RV/GM
S.A.S. SPIE EST
C/
Christian X...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 02 DECEMBRE 2009
No
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL No 09/00264
Décision déférée à la Cour : AU FOND du 23 MAI 2008, rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE DIJON
RG 1ère instance : 07/00242
APPELANTE :
S.A.S. SPIE EST
2 route de Lingolsheim
B.P. 70330 - GEISPOLSHEIM
67411 ILLKIRCH CEDEX
représentée par Maître SCHIHIN Roland, avocat au barreau de Dijon
INTIME :
Monsieur Christian X...
...
21160 PERRIGNY-LES-DIJON
représenté par Maître ANNE Sandrine, avocat au barreau de DIjon
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 octobre 2009 en audience publique devant la Cour composée de :
Bruno LIOTARD, président de chambre, président,
Marie-Françoise ROUX, conseiller,
Robert VIGNARD, conseiller,
qui en ont délibéré,
GREFFIER LORS DES DEBATS : Anne-Marie COSTES
ARRET rendu contradictoirement,
PRONONCE publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNE par Bruno LIOTARD, président de chambre, et par Anne-Marie COSTES, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Par contrat de travail du 24 mai 2000, Christian X... a été embauché en qualité de dessinateur projeteur à compter du 3 juillet 2000 par la société SPIE TRINDEL Fédération Est (ci-après SPIE EST). En date du 1er juillet 2005, il a accédé aux fonctions de responsable études.
Il a été convoqué par lettre remise en main propre à un entretien préalable dans le cadre d'une procédure de licenciement le 17 octobre 2006.
Suite à l'entretien qui s'est tenu le 26 octobre 2006, M. X... a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 novembre 2006.
Contestant ce licenciement, il a saisi le conseil de prud'hommes de Dijon le 26 février 2007.
Statuant en formation de départition, par jugement du 23 mai 2008, la juridiction prud'homale a :
- dit non fondé sur une cause réelle et sérieuse le licenciement de M. X... ;
- condamné la société SPIE EST à payer à M. X... la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts,
- condamné la même à payer à M. X... la somme de 350 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société SPIE EST a interjeté appel à l'encontre de cette décision le 23 juin 2008.
Par arrêt du 12 mars 2009, cette cour a ordonné le retrait de l'affaire de son rôle.
Elle y a été réinscrite le 23 mars 2009.
A l'audience où l'affaire a été retenue, l'appelante a sollicité conformément à des conclusions écrites du 6 février 2009, reprises oralement à la barre, que :
- le licenciement soit dit fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- M. X... soit débouté de ses demandes.
Par conclusions du 1er septembre 2009, développées verbalement à l'audience, l'intimé a demandé à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner son adversaire à lui payer la somme de 1.200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour entend se référer à la décision entreprise et aux écritures susvisées.
SUR QUOI,
Sur le licenciement
Attendu que M. X... a été licencié aux termes d'une lettre ainsi libellée :
« A la suite de l'entretien du 26 octobre 2006, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier.
En effet, nous avons constaté que vous aviez accédé depuis votre PC au serveur Ressources Humaines, serveur qui contient l'ensemble des données de notre personnel (salaires, maladie, adresses, etc.). Nous avons également constaté que vous aviez accédé à un fichier contenant les rémunérations variables des cadres de notre Direction Régionale. Enfin, nous avons également constaté que vous aviez accédé au disque dur du PC de Monsieur Y..., gestionnaire des Ressources Humaines.
Vous avez enfreint sciemment les obligations les plus élémentaires de discrétion et de respect des données personnelles tenant à la vie privée des salariés. Ceci constitue au surplus une indélicatesse.
Compte tenu de votre ancienneté et de votre niveau de qualification, vous ne pouviez ignorer le caractère anormal de ces accès, et rien dans vos fonctions ne vous permettait ni ne justifiait ces intrusions fautives.
L'utilisation de l'outil informatique oblige au respect de règles, y compris morales, et pour mémoire nous vous rappelons les problèmes que nous avions déjà rencontrés avec vous en novembre 2005. Votre responsable vous avait fait part de son vif mécontentement concernant l'utilisation de votre outil informatique, en particulier la pratique de jeux.
