées par la victime du fait de son dommage. C'est la compensation d'une invalidité temporaire spécifique qui concerne uniquement les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime jusqu'à sa consolidation. Il faut prendre en compte la situation exacte de la victime au regard de son activité professionnelle. Une victime qui n'est plus en déficit fonctionnel temporaire peut néanmoins se trouver en arrêt total de travail et subir une perte totale de revenus. L'indemnisation doit être effectuée in concreto au regard de la preuve de la perte de revenus alléguée.

Le FGTI n'a pas fait appel de ce chef de préjudice.

M. [S] a formé un appel incident et réclame en cause d'appel la somme de 54 020,28 €.

Or, devant la commission en première instance, M. [I] [S] avait sollicité de ce chef la somme de 14 924, 28 € et la CIVI lui avait octroyé l'intégralité de ce montant de 14 924, 28 €.

Ayant été rempli de ses demandes en première instance, M. [S] ne peut critiquer la décision de la CIVI sur ce poste particulier.

Il sera débouté de sa demande et la décision sera confirmée de ce chef.

Assistance par tierce personne (ATP)

Il s'agit des dépenses liées à l'assistance permanente d'une tierce personne pour aider la victime handicapée à effectuer les démarches nécessaires et les actes de la vie quotidienne. Ce sont des dépenses permanentes, à la différence des frais temporaires d'assistance par tierce personne qui peuvent être pris en compte à la rubrique 'Frais divers' (FD).

Ce poste de préjudice n'a pas été retenu par les experts, ce qui apparaît cohérent avec le taux de déficit fonctionnel permanent faible retenu de 3 %.

M. [S] a de nouveau vécu seul à partir du mois de juillet 2008 et n'a intégré une structure qu'en mars 2012 de sorte qu'il n'a pas eu recours à l'assistance d'une quelconque tierce personne pendant 4 ans.

Les experts ont expressément indiqué dans leur rapport que l'assistance familiale et l'impossibilité temporaire de vivre seul ont débuté dans les suites de l'agression et ont pris fin à la mi-juillet 2008, date à partir de laquelle M. [S] a été en capacité de vivre à nouveau seul.

En conséquence, n'étant pas médicalement justifiée aux termes du rapport d'expertise, la demande au titre de l'assistance par tierce personne ne peut prospérer et M. [S] en sera débouté.

La décision sera confirmée de ce chef.

Pertes de gains professionnels futurs (PGPF)

Ce poste permet l'indemnisation de la perte ou de la diminution des revenus de la victime, perte consécutive à l'incapacité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage. Il s'agit d'indemniser une perte ou une diminution de gains professionnels pouvant provenir soit de la perte de l'emploi, soit de l'obligation par la victime d'exercer un emploi à temps partiel après le dommage.

M. [S] est né le [Date naissance 9] 1960. En août 2016, il avait 55 ans.

Il demande la capitalisation d'une rente temporaire de 55 ans à 67 ans en indiquant qu'il souhaitait pouvoir continuer jusqu'à 67 ans afin d'avoir une retraite à taux plein.

En se fondant sur le barème de la Gazette du Palais 2016, et en retenant un taux de 10,550, il demande la somme de 1 224 x 12 x 10,550 = 154 958,40 €.

La CIVI conteste ce poste indemnitaire en indiquant que le rapport d'expertise souligne « L'état psychique séquellaire imputable à l'agression du 17 septembre 2006 ne peut être considéré comme une entrave à la recherche d'un emploi. Ce sont les faiblesses intrinsèques initiales qui font qu'il a peu de chances de trouver un autre emploi ['] L'impact des troubles imputables et modestes sur son mode de vie dont la pauvreté globale préexistait ['] Les difficultés socioprofessionnelles actuelles sont liées à ses déficiences antérieures et les éléments dépressifs notés sont dus au changement de mode de vie (déménagement, perte d'emploi) qui est en rapport avec une décision personnelle et non avec un trouble psychologique ».

