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07/05/2008 | FRANCE | N°06/03487

France | France, Cour d'appel de Douai, Ct0037, 07 mai 2008, 06/03487


CHAMBRE 1, SECTION 2

ARRÊT DU 07/05/2008

N° RG : 06/03487

Jugement rendu le 23 Mars 2006par le Tribunal de Grande Instance de LILLE

APPELANTE
Madame Sylvie X... exerçant sous l'enseigne LE QUATUORnée le 4 Mars 1962 à FOURMIES (59610)demeurant ...59200 TOURCOING

représentée par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués associés à la Courassistée de Maître Christophe DESURMONT, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉ

SYNDICAT DE LA LIBRAIRIE FRANCAISEayant son siège social27 rue Bourgon75013 PARISreprésenté par SON PRESIDENT

représentÃ

© par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués associés à la Courassisté de Maître Xavier COLOMBES de la SCP COLO...

CHAMBRE 1, SECTION 2

ARRÊT DU 07/05/2008

N° RG : 06/03487

Jugement rendu le 23 Mars 2006par le Tribunal de Grande Instance de LILLE

APPELANTE
Madame Sylvie X... exerçant sous l'enseigne LE QUATUORnée le 4 Mars 1962 à FOURMIES (59610)demeurant ...59200 TOURCOING

représentée par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués associés à la Courassistée de Maître Christophe DESURMONT, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉ

SYNDICAT DE LA LIBRAIRIE FRANCAISEayant son siège social27 rue Bourgon75013 PARISreprésenté par SON PRESIDENT

représenté par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués associés à la Courassisté de Maître Xavier COLOMBES de la SCP COLOMES, avocats associés au barreau de TROYES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Monsieur FROMENT, Président de chambreMadame MARCHAND, ConseillerMadame DUPERRIER, Conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Madame POPEK
DÉBATS à l'audience publique du 28 Janvier 2008, après rapport oral de l'affaire par Monsieur FROMENTLes parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 7 Mai 2008 après prorogation du délibéré en date du 23 Avril 2008 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur FROMENT, Président, et Madame POPEK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 18 JANVIER 2008
Madame Sylvie X... exerce à Tourcoing un commerce de diffusion de partitions musicales sous l'enseigne "LE QUATUOR".
Par exploit d'huissier du 8 novembre 2005, le syndicat de la librairie française a fait assigner Madame Sylvie X... devant le tribunal de grande instance de Lille.
Par jugement du 23 mars 2006, le tribunal a :
- rejeté les exceptions soulevées par Madame Sylvie X... au titre du défaut de mandat et d'intérêt à agir du syndicat de la librairie française ;
- dit n'y avoir eu abus du recours à la procédure à jour fixe ;
- débouté Madame Sylvie X... s'agissant du moyen tiré de la prétendue carence du demandeur dans l'administration de la preuve de ses prétentions ;
- dit que les partitions de musique devaient s'assimiler à un livre dont la vente devait respecter, en conséquence, les dispositions de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite loi Lang ;
- condamné en conséquence Madame Sylvie X... (librairie le Quatuor) à cesser de commercialiser au détail des livres avec des remises de prix supérieures à 5 % (pour les livres n'entrant pas dans les cas dérogatoires des articles 3 et 5 de la même loi) et à cesser toute publicité sur des remises et rabais hors des lieux de vente, que ce soit par affichage ou diffusion de catalogue ;
- dit que Madame Sylvie X... devait cesser ses agissements illicites dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement, à peine d'astreinte de 150 euros par jour de retard pendant le délai de deux mois ;
- condamné Madame Sylvie X... à payer la somme de un euro à titre de dommages et intérêts au syndicat de la librairie française en réparation de l'atteinte portée aux intérêts matériels et moraux dont le syndicat a la charge ;
- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire ;
- condamné Madame Sylvie X... à verser au syndicat de la librairie française la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Madame Sylvie X... aux dépens.

Par déclaration du 12 juin 2006, Madame Sylvie X... a interjeté appel de cette décision.