La date de présentation de cette lettre marquera le début de votre préavis que nous vous dispensons d'effectuer… »
1 Sur la prescription
Attendu que le salarié soutient d'abord que faits qui lui sont reprochés seraient prescrits ; qu'étant constant que le motif du licenciement est exclusivement disciplinaire, trouve en effet à s'appliquer l'article L. 1332-4 du code du travail qui dispose qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait n'ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ;
Attendu que M. X... ayant été convoqué à l'entretien préalable par lettre remise en main propre le 17 octobre 2006, les faits qui lui sont reprochés ne peuvent justifier son licenciement que s'ils ne sont pas antérieurs au 17 août 2006 ou s'ils sont venus à la connaissance de l'appelante postérieurement à cette date ;
Qu'il résulte d'une attestation de M. Z..., responsable informatique de la société SPIE EST, qu'il a été informé la semaine 39 de 2006 (soit entre le 25 et le 29 septembre 2006), d'une rumeur selon laquelle certaines personnes pourraient accéder « à la ressource informatique RH » ; que ses investigations réalisées la même semaine lui ont permis d'identifier quatre personnes du bureau d'études ayant ouvert des documents sur la ressource RH ;
Que les auteurs de l'intrusion dans le système informatique du service du personnel n'ont donc été identifiés au plus tôt que le 25 septembre 2006 ; qu'aucune prescription n'était donc encourue lorsque l'intimé a été convoqué à un entretien préalable au licenciement ; que superfétatoirement, il convient de noter que le constat de Maître BUREAU, huissier de justice à Dijon, dressé le 2 octobre 2006, a permis de relever que le dernier raccourci créé sous le login de M. X... pour accéder au serveur du service des relations humaines l'a été le 25 août 2006, soit moins de deux mois avant le début de la procédure disciplinaire ;
Que, quand bien même les faits les plus anciens mis en évidence à l'occasion de cette affaire datent du mois de février 2006, à aucun point de vue ils ne peuvent être déclarés prescrits dans leur globalité, le même comportement ayant été réitéré ;
2 Sur l'imputabilité des faits
Attendu que si l'intimé ne conteste pas « qu'un vagabondage informatique » ait pu avoir lieu à partir de certains postes informatiques, il soutient ne pas être l'auteur des errements qui ont été révélés à raison d'une part du caractère non contradictoire du contrôle mis en place et du fait qu'il n'est pas possible de lui imputer les connexions réalisées à partir de son ordinateur ;
Attendu cependant que l'exploration faite de l'ordinateur professionnel de M. X... ne résulte pas d'un système de surveillance mis en place par l'employeur mais une simple exploitation de l'historique des consultations dont l'ordinateur conserve la marque, quand ses « traces » ne sont pas effacées par l'utilisateur ; que, dès lors, il ne saurait être soutenu que les salariés auraient dû être informés de cette possibilité, alors que tout utilisateur de l'informatique sait que la machine qu'il utilise conserve en mémoire la trace des consultations réalisées ;
Attendu que M. X..., qui n'allègue pas que son code secret aurait été connu d'une autre personne que lui, ne peut sérieusement soutenir qu'il n'est pas établi que les consultations faites par l'utilisateur « c.best » seraient le fait d'une autre personne que lui-même ; qu'en particulier, ce n'est pas en utilisant l'identité et le mot de passe de l'intimé que M. Z... a pu ouvrir une session sur l'ordinateur du responsable études qu'il était mais en se connectant en mode administrateur ; que les opérations ainsi réalisées ont nécessairement été enregistrées comme telles par la machine ; que pareillement, les consultations réalisées avec le login de M. X... et son mot de passe, ne peuvent émaner que de lui-même ;
Qu'il est donc établi que le salarié a pu, à partir de son ordinateur professionnel, accéder au serveur du service des relations humaines et au disque dur du gestionnaire de ce service ;
Que les faits reprochés au salarié sont donc avérés ;
3 Sur le caractère sérieux des faits
