DOSSIER N 07/03193
ARRÊT DU 23 Janvier 2008
9ème CHAMBRE
COUR D'APPEL DE DOUAI
9ème Chambre - No
Prononcé publiquement le 23 Janvier 2008, par la 9ème Chambre des Appels Correctionnels,
Sur appel d'un jugement du T.G.I. D'ARRAS du 31 JUILLET 2007
PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :
Monsieur X...
né le ... à ACHICOURT (62)
Fils de... et de ...
De nationalité française, divorcé
Professeur de guitare
Demeurant ...
Prévenu, intimé, libre, comparant
Assisté de Maître TORILLEC Jean-François, avocat au barreau d'ARRAS
LE MINISTÈRE PUBLIC : Le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de ARRAS
appelant,
Mademoiselle A...,
demeurant ...
Comparante, partie civile, appelante, assistée de Maître BAVENCOFFE Serge, avocat au barreau d'ARRAS
M. Et Mme A...
Titulaires de l'autorité parentale de leur fille Mademoiselle A...,
demeurant ...
Comparant, partie civile, appelant, assisté de Maître BAVENCOFFE Serge, avocat au barreau d'ARRAS
COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré :
Président : Elisabeth SENOT,
Conseillers : Franck BIELITZKI,
Eric BIENKO VEL BIENEK.
GREFFIER : Monique MORISS aux débats et au prononcé de l'arrêt.
MINISTÈRE PUBLIC : Joseph BRUNEL, Avocat général.
DÉROULEMENT DES DÉBATS :
A l'audience publique du 09 Janvier 2008, Le Conseiller Rapporteur a constaté l'identité du prévenu.
Ont été entendus :
Monsieur BIELITZKI en son rapport ;
Monsieur X... en ses interrogatoires et moyens de défense ;
Le Ministère Public, en ses réquisitions :
Les parties en cause ont eu la parole dans l'ordre prévu par les dispositions des articles 513 et 460 du code de procédure pénale.
le prévenu et son conseil ont eu la parole en dernier.
Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 23 Janvier 2008.
Et ledit jour, après en avoir délibéré conformément à la loi, la Cour composée des mêmes magistrats, a rendu l'arrêt dont la teneur suit, en audience publique, et en présence du Ministère Public et du greffier d'audience.
DÉCISION :
VU TOUTES LES PIÈCES DU DOSSIER,
LA COUR, APRES EN AVOIR DÉLIBÉRÉ CONFORMÉMENT A LA LOI, A RENDU L'ARRÊT SUIVANT
Devant le tribunal correctionnel d'ARRAS, Monsieur X... était prévenu d'avoir :
- à ARRAS, entre le 1er juin et le 31 décembre 2006, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, alors qu'il n'en était pas ascendant légitime, naturel ou adoptif, soustrait sans fraude ni violence Mademoiselle A..., enfant mineur, des mains de ceux qui exerçaient l'autorité parentale ou auxquels il était confié ou chez qui il avait sa résidence habituelle, en l'espèce son père, M. A..., et le collège Baudimont situé à Arras,
infraction prévue par l'article 227-8 du Code pénal et réprimée par les articles 227-8, 227-29 du même code,
- à ARRAS, entre le 1er juin et le 31 décembre 2006, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, favorisé ou tenté de favoriser la corruption de Mademoiselle A..., en l'espèce en ayant des rapports sexuels avec cette dernière et en organisant, étant majeur, des relations sexuelles auxquelles la mineure assistait et participait,
infraction prévue par l'article 227-22 du Code pénal et réprimée par les articles 227-29 et 227-31 du même code.
Ledit tribunal correctionnel d'ARRAS, par jugement contradictoire en date du 31 Juillet 2007 a :
- sur l'action publique :
renvoyé Monsieur X... des fins de la poursuite,
- sur l'action civile :
- déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles de Mademoiselle, M. et Mme A...,
- dit n'y avoir lieu de faire droit à leur demande au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
LES DECLARATIONS d'APPEL :
Les déclarations d'appel ont été reçues régulièrement ainsi :
- Le conseil des consorts A..., par déclaration faite au greffe du tribunal, le sept août 2007, l'appel visant les dispositions civiles du jugement,
- M. le procureur de la République, le sept août 2007, son appel incident visant les dispositions pénales.