Dans le dispositif de ses conclusions déposées le 13 décembre 2007, elle demande à la cour :

* à titre principal,
- de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice des communautés européennes la question préjudicielle suivante :
"Les articles 28 à 31 du TCE doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils permettent l'institution dans un Etat membre, par voie législative ou réglementaire, d'un système qui oblige les détaillants ayant leur siège sur son territoire à vendre les partitions musicales au prix fixé par les éditeurs et importateurs et à ne pratiquer aucune remise de prix supérieure à 5 % sur les prix fixés ?"
- de surseoir également à statuer dans l'attente de l'issue du recours introduit par la concluante auprès :
. du Conseil d'Etat en annulation des instructions n° 3C-14-71 et 3C-4-05 relatives à la définition fiscale du livre, notamment en ce qu'elles auraient ainsi étendu aux partitions musicales le champ d'application de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 dite loi Lang ;
. du Conseil d'Etat en annulation de la décision du 18 septembre 2007 par laquelle Madame le Ministre de la Culture a refusé de faire droit à la demande tendant à l'abrogation de l'alinéa 1 de l'article 1er de la circulaire du 30 décembre 1971 relative au prix du livre ;
* subsidiairement,
- de constater que les textes invoqués par le syndicat de la librairie française ne permettent pas de conclure à "l'applicabilité" (sic) automatique de la loi du 10 août 1981 à la partition musicale ;
- en conséquence, de débouter le syndicat de la librairie française de l'ensemble de ses demandes ;
- de le condamner reconventionnellement à payer à la concluante une somme de 10.000 euros pour procédure abusive et une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner le syndicat de la librairie française aux dépens.
En page 10 de ses écritures, elle indique par ailleurs que la cour doit s'interroger sur l'intérêt à agir du syndicat de la librairie française alors, d'une part, qu'à aucun moment il n'est soutenu que la diffusion des partitions musicales ferait une quelconque concurrence à la diffusion des livres et, d'autre part, que le syndicat ne s'est jamais inquiété pendant 25 ans de l'absence d'application de la loi Lang aux partitions musicales, pour tout à coup introduire une action à l'encontre d'un simple détaillant de la ville de Tourcoing.
Elle expose que la loi du 10 août 1981 dite loi Lang instaure le prix unique du livre sans pour autant préciser ce qui doit être entendu par le terme « livre ».
Elle fait valoir que la Direction Générale des Impôts, dans son instruction 3C-14-71 du 30 décembre 1971, a donné une définition du livre et que cette définition, quoique purement fiscale, a servi de référence par la suite, notamment dans la circulaire du 30 décembre 1981 relative au prix du livre ; que cette instruction de 1971 n'est pas claire concernant les partitions musicales puisqu'elle exclut notamment des ouvrages répondant à la définition du livre les simples partitions qui diffusent le texte et la musique d'une chanson, les cahiers de musique pour devoirs et les papiers à musique. Elle précise que dans son instruction n° 82 du 12 mai 2005, la Direction Générale des Impôts a étendu la définition fiscale du livre en y incluant les partitions musicales.
Elle souligne que dans un arrêt du 10 janvier 1985, la cour de justice des communautés européennes a déclaré la loi Lang conforme, sous réserve de modifications, aux dispositions des articles 3 sous F5, 85 et 86 du traité instituant la Communauté Européenne. Elle considère qu'on peut toutefois s'interroger sur le point de savoir si cette décision, relative aux livres écrits en langue alphabétique (propre à chaque pays ou à chaque ensemble linguistique) pourrait s'appliquer à des ouvrages rédigés dans une langue universelle, la portée musicale ; que ces ouvrages, dont la diffusion est totalement différente de celle des livres concernés à coup sûr par la loi Lang, peuvent être édités en tout pays dans la même « langue » et le sont généralement pour des périodes infiniment plus longues que les ouvrages littéraires ; que les restrictions imposées par une loi française, si elles ont un sens pour la littérature, sont éminemment plus contestables pour des oeuvres universelles, dont la circulation repose sur des principes culturels et économiques qui n'ont que peu en commun avec les livres stricto sensu.
Elle précise que le nombre de détaillants vendant des partitions musicales en France est de l'ordre de 500 à 600 ; qu'il s'agit d'une profession pour laquelle la grande distribution n'a pas les caractéristiques et l'impact qu'elle peut avoir dans la diffusion du livre et qu'en conséquence, les mesures protectionnistes instaurées par la loi Lang n'ont aucune raison d'être dans ce secteur d'activité ; que l'application de cette loi aboutirait à l'inverse du but poursuivi en ce qu'elle conduirait à la disparition de petit commerce et des éditions rares.