Attendu qu'il résulte tant de l'article 9 du Code civil que d'instruments internationaux ratifiés par la France que chacun a droit au respect de sa vie privée ; que cette règle s'impose à tous, notamment au sein de l'entreprise, quand bien même le règlement intérieur serait muet sur le sujet et en absence de charte informatique ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que M. X... n'était pas amené, de par ses fonctions, à devoir consulter les fichiers gérés par le service des relations humaines ; qu'il est tout aussi certain, compte tenu des manœuvres à effectuer, que ce n'est pas par hasard que le salarié a pu accéder à des fichiers dont il ne pouvait ignorer qu'ils ne le concernaient pas ;
Que le fait que des fichiers contenant des données personnelles aux salariés de l'entreprise, notamment relativement à leur état de santé, leur situation de famille ou leur rémunération ait pu être accessible à d'autre salariés dont les fonctions ne nécessitaient pas qu'ils aient connaissance de tels éléments, correspond à une défaillance du système imputable à l'employeur ; que ce n'est pas pour autant que celle-ci autorisait le salarié à des consultations révélatrices d'un manque de délicatesse, peu important qu'il n'ait fait aucune utilisation des informations ainsi obtenues ;
Que le seul fait d'accéder volontairement et sans nécessité absolue de service à des informations relatives à la vie privée des salariés, lorsqu'il est établi, constitue une cause sérieuse de nature à justifier le licenciement du salarié auquel ce manquement est imputable ;
4 Sur l'exercice discriminatoire du pouvoir disciplinaire
Attendu que M. X... soutient encore que son licenciement serait discriminatoire, en ce que les trois autres salariés censés avoir commis les mêmes faits que lui n'ont pas été licenciés ; qu'un a été mis à pied trois jours, tandis que les deux autres n'ont reçu qu'un simple avertissement ;
Attendu qu'il est permis à l'employeur, dans l'intérêt de l'entreprise et dans l'exercice de son pouvoir d'individualisation des mesures disciplinaires, sauf discrimination ou détournement de pouvoir, de sanctionner différemment des salariés qui ont participé à une même faute ou commis une faute identique ; que libre de ne pas sanctionner une faute même grave, il ne peut licencier le coauteur des salariés non sanctionnés ou peu sanctionnés, qu'en justifiant de l'existence d'une cause réelle et sérieuse ou de la faute grave, si celle-ci est invoquée ;
Attendu qu'en l'espèce, l'employeur fait valoir que si trois autres salariés ont eu les mêmes agissements que M. X..., il ne disposait pas d'autre preuve à leur encontre que le seul témoignage de M. Z..., les traces des visites du site du service des relations humaines ayant été effacées par les personnes concernées, probablement averties de la venue de l'huissier pour son constat ;
Que l'apparente absence de contestation des sanctions infligées par les personnes sanctionnées est de nature à démontrer qu'elles ne discutent pas leur faute ; que pour autant, en absence d'autre preuve que le témoignage du responsable du service informatique, la société SPIE EST ne pouvait être assurée dans l'hypothèse de sanction plus sévère de ne pas courir des risques au contentieux en cas de contestation des licenciements ;
Que, dès lors qu'outre le témoignage de son informaticien, la société SPIE EST a pu matériellement faire constater dans le cas de M. X... que celui-ci avait bien commis les faits qu'elle lui reproche, elle a pu, sans faire preuve d'un comportement discriminatoire à son égard, procéder à son licenciement , les faits étant établis et suffisamment sérieux ;
Attendu en conséquence que la cour, infirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions, dit le licenciement de M. X... justifié par une cause réelle et sérieuse et déboute le salarié de toutes ses demandes ;
Sur les dépens
Attendu que M. X... qui succombe doit être condamné aux dépens ;
Sur les frais irrépétibles
Attendu que le salarié doit être débouté de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile tant au titre de ses frais irrépétibles de première instance que d'appel ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Dit le licenciement de M. Christian X... justifié par une cause réelle et sérieuse,
Déboute M. Christian X... de l'ensemble de ses demandes,
Ajoutant,
Condamne M. Christian X... aux dépens,
Déboute M. Christian X... de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
Le greffier Le président
Anne-Marie COSTES Bruno LIOTARD