LES CITATIONS :
Les parties ont été régulièrement citées pour l'audience du neuf janvier 2008:
- Monsieur X..., à personne, le 11 décembre 2007,
- Mademoiselle A..., à personne le 26 octobre 2007,
- Mme A..., à personne, le 22 octobre 2007,
- M. A..., à personne, le 25 octobre 2007.
Les parties comparaissent à l'audience. L'arrêt sera rendu contradictoirement à leur égard.
RAPPEL DES FAITS :
Le 27 juin 2006, M. A..., assureur, se rendait au commissariat de police d'Arras et évoquait les difficultés qu'il rencontrait avec sa fille Mademoiselle A..., née le... à... (Inde), qu'il avait adoptée au mois de juillet 1990. Il déclarait en substance que l'enfant souffrait de troubles de l'attachement pouvant l'amener à se droguer, s'alcooliser ou à déprimer ; que Mademoiselle A... s'absentait fréquemment de l'école et qu'elle rencontrait même un homme divorcé, âgé de 57 ans, Monsieur X..., directeur de l'école de musique de la commune de... (62). M. A... ajoutait que sa fille avait par ailleurs été retrouvée par sa mère en état d'ivresse, rue Saint Maurice à Arras, le neuf juin 2006, et avait dû être hospitalisée dans un établissement psychiatrique jusqu'au 23 juin suivant (D8).
Entendue le six juillet 2006, Mademoiselle A... expliquait qu'elle s'était rendue spontanément chez Monsieur X..., qu'elle ne connaissait pas, vers le milieu du mois de mai 2006 car il résidait dans une maison précédemment habitée par une dame de nationalité indienne à qui elle avait l'habitude de se confier. Mademoiselle A... déclarait qu'elle était ensuite régulièrement venu le voir, lui avait écrit des lettres passionnées et, le premier juin 2006, lui avait demandé de lui faire l'amour. Elle disait ressentir une attirance et de l'amour pour cet homme et ajoutait qu'il était partie en voyage en Tunisie à la fin de l'année scolaire, qu'elle avait déprimé et qu'elle s'était retrouvée à l'hôpital (D7).
Monsieur X..., le dix juillet 2006, confirmait la version donnée par Mademoiselle A.... Il déclarait n'avoir entretenu des relations intimes avec elle qu'à une reprise et s'engageait à ne plus la revoir (D5).
Une enquête sociale rapide ordonnée par M. le procureur de la République d'Arras rappelait, le 20 septembre 2006, que Mademoiselle A... avait été scolarisée en 2005 et 2006, en qualité d'interne, en première année de B.E.P sanitaire et social ; qu'après une dernière hospitalisation au mois de juin 2006, une prise en charge avait été effectivement instaurée ; que Mademoiselle A... rencontrait régulièrement, depuis le mois de juin 2006, un psychiatre et un psychologue et adhérait au suivi mis en place et allait mieux ; qu'elle était scolarisée en seconde générale à Arras depuis la rentrée ; que l'adolescente avait rejeté sa mère vers l'âge de huit ans et ne souhaitait entretenir que peu de relations avec son père qui, selon elle, la "fliquait" et que la prise en charge apparaissait satisfaisante (D11). Un classement sans suite était décidé le 26 septembre 2006 (D12).
Le 14 février 2007, Mademoiselle A... révélait néanmoins que Monsieur X... avait continué à la rencontrer malgré ses engagements ; qu'il venait fréquemment la chercher avant l'école et entretenait avec elle des rapports sexuels ; qu'il était notamment venu la chercher chez elle, le 30 décembre 2006, et l'avait ramenée le lendemain, à cinq heures du matin, chez ses parents ; qu'elle avait décidé ensuite de ne plus le revoir mais qu'il l'avait harcelée au téléphone ; qu'il l'avait incitée à fuguer afin de le rejoindre et d'avoir une explication ; qu'il l'avait frappée et l'avait insultée ; qu'il l'avait emmenée à son domicile ; qu'il avait répondu qu'elle n'était pas là lorsque sa psychologue, inquiète, avait téléphoné ; qu'il l'avait ensuite "jetée dehors" ; qu'elle avait été hospitalisée dans un centre psychothérapeutique et qu'il était venu à l'hôpital pour la rencontrer en se faisant passer pour son oncle. Mademoiselle A... considérait, en définitive, avoir été pour Monsieur X... un objet sexuel ; elle affirmait que faire l'amour était sa seule priorité et qu'il lui montait la tête contre ses parents (D42).
