République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 26/09/2019
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N° de MINUTE :
N° RG 18/00772 - N° Portalis DBVT-V-B7C-RK3J
Jugement (N° 16/07694)
rendu le 11 janvier 2018
par le tribunal de grande instance de Lille
APPELANTE
Madame [O] [H] [R]
née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 14]
demeurant [Adresse 6]
[Adresse 6]
représentée et assistée par Me Ludovic Denys, avocat au barreau de Lille
INTIMÉS
Monsieur [E] [T]
né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 13]
et
Madame [C] [D]
née le [Date naissance 5] 1962 à [Localité 17]
demeurant ensemble [Adresse 4]
[Adresse 4]
représentés et assistés par Me Sylvie de Saintignon - Kubatko, avocat au barreau de Lille
Monsieur [A] [P]
demeurant [Adresse 9]
[Adresse 9]
Monsieur [V] [P]
demeurant [Adresse 9]
[Adresse 9]
représentés par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai
assistés de Me Emmanuel Riglaire, avocat au barreau de Lille
DÉBATS à l'audience publique du 27 mai 2019 tenue par Emmanuelle Boutié Magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie-Hélène Masseron, président de chambre
Emmanuelle Boutié, conseiller
Marie-Laure Aldigé, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2019 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Emmanuelle Boutié, conseiller, en remplacement de Madame Marie-Hélène Masseron, président empêché, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 janvier 2019
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M. [Z] [P] et son épouse, Mme [K] [R] ont fait réaliser des travaux dans un immeuble sis [Adresse 4] puis ils ont vendu ce bien à M. [N] [T] et Mme [C] [D] le 26 mai 2010.
Ces derniers se plaignant de désordres, ont saisi le président du tribunal de grande instance de Lille, statuant en référé, aux fins de solliciter la réalisation d'une expertise judiciaire.
Par ordonnance en date du 25 janvier 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille a ordonné une expertise et désigné M. [S] en qualité d'expert.
Celui-ci a déposé son rapport le 19 décembre 2012.
Par acte d'huissier de justice en date du 19 décembre 2014, M. [T] et Mme [D] ont fait assigner Mme [R] devant le tribunal de grande instance de Lille sur le fondement du défaut de délivrance conforme, de la garantie des vices cachés et de la garantie décennale, cette action étant toujours en cours.
Par acte d'huissier de justice en date des 3 et 19 août 2014, M. [T] et Mme [D] ont fait assigner Mme [K] [R] et ses enfants, M. [A] [P] et M. [V] [P] aux fins de :
- juger que Mme [R] a commis un acte d'appauvrissement en fraude de leurs droits suivant acte de donation au profit de ses enfants du 9 février 2015 ;
- déclarer cet acte de donation inopposable à leur égard ;
- déclarer le jugement commun et opposable à Mme [R] ;
- condamner solidairement et à défaut, in solidum, M. [A] [P], M. [V] [P] et Mme [R], au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de l'instance ;
- ordonner l'exécution provisoire.
Par jugement en date du 11 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Lille a :
- déclaré inopposable à M. [T] et Mme [D] la donation consentie le 9 février 2015 par Mme [K] [R] à ses enfants, M. [A] [P] et M. [V] [P], portant sur les lots [Cadastre 3] et [Cadastre 7] d'un immeuble [Adresse 12], [Adresse 16] et cadastré section AS n°[Cadastre 8] d'une contenance de 54a 20 ca ;
- condamné Mme [K] [R] à payer à M. [T] et Mme [D] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [O] à supporter les dépens de l'instance et autorisé Maître [I] [F] à recouvrer directement les dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision ;
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement.
Mme [K] [R] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 19 avril 2018, Mme [R] sollicite l'infirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, de débouter M. [T] et Mme [D] de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens dont distraction au profit de l'avocat constitué.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens, il est renvoyé aux dernières écritures des parties.
Pour la clarté des débats, il sera seulement indiqué que l'appelante fait essentiellement valoir que:
- elle avait pris la décision de mettre en vente son bien immobilier dès le mois d'octobre 2014 soit avant la délivrance de l'assignation au fond délivrée par M. [T] et Mme [D] à son encontre ;
- l'affaire dans le cadre de laquelle M. [T] et Mme [D] sollicitent sa condamnation a fait l'objet d'une mesure de radiation pour un défaut de diligence imputable aux demandeurs ;
- M. [T] et Mme [D] ne disposent d'aucune créance certaine à son encontre ;
- un rapport d'expertise judiciaire n'a pas autorité de la chose jugée ;
- la vente de l'appartement d'[Localité 10] a permis de financer l'acquisition de la maison qu'elle occupe actuellement sise à [Localité 11] ;
- ses faibles ressources, de l'ordre de 825 euros par mois, ne lui permettaient pas de prendre un logement en location.
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 17 octobre 2018, M. [T] et Mme [D] sollicitent la confirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions et à titre reconventionnel, sollicitent la condamnation solidaire, et à défaut in solidum, de M. [A] [P], M. [V] [P] et Mme [K] [R] au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Ils soutiennent que:
- alors qu'elle était âgée de 56 ans, Mme [R] a fait le choix de procéder, par acte notarié en date du 9 février 2015, à la donation en pleine propriété de son immeuble à usage d'habitation au profit de ses deux enfants ;
- l'immeuble objet de la donation constituait son seul bien immobilier ;
- cette donation avait pour but exclusif de faire échec au paiement à leur profit des sommes auxquelles Mme [R] pourrait être condamnée dans le cadre de la procédure diligentée alors que le coût des travaux de reprise préconisés et chiffrés par l'expert s'élève à 100 852 euros TTC ;
- leur créance existe dans son principe depuis le dépôt du rapport d'expertise qui est antérieur à l'acte de donation ;
- Mme [R] a réalisé un acte de donation en connaissant le préjudice qu'elle causait à son créancier.
