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14/02/2019 | FRANCE | N°17/04664

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 14 février 2019, 17/04664


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 14/02/2019



***





N° de MINUTE :

N° RG 17/04664 - N° Portalis DBVT-V-B7B-Q4SF



Jugement (N° 16/04092)

rendu le 13 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Lille





APPELANTS

Monsieur [L] [M]

né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 1] (59100)

demeurant

[Adresse 1]

[Adresse 2]



représe

nté et assisté par Me Eric Delfly, membre de la SELARL Vivaldi-avocats, avocat au barreau de Lille





SCI La Crèche, prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social

[Adresse 3]

[Adresse 3]


...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 14/02/2019

***

N° de MINUTE :

N° RG 17/04664 - N° Portalis DBVT-V-B7B-Q4SF

Jugement (N° 16/04092)

rendu le 13 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Lille

APPELANTS

Monsieur [L] [M]

né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 1] (59100)

demeurant

[Adresse 1]

[Adresse 2]

représenté et assisté par Me Eric Delfly, membre de la SELARL Vivaldi-avocats, avocat au barreau de Lille

SCI La Crèche, prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social

[Adresse 3]

[Adresse 3]

INTIMÉ

Monsieur [F] [Q]

demeurant

[Adresse 4]

[Adresse 2]

représenté par Me Isabelle Carlier, avocat au barreau de Douai

assisté de Me Philippe Lefevre, avocat au barreau de Lille, substitué à l'audience par Me Vianney Dessenne, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l'audience publique du 10 décembre 2018 tenue par Emmanuelle Boutié magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie-Hélène Masseron, président de chambre

Emmanuelle Boutié, conseiller

Marie-Laure Aldigé, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 14 février 2019 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Mme Marie-Hélène Masseron, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 26 septembre 2018

***

Par acte sous seing privé en date du 3 septembre 2010, M. [F] [Q] et M. [L] [M] ont crée la SCI La Crèche dont ils détiennent chacun 50 des 100 parts sociales composant le capital social et dont ils sont co-gérants statutaires à durée illimitée.

M. [Q] et M. [M] sont par ailleurs associés de plusieurs sociétés civiles immobilières et de deux SARL, Servipro Nord pour la gestion des immeubles et Top Red pour l'entretien des immeubles.

Un différend a commencé à opposer les deux associés à partir de l'été 2014, M. [Q] estimant que la gestion de M. [M] présentait de graves irrégularités.

Par acte d'huissier en date du 15 avril 2016, M. [Q] a fait assigner M. [M] devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins de :

- dire que M. [M], gérant de la SCI La Crèche, a commis plusieurs fautes de gestion en utilisant frauduleusement les comptes de la société et le compte courant d'associés de M. [Q], et en réglant des sommes sans facturation ;

- condamner M. [M], au titre de l'action ut singuli, à payer à la SCI La Crèche la somme de 20 390,89 euros au titre des règlements effectués à la SARL Top Red sans facturation et de la plus-value immobilière qui en est résulté ;

- désigner tel expert qu'il plaira au tribunal avec la mission exposée dans le corps de l'assignation ( expertise de la comptabilité) ;

- condamner par provision M. [M] à payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts dans la perspective de permettre à la société La Crèche de financer l'expertise ;

- condamner M. [M] à payer à M. [Q] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels dans l'attente du dépôt du rapport de l'expertise ;

- donner acte à M. [Q] de ce qu'il se réserve alors de compléter sa demande en paiement ;

- en tout état de cause, prononcer la révocation judiciaire de M. [M] de ses fonctions de gérant de la SCI La Crèche ;

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

- condamner M. [M] à payer à la société La Crèche la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [M] à payer à M. [Q] la somme de 3 000 euros au même titre ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de la société 25 rue Gounod, avocat.

Par jugement en date du 13 juillet 2017, le tribunal de grande instance de Lille a :

- rejeté la fin de non recevoir tirée de la qualité du demandeur ;

- rejeté la fin de non recevoir relative à l'expertise ;

- dit que M. [M] a commis des infractions aux lois et règlements ou des fautes dans la gestion sociale dont il résulte un préjudice pour la SCI La Crèche ;

- dit en conséquence que la responsabilité de M. [M] est engagée envers la SCI La Crèche ;

- dit que M. [Q] a commis des fautes civiles dont il résulte un préjudice pour M. [Q] ;

- dit en conséquence que la responsabilité de M. [M] est engagée envers M. [Q] ;

- rejeté les demandes indemnitaires provisionnelles ;

- révoqué M. [M] de ses fonctions de gérant de la SCI La Crèche à compter de la signification du jugement ;