M. A..., le 15 février 2007, expliquait que Monsieur X... allait régulièrement chercher sa fille à l'arrêt de bus, la ramenait chez lui, avait une relation sexuelle et la raccompagnait ensuite à l'école. Il précisait qu'il était venu l'importuner à l'hôpital la semaine du 22 janvier 2007 et que sa fille avait parfois été absente de l'école des après-midis entiers (D41).
Interrogé le cinq mars 2007, Monsieur X... admettait avoir persisté à rencontrer Mademoiselle A... après le dix juillet 2006, l'avoir d'abord attendue en voiture, place de la préfecture, avant qu'elle se rendît à l'école, puis être allé la chercher le matin à l'arrêt de bus, après les vacances de Toussaint de l'année 2006, vers 8h40, pour l'emmener chez lui, avoir des relations sexuelles et la reconduire vers 9h10. Il indiquait que ces pratiques n'avaient duré que 15 jours car à compter du mois de décembre 2006, M. A... conduisait sa fille à l'école en voiture. Monsieur X... déclarait qu'il voyait ensuite Mademoiselle A... lorsqu'elle le pouvait et que cette dernière prétextait alors, lorsqu'il la questionnait sur la raison de sa présence, qu'un de ses professeurs était malade ou absent. Il ajoutait avoir parfois eu avec elle des relations sexuelles entre midi et 14 heures et être allé à une reprise à l'hôtel et avoir giflé la jeune fille à l'occasion d'un différend car Mademoiselle A... avait fait l'amour avec un autre garçon. Monsieur X... exposait que Mademoiselle A... l'appelait pour qu'il allât la chercher à la sortie de l'école ; qu'il était amoureux d'elle ; qu'il était allé la chercher le 30 décembre 2006 chez ses parents, à sa demande ; qu'en matière sexuelle, c'était elle qui menait "la barque" ; qu'elle était demi-pensionnaire , puis interne à compter du mois de janvier 2007 ; qu'elle arrivait en retard à l'école une ou deux fois par semaine pendant trois mois, à raison d'un quart d'heure environ, et qu'elle n'avait dormi chez lui qu'à une reprise, le 30 décembre 2006. Il avouait que son objectif était d'attendre que Mademoiselle A... eût atteint l'âge de 18 ans pour pouvoir vivre avec elle (D31, D27, D24).
La perquisition réalisée le cinq mars 2007 au domicile de Monsieur X... révélait la présence de photographies de Mademoiselle A... dans des poses suggestives et une scène de fellation où apparaissait le sexe de Monsieur X... en érection (D29, D27).
Monsieur X... était examiné par le docteur F..., psychiatre, qui concluait, le sept juin 2007, à l'absence de toute anomalie mentale. Le médecin précisait que l'intéressé paraissait profondément désemparé et déstabilisé par sa relation avec Mademoiselle A... qui avait pris pour lui un caractère passionnel et destructeur et pour laquelle il semblait toujours éprouver des sentiments amoureux. Il suggérait la poursuite de la prise en charge psychologique décidée par l'intéressé (D44).
Le bulletin numéro un du casier judiciaire de Monsieur X... ne portait enfin trace d'aucune condamnation.
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*
A l'audience les époux A... sollicitent un euro à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice personnel tandis que Mademoiselle A... demande, avant dire droit sur la liquidation de son préjudice, une mesure d'expertise et le versement d'une provision et, subsidiairement, une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que 700 euros sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Le ministère public requiert de son côté l'application de la loi.
Monsieur X... fait plaider pour sa part la relaxe.