Elle soutient que compte tenu de spécificités de la vente des partitions musicales, le marquage d'un prix fixe est en pratique impossible.
Elle prétend par ailleurs qu'une circulaire ne s'impose aucunement au juge qui ne doit connaître que la loi ou le règlement ; qu'en tout état de cause, le Ministre de la Culture ne pouvait valablement renvoyer, pour l'application de la loi relative au prix du livre, à la définition fiscale de ce dernier, dès lors que la législation à laquelle se rattache cette définition, qui est relative au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée, a une finalité différente de celle de la loi Lang ; qu'en effet, l'article 278 bis du code général des impôts détermine les cas dans lesquels la TVA est perçue au taux réduit de 5,5 %, de telle sorte que, bénéficiant aux personnes qu'elle vise au premier chef, c'est-à-dire les consommateurs, la notion de livre peut être étendue de la manière la plus large possible, sans que quiconque ait à s'en plaindre ; qu'en revanche, la loi du 10 août 1981 présente un caractère contraignant en ce qu'elle oblige les détaillants à se conformer au prix fixé par l'éditeur ; que dans ce cas, la notion de « livre » doit être entendue plus strictement, voire différemment de sa définition fiscale.
S'agissant de l'instruction contenue dans le bulletin officiel des impôts du 12 mai 2005, elle allègue qu'elle n'a pas vocation à s'imposer dans un autre domaine, en raison du principe de l'autonomie du droit fiscal.
Elle fait valoir en outre que d'autres sources de réglementation font la différence entre le livre et la partition musicale ; qu'ainsi l'agence francophone pour la numérisation internationale du livre n'attribue pas de code ISBN (numérotation internationale permettant l'identification d'un livre) aux publications dont le contenu prédominant n'est pas le texte et notamment aux oeuvres musicales (partitions, cahier de musique), lorsque la notation musicale est plus importante que le texte ; que s'agissant par ailleurs des mentions obligatoires devant figurer sur les documents soumis au dépôt légal, s'il est prévu pour le livre la mention du prix « en francs français », tel n'est pas le cas pour les partitions musicales.
Par conclusions déposées le 27 décembre 2007, le syndicat de la librairie française demande à la cour :
vu la loi du 10 août 1981, notamment en ses articles 1, 3 et 7,
vu la circulaire du 30 décembre 1981 relative au prix du livre et le bulletin officiel des impôts du 12 mai 2005,
vu l'article 1382 du code civil,
- de dire n'y avoir lieu à sursis à statuer ni à question préjudicielle ;
- de débouter Madame Sylvie X... de ses demandes reconventionnelles ;
- de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :
. dit que les partitions de musique s'assimilaient à un livre dont la vente devait respecter en conséquence l'ensemble des dispositions du 10 août 1981 relatives au prix du livre ;
. condamné Madame Sylvie X... à cesser de commercialiser au détail des livres et partitions musicales avec des remises de prix supérieures à 5 % (pour les livres n'entrant pas dans le cas dérogatoire de l'article 5 de la même loi) et à cesser toute publicité sur des remises et rabais hors des lieux de vente, que ce soit par affichage ou diffusion de catalogues ;
- de dire que Madame Sylvie X... devra cesser ses agissements illicites dans le délai de quinze jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, à peine d'astreinte de 150 euros par jour de retard, pendant un délai de deux mois ;
- de dire qu'en répondant à des appels d'offres de collectivités territoriales, en proposant des remises supérieures au plafonnement légal de 9 % sur les livres non scolaires, Madame Sylvie X... a enfreint les dispositions de l'article 3 de la loi du 10 août 1981 ;
- de condamner Madame Sylvie X... à payer au concluant une somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice causé par l'atteinte portée aux intérêts collectifs dont le syndicat est en charge par les infractions ci-dessus visées, qui se sont prolongées pendant la durée de l'instance, malgré l'assignation ;
- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Madame Sylvie X... à lui payer la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner Madame Sylvie X... à lui payer la somme de 4.500 euros à titre d'indemnisation des frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel ;
- de condamner Madame Sylvie X... à lui régler une somme de 3.000 euros pour résistance abusive et injustifiée ;
- de la condamner aux dépens, de première instance et d'appel.

