DOSSIER N° 08 / 02724 ARRÊT DU 19 Novembre 2008 9e CHAMBRE
COUR D'APPEL DE DOUAI 9e Chambre
Prononcé publiquement le 19 Novembre 2008, par la 9e Chambre des Appels Correctionnels,
Sur appel d'un jugement du TGI DE VALENCIENNES du 11 JUIN 2008
PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :
X... Rachid né le 26 Août 1963 à BOUIRA (ALGERIE) Fils de X... Ahmed et de Y... Ehdjila De nationalité française, divorcé Juriste, Demeurant ...Prévenu, appelant, libre, comparant Assisté de Maître DEBACKER Francis, avocat au barreau de VALENCIENNES
LE MINISTÈRE PUBLIC : Le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de VALENCIENNES appelant,
B... Amara divorcée X..., demeurant ... Comparante, partie civile, intimée, assistée de Maître DUBOIS Frank, avocat au barreau de DOUAI
COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré : Président : Patrice MORTUREUX DE FAUDOAS, Conseillers : Anne COCHAUD-DOUTREUWE, Ali HAROUNE.
GREFFIER : Monique MORISS aux débats et au prononcé de l'arrêt.
MINISTÈRE PUBLIC : Janine STERN, Avocat Général.
DÉROULEMENT DES DÉBATS :
A l'audience publique du 05 Novembre 2008, le Conseiller Rapporteur a constaté l'identité du prévenu.
Ont été entendus :
Monsieur HAROUNE en son rapport ;
X... Rachid en ses interrogatoires et moyens de défense ;
Le Ministère Public, en ses réquisitions :
Les parties en cause ont eu la parole dans l'ordre prévu par les dispositions des articles 513 et 460 du code de procédure pénale.
Le prévenu et son conseil ont eu la parole en dernier.
Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 19 Novembre 2008.
Et ledit jour, après en avoir délibéré conformément à la loi, la Cour composée des mêmes magistrats a rendu l'arrêt dont la teneur suit, en audience publique, et en présence du Ministère Public et du greffier d'audience.
DÉCISION :
VU TOUTES LES PIÈCES DU DOSSIER,
LA COUR, APRES EN AVOIR DÉLIBÉRÉ CONFORMÉMENT A LA LOI, A RENDU L'ARRÊT SUIVANT :
LE JUGEMENT :
Devant le Tribunal Correctionnel de VALENCIENNES, X... Rachid était prévenu d'avoir :
- à VALENCIENNES, entre le 25 juillet 2007 et le 1er novembre 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, refusé de représenter X... Sarah, X... Mehdi, X... Sofyan, enfants mineurs, à Madame B... Amara qui : * avait le droit de les réclamer en application d'une décision judiciaire, en l'espèce de la cour d'appel de Douai, chambre 7, arrêt du 5 juillet 2007, ordonnance du 24 octobre 2006 et ordonnance du 11 avril 2006 par le tribunal de grande instance de Valenciennes, * avait le droit de les réclamer en sa qualité de détenteur de l'autorité parentale, en l'espèce la mère des enfants.
infraction prévue par l'article 227-5 du Code Pénal et réprimée par les articles 227-5 et 227-29 du Code Pénal.
Ledit tribunal correctionnel de VALENCIENNES, par jugement contradictoire en date du 11 Juin 2008, a ajourné le prononcé de la peine en application des articles 132-58, 132-60 à 132-62 du Code Pénal et renvoyé l'affaire à l'audience du 14 août 2008.
Sur l'action civile, le tribunal a reçu Mme B... Amara en sa constitution de partie civile et sursis à statuer sur les demandes de la partie civile en attente du prononcé de la peine.
LES APPELS :
Les déclarations d'appel ont été reçues régulièrement ainsi :
- Le conseil de X... Rachid, par déclaration au greffe du tribunal le 18 juin 2008, son appel visant les dispositions pénales et civiles du jugement,- Monsieur le Procureur de la République, le 18 juin 2008, son appel incident visant les dispositions pénales.
LES CITATIONS :
Les parties ont été régulièrement citées pour l'audience du 5 novembre 2008 :
- Monsieur Rachid X..., à personne le 3 octobre 2008,- Madame Amara B..., à personne le 14 octobre 2008.
Les parties comparaissent à l'audience assistées de leur conseil. L'arrêt sera rendu contradictoirement à l'égard des parties.
FAITS ET PROCEDURE :
En la forme
Attendu que les appels, réguliers en la forme et interjetés dans les délais des articles 498 et 500 du Code de procédure pénale, sont recevables.
Au fond
Rappel des faits :
Attendu qu'il ressort de la procédure les faits suivants :
Le 29 septembre 2007 Amara B..., en instance de divorce, déposait une plainte contre son mari Rachid X... pour non-présentation d'enfant. Il ressortait que les relations du couple s'inscrivaient dans un contexte particulièrement conflictuel, dans lequel leurs trois enfants mineurs se trouvaient impliqués, et qui selon le psychologue " n'ont pas d'existence propre et ne vivent qu'à travers le conflit parental ".
