RG N° 11/01378
N° Minute :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU JEUDI 18 OCTOBRE 2012
Appel d'une décision (N° RG F09/00590)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE
en date du 04 mars 2011
suivant déclaration d'appel du 08 Mars 2011
APPELANT :
Madame [W] [V]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Assistée de Me Isabelle ROUX (avocat au barreau de VALENCE)
INTIMEE :
FONDATION ROBERT ARDOUVIN, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Collectivité Pédagogique
[Localité 2]
Représentée par Me Pierre-Yves FORSTER (avocat au barreau de VALENCE)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Monsieur Daniel DELPEUCH, Président de Chambre,
Monsieur Frédéric PARIS, Conseiller,
Madame Astrid RAULY, Conseiller,
DEBATS :
A l'audience publique du 10 Septembre 2012,
M. Daniel DELPEUCH, chargé du rapport, et M. Frédéric PARIS, assistés de Mme Abla AMARI,, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 11 Octobre 2012, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour. Le délibéré a été prorogé au 18 octobre 2012.
L'arrêt a été rendu le 18 Octobre 2012.
Notifié le :
Grosse délivrée le :
RG : 11/1378FP
Mme [W] [V] a. été engagée le 15 décembre 1986 par la Fondation Robert ARDOUVIN en qualité d'assistante sociale.
En 2004, une seconde assistante sociale a été embauchée par l'association, Madame
[N].
En février 2008, Mme [V], par courrier, s'est plainte à la direction d'une discrimination salariale par rapport à la deuxième assistante sociale.
Au mois de mai 2009, l'association a présenté un projet d'organisation du travail différent et souhaité en discuter avec Mme [V],
Le 04 juillet 2009, Mme [V] a présenté sa démission.
Le Conseil de Prud'hommes de Valence a été saisi le 4 août 2009 par Mme [V] qui a demandé la requalification de sa démission en rupture abusive à l'initiative de la Fondation Robert ARDOUVIN, un rappel de salaire et de primes, des heures complémentaires et les indemnités de rupture, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le conseil de prud'hommes a rendu sa décision le 4 mars 2011. Il a débouté Mme [V] de sa demande de requalification mais condamné l'association ARDOUVIN à lui payer les sommes suivantes':
- 1'880 € à titre de rappel de salaire et 188 euros au titre des congés payés afférents,
- 4974 € à titre de rappel de primes,
- 700 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la déboutant du surplus de ses demandes et condamnant la Fondation Robert ARDOUVIN aux dépens.
La Cour est saisie par l'appel interjeté le 8 mars 2011 par Mme [V], le jugement lui ayant été notifié le 05/03/2011.
Mme [V], appelante, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu la discrimination et alloué le rappel de salaire, de le réformer pour le surplus et condamner la Fondation Robert ARDOUVIN à lui payer':
- 21'874,12 euros à titre de rappel de primes et 2'187,41 euros de congés payés,
- 2'779,32 euros au titre des heures complémentaires et 277,93 euros de congés payés,
Requalifier sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la Fondation Robert ARDOUVIN à lui payer les sommes suivantes':
- 7'246 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 27'140 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
- 2'000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
De mettre les frais d'exécution à la charge de la Fondation Robert ARDOUVIN.
Mme [V] expose par conclusions régulièrement communiquées, déposées et développées oralement à l'audience que':
1) les contrats de travail, les fiches de paie et divers éléments démontrent que Mme [V] et Mme [N] effectuaient le même travail, au même niveau de responsabilité, ce dont il se déduit':
- le rappel de salaire,
- le rappel de primes que Mme [N] percevait régulièrement alors que Mme [V] ne les percevait qu'aléatoirement,
- elle réclame des heures complémentaires depuis de nombreuses années, ce qu'elle a formalisé par un courrier du 12 février 2008 (qui a été suivi d'un avenant augmentant son temps de travail) et du 30 mai 2009, ce qu'elle fait à partir de ses propres fiches de travail,
2) le 27 mai 2009, l'employeur a adressé une lettre commune aux 2 assistantes sociales afin d'indiquer que désormais leurs fonctions et leurs horaires seraient modifiés, (prise en charge de l'accueil des parents, ce qui ne relève pas de leurs fonctions)
2-2) contrairement à ce que le premier juge a retenu, la décision avait bien été prise puisque le courrier du 27 mai lui demande de prendre rendez-vous pour organiser cet accueil et c'est ce qui avait été préparé par l'embauche d'une personne en mars chargée d'une partie de leurs tâches et c'est bien ce qui est appliqué depuis leurs départs (Mme [N] serait toujours en congés maladie)
3) la démission doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les conséquences que cela entraîne.