Il expose que Madame Sylvie X... a contrevenu aux dispositions des articles 1, 3 et 7 de la loi du 10 août 1981 et a persisté dans ses agissements en dépit des mises en demeure qui lui ont été adressées.

Il fait valoir que par application de l'article 378 du « code civil » (sic), le juge judiciaire saisi d'une question préjudicielle touchant à la légalité d'un acte administratif n'est tenu de surseoir que si cette exception présente un caractère sérieux et porte sur une question dont la solution est nécessaire au règlement du litige et que tel n'est pas le cas en l'espèce ; que quelle que soit l'issue du recours introduit par Madame Sylvie X... devant le conseil d'Etat, le juge du fond conserve son entier pouvoir souverain d'appréciation pour décider de l'application de la loi Lang aux partitions musicales.

Il relève que dans son arrêt du 26 novembre 2007, le conseil d'Etat a confirmé le caractère impératif des dispositions des deux instructions ministérielles prescrivant l'application du taux réduit de TVA aux partitions musicales ; qu'en outre, dans son avant-dernier considérant, il a estimé que les instructions ministérielles avaient valablement regardé comme livres, au sens des dispositions législatives, les partitions de musique qu'elles désignent, lesquelles doivent être regardées comme des ensembles homogènes comportant un apport intellectuel.

S'agissant par ailleurs de la question préjudicielle que Madame Sylvie X... demande à la cour de poser à la Cour de justice des communautés européennes, il soutient que ladite question revient purement et simplement à demander si les remises de prix limitées à 5 % sur les livres en général et sur les partitions musicales en particulier sont compatibles avec le droit communautaire ; que cette question est cependant sans objet dès lors qu'il a déjà été affirmé par cette juridiction, notamment dans un arrêt du 10 janvier 1985, que les dispositions de la loi Lang sont conformes au Traité de Rome et qu'il est de principe constant qu'il n'y pas lieu à question préjudicielle en application de l'article 177 alinéa 3 dudit traité dès lors que la disposition communautaire en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la cour ou que l'application du droit communautaire s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

Il allègue que les agissements illicites de l'appelante constituent des actes de concurrence déloyale à l'égard des autres libraires et ont porté atteinte aux intérêts de la profession des libraires indépendants qui, eux, s'astreignent au respect de la réglementation et que son intérêt à agir résulte tant de son objet, tel qu'énoncé à l'article 3 de ses statuts que de l'article 8 de la loi du 10 août 1981.

Il prétend en outre que si, jusqu'en 2005, une certaine imprécision demeurait quant au régime juridique des partitions musicales, cette imprécision a été levée par le bulletin officiel des impôts du 12 mai 2005 ; que le fait que Madame Sylvie X... n'ait pas été la seule dans la profession des librairies musicales à être en infraction n'est pas de nature à faire disparaître celle-ci ; que l'appelante est mal fondée à invoquer des raisons d'opportunité pour faire écarter l'application de la loi.

Il soutient qu'il n'y pas de différence fondamentale entre les réseaux de vente de livres et les réseaux de vente de partitions musicales.

Il fait sienne la motivation du tribunal selon laquelle la seule définition légale du livre existant à ce jour est la définition fiscale qui, si elle ne s'impose pas au juge, permet de préciser le débat, étant rappelé que la circulaire du 30 décembre 1981 relative au prix du livre renvoie pour la définition de celui-ci à l'instruction du 30 décembre 1971 de la direction générale des impôts pour l'application du taux réduit de la TVA.

MOTIFS :

1) sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir du syndicat, soulevée par Madame Sylvie X...

Le syndicat de la librairie française fonde ses demandes sur la violation prétendue par Madame Sylvie X... des dispositions de la loi du 10 août 1981.