Elle ajoute que M. [S] a indiqué lui-même aux experts qu'il admettait ne pas chercher de nouvel emploi.

En définitive, l'état séquellaire de M. [S] n'est pas incompatible avec la reprise d'une activité professionnelle.

De plus, lors de l'expertise, M. [S] était représenté par un médecin, lequel n'a formulé aucune observation ni aucun dire concernant ce poste.

En conséquence, l'indemnisation de ce poste de préjudice n'étant pas médicalement justifiée, en ce qu'elle n'est pas imputable à l'infraction, il ne peut y avoir lieu à indemnisation.

M. [S] sera débouté et la décision sera infirmée de ce chef.

Incidence professionnelle (IP)

Elle correspond à la dévalorisation sur le marché du travail, à une perte chance quant à l'intérêt du travail ou une possibilité de promotion, à une augmentation de la pénibilité du travail. On y trouve aussi les frais de reclassement professionnel.

L'expertise n'a pas retenu d'incidence professionnelle à la vue d'un état antérieur patent et précisément décrit.

Les experts ont précisé que les difficultés socioprofessionnelles de M. [S] étaient liées à des antécédents personnels antérieurs et à un changement de mode de vie en rapport avec une décision personnelle non imputable à l'infraction.

Pas plus, M. [S] n'a entendu se reconvertir professionnellement puisqu'il a uniquement indiqué ne plus travailler. Il entend aujourd'hui se faire indemniser de ses pertes de revenus jusqu'à l'âge de la retraite.

Dès lors, une indemnisation à ce titre n'est pas justifiée, que ce soit en l'état des conclusions médicales mais aussi au vu des éléments du dossier concernant la situation socioprofessionnelle de M. [S].

Il convient donc de le débouter de sa demande et la décision sera confirmée de ce chef.

Déficit fonctionnel permanent (DFP)

Ce poste doit indemniser le préjudice extra-patrimonial découlant d'une incapacité constatée médicalement qui établit que le dommage subi a une incidence sur les fonctions du corps humain de la victime. Ceci concerne les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, la douleur permanente qu'elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle rencontre au quotidien après consolidation.

Ce poste peut être défini, selon la Commission européenne à la suite des travaux de Trèves de juin 2000, comme correspondant à 'la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l'étude des examens complémentaires produits, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions physiologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours'.

Seront donc également réparés dans ce poste la perte d'autonomie personnelle que vit la victime dans ses activités journalières ainsi que tous les déficits fonctionnels spécifiques qui demeurent même après la consolidation.

M. [I] [S] était âgé de 49 ans à la date de consolidation.

L'expert a fixé un taux d'IPP de 3 % sur la base des séquelles psychiques secondaires à l'agression et qui se limitent à un tableau anxieux mineur lié à une sensation d'insécurité.

M. [S] demande que le taux soit réévalué à 16 %

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [S] présente une personnalité « inhibée, carencée, limitée, vulnérable. Ces éléments constituent un état antérieur avéré, à l'origine d'un mode de vie déjà peu épanoui, en retrait, à la mesure de ses faibles compétences sociales ».

Il est relevé l'existence d'éléments dépressifs d'intensité modérée, faits de douleurs morales et de

pessimisme au regard de sa situation, outre un tableau anxieux, fait de tensions internes désagréables en rapport avec la perception d'un climat d'insécurité, modéré mais durable.

M. [S] a vécu chez sa s'ur pendant près de deux ans mais la cohabitation avec le reste de la famille a fragilisé le couple de sa s'ur et M. [S] a dû prendre un appartement seul.

M. [S] essaie de déplacer le débat sur la névrose post-traumatique alors qu'en l'espèce ce n'est pas la séquelle retenue par l'expertise.