- condamné provisoirement M. [M] à payer à M. [Q] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné provisoirement M. [M] à supporter les dépens de l'instance afférents au présent jugement et autorisé la SELARL 25 rue Gounod à recouvrer directement les dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement dans toutes ses dispositions ;

Avant dire droit :

- ordonné une expertise ;

- désigné pour y procéder :

M. [G] [W]

[Adresse 5]

Tel : XXXXXXXXXX

Port : XXXXXXXXXX

- donné mission à l'expert de :

* Convoquer et entendre contradictoirement les parties, recueillir toutes informations orales ou écrites de celles-ci, se faire communiquer et examiner tous documents utiles ;

* examiner les comptes de la SCI La Crèche sur les exercices 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015 ;

* dire si la société a effectué des paiements relatifs à des dépenses personnelles des associés ;

* dire si des paiements ont été effectués par la société sans être justifiés notamment par des factures ;

* dans la mesure du possible, dire comment la société a employé la somme de 48 000 euros versées par le Crédit du Nord pour financer des travaux sur l'immeuble de [Localité 2] ;

- dire si des sommes ont été, sans justification ou irrégulièrement ou de manière erronée, crédités ou débités des comptes courants des deux associés ;

- du tout, dresser un tableau récapitulatif ;

- consigner les explications des parties sur le mode d'organisation financière des associés et donner un avis technique sur cette organisation ;

- d'une manière générale, fournir au tribunal tous les éléments techniques ou de fait de nature à permettre au tribunal d'apprécier finement les préjudices subis par la société et/ou les associés ;

- répondre aux observations des parties ;

- dit que l'expert, en concertation avec les parties, définira un calendrier prévisionnel de ses opérations à l'issue de la première réunion d'expertise et qu'il actualisera ce calendrier en tant que de besoin notamment en fixant un délai aux parties pour procéder aux extensions de mission nécessaires ;

- dit que dans les trois mois de sa saisine, l'expert indiquera aux parties et au juge chargé du contrôle de sa rémunération définitive prévisible, notamment au regard de l'intérêt du litige, afin que soit éventuellement fixée une provision complémentaire dans les conditions de l'article 280 du code de procédure civile ;

- dit que l'expert devra déposer son rapport au greffe dans le délai de huit mois à compter du jour où il aura été saisi de sa mission ;

- dit que, préalablement à ce dépôt, l'expert adressera aux parties un document de synthèse présentant ses conclusions provisoires et destiné à provoquer leurs observations ;

- dit que l'expert devra fixer la date limite de dépôt des observations qui lui seront adressées, rappellera qu'il n'est pas tenu de répondre aux observations transmises après cette date limite et rappellera la date de dépôt de son rapport ;

- rappelé que l'expert accompagnera le dépôt de son rapport d'une demande de rémunération, dont il adressera un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d'en établir la réception, celles-ci pouvant, s'il y a lieu, adresser à l'expert et au juge chargé de contrôler les mesures d'instruction, leurs observations écrites sur cette demande dans un délai de quinze jours à compter de sa réception ;

- dit qu'en cas d'empêchement, l'expert sera remplacé par ordonnance rendue sur requête ;

- désigné le juge du contrôle des expertises de ce tribunal à effet de suivre l'exécution de la présente mesure d'instruction ;

- fixé à la somme de 3 000 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert que M. [Q] devra consigner à la régie du tribunal avant le 30 septembre 2017, faute de quoi, sans prorogation de délai sollicitée en temps utile, la désignation de l'expert sera caduque ;

- rappelé que le coût final des opérations d'expertise ne sera déterminé qu'à l'issue de la procédure et que la partie qui est invitée par le jugement à faire l'avance des honoraires de l'expert n'est pas nécessairement celle qui en supportera la charge finale à l'issue du procès ;

- ordonné le retrait du rôle de l'affaire ;

- dit que l'affaire sera rétablie sur production de conclusions régulièrement signifiées en lecture du rapport d'expertise.

M. [L] [M] et la SCI La Crèche ont interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 20 octobre 2017, M. [M] sollicite l'infirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, à titre principal, de déclarer irrecevable M. [Q] en son action en condamnation au paiement de diverses sommes au bénéfice de la SCI La Crèche sur le fondement de l'action ut singuli et à titre subsidiaire, de débouter M. [Q] en toutes ses prétentions.

Il sollicite en outre sa condamnation au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens, il est renvoyé aux dernières écritures des parties.