La Fondation Robert ARDOUVIN, intimée, demande à la cour de réformer le jugement pour ce qu'il a accordé à Mme [V], de la débouter de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 1'000 € en application des dispositions de l'article 700 du CPC ainsi que les dépens.
La Fondation Robert ARDOUVIN expose par conclusions régulièrement communiquées, déposées, et développées oralement à l'audience que':
1) la différence de situation entre Mme [V] et Mme [N] s'explique par la différence des fonctions,
2) il n'est dû aucunes heures complémentaires,
3) il n'y a pas eu de modification du contrat de travail mais souhait d'une discussion à ce sujet et il n'y a eu aucune modification des horaires après la lettre du 27 mai 2009,
4) les manquements ne sont pas établis.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la discrimination
L'article 1132-1 du code du travail prévoit qu'aucune personne ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte.
Tout salarié a droit au même salaire pour un même travail qu'un autre salarié placé dans une situation identique sauf pour l'employeur à justifier d'éléments objectifs, et pertinents, exclusifs de toute discrimination.
L'article 1134-1 du code du travail dispose notamment que'lorsqu'un litige survient en raison d'une méconnaissance du principe de non- discrimination, «'le salarié doit présenter des éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte'Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs et étrangers à toute discrimination.'».
En l'espèce, Mme [V] comme sa collègue de travail sont assistantes sociales et possèdent toutes deux le même diplôme.
Mme [V] fournit des documents de travail interne à l'association intitulés - Pistes d'améliorations à apporter au secteur social et éducatif de la collectivité pédagogique -, -Réunion du secteur social et éducatif du 24 octobre 2006- et - présentation du fonctionnement de l'équipe socio-éducative et réflexion en cours de janvier 2009 - qui ne contiennent aucun élément de distinction entre les fonctions de Mme [V] et Mme [N]'; celles-ci sont présentées sur le même plan au niveau fonctionnel, et il n'est fait à aucun endroit mention d'une responsabilité supérieure de Mme [N], ou d'une subordination de Mme [V] à Mme [N].
Mme [V] et Mme [N] sont présentées toutes deux comme référentes assistantes sociales ou référentes des situations administratives des enfants, en lien avec les travailleurs sociaux.
Alors que ces documents portent sur l'amélioration du travail éducatif et social ou du fonctionnement de l'équipe, il n'est fait mention nulle part d'un rôle particulier de Mme [N], ce qui est surprenant puisque l'employeur prétend l'avoir embauchée en qualité de responsable du suivi éducatif et social.
La Fondation Robert ARDOUVIN ne produit aucune fiche de poste de Mme [V] et il n'est fourni aucun organigramme de la fondation.
La description des missions de Mme [N] et de Mme [V] aux termes des contrats de travail est lapidaire, le contrat de travail de Mme [N] exposant que celle-ci «'exercera dans l'association toutes les fonctions liées à son emploi d'assistante sociale, soit le suivi social et éducatif des enfants confiés à la collectivité pédagogique, et le contrat de Mme [V] mentionnant qu'elle «'est chargée d'effectuer les taches sociales et administratives'».