L'ensemble de ces éléments permet de conclure au maintien de l'évaluation faite par les experts à 3 % et, en retenant une valeur du point de 1 450 €, d'aboutir à une indemnisation de 4 350 € de ce chef.

La décision sera infirmée de ce chef.

2) Le préjudice moral de Mme [Y] [S] épouse [B] et Mme [M] [A]

Ce poste concerne les préjudices moraux de la s'ur et de la nièce de M. [I] [S], chez qui il a été hébergé pendant plusieurs mois après avoir quitté [Localité 12].

Préjudice de Mme [Y] [S] épouse [B]

Mme [B] fait état de nombreuses contraintes générées par la présence de son frère à son domicile. Elle évoque les difficiles relations au sein de son couple du fait de la présence permanente de ce frère.

Elle précise avoir dépensé une somme d'environ 500 €/an pendant 6 ans pour lui rendre visite en Espagne après son départ.

Elle ajoute aussi qu'après le retour de son frère d'Espagne, elle a dû le reprendre en charge, sauf pour le coucher.

Il est indéniable que l'accueil à son domicile, par Mme [B], de son frère, accueil pour lequel l'expert indique qu'il a permis une amélioration de l'état psychiatrique de M. [S], a engendré un préjudice au détriment de la vie personnelle et familiale de Mme [B].

En effet cette dernière a dû gérer, notamment administrativement, son frère pendant plus d'un an, comme un enfant, et supporter son alcoolisation croissante, outre son côté dépressif.

En réparation de ce préjudice, il y a lieu de lui allouer la somme de 4 500 €.

La décision sera confirmée de ce chef.

Préjudice de Mme [M] [A]

La fille de Mme [B] était à l'époque élève de classe préparatoire scientifique et elle ne rentrait chez ses parents que le samedi matin.

De plus, c'est dans sa chambre que dormait M. [S] pendant la semaine.

La nuit du samedi au dimanche, M. [S] dormait dans le canapé du salon.

Néanmoins, M. [S] ne se lavant pas ou peu, l'odeur persistait, et elle ne se sentait plus a 1'aise dans sa propre chambre.

Enfin, en raison du comportement de son oncle, il était impensable pour elle d'inviter des amis à la maison.

En réparation de ce préjudice, il y a lieu de lui allouer la somme de 1 500 €.

La décision sera confirmée de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Les dépens seront laissés à la charge de l'État conformément aux dispositions des articles R. 91 et R. 93 II 11° du code de procédure pénale.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de M. [I] [S], Mme [Y] [S] épouse [B] et Mme [M] [A] les frais engagés pour la défense de leurs intérêts en cause d'appel. Aucune somme ne leur sera allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans la limite de l'appel principal et de l'appel incident :

Infirme la décision entreprise s'agissant de l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs et du déficit fonctionnel permanent de M. [I] [S] ;

Confirme la décision entreprise pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute M. [I] [S] de sa demande au titre de la perte de gains professionnels futurs ;

Alloue à M. [I] [S] la somme de 4 350 € (quatre mille trois cent cinquante euros) au titre de l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent ;

Fixe à la somme totale de 31 901,78 € (trente et un mille neuf cent un euros et soixante-dix-huit centimes) le préjudice subi par M. [S] consécutivement à son agression du 17 septembre 2006 ;

Fixe à 28 901,78 € (vingt-huit mille neuf cent un euros et soixante-dix-huit centimes), compte tenu de la provision de 3 000 € (trois mille euros) déjà payée, la somme que devra verser le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et autres infractions (FGTI) à M. [I] [S] au titre du solde dû en réparation de ses préjudices ;

Dit n'y avoir lieu à octroi d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laisse les dépens à la charge de l'État.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Monsieur Laurent Grava, faisant fonction de Président de la deuxième chambre civile et par le Greffier Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 17/04894
Date de la décision : 01/10/2019

Références :

Cour d'appel de Grenoble 02, arrêt n°17/04894 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-01;17.04894 ?
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