Pour la clarté des débats, il sera seulement indiqué que l'appelant fait essentiellement valoir que :

- l'action ut singuli est fermée au cogérant et présente un caractère subsidiaire par rapport à l'action ut universi ;

- M. [Q], en sa qualité d'associé, n'était pas recevable à solliciter la condamnation de M. [M] au nom et pour le compte de la société alors qu'il disposait dans le cadre de son mandat de représentation, du droit de former cette demande au nom et pour le compte de la société ;

- M. [Q] est irrecevable à solliciter un audit généralisé pour rechercher son éventuel préjudice personnel en sa qualité d'associé dans la mesure où il demande à la juridiction du fond de se substituer à sa carence de preuve ;

- le tribunal a statué ultra petita dans le cadre de l'expertise ;

- il n'est pas établi que les flux financiers qualifiés d'anormaux lui soient imputables puisque deux cogérants disposaient de la signature et que les comptes sociaux ont été approuvés pour les exercices dont l'expertise a été sollicitée ;

- en mélangeant préjudice personnel et préjudice social, M. [Q] n'a pas procédé à la démonstration d'un préjudice distinct de celui dont il souhaitait obtenir réparation en exerçant l'action ut singuli.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 6 avril 2018, M. [F] [Q] sollicite la confirmation de la décision entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté ses demandes indemnitaires provisionnelles.

Il demande à la cour, statuant à nouveau sur ce point, de condamner par provision M. [M] à payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts dans la perspective de permettre à la société La Crèche de financer l'expertise outre celle de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert.

A titre reconventionnel, il sollicite sa condamnation à payer à la SCI La Crèche la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre celle de 4 000 euros à son profit sur le même fondement ainsi qu'aux dépens.

Il soutient que :

- les nombreuses fautes commises par M. [M], gérant, ont entraîné un préjudice important pour la SCI La Crèche ;

- l'article 1843-5 alinéa 1er du code civil donne une option à tout associé dans le choix des actions sans que l'une d'entre elles ne soit subsidiaire à l'autre ;

- il agit sous une double qualité, d'abord en qualité de cogérant de la SCI La Crèche et ensuite en qualité d'associé ;

- la SCI La Crèche subit un préjudice du fait que sa comptabilité soit erronée et qu'il soit nécessaire de la reprendre intégralement ;

- la demande d'expertise n'a pas été faite avant tout procès mais à l'occasion de l'action sociale et de l'action personnelle de M. [Q] tendant à obtenir des dommages et intérêts pour la société et pour lui-même, personnellement ;

- la révocation de M. [M] repose sur l'ampleur des fautes de gestion et la violation des lois et règlements dans la gestion de la SCI La Crèche ;

- l'expertise et son coût sont nécessaires afin d'avoir une appréciation globale de la tenue des comptes de la SCI La Crèche, d'analyser et de décrire les erreurs et de préconiser les moyens de remettre en oeuvre la comptabilité alors que dans l'hypothèse d'un contrôle fiscal, la situation personnelle des associés risque d'être fortement impactée si des irrégularités sont effectivement constatées.

La SCI La Crèche n'a pas constitué avocat devant la cour.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de l'action de M. [Q]

Aux termes de l'article 1843-5 du code civil, outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages et intérêts sont alloués à la société.

Est réputée non écrite toute clause des statuts ayant pour effet de subordonner l'exercice de l'action sociale à l'avis préalable ou l'autorisation de l'assemblée ou qui comporterait par avance renonciation à l'exercice de cette action.

Aucune décision de l'assemblée des associés ne peut avoir pour effet d'éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour la faute commise dans l'accomplissement de leur mandat.

L'action ut singuli permet aux associés d'agir individuellement pour défendre les intérêts de la société en tant que telle.

Si l'action ut singuli exercée dans l'unique intérêt de la société ne présente qu'un caractère subsidiaire par rapport à l'action ut universi, elle peut toutefois être engagée en cas d'inertie des représentants légaux de la société.

En l'espèce, alors que M. [Q] a la double qualité de cogérant et de co-associé de la SCI La Crèche, un litige l'oppose à M. [M], lui-même co-gérant et co-associé de la société, son action ayant pour objet de mettre en cause la responsabilité de M. [M], d'une part, dans le préjudice subi par la SCI La Crèche avec l'action sociale ut singuli et, d'autre part, dans son préjudice personnel avec une action engagée à titre individuel.

Ainsi, le conflit existant entre les deux représentants légaux de la SCI La Crèche caractérise l'existence d'une situation de blocage dans l'exercice de l'action sociale ut universi, alors que la SCI La Crèche a été valablement mise en cause dans le cadre de la présente procédure et a interjeté appel de la décision entreprise sans constituer avocat.

