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11/03/2010 | FRANCE | N°09/03379

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre sociale, 11 mars 2010, 09/03379


RG N° 09/03379



N° Minute :













































































































Notifié le :



Grosse délivrée le :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE G

RENOBLE



CHAMBRE SOCIALE



ARRET DU JEUDI 11 MARS 2010







Appel d'une décision (N° RG 20080556)

rendue par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de GRENOBLE

en date du 16 juin 2009

suivant déclaration d'appel du 16 Juillet 2009



APPELANTE :



LA S.A.S. BECTON DICKINSON FRANCE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 7]


...

RG N° 09/03379

N° Minute :

Notifié le :

Grosse délivrée le :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU JEUDI 11 MARS 2010

Appel d'une décision (N° RG 20080556)

rendue par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de GRENOBLE

en date du 16 juin 2009

suivant déclaration d'appel du 16 Juillet 2009

APPELANTE :

LA S.A.S. BECTON DICKINSON FRANCE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par la SCP FROMONT, BRIENS & ASSOCIES substitué par Me CHAVRIER (avocats au barreau de LYON)

INTIMES :

LA CPAM DE L'ISERE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Mme [V], munie d'un pouvoir spécial

Monsieur [K] [H]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Comparant en personne, assisté de Me TONEGUZZI (avocat au barreau de GRENOBLE)

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DELIBERE :

Monsieur Bernard VIGNY, faisant fonction de Président,

Monsieur Eric SEGUY, Conseiller,

Madame Astrid RAULY, Conseiller,

DEBATS :

A l'audience publique du 11 Février 2010,M. VIGNY, chargé(e) du rapport, en présence de Mme RAULY, assisté(e) de Mme Corinne FANTIN, Adjoint faisant fonction de Greffier, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoirie(s), conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 11 Mars 2010, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 11 Mars 2010.

Monsieur [H], né le [Date naissance 3] 1950, a travaillé au service de la Société BECTON DICKINSON à compter du 07 janvier 1974 et a occupé diverses fonctions. Il a déclaré le 24 septembre 2007 être atteint de plaques pleurales calcifiées diffuses bilatérales, constatées pour la première fois le 03 septembre 2007. La CPAM de Grenoble lui a notifié le 29 janvier 2008 la prise en charge de cette affection au titre de la maladie professionnelle n° 30 B.

Le 30 juin 2008, Monsieur [H] a cessé son activité.

Le TASS de Grenoble, par jugement du 16 juin 2009, a :

- dit que la maladie professionnelle dont Monsieur [H] était atteint était due à la faute inexcusable de la Société BECTON DICKINSON,

- fixé à son maximum la majoration de la rente,

- ordonné une expertise médicale.

' ' '

La Société BECTON DICKINSON a relevé appel et conclut au débouté de Monsieur [H].

Elle expose que :

- sur la preuve des fautes de la Société BECTON DICKINSON, preuve qui incombe au demandeur : la production d'attestations de collègues affirmant que Monsieur [H] a été exposé au risque est insuffisante,

- la Cour de Cassation, dans l'appréciation de la conscience du danger que doit avoir l'employeur, se réfère à un entrepreneur avisé ou averti, pour elle le risque doit avoir été raisonnablement prévisible,

- l'évolution de la réglementation n'a été que progressive et n'a, au départ, concerné que les industries transformant ou manipulant la matière première amiante. L'appelante cite divers arrêts de la Cour de Cassation et de cours d'appel.

L'amiante a été définitivement interdite en 1996.

- le tableau 30 B n'a été créé qu'en 1985 et vise les travaux propres à l'amiante brute,

- Monsieur [H] n'a pas été exposé de façon habituelle à l'amiante. Il a été formeur, formateur et régleur au sein du seul atelier formage qui fabrique des seringues en verre.

Les inserts sur lesquels sont posés les tubes de verre étaient, pour certains d'entre eux, jusqu'en 1978 en amiante puis en asbetolith ANR jusqu'en 1995, puis en carbone.

De l'amiante était utilisé comme isolant thermique mais sans être manipulé.

- Monsieur [H] assurait le remplacement des inserts ainsi que leur entretien,

- les analyses de l'air des ateliers effectuées en 1982,1985, 1992 et 1995 n'ont pas révélé la présence de particules d'amiante.

' ' '

Monsieur [H] conclut à la confirmation du jugement et demande 3 000 € à titre de provision ainsi que 2 500 € en application de l'article 700 du CPC.

Il expose que :

- sur l'exposition habituelle et le travail de Monsieur [H] : il a été en contact avec l'amiante :

' dans les fours réfractaires : il les ouvrait, enlevait le calfeutrage des plaques et tresses en amiante pour accéder à l'intérieur et effectuer un contrôle et une remise en état des barres supports, ce qui dégageait une poussière considérable,

' dans l'atelier formage où étaient ajustés des inserts en amiante pour les lignes de formage, et ce à la lime, toile abrasive, meule et soufflette.

Les fours étaient équipés d'un pare-flamme en amiante.

