AFFAIRE : N RG 08/02032Code Aff. : ARRÊT N JV NP ORIGINE : DECISION en date du 29 Mai 2008 du Tribunal de Grande Instance de LISIEUX - RG no 07/00229
PREMIÈRE CHAMBRE - SECTION CIVILE ET COMMERCIALEARRÊT DU 23 OCTOBRE 2008
APPELANTE :
LA SARL JEF 221 Rue Vielle du Temple75004 PARISprise en la personne de son représentant légal
représentée par la SCP GRANDSARD DELCOURT, avouésassistée de la SCP NATAF FAJGENBAUM et Associés, avocats au barreau de PARIS
INTIMEES :
Madame Geneviève X... veuve Y......14800 DEAUVILLE
Madame Joëlle Z..., administrateur légal sous contrôle judiciaire de Mme X... veuve Y......14360 TROUVILLE SUR MER
représentées par la SCP MOSQUET MIALON D'OLIVEIRA LECONTE, avouésassistées de Me Alain RAPAPORT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur CALLE, Président de chambre,Madame BOISSEL DOMBREVAL, Conseiller,Madame VALLANSAN, Conseiller, rédacteur,
DÉBATS : A l'audience publique du 16 Septembre 2008
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
ARRÊT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 Octobre 2008 et signé par Monsieur CALLE, Président, et Mme LE GALL, Greffier
Vu le jugement du tribunal de grande instance de Lisieux du 13 juin 2008, assorti de l'exécution provisoire, qui a débouté la SARL JEF 2 de l'ensemble de ses demandes, l'a déclarée occupante sans droit ni titre à l'expiration du 8 janvier 2007 et lui a ordonné sous astreinte de quitter les lieux loués dans le mois de la signification du jugement, l'a condamnée à payer à Madame Geneviève X... veuve Y... assistée de Madame Joëlle Z..., son administratrice légale sous contrôle judiciaire, une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer augmentée de 10% jusqu'au départ effectif des lieux, outre la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile;
Vu l'appel de la société JEF 2 et ses conclusions du 5 septembre 2008 par lesquelles elle demande à la Cour d'infirmer le jugement , juger que la société JEF 2 bénéficie depuis le 3 janvier 2006 d'un bail commercial soumis au dispositions des articles L.145-1 et suivants du Code de commerce, enjoindre à Madame Y... de régulariser un bail en conformité avec ces textes; la débouter de ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile;
Vu les conclusions de Madame Y... et de Madame Z..., ès qualités, du 27 août 2008 par lesquelles elles demandent à la Cour de confirmer le jugement et de leur payer les sommes de 5.000 euros pour procédure abusive et 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile;
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Attendu que par acte du 4 juin 1999, la société JEF2 a acheté à la société SZELLOS un fonds de commerce de montres, téléphones, gadgets, appareils électroniques sous l'enseigne MANHATTAN, sans qu'un bail commercial ne soit compris dans la cession; que ce fonds de commerce, créé en 1986, est situé depuis cette date dans un local commercial appartenant à Madame Y..., laquelle avait consenti à l'ancien exploitant par acte du 4 mars 1986 un bail dérogatoire d'une durée inférieure à deux ans en application de l'article 3-2 du décret du 23 septembre 1953 devenu l'article L. 145-5 du Code de commerce; que depuis , les baux successivement conclus étaient tous précaires, chaque contrat étant conclu postérieurement à l'échéance du contrat précédent; que conformément à cet usage, les parties ont par acte notarié du 31 janvier 2006 conclu un bail prenant effet le 3 février 2006 à expiration du 8 janvier 2007 pour un loyer total de 19.300 euros ; que Madame Y... , qui a donné mandat de gestion de ses biens à Monsieur B... à compter du 1er novembre 2006, a par l'intermédiaire de ce dernier, proposé à son locataire la signature d'un bail commercial avec pas de porte de 150.000 euros et loyer annuel de 33.600 euros; que ce bail n'ayant pu être signé, la propriétaire, après une mise en demeure du 20 novembre 2006 demeurée infructueuse a, par acte du 11 janvier 2007, saisi le juge des référés d'une demande d'expulsion qui a été rejetée par ordonnance du 5 mars 2007; que parallèlement, la société JEF 2 a, par acte du 17 janvier 2007, fait assigner Madame Y..., entre temps assistée par Madame Z..., nommée administratrice légale sous contrôle judiciaire par jugement du 3 octobre 2007, pour voir juger qu'elle était devenue titulaire d'un bail commercial soumis aux dispositions des articles L.145-1 et suivants du Code de commerce à compter du 3 janvier 2006;
Attendu qu'en application de l'article L.145-5 du code de commerce, il est possible de déroger aux dispositions d'ordre public relatives au bail commercial par la signature d'un bail d'une durée inférieure à deux ans; que toutefois, à l'expiration de cette durée, si le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail qui a la nature d'un bail commercial; qu'il en va de même en cas de conclusion entre les mêmes parties d'un nouveau bail pour le même local, sauf pour les parties le droit de renoncer à l'application du droit des baux commerciaux;
Sur le maintien en possession:
Attendu que la société locataire soutient qu'entre les périodes couvertes par chacun des contrats, elle était laissée en possession du local et des clés, ce que conteste la propriétaire;