Amara B... indiquait s'être déplacée au domicile de Rachid X... pour prendre ses trois enfants Sarah, Mehdi et Sofian, nés respectivement le 6 septembre 1991, le 24 juillet 1994 et le 25 octobre 1996 afin d'exercer son droit de visite et d'hébergement, tel que prévu par les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel du 5 juillet 2007, signifié à partie le 24 juillet 2007, mais que ce dernier le lui avait refusé au motif qu'elle était accompagnée de Anne Z..., tel que lui avait conseillé son avocat.
Entendue, Anne Z... indiquait que les enfants s'étaient effectivement préparés à accompagner leur mère, mais que Sarah avait posé la condition préalable qu'elle parte. Elle ajoutait que Rachid X... était agressif envers elle, et insultait également son épouse mais qu'il " a dit à son épouse que si les enfants voulaient partir avec leur mère qu'ils le fassent, cependant leur décision était de rester avec leur père ". Dans ce climat de violences verbales et de tensions, les enfants paniqués devenaient indécis, ne parvenant pas à prendre de décision. Afin de ne pas envenimer la situation, les deux femmes quittaient alors les lieux.
Rachid X... reconnaissait que les enfants n'avaient pas voulu accompagner leur mère, en raison de la présence d'une tierce personne. Il déclarait par ailleurs qu'il ne s'opposait aucunement à l'exercice de ce droit de visite et d'hébergement.
Sarah X... indiquait qu'elle et ses frères étaient prêts à accompagner leur mère, mais que la présence de Anne Z... les avait conduits à reconsidérer leur décision. Elle ajoutait que le refus était de leur propre fait. Mehdi et Sofyan confirmaient cette déclaration.
Amara B... se présentait à nouveau le 6 novembre 2006 au commissariat de police de Denain. Elle indiquait qu'elle n'avait pu exercer son droit de visite et d'hébergement du 25 juillet 2007 au 31 juillet 2007, les week-end du 1er septembre 2007, du 15 septembre 2007, du 29 septembre 2007, du 13 octobre 2007, du 20 octobre 2007, et les vacances scolaires du 27 octobre 2007 au 1er novembre 2007.
Le 7 novembre 2007 Rachid X... était entendu. Il reconnaissait que ses enfants, en dépit de son insistance, n'avaient pas voulu suivre leur mère lors de ces périodes. Il expliquait ce refus par le fait que Amara B... était à chaque fois accompagnée d'une tierce personne.
Isabelle G..., responsable de l'ADSSEAD, était également entendue. Elle déclarait qu'elle avait tenté d'engager une médiation, à la suite de la décision du juge des enfants du tribunal de grande instance de Douai afin que les enfants voient leur mère. Rachid X... avait donc amené les enfants au siège de l'association afin que leur mère puisse les voir. Toutefois, les enfants s'étaient montrés agressifs vis-à-vis de leur mère, lui faisant des reproches sur son comportement adopté dans le passé. Elle décidait de mettre fin prématurément à la démarche et raccompagnait les enfants chez leur père.
Au regard de la situation, une médiation pénale était ordonnée, toutefois en vain, en raison du placement provisoire des enfants en famille d'accueil.
Personnalité :
Rachid X... est né le 26 août 1963. Il exerce la profession de juriste.
Son casier judiciaire ne mentionne aucune condamnation.
SUR CE :
Attendu qu'il résulte des débats et de la procédure :
Que Rachid X... et Amara B... ont engagé une procédure de divorce ; que les ordonnances en date des 11 avril 2006 et du 24 octobre 2006 du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Valenciennes fixant les mesures provisoires ont fait l'objet d'un appel ; que par arrêt en date du 5 juillet 2007 la cour d'appel de Douai a ordonné que Amara B... exerce son droit de visite et d'hébergement en dehors des périodes de vacances scolaires les première, troisième et cinquième fins de semaine de chaque mois, du samedi 14 heures au dimanche 19 heures et pendant les vacances scolaires les années paires durant la deuxième moitié de toutes les vacances scolaires, les années impaires, durant la première moitié de toutes les vacances scolaires ; que cette décision a été signifiée à partie le 24 juillet 2007 ;
Attendu que Amara B... indique qu'elle n'a pu exercer son droit de visite et d'hébergement du 25 juillet 2007 au 31 juillet 2007, les week-end du 1er septembre 2007, du 15 septembre 2007, du 29 septembre 2007, du 13 octobre 2007, du 20 octobre 2007, et les vacances scolaires du 27 octobre 2007 au 1er novembre 2007 ;
Qu'en l'espèce, Rachid X... reconnaît que ses enfants, en dépit de son insistance, n'ont pas voulu accompagner leur mère lors de ces périodes ; qu'il explique le refus des enfants par le fait que leur mère était accompagnée d'une tierce personne ; que toutefois, en dépit de ces explications, force est de constater que Rachid X..., par son attitude, n'a pas contribué à l'exécution de la décision de justice, n'hésitant pas à déclarer aux éducateurs " elle (Amara B...) doit les (enfants) laisser tranquille ", ou " vous verrez, ça ne sert pas à grand-chose, ils ne veulent plus voir leur mère,... " et que lui-même refusait tout dialogue avec son ex-femme, " ne souhaitant pas la voir, même dans l'intérêt de ses enfants ", conduisant les enfants, par mimétisme, à ignorer leur mère ;