La mise en oeuvre de l'action ut singuli par M. [Q] doit donc être déclarée recevable.

Sur la responsabilité de M. [M] à l'égard de la SCI La Crèche

Aux termes de l'article 1850 du code civil, chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion.

Si plusieurs gérants ont participé aux mêmes faits, leur responsabilité est solidaire à l'égard des tiers et des associés. Toutefois, dans leurs rapports entre eux, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.

Le premier juge a justement relevé que si M. [M] ne conteste pas avoir géré la SCI La Crèche mais fait valoir que M. [Q] n'était pas un gérant inactif, les deux assignations délivrées les 6 juin 2016 à l'encontre de la banque Crédit du Nord et de la CIC Nord Ouest sont insuffisantes à justifier de la réalité de la gestion réalisée par M. [Q] alors que celles-ci, arguant de l'existence d'agissements frauduleux au préjudice de la SCI La Crèche, avaient pour finalité, s'agissant du Crédit du Nord, de solliciter un report de l'exigibilité du prêt consenti pour l'acquisition des actifs immobiliers et s'agissant du CIC Nord Ouest, de solliciter une suspension des paiements pendant une durée de deux ans, alors même que M. [Q] précise avoir commencé à réaliser des investigations sur le fonctionnement de la SCI La Crèche à partir de 2014.

En outre, M. [Q] justifie avoir été contraint de délivrer une sommation interpellative à l'encontre de M. [M] par acte d'huissier en date du 21 mai 2015 pour obtenir la transmission de documents et de pièces comptables.

Alors que M. [M] soutient qu'il n'est pas établi que les flux financiers anormaux lui soient imputables puisque deux cogérants disposaient de la même signature, il résulte toutefois des éléments du dossier qu'en 2011, plusieurs chèques ont été établis à l'ordre de M. [M] et débités sur le compte de la SCI La Crèche pour un montant de 4 000 euros et qu'en 2013, deux chèques d'un montant de 2 000 euros ont été établis au profit de la SCI Lambert et de la SCI RD Foch, sociétés civiles familiales gérées par M. [M].

De la même manière, M. [M] ne conteste pas qu'un prêt de 150 000 euros a été débloqué par la banque du Crédit du Nord en 2012, ce prêt incluant la somme de 50 000 euros devant servir à financer les travaux de rénovation effectués par la SARL Top Red dont M. [M] était notamment le gérant et que seule une facture de 7 200 euros a été établie sans que la preuve de l'affectation du surplus de la somme décaissée par la banque ne soit rapportée aux débats, la SCI La Crèche ayant dû assumer une majoration importante de la plus-value immobilière suite à la vente de l'immeuble sis à [Localité 2] le 19 septembre 2014.

En outre, le tribunal a relevé avec pertinence que la circonstance que M. [M] ait pu procéder à des 'flux intra-groupe' susceptibles de correspondre à des créances ou des dettes réelles n'est pas de nature à dispenser le gérant de ses obligations de tenue régulière des comptes.

Alors qu'il résulte des dispositions de l'article 1843-5 alinéa 3 du code civil précité qu'aucune décision de l'assemblée des associés ne peut avoir pour effet d'éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour la faute commise dans l'accomplissement de leur mandat, le fait que les comptes sociaux aient été approuvés ne sauraient suffire à faire obstacle à l'action en responsabilité engagée à l'encontre de M. [M], ce dernier ne justifiant pas, par ailleurs, de la régularité de la procédure ayant conduit à l'approbation des comptes sociaux.

En conséquence, M. [Q] rapporte la preuve aux débats de l'existence de manquements commis par M. [M] dans l'exercice de ses fonctions de gérant et consistant, d'une part, dans l'utilisation frauduleuse des comptes de la SCI La Crèche et des comptes courants d'associé pour couvrir des dépenses personnelles soit en son nom propre soit par l'intermédiaire de sociétés familiales dans lesquelles il est associé ou gérant et d'autre part, dans l'absence de facturation de fonds versés par la banque dans le cadre d'un prêt ainsi que la majoration importante de la plus-value immobilière due par la SCI La Crèche suite à la vente de l'immeuble situé à [Localité 2] le 19 septembre 2014.

Ces manquements s'analysent en des fautes de gestion ainsi qu'en des infractions aux lois et règlements au sens de l'article 1850 du code civil, et ont causé un préjudice à la SCI La Crèche.

La décision entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a retenu la responsabilité de M. [M] envers la SCI La Crèche.