- le problème avait été évoqué au CHSCT. La Société a pris des mesures à partir de 1996.

L'inspecteur du travail a alerté la Société le 13 octobre 1995 sur des traces d'amiante repérées et a demandé de rechercher des produits de substitution.

- la Société BECTON DICKINSON avait conscience du danger : Monsieur [H] a été exposé dès 1974 à de la poussière d'amiante. Cette matière a été utilisée par la Société BECTON DICKINSON dès 1970.

La première réglementation relative à l'amiante est du 17 août 1977 -décret-.

- la Société BECTON DICKINSON n'a pas pris de mesures de prévention ou de protection avant 1995.

' ' '

La CPAM déclare s'en rapporter à justice et sollicite l'application des dispositions de l'article L 452-3 du Code de la sécurité sociale.

MOTIFS DE L'ARRET

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La Société BECTON DICKINSON exerce son activité dans le domaine médical. Elle développe, fabrique et commercialise des matériels, des systèmes et consommables à destination des professionnels de la santé, des institutions de recherche médicale, de l'industrie pharmaceutique et du grand public.

A son entrée au service de la Société BECTON DICKINSON en 1974, Monsieur [H] a été affecté au contrôle qualité de l'atelier formage ; en 1977, il a été affecté au poste de formeur où il a exercé son activité en 3 x 8. En 1982, tout en demeurant formeur, il est devenu formateur. En 1986, Monsieur [H] a exercé les fonctions de régleur, tout en restant formateur. A partir de 1992, Monsieur [H] a été affecté au poste de formateur à plein temps.

L'activité de l'atelier formage est la fabrication de seringues en verre pré remplissables.

Dans cet atelier, la transformation du verre s'effectue par un procédé dit de 'formage à chaud'.

Les tubes en verre, pour ne pas être en contact direct avec le métal, sont posés sur une barre de transfert équipée d'inserts (pièce de 31 mm de long, 3 mm d'épaisseur, 11,5 mm de hauteur). Les inserts en contact direct avec la flamme des brûleurs étaient en amiante jusqu'en 1978 puis en asbetolith jusqu'en 1995, date à laquelle ils ont été en carbone.

Une fois le corps de la seringue travaillé au niveau de la machine de formage, celui-ci est recuit dans un four qui a été successivement en briques réfractaires puis en fibres céramiques.

Un cordon d'étanchéité en amiante et des pare-chaleur également en amiante équipaient ces fours jusqu'en 1995.

Monsieur [H] a été en contact avec des produits à base d'amiante, ainsi qu'en attestent ses anciens collègues de travail, Messieurs [P], [R], [U], [E] et Madame [N].

Ces attestations rapportent que :

'Monsieur [H] changeait des inserts à base d'amiante qu'il fallait ajuster en meulant ou limer et nettoyer en soufflant les particules d'amiante,

' Monsieur [H] nettoyait les plaques du four, le cordon d'étanchéité, sans protection.

Dans ses conclusions, la société appelante ne conteste pas ces opérations et manipulations. Elle admet qu'un 'simple et éventuel limage des inserts neufs pouvait s'avérer nécessaire', avec utilisation d'une simple meule, ayant son propre système d'aspiration'.

La société appelante mentionne que 'l'entretien était effectué au niveau des fours à recuit à froid les lundis matins', notamment 'par Monsieur [H], un lundi sur trois jusqu'en 1992".

La présence d'amiante et l'exposition à ce produit étaient connues par la Société BECTON DICKINSON, ainsi que le font apparaître des courriers de l'Inspection du Travail en date des 13 octobre 1995 et 12 mars 1996, un rapport du CHSCT du 29 septembre 1995 et un document d'information interne à l'entreprise du 29 février 2007 intitulé 'Flash Info Managers'.

Le courrier de l'Inspection du Travail du 13 octobre 1995 indiquait : 'vous avez repéré la présence d'amiante dans les éléments de pare chaleur et dans les coussinets. Rechercher des produits de substitution chaque fois que possible (article L 230-2-II F du Code du travail). Attention les fibres minérales artificielles peuvent générer des risques similaires à ceux de l'amiante (ex. : laine de verre et fibre céramique). Rechercher si l'amiante n'est pas présente dans d'autres matériaux de l'établissement (article L 230-2-III). Vous trouverez ci-joint en annexe un tableau des principales situations du risque amiante susceptibles d'être rencontrées dans les entreprises'.

Le compte-rendu de la réunion extraordinaire du comité d'entreprise du 12 octobre 2007 a identifié le 'périmètre' d'exposition à l'amiante :

- au niveau formage : dans les inserts des barres de transfert et certains outils,

- au niveau coupe, dans les pare flammes,

- dans l'ancienne usine, dans les fours d'étirage et de formage.