Par application de l'article 8 de ladite loi, en cas d'infraction aux dispositions de celle-ci, les actions en cessation ou en réparation peuvent être engagées, notamment par tout concurrent, association agréée de défense de consommateurs ou syndicat des professionnels de l'édition ou de la diffusion de livres ainsi que par l'auteur ou toute organisation de défense des auteurs.

Aux termes de l'article 3 de ses statuts, le syndicat de la librairie française a pour objet l'étude et la défense des droits de ses adhérents, ainsi que des intérêts matériels et moraux de ses adhérents, et plus généralement ceux de la profession de libraire. Il constitue une représentation officielle de la profession de libraire auprès des pouvoirs publics. Il se propose notamment de mener toutes les actions nécessaires au respect de la loi du 10 août 1981 en tous lieux et par tous les réseaux qui pratiquent la vente du livre.

Le syndicat justifiant de son intérêt à agir dans le cadre de la procédure qu'il a initiée devant le tribunal de grande instance, il convient de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par Madame Sylvie X....
2) sur la demande de sursis à statuer dans l'attente des décisions du Conseil d'Etat
Il ressort des pièces produites par l'appelante que par arrêt du 26 novembre 2007, le Conseil d'Etat a rejeté la requête par laquelle Madame Sylvie X... et les sociétés AREZZO et ARIOSO avaient sollicité l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de l'instruction de la direction générale des impôts 3C-14-71 du 30 décembre 1971, portant définition fiscale du livre et, d'autre part, l'instruction de la direction générale des impôts 3 C-4-05 du 12 mai 2005.
La demande de Madame Sylvie X... tendant à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de cette décision est par conséquent sans objet.
Par ailleurs, une circulaire constitue une mesure intérieure à l'administration, dépourvue de force obligatoire qui ne peut imposer au juge le sens et la portée des textes qu'elle interprète.
Il en résulte que l'issue du recours introduit par Madame Sylvie X... devant le Conseil d'Etat, en annulation de la décision en date du 18 septembre 2007, par laquelle Madame le Ministre de la Culture et de la Communication a refusé de faire droit à sa demande tendant à l'abrogation des dispositions de l'article 1er, alinéa 1, de la circulaire du 30 décembre 1981 relative au prix du livre, est sans influence sur la présente procédure, dès lors que la solution qui sera apportée à la question dont le Conseil d'Etat est saisi n'est pas nécessaire au règlement du litige soumis à la cour.
Il convient par conséquent de rejeter la demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat, formée par Madame Sylvie X....

3) sur l'application des dispositions de la loi du 10 août 1981 aux partitions musicales