MOTIFS DE LA DECISION
I- Sur la corruption de mineur ;
La cour estime que le fait, pour Monsieur X..., d'entretenir des relations intimes régulières avec Mademoiselle A... ou d'avoir été trouvé en possession de clichés photographiques représentant la mineure dans des poses suggestives et une scène de fellation où apparaît le sexe de Monsieur X... en érection ne caractérise pas l'infraction de corruption de mineur visée à la prévention. En effet, les différentes scènes ne se sont jamais déroulées en présence de tiers et se situent dans le contexte d'une relation affective et sexuelle consentie par Mademoiselle A... ; le fait que le prévenu ait tiré parti de l'attitude de cette dernière afin de satisfaire ses propres passions, quoique moralement répréhensible, ne tombe pas, par ailleurs, sous le coup de l'article 227-22 du Code pénal.
C'est donc à juste titre que le premier juge a relaxé Monsieur X... sur ce point.
II- Sur la soustraction de mineur ;
Il ressort des déclarations faites tant devant les services de police que devant la cour que Monsieur X..., après s'être engagé devant les forces de l'ordre, le dix juillet 2006, à ne plus rencontrer Mademoiselle A... , a néanmoins persisté au moins jusqu'au 31 décembre 2006. Il admet ainsi qu'il avait l'habitude d'attendre la mineure dans sa voiture, stationnée place de la préfecture à Arras, avant que Mademoiselle A... ne se rendît à l'école, puis être allé régulièrement la chercher le matin, à un arrêt d'autobus, après les vacances de la Toussaint de l'année 2006, vers 8h40, pour l'emmener chez lui, y assouvir ses passions et la reconduire vers 9h10. Il ajoute avoir été amené ensuite, dans la mesure où le père de l'enfant prenait la précaution de la conduire lui-même à l'école, à rencontrer Mademoiselle A... à d'autres occasions et notamment lorsqu'elle fuguait de l'établissement où elle était scolarisée.
Monsieur X... indique à l'audience que ces rencontres étaient très régulières et Mademoiselle A... , sans être contredite sur ce point par le prévenu, expose qu'elles étaient quasi-quotidiennes, mêmes si elles ne duraient la plupart du temps que quelques heures ; M. A... précise à cet égard qu'il arrivait que Mademoiselle A... s'absentât des après-midis entiers de l'école et que Monsieur X... est même venu la chercher au domicile familial la nuit du 30 décembre 2006 alors que sa fille venait de s'échapper par la fenêtre.
Monsieur X... a par ailleurs envoyé sur le téléphone portable de Mademoiselle A... , entre le 12 et le 23 novembre 2006, un total de 32 messages dans lesquels il exposait, souvent en termes obscènes, l'objet de ses désirs et lui disait également : "je tiendrai, ma petite femme. Préserve toi.. Repose toi.. Mange bien.. Ne rentre pas dans leur merdier de morale et discours à la gomme. Je t'aime et tu seras ma femme".
La cour estime, dans ces circonstances, que Monsieur X... a, par ses manoeuvres régulières, encouragé avec succès Mademoiselle A... , qui était alors en conflit avec ses parents adoptifs, à s'affranchir prématurément et durablement de leur autorité afin de se l'approprier.
Le délit de soustraction de mineur apparaît dès lors constitué, contrairement à ce qu'a indiqué le premier juge, dont la décision sera réformée de ce chef.
La cour estime, dans ces conditions, devoir sanctionner Monsieur X..., dont le casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnation, d'une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis.
Il convient enfin, au regard notamment de l'enquête sociale rapide ordonnée le 20 septembre 2006 et des pièces médicales versées au débat, de condamner Monsieur X... à payer aux époux A..., en réparation de leur préjudice moral, une somme d'un euro et à Mademoiselle A..., en réparation de son préjudice moral, une somme de 5.000 euros ainsi que 500 euros sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en ses dispositions relaxant Monsieur X... du chef de corruption de mineur ;
Le réformant pour le surplus,
Déclare Monsieur X... coupable de soustraction de mineur ;
Le condamne à six mois d'emprisonnement avec sursis ;
Le condamne à payer à M. A... et Mme A... une somme d'un euro à titre de dommages et intérêts ;
Le condamne à payer à Mademoiselle A... une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts et de 500 euros sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable le condamné.