L'enquête relative à la maladie professionnelle dont Monsieur [H] est atteint a mis en évidence les travaux qu'il a effectués et qui l'ont exposé aux poussières d'amiante :

- contrôle en sortie des machines des ébauches, remplacement des opératrices de contrôle visuel en sortie machine,

- alimentation récupération des coupes : présence d'amiante sur les machines de formage et le four,

- sur tous les modèles au poste de formeur : présence d'amiante dans les inserts jusqu'en mai 1996 et les pare-flammes de 1978 à 1995.

Monsieur [H], dans la zone des fours réfractaires de l'ancienne usine -dite des Tritons- a procédé à l'ouverture des fours, a retiré le calfeutrage de plaques et les tresses en amiante et nettoyait avec une soufflette qui dégageait une importante poussière non évacuée.

Dans l'atelier formage maintenance, Monsieur [H] était aussi en contact avec l'amiante. Il ajustait à la lime, à la meule, à la ponceuse, à la toile abrasive des inserts en amiante pour les lignes de formage. Ces travaux dégageaient également une importante poussière qui n'était pas évacuée.

Dans les fours, l'amiante se présentait en vrac, en 'flocage', de sorte qu'il dégageait une importante poussière, non évacuée non plus.

Les pare flammes des machines de découpe étaient composés de plaques en amiante. Pour changer ces plaques, il était nécessaire de les découper avec une scie manuelle. Cette opération occasionnait de la poussière, non évacuée.

Ces plaques étaient remplacées une fois par an sur trois machines de coupe et sur environ 20 fours de formage.

Le rapport annuel du CHSCT de l'année 1995 a mentionné la présence d'amiante dans les fours de formage.

L'ensemble de ces éléments établit que Monsieur [H], depuis son entrée au service de la Société BECTON DICKINSON, a été au contact de l'amiante, matériau qu'il a meulé, limé, poncé, découpé et nettoyé, toutes opérations qui dégageaient une importante poussière contre laquelle il n'était pas protégé.

La Société appelante invoque des analyses d'atmosphère auxquelles elle a fait procéder au cours des années 1982, 1985, 1992 et 1995.

Seuls les compte-rendus des analyses effectuées en 1982, 1985 et 1992 sont produits. Si les résultats de ces prélèvements font apparaître une présence de fibre d'amiante en 'très faible quantité', les conditions dans lesquelles ces prélèvements ont été réalisés ne sont pas précisées. L'analyse de ces prélèvements pourrait être de nature à éclairer le litige s'il était établi qu'ils avaient été effectués dans les conditions de travail de Monsieur [H].

Les éléments examinés ci-dessus, à l'exception des compte-rendus d'analyse, établissent que la Société BECTON DICKINSON qui utilisait l'amiante dans les conditions rappelées, ne pouvait en ignorer les dangers, eu égard aux termes du décret du 17 août 1977.

S'il n'est pas discutable que la Société BECTON DICKINSON n'était pas un producteur d'amiante et n'était pas non plus un transformateur de ce matériau, elle l'utilisait de façon significative dans les inserts et dans les fours au contact desquels Monsieur [H] s'est trouvé quotidiennement pendant de longues années.

Contrairement à ce que paraît soutenir la société appelante, il n'est pas nécessaire d'inhaler des quantités très considérables de poussières d'amiante. Elle ne pouvait ignorer l'ensemble des travaux parus sur les dangers de l'amiante et l'accroissement très important des maladies professionnelles liées à l'amiante, dont certaines extrêmement graves, apparues depuis les années 1950-1960.

La Société BECTON DICKINSON n'a pris des mesures de protection contre l'amiante qu'à partir de 1995, soit de façon très tardive, alors qu'étaient connus les dangers de l'utilisation de l'amiante.

Avant cette date, la société appelante ne démontre pas avoir pris des mesures pour assurer l'évacuation des poussières et pour équiper les salariés de tenues protectrices, ce qui aurait pu permettre de limiter l'exposition au risque.

Monsieur [H] a établi que la Société BECTON DICKINSON, consciente du danger auquel elle l'avait exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Le jugement qui a dit que la maladie professionnelle dont est atteint Monsieur [H] est due à la faute inexcusable de la Société BECTON DICKINSON sera confirmé.

Les autres dispositions du jugement seront confirmées.

Toutefois, une provision de 1 500 € sera allouée à Monsieur [H], à valoir sur son préjudice.

L'équité commande la condamnation de la Société BECTON DICKINSON à payer à Monsieur [H] 1 500 € en application de l'article 700 du CPC.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [H] de sa demande de provision,

Statuant à nouveau,

Condamne la Société BECTON DICKINSON à payer à Monsieur [H] une provision de 1 500 €,

Dit que la CPAM de l'Isère fera l'avance de cette somme et qu'elle en récupérera le montant auprès de la Société BECTON DICKINSON,

Condamne la Société BECTON DICKINSON à payer à Monsieur [H] 1 500 € en application de l'article 700 du CPC.

Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

Signé par Monsieur VIGNY, Président, et par Madame FANTIN, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 09/03379
Date de la décision : 11/03/2010

Références :

Cour d'appel de Grenoble, arrêt n°09/03379


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-03-11;09.03379 ?
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