Aux termes des articles 1er, 3 et 7 de la loi du 10 août 1981 :
- toute personne physique ou morale qui édite ou importe des livres est tenue de fixer, pour les livres qu'elle édite ou importe, un prix de vente au public ;
- les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l'éditeur ou l'importateur ;
- le prix effectif de vente des livres peut être compris entre 91 % et 100 % du prix de vente au public lorsque l'achat est réalisé, sous certaines conditions, par l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements d'enseignement , de formation professionnelle ou de recherche, les syndicats représentatifs ou les comités d'entreprise et les personnes morales gérant les bibliothèques ;
- enfin, toute publicité annonçant des prix inférieurs au prix de vente public est interdite hors des lieux de vente.
Il convient tout d'abord de constater que la loi du 10 août 1981 ne comporte pas de définition du livre et qu'aucune disposition de celle-ci ne vise à un quelconque titre les partitions musicales.
Selon le sens commun, un livre, en tant qu'objet, se définit comme un ouvrage, non périodique, formé de feuilles imprimées réunies en un volume relié ou broché et destinées essentiellement, s'il y a texte littéraire, quel que soit l'objet de ce texte, à être lues, et/ou, si l'impression n'est pas textuelle, à être regardées. Quant à la partition musicale, en tant qu'objet, elle se définit, selon le sens commun, comme une ou plusieurs feuilles imprimées portant l'ensemble des parties d'un ouvrage musical, destinées essentiellement à l'exécution de cet ouvrage par la voix ou par un instrument de musique.
Les deux termes, selon le sens commun, ne sont pas synonymes et le premier, qui ne désigne pas, indépendamment de leur objet, tous les imprimés formés de plusieurs feuilles réunies, n'est pas un terme général incluant le second.
Il est par conséquent nécessaire en l'espèce de procéder à la recherche de la volonté du législateur, des motifs qui l'ont déterminé et du but qu'il a poursuivi, afin de circonscrire le champ d'application de la loi et de déterminer si la législation adoptée en matière de prix du livre a ou non vocation à inclure les partitions musicales.
La consultation des travaux préparatoires révèle que l'instauration d'un régime dérogatoire au principe de la liberté des prix a été fondée sur le refus de considérer le livre comme un produit marchand banalisé et sur la volonté d'infléchir les mécanismes du marché pour assurer la prise en compte de sa nature de bien culturel qui ne saurait être soumis aux seules exigences de rentabilité immédiate, le livre étant à cet égard qualifié de support de l'apprentissage, de moyen d'expression et de mode privilégié de diffusion de la culture.
Le système du prix unique du livre est apparu au législateur comme le mode de régulation le plus approprié pour un marché fragile et spécifique.
Le prix unique du livre doit permettre :
- l'égalité des citoyens devant le livre, vendu au même prix sur tout le territoire national, rendant ainsi la "lecture" accessible au plus grand nombre ;
- le maintien d'un réseau décentralisé très dense de distribution, notamment dans les zones géographiques les plus éloignées des villes ;
- le soutien au pluralisme dans la création et l'édition, en particulier pour les ouvrages littéraires.
Le souci du législateur a été d'éviter la pratique du bradage dite « discount », entraînant à long terme une raréfaction du nombre de "titres" disponibles, chacun s'attachant alors à proposer des ouvrages à « rotation rapide », connaissant un vaste public, au détriment des oeuvres de création originale ou des rééditions de titres jugés « difficiles » qui sont pour la plupart des livres à rotation lente. Dans un tel contexte favorisant la formation de positions dominantes, seuls les "libraires" ayant un chiffre d'affaires important auraient été en mesure de survivre. Il en serait résulté la mise en péril du réseau traditionnel des libraires conduisant à une réduction du nombre de "détaillants de livres", au profit des grandes surfaces souvent moins à même que les "librairies" de taille plus modeste de fournir un service personnalisé aux clients. Pris en considération dans sa dimension de véhicule privilégié de la culture, le livre doit être partout à la disposition du public.

Aux termes des conclusions prises devant la Cour de justice des communautés européennes dans l'affaire « association des centres distributeurs Edouard Leclerc et autres » (arrêt du 10 janvier 1985), le gouvernement français a présenté quant à lui la loi du 10 août 1981 comme une législation ayant pour but de protéger le livre en tant que support culturel contre les effets négatifs qui résulteraient, pour la diversité et le niveau culturel de "l'édition", d'une concurrence sauvage sur les prix au détail. Il a soutenu que ladite loi était nécessaire pour maintenir l'existence de "librairies" spécialisées face à la concurrence d'autres canaux de distribution, axés sur une politique de marges réduites et de diffusion d'un nombre limité de "titres", et pour éviter que quelques grands distributeurs puissent imposer leur choix aux "éditeurs" au détriment de l'édition "de livres de poésie, de science et de création". Il a considéré dès lors cette loi comme une mesure indispensable pour maintenir le livre en tant qu'instrument culturel.

En l'espèce, il ressort des pièces produites par Madame Sylvie X... que les éditeurs de musique ne sont pas des éditeurs de livres, les premiers ayant en effet créé leur propre chambre syndicale, au milieu du XIXe siècle ; que les tirages de nouveautés dans ce secteur d'activité s'effectuent dans des quantités infiniment moins importantes que pour les livres au sens courant du terme ; que les stocks ont en outre une très faible rotation, un exemplaire édité pouvant être commercialisé pendant 10 ou 20 ans ; que les réseaux de vente de partitions musicales sont totalement différents de ceux du livre, la France totalisant un effectif d'environ 800 marchands ayant un rayon de musique imprimée ; que le chiffre d'affaires dans ce secteur est réalisé à l'aide de petites commandes quotidiennes ; que ces vendeurs ne subissent nullement la concurrence de la grande distribution, aucune grande surface, qu'elle soit généraliste ou spécialisée dans la commercialisation de biens culturels, ne pratiquant la vente de partitions musicales qui n'intéressent, pour l'essentiel, conformément à leur destination, que ceux utilisant la voix ou un instrument de musique pour exécuter l'oeuvre musicale.