Que s'il tente de se dédouaner en mettant en exergue l'incapacité des intervenants à trouver une solution pour mettre en place ce droit de visite et d'hébergement accordé à la mère ; il n'en demeure pas moins que la solution ne peut être uniquement institutionnelle, et doit également s'inscrire dans le cadre d'un processus global, où le rôle éducatif du père adulte et responsable doit être prépondérant, ce que ne démontre pas Rachid X... en confortant ses enfants et notamment sa fille Sarah dans des choix décisionnels qui ne leur reviennent pas, alors même qu'ils se trouvent au centre d'un conflit parental d'une intensité paroxystique ;
Que manifestement, Rachid X... cautionne, également, par son attitude et ses propos, le refus des enfants de voir leur mère, lesquels expliquent leur démarche en tenant " un discours stéréotypé ", répétant mécaniquement leurs ressentiments vis-à-vis de leur mère, et employant " des expressions qui sont le reflet d'un discours d'adulte " ;
Que l'intervention en filigrane de Rachid X... dans le processus de dénigrement de la mère par les enfants n'a pas échappé à l'expert psychiatre, lequel décrit les propos de Sarah X... comme " caricaturaux " ; qu'il retient, en ce qui concerne Medhi X..., que ses " propos (qui) sont sur le même mode que ceux de son père, l'identification paternelle est manifeste " ; que pour Sofian, il précise qu'" il se répète et s'en tient à une ligne d'attaque ou de défense qui s'aligne dans le droit-fil de sa soeur Sarah et de Medhi. A l'évidence, il conserve un discours de récriminations qui est un discours d'adulte... " ; que pour conclure, il ajoute " on doit considérer que l'attitude de Sofian durant cet entretien comme celle de son frère et sa soeur signifie bien une attitude défensive qui apparaît essentiellement préméditée et ceci collectivement " ;
Qu'enfin, l'expert psychiatre souligne que Rachid X... ne se remet pas en cause, et impute à la mère la responsabilité exclusive de la détérioration de la situation, " qu'il ne semble pas percevoir que son attitude, qu'on peut qualifier d'observateur des conflits entre les enfants et leur mère, vient contribuer à dégrader la situation... se situe comme un spectateur de la situation qui reste dans une situation conflictuelle dans le but de défendre ses intérêts, qu'il ne cherche nullement à aider ses enfants à sortir de ce conflit avec leur mère, nécessairement secondaire au conflit conjugal et qu'il est incapable de mesurer les conséquences à long terme d'une telle dégradation des relations mère-enfants ".
Qu'au regard de ces éléments du dossier et des débats, Rachid X... n'est, dès lors, pas fondé à faire état de l'opposition des enfants qu'il a, d'ailleurs, lui-même suscitée pour justifier leur refus de se conformer à une décision de justice, alors qu'au contraire, il lui incombait d'user de toute son autorité pour les amener à la respecter ; qu'il y a lieu de confirmer la décision du premier juge en ce qu'il a jugé Rachid X... coupable des faits reprochés.
- Sur la peine :
Attendu que le premier juge a déclaré Rachid X... coupable et a ajourné le prononcé de la peine à l'audience du 14 août 2008 ; que Rachid X... a interjeté appel de la décision du premier juge le 18 juin 2008 tant des condamnations pénales que des dispositions civiles du jugement ; qu'il revient, en conséquence, à la Cour de prononcer tant sur la culpabilité que sur la peine ;
Attendu que tant au regard de la gravité des faits qui perdurent depuis plusieurs mois privant ainsi Amara B... de l'exercice de son droit de visite et d'hébergement sur ses trois enfants, que de la personnalité de Rachid X... chez lequel le psychiatre reconnaît une psychorigidité importante, il y a lieu de le condamner à la peine de 18 mois d'emprisonnement assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant une période de 36 mois.
- Sur l'action civile :
Attendu que Amara B..., en réparation du préjudice subi, demande la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que la demande de constitution de la partie civile est recevable ; que les agissements de Rachid X..., constituant une faute, ont causé un dommage direct et personnel à Amara B... ; qu'il y a lieu, en conséquence, de condamner Rachid X... à verser Amara B... la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts ;
Sur l'article 475-1 du Code de procédure civile :
Il y a lieu de condamner Rachid X... à verser à Amara B... la somme de 700 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties,
Infirme partiellement le jugement déféré,
Sur l'action publique :
Confirme le jugement en ce qui concerne la culpabilité de Rachid X...,
Condamne Rachid X... à la peine de 18 mois d'emprisonnement assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant une période de 36 mois,
Sur l'action civile :
Reçoit la constitution de partie civile de Amara B...,
Déclare Rachid X... responsable du préjudice subi par Amara B...,
Condamne Rachid X... à verser à Amara B... la somme de mille cinq cents euros (1 500 euros) à titre de dommages et intérêts,
Condamne Rachid X... à verser à Amara B... la somme de sept cents euros (700 euros) au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable le condamné.