Si le contrat de Mme [N] indique qu'elle est employée en qualité d'assistante sociale, correspondant au suivi social et éducatif des enfants, le contrat de Mme [V] évoque des taches sociales et administratives, ce qui implique que Mme [V] dans ses taches sociales devait nécessairement assurer le suivi social et éducatif, ce travail ressortant de la mission d'une assistante sociale travaillant dans une maison d'enfants.
D'ailleurs les documents internes de travail montrent que Mme [V] assumait ce type de mission.
L'attestation de l'ancien directeur, M. [X] relatant que Mme [N] a été embauchée en qualité de responsable du suivi social et éducatif est en contradiction avec ces éléments et ne peut sans autres critères objectifs justifier la différence de traitement entre les deux assistantes sociales.
Enfin l'expérience plus variée de Mme [N] ne justifie pas à elle seule la différence de traitement compte tenu que Mme [V] en ce qui la concerne avait une ancienneté importante dans la Fondation, comme ayant été embauchée en 1986 alors que Mme [N] a été embauchée en 2004.
Dans ces conditions, l'employeur n'établit pas par des critères objectifs que les situations respectives de Mme [V] et Mme [N] justifiaient une inégalité de traitement.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu une discrimination entre Mme [V] et Mme [N].
Concernant les conséquences de cette discrimination, il ressort d'une jurisprudence constante que le salarié discriminé doit être placé dans la même situation que la personne placée dans une situation identique, ce qui justifie d'appliquer à Mme [V] le même taux horaire que Mme [N], ce qui établit un rappel de salaire de 1880 €, le taux horaire applicable et le montant de la demande n'étant pas discutés.
Sur la demande de rappel de primes, la prime de 205 € par mois n'a pas été versée à Mme [V] alors qu'elle y avait droit.
La somme accordée sur ce point par le conseil des prud'hommes au prorata du temps partiel d'un montant de 4974 € sera confirmée, le quantum n'étant là encore pas discuté.
Il résulte des bulletins de paie de Mme [N] et Mme [V] que Mme [N] a perçu juste la prime de 205 € en plus et déjà accordé à Mme [V] par les premiers juges au cours des années 2004 et 2005.
En novembre et décembre 2006 Mme [V] n'a pas perçu la prime exceptionnelle de 700,95 € et de 143 € au contraire de Mme [N], ces primes seront accordées à Mme [V] au prorata de son temps partiel de 52,75 % soit au total la somme de 445,18 €.
Par contre depuis août 2006 la prime de logement était justifiée par la situation de Mme [N] qui ne logeait pas sur place alors que Mme [V] était logée sur place, ce qu'elle ne conteste pas.
Les deux salariés n'étaient donc pas dans la même situation.
Il ne sera donc pas fait droit à la demande de prime de logement.
En 2007, Mme [V] n'a pas perçu la prime exceptionnelle de 143 € sur les 12 mois de l'année alors que Mme [N] en a bénéficié, ce qui établit une somme de 905,19 € (1716 € x 0,5275).
Mme [N] a perçu en 2008 des primes exceptionnelles de 297 € en janvier 2008 et de 253 € en février 2008, soit un total de 550 €, ce qui donne droit pour Mme [V] à la somme de 290,12 € (550 € x 0,5275).
Elle a enfin bénéficié d'une prime exceptionnelle de 143 € par mois d'avril à septembre 2008.
Au prorata de son temps de travail Mme [V] a droit':
d'avril à mai 2008': 286 € x 0,5275 = 150,86 €
de juin 2008 à septembre 2008': 572 € (143 € x 4) x 0, 68,58 = 392,27 €.
Il sera dès lors ajouté au premier jugement un rappel de primes de 2183,62 € outre les congés payés sur ces primes de 218,36 €.
Il sera aussi accordé les congés payés sur les primes accordées par le jugement déféré soit la somme de 497,40 €.
Sur les heures complémentaires
Si Mme [V] a réclamé le paiement d'heures complémentaires par lettres du 12 février 2008 et du 30 mai 2009, il reste que Mme [V] produit des relevés qu'elle a établi elle-même des années 2007, 2008 et 2009 alors que l'employeur fournit des fiches des heures travaillées des années 2006 et 2007 que devait remplir la salariée, non remplis.