Il apparaît en outre que l'objectif de "démocratisation de la lecture" en vue d'un accès du plus grand nombre à la culture, poursuivi lors de l'adoption de la loi du 10 août 1981, nonobstant le fait que le prix du livre peut en être plus élevé pour le consommateur que par l'application des règles normales de concurrence, ne peut être transposé aux partitions musicales qui ne constituent en effet le support de l'acquisition de la connaissance que dans un domaine très réduit, pour un objet essentiellement distinct de la lecture et dont les circuits de distribution sont différents, en raison de la fraction limitée de la population concernée, de sorte que l'inclusion des partitions musicales dans l'objet de la loi précitée sur le livre ne présente aucun intérêt du point de vue de la distribution de ce produit culturel pour le consommateur, alors qu'il peut contribuer notamment au renchérissement de son acquisition pour ce dernier, du fait de l'interdiction de la vente au détail avec des remises de prix supérieures à 5 % du prix public indiqué par l'éditeur ou l'importateur.

Le syndicat de la librairie française verse aux débats un extrait de la circulaire prise le 30 décembre 1981 par le Ministre de la Culture, selon laquelle le champ d'application de la loi relative au prix du livre est identique à celui déterminé par la définition du livre contenue dans l'instruction en date du 30 décembre 1971 de la direction générale des impôts pour l'application du taux réduit de la TVA. Il y a lieu, toutefois, d'observer qu'une circulaire ministérielle donnant une interprétation de la loi sur le livre par référence à une instruction fiscale est sans portée normative.

De plus, dans l'instruction susvisée, relative à l'application du 6° de l'article 278 bis du code général des impôts touchant au taux de la taxe à la valeur ajoutée, l'administration fiscale définit, pour cet objet, le livre comme un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d'une oeuvre de l'esprit d'un ou plusieurs auteurs en vue de l'enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture.
Il convient de noter que cette instruction, qui classe parmi les ouvrages répondant à la définition du livre les méthodes de musique, livrets ou partitions d'oeuvres musicales pour piano ou chant, ouvrages d'enseignement musical et solfège, retient cependant que ne répondent pas à cette définition les simples partitions qui diffusent le texte et la musique d'une chanson.
Par ailleurs, aux termes de l'instruction fiscale 3 C-4-05 du 12 mai 2005, la direction générale des impôts a étendu l'application du taux réduit de TVA à l'ensemble des partitions musicales, quel que soit le compositeur (classique ou contemporain) et qu'elles comportent ou non des paroles, afin de se conformer à la directive européenne relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, définissant les prestations de services pouvant bénéficier d'un taux réduit de TVA, qui assimile la fourniture de partitions musicales à celle des livres.
Cependant, conformément au principe de l'autonomie du droit fiscal, la position prise par l'administration quant à l'interprétation de dispositions du code général des impôts, n'a pas vocation à être étendue à d'autres domaines législatifs, étant de surcroît observé que le taux réduit de TVA est appliqué, en vertu de l'article 278 bis du code général des impôts, à de nombreux biens de consommation tels que l'eau et les boissons non alcooliques, les produits destinés à l'alimentation humaine, les produits d'origine agricole, de la pêche, de la pisciculture et de l'aviculture n'ayant subi aucune transformation, ... sans qu'il puisse être établi une quelconque corrélation entre ces dispositions légales et les objectifs précités poursuivis par le législateur lors de l'adoption de la loi du 10 août 1981.
Par ailleurs, ainsi que le souligne à juste titre Madame Sylvie X..., il ressort de la lecture de l'article 1er de l'arrêté du 12 janvier 1995 fixant les mentions obligatoires devant figurer sur les documents imprimés, graphiques et photographiques soumis au dépôt légal, que si la mention du prix est imposée en ce qui concerne les livres, cartes et plans, il n'en est pas de même des partitions musicales pour lesquelles les seules mentions requises sont celles du nom ou raison sociale et de l'adresse de l'éditeur et de l'imprimeur ainsi que l'indication du mois et de l'année du dépôt.
Enfin, il sera relevé que le décret n° 85-556 du 29 mai 1985 punit de la peine d'amende prévue pour la troisième classe de contraventions les auteurs d'infraction à la loi du 10 août 1981.
Il convient ainsi de procéder à une interprétation stricte des dispositions de la loi susvisée, ce qu'imposent tant la loi pénale que les dérogations au principe de la liberté des prix et de déduire, par conséquent, du silence de la loi que celle-ci ne s'applique pas à la situation particulière des partitions musicales, qu'elles ne visent pas, qui ne sont pas essentiellement destinées à être regardées et qui ne peuvent être lues en tant que texte littéraire.