Dans leurs dernières conclusions notifiées le 16 octobre 2018, M. [A] [P] et M. [V] [P] sollicitent l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a :
- déclaré inopposable à M. [T] et Mme [D] la donation consentie le 9 février 2015 par Mme [R] à ses enfants [A] et [V] [P] portant sur les lots n°[Cadastre 3] et n° [Cadastre 7] d'un immeuble [Adresse 12], [Adresse 16] et cadastré section AS n°[Cadastre 8] d'une contenance de 54a 20 ca ;
- condamné Mme [R] à payer à M. [T] et Mme [D] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- dit n'y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [R] à supporter les dépens.
Ils demandent à la cour, statuant à nouveau, de débouter M. [T] et Mme [D] de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner solidairement au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Deleforge et Franchi en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Ils font valoir que :
- le litige opposant M. [T] et Mme [D] avec Mme [R] a fait l'objet d'une radiation en raison du défaut de diligences des demandeurs ;
- le raisonnement adopté par le tribunal revient à priver Mme [R] de la libre disposition de ses biens pendant plusieurs années ;
- l'état de santé de Mme [R] ne lui permettait plus d'habiter dans cet appartement;
- la seule existence du rapport d'expertise, qui fait l'objet de critiques de la part de Mme [R], ne suffit pas à caractériser une intention frauduleuse ;
- Mme [R] a mis son bien en vente en octobre 2014, soit avant la délivrance de l'assignation au fond ;
- ils n'ont jamais eu l'intention de participer à un acte d'appauvrissement du patrimoine de leur mère en fraude des droits de M. [T] et Mme [D].
MOTIVATION
Sur la demande principale
Aux termes des dispositions de l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, ils (les créanciers) peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.
Il n'est pas nécessaire, pour que l'action paulienne puisse être exercée, que la créance dont se prévaut le demandeur ait été certaine ni exigible au moment de l'acte argué de fraude; il suffit que le principe de la créance ait existé avant la conclusion dudit acte par le débiteur.
Par acte notarié en date du 26 mai 2010, Mme [R] et M. [P] ont vendu à M. [T] et Mme [D] leur immeuble à usage d'habitation sis à [Localité 15].
A la suite de cette acquisition, M. [T] et Mme [D] ont constaté l'existence de désordres affectant l'immeuble vendu et suivant acte d'huissier de justice en date du 7 décembre 2010, ont fait assigner leurs vendeurs et l'agence immobilière devant le juge des référés aux fins de voir ordonner une expertise judiciaire.
Aux termes de son rapport établi le 19 décembre 2012, l'expert relève l'existence de nombreux désordres et préconise la réalisation de travaux de réfection de gros oeuvre, plâtrerie, isolation, revêtements de sols et étanchéité diverses, réfection du chauffage, réfection des appareils sanitaires, de l'électricité et des canalisations d'évacuation des eaux vannes et eaux usées pour un montant total de 100 852 euros.
Il n'est pas contesté que sur la base de ce rapport, par acte d'huissier de justice en date du 19 décembre 2014, M. [T] et Mme [D] ont fait assigner leurs vendeurs devant le tribunal de grande instance de Lille sur le fondement du défaut de délivrance conforme, de la garantie des vices cachés et de la garantie décennale aux fins, notamment, d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 100 852 euros correspondant au coût des travaux de reprise préconisés par l'expert.
Alors que par jugement en date du 7 mai 2018, le tribunal de grande instance de Lille a notamment condamné in solidum et avec exécution provisoire M. [P] et Mme [R] à payer à M. [T] et Mme [D] la somme de 109 445,36 euros au titre des travaux de reprise préconisés par l'expert, le premier juge a justement relevé que le principe de la créance est connu de Mme [R] depuis le 19 décembre 2012, date du dépôt du rapport d'expertise, la délivrance de l'assignation par les acquéreurs à son encontre, par acte d'huissier de justice en date du 19 décembre 2014 marquant leur volonté non équivoque d'obtenir indemnisation de leur préjudice.
En outre, si en cause d'appel Mme [R] rapporte la preuve de la vente de l'immeuble d'[Localité 10] par acte notarié en date du 29 mai 2015, elle ne démontre pas en quoi la donation consentie au profit de ses fils était le préalable nécessaire à la vente de l'immeuble d'[Localité 10] alors qu'elle a souscrit un prêt d'un montant de 42 000 euros pour financer l'acquisition de l'immeuble d'[Localité 11] et qu'elle ne dispose que de ressources très modestes.
Ainsi, l'acte de donation de son unique bien immobilier sis à [Localité 10], établi par acte notarié en date du 9 février 2015, soit moins de deux mois après la délivrance de l'assignation au fond, constitue un acte irrévocable d'appauvrissement dénué de toute contrepartie par lequel Mme [R] s'est volontairement appauvrie en connaissance du préjudice qu'elle causait à ses créanciers, en devenant insolvable alors qu'elle ne l'était pas antérieurement à cette donation.
En conséquence, cette donation a été consentie par Mme [R] au profit de ses deux fils en fraude des droits de M. [T] et Mme [D] et doit leur être déclarée inopposable.
La décision entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions.
Sur les autres demandes
Mme [R], partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.
Il n'apparaît pas inéquitable de la condamner à payer à M. [T] et Mme [D] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il y a lieu de débouter M. [A] [P] et M. [V] [P] de leur demande au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
- Condamne Mme [K] [R] à payer à M. [N] [T] et Mme [C] [D] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Déboute M. [A] [P] et M. [V] [P] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne Mme [K] [R] aux entiers dépens.
Le greffier,pour le président,
Delphine VerhaegheEmmanuelle Boutié