Sur la responsabilité de M. [M] à l'égard de M. [Q]

Aux termes de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Si M. [M] fait valoir qu'il existe une confusion entre les préjudices subis par la SCI La Crèche et ceux supportés par M. [Q], celui-ci ne justifiant pas de l'existence d'un préjudice personnel, il résulte toutefois des pièces produites aux débats que son compte courant d'associé a fait l'objet de débits injustifiés et ce à plusieurs reprises en 2011, 2012 et 2013, de nature à remettre en cause la régularité de son compte alors qu'il a établi des déclarations fiscales sur cette base.

En outre, les difficultés financières de la SCI La Crèche causées par les manquements de M. [M] dans ses fonctions de gérant en ce qu'elles affectent directement M. [Q] en sa qualité de caution solidaire de cette société.

En conséquence, M. [Q] justifie de l'existence d'un préjudice personnel, distinct du préjudice de la SCI La Crèche, dont M. [M] doit être déclaré responsable.

La décision entreprise sera donc confirmée sur ce point.

Sur l'expertise

Aux termes de l'article 232 du code de procédure civile, le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien.

Si M. [M] fait valoir que la demande d'expertise devait être présentée devant le juge des référés sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et non devant le juge du fond, il convient de relever que cette demande n'a pas été faite par M. [Q] avant tout procès mais à l'occasion des actions visant à obtenir réparation du préjudice subi par la SCI La Crèche et par lui-même, personnellement.

Alors qu'il résulte des développements précédents que M. [Q] caractérise l'existence des manquements commis par M. [M] dans l'exercice de ses fonctions de gérant ainsi que celle du préjudice subi tant par la SCI La Crèche que par lui-même personnellement, il sollicite la réalisation d'une expertise ayant pour finalité de déterminer précisément les préjudices subis.

Le tribunal a justement fait droit à cette demande d'expertise, celle-ci ayant pour objet de déterminer le préjudice subi tant par la SCI La Crèche que par M. [Q] personnellement, et non de caractériser l'existence de ce préjudice.

Si M. [M] conteste la spécificité de la mission de l'expert relative à l'emploi de la somme de 48 000 euros versée par le Crédit du Nord pour financer des travaux dans le cadre de l'acquisition de l'immeuble de [Localité 2], cette opération, dont la preuve de la réalité est rapportée par M. [Q] aux débats, constitue un des manquements reprochés à M. [M] dans la gestion de la SCI La Crèche et doit donc être comprise à ce titre dans la mission de l'expert afin de déterminer le plus précisément possible le préjudice subi par la société.

En conséquence, il y a lieu de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a ordonné une expertise et désigné M. [W] en qualité d'expert.

Elle sera aussi confirmée en ce qu'elle a débouté M. [Q] de ses demandes de provision, le premier juge ayant justement relevé que le caractère peu fiable des comptes de la société ne permettait pas de fixer à ce stade la part non sérieusement contestable du préjudice de la société et de M. [Q], et en ce qu'elle a mis à la charge de M. [Q] l'avance du coût de l'expertise, ce dernier étant demandeur à la mesure.

Sur la révocation de M. [M]

Aux termes de l'article 1851 alinéa 1 et 2 du code civil, sauf dispositions contraires des statuts, le gérant est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales. Si une révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts.

Le gérant est également révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.

Il résulte des développements précédents que M. [M] a commis plusieurs manquements constitutifs tant de fautes de gestion que de violations des lois et règlements au sens de l'article 1850 du code civil susvisé constitués, d'une part, par l'utilisation frauduleuse des comptes de la SCI La Crèche pour couvrir des dépenses personnelles soit directement au nom de M. [M] soit par l'intermédiaire de sociétés familiales dont il était gérant ainsi que par l'utilisation frauduleuse des comptes courants d'associé au détriment de la SCI La Crèche et, d'autre part, par l'absence de facturation des travaux réalisés dans l'immeuble acquis par la SCI à [Localité 2] entraînant la majoration de la plus-value dont était redevable la société.

Dès lors, le comportement fautif de M. [M], préjudiciable à la SCI La Crèche par son ampleur et sa durée, constitue un juste motif de révocation de ses fonctions de gérant de la société.

La décision entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a prononcé sa révocation.

Sur les autres demandes

M. [M], partie perdante, sera condamné aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable de le condamner à payer à M. [M] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

- Condamne M. [L] [M] à payer à M. [F] [Q] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne M. [L] [M] aux dépens.

Le greffier,Le président,

Delphine VerhaegheMarie-Hélène Masseron


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 17/04664
Date de la décision : 14/02/2019

Références :

Cour d'appel de Douai 1A, arrêt n°17/04664 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-02-14;17.04664 ?
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