Mme [V] ne donne aucune explication sur le fait qu'elle ne remplissait pas les fiches qu'elle devait remettre à l'employeur.
Dès lors et compte tenu que le tableau présenté par Mme [V] n'a pas été renseigné au fur et à mesure des semaines travaillées, la demande au titre des heures complémentaires de l'année 2007 ne sera pas satisfaite.
S'agissant des années 2008 et 2009, il ressort des fiches horaires produites aux débats que le solde des horaires figure au bas de chaque mois, et en haut du mois suivant, de sorte qu'au début de chaque mois, le solde précédant est pris en compte, dans le calcul des heures effectivement faites par Mme [V] déduction faite des heures récupérées.
Les fiches horaires montrent qu'en décembre 2008 il restait un solde de 5,06 heures reporté à début janvier 2009, et qu'en août 2009 il ne restait aucune heure non récupérée.
Le jugement sera dès lors confirmé sur ce point.
Sur la modification du contrat de travail
Les premiers juges par des motifs pertinents que la cour adopte ont considéré à juste titre que le contrat de travail n'avait pas été modifié, Mme [V] ayant été seulement invitée à discuter du projet de la direction concernant la modification des missions et des horaires.
Sur la rupture du contrat de travail
Il résulte de la lettre de démission de Mme [V] que celle-ci invoquait notamment la discrimination qu'elle subissait depuis la date d'embauche de Mme [N].
La discrimination imputable à un employeur constitue un manquement particulièrement grave faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail.
Mme [V] était dès lors fondée à prendre acte de la rupture de son contrat de travail du fait de l'employeur, la démission étant en conséquence requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il sera accordé à Mme [V] l'indemnité légale de licenciement de 7246 € calculée conformément à l'article R 1234-2 du code du travail (1180,40 € x 1/5 x 22) + (1180,40 € x 1/5 x 8/12) + 1180,40 € x 2/15 x 12) + (1180,40 € x 2/15 x 8/12).
Mme [V] justifie être inscrite à Pôle Emploi et percevoir des indemnités de 27,98 € par jour, après avoir travaillé du 20 décembre 2009 au 20 décembre 2011.
Compte tenu de ces éléments, du niveau de son salaire brut lors de la démission, de son ancienneté de 22 ans, il convient de fixer des dommages et intérêts à hauteur de 15'000 €.
Sur les dépens
La Fondation Robert ARDOUVIN échouant partiellement dans ses prétentions sera tenue aux dépens et devra indemniser la partie adverse des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Par ces motifs la Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande au titre des heures complémentaires, retenu des faits de discrimination, condamné la Fondation Robert HARDOUVIN à payer à Mme [V] la somme de 1880 € à titre de rappel de salaires et celle de 188 € à titre de congés payés y afférents, celle de 4974 € à titre de rappel de primes, celle de 700 € au titre de l'article 700 du CPC, et condamné la Fondation Robert HARDOUVIN aux dépens,
Y ajoutant,
CONDAMNE la Fondation Robert HARDOUVIN à payer à Mme [V] la somme de 497,40 € au titre des congés payés,
REFORME le jugement déféré en ce qui concerne le rejet de la demande de requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et le rejet des indemnités demandées à ce titre,
Statuant à nouveau sur ces points,
DIT que la rupture du contrat de travail est imputable à la discrimination dont s'est rendue responsable la Fondation Robert ARDOUVIN,
En conséquence,
REQUALIFIE la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la Fondation Robert ARDOUVIN à payer à Mme [V] la somme de 7246 € au titre de l'indemnité légale de licenciement et celle de 15'000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
CONDAMNE la Fondation Robert ARDOUVIN à payer à Mme [V] la somme de 1000 € au titre de l'article 700 du CPC.
CONDAMNE la Fondation Robert ARDOUVIN aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur DELPEUCH, Président, et Madame HAMON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président