Dès lors, la question préjudicielle que l'appelante entend voir poser à la Cour de justice des communautés européennes ne présente aucune utilité pour la solution du litige soumis à la cour, de sorte qu'il ne sera pas fait droit à la demande que Madame Sylvie X... forme à cette fin.

En outre, aucune infraction à la loi du 10 août 1981 n'étant caractérisée en l'espèce, le syndicat de la librairie française sera débouté des demandes principales qu'il forme à l'encontre de l'appelante.

4) sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, formée par le syndicat de la librairie française

Le syndicat de la librairie française, qui succombe en ses prétentions, est mal fondé à reprocher à Madame Sylvie X... d'avoir résisté à celles-ci.
La demande de dommages et intérêts complémentaire présentée par l'intimé sera par conséquent rejetée.

5) sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, formée par Madame Sylvie X...

Madame Sylvie X... ne démontre pas qu'en introduisant l'instance devant les premiers juges, le syndicat de la librairie française a agi avec malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol.
Il ne peut dès lors être fait droit à la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, formée par l'appelante.

6) sur les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Le syndicat de la librairie française sera condamné à payer à Madame Sylvie X... la somme de 4.000 euros à titre d'indemnisation des frais, non compris dans les dépens, que celle-ci a exposés, tant en première instance qu'en appel.
L'intimé sera en revanche débouté de ses demandes présentées sur le même fondement.
Enfin, le syndicat sera condamné aux dépens, de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

statuant dans la limite des dispositions déférées,
Infirme le jugement entrepris ;
Et, statuant à nouveau,
Rejette la fin de non-recevoir soulevée par Madame Sylvie X... ;
Constate que la demande de Madame Sylvie X... tendant à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de l'issue du recours introduit par la concluante auprès du Conseil d'Etat en annulation des instructions n° 3C-14-71 et 3C-4-05 relatives à la définition fiscale du livre est sans objet ;
Déboute Madame Sylvie X... de ses autres demandes de sursis à statuer ;
Dit que les dispositions de la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre ne s'appliquent pas aux partitions musicales ;
Dit qu'aucune infraction à la loi du 10 août 1981 n'est caractérisée en l'espèce ;
Déboute en conséquence le syndicat de la librairie française de l'ensemble de ses demandes principales ;
Le déboute de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Déboute Madame Sylvie X... de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne le syndicat de la librairie française à payer à Madame Sylvie X... la somme de 4.000 euros à titre d'indemnisation des frais, non compris dans les dépens, que celle-ci a exposés, tant en première instance qu'en appel ;
Déboute le syndicat de la librairie française de ses demandes présentées sur le même fondement ;
Condamne le syndicat de la librairie française aux dépens, de première instance et d'appel ;
Autorise la SCP DELEFORGE-FRANCHI, avoués, à les recouvrer directement en application de l'article 699 du code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Ct0037
Numéro d'arrêt : 06/03487
Date de la décision : 07/05/2008

Références :

ARRET du 28 janvier 2010, Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 28 janvier 2010, 08-70.026, Publié au bulletin

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Lille, 23 mars 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.douai;arret;2008-05-07;06.03487 ?
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