Attendu qu'il résulte de l'acte de cession intervenue en 1999, que le fonds de commerce objet de la vente a été crééé en 1986 et a toujours été exploité ... le Hoc sous l'enseigne MANHATTAN; que parallèlement à cette cession, un bail précaire a été signé le 14 mai 1999, c'est à dire antérieurement à la cession du fonds, entre l'acheteur du fonds et la propriétaire du local, et contient une clause de destination précisément conforme à l'activité du fonds; que cette clause figure dans tous les contrats précaires qui ont suivi; qu'il en résulte que le local et sa situation étaient déterminants de la clientèle du fonds de commerce dont l'existence n'est pas nécessairement conditionnée par la signature d'un bail commercial;
Attendu que depuis la création du fonds de commerce, les deux exploitants successifs se sont maintenus dans les lieux, y compris pendant les périodes intermédiaires entre chaque bail, période correspondant à la fermeture annuelle du commerce pendant l'hiver; que ce maintien en possession résulte de l'attestation du précédent preneur, des attestations des fournisseurs qui sont venus faire l'inventaire des produits non vendus et des accusés de réception de courriers remis pendant ces mêmes périodes à l'adresse du fonds; qu'ainsi, la société JEF2 a manifesté sa volonté de demeurer dans les lieux et d'y exploiter un commerce ;
Que ces pièces ne sont pas contredites par Madame Y... qui dans ses écritures soutient qu'entre deux baux dérogatoires, la société JEF 2 déménageait dans d'autres locaux; que cette allégation n'est soutenue par aucun argument pour les périodes antérieures à janvier 2006 ; que si un emménagement temporaire au 40 de la même rue n'est pas contesté par la locataire début 2006 pour l'exercice d'une activité complémentaire de téléviseurs, avec transfert d'une ligne téléphonique, il n'est pas démontré que cette activité s'est entièrement substituée à celle qui était exercée dans le local litigieux; qu'en outre, Madame Y... n'allègue pas que la ligne téléphonique ainsi transférée avait été à nouveau affectée au local litigieux à compter du 30 janvier 2006 jour de la conclusion du dernier bail temporaire;
Attendu ensuite que Madame Y... ne peut prétendre pour justifier que la société JEF 2 possédait un autre magasin se référer utilement au constat d'huissier établi le 5 juillet 2008; qu'en effet, ce dernier indique qu'à cette date figure sur la porte d'entrée d'une boutique située 7 Rue
Désiré Le Hoc une petite affiche indiquant " ouverture de votre nouvelle boutique MANHATTAN"; que cette affiche signifie qu'avant cette période, c'est à dire au moment de la résiliation du bail litigieux, la boutique située au demeurant à une adresse différente de celle à laquelle la ligne téléphonique a été transférée, n'était pas encore ouverte;
Attendu enfin que le bail consenti le 4 janvier 2006 à l'association S1 LIVRE pour une très courte durée contient une clause de destination en totale contradiction avec la destination des lieux indiquée depuis douze ans dans les baux successifs qui ne rend pas crédible l'intention des parties de mettre fin à leurs relations pendant une durée d'un mois par an;
Attendu qu'il résulte des observations qui précèdent que la société JEF 2 , propriétaire du fonds de commerce situé au ... le Hoc à Deauville est resté en possession du local pour exploiter son fonds de commerce sans interruption depuis l'acquisition du fonds;
Sur la renonciation au statut des baux commerciaux:
Attendu que Madame Y... soutient que la société locataire avait renoncé au statut des baux commerciaux par la clause stipulée dans chacun des baux ainsi rédigée: " le preneur déclare avoir parfaite connaissance de l'article 3-2 du décret no 53-960 du 30 septembre 1953 et que d'un commun accord avec le bailleur, il a entendu déroger au statut des baux commerciaux en toutes ses dispositions et singulièrement en ce qui concerne le droit au renouvellement auquel le preneur déclare en tant que de besoin renoncer expressément";
Attendu que la renonciation à un droit doit être claire et non équivoque; que le caractère équivoque de la renonciation peut résulter de l'absence de liberté de l'auteur de la renonciation; qu 'il résulte en réalité des observations qui précèdent relativement à l'occupation des locaux par la société JEF 2 que la stipulation susvisée est une clause de style qui n'a pas été acceptée librement par le signataire; qu'au contraire, son acceptation par le preneur était la condition de son maintien dans les locaux dans lesquels il exploitait la clientèle achetée; que cette clause, ayant été imposée par le bailleur dans l'unique but de se soustraire aux dispositions protectrices pour le preneur du bail commercial ne peut être analysée en une renonciation efficace;
Attendu en conséquence que le premier locataire qui était resté en possession et n'avait pas renoncé au bénéfice du statut des baux commerciaux, a conclu, dès l'expiration du délai de deux ans à compter du premier bail dérogatoire un bail commercial régi par les articles L 145-1 et suivants du code de commerce dont profite son successeur dans le commerce qui lui non plus n'a pas renoncé au statut ;
Attendu qu'en conséquence, à l'expiration du délai de deux ans à compter du premier bail dérogatoire conclu pour l'exploitation du fonds de commerce, le nouveau contrat conclu entre les parties pour le même local est un bail commercial régi par les articles L.145-1 et suivants du Code de commerce; qu'en conséquence, l'appelant aurait pu se prévaloir d'un bail commercial à compter du 5 mars 1998 ; que cependant il demande à la Cour de fixer la date de conclusion d'un tel bail au 3 janvier 2006 ; qu'il sera en conséquence fait droit à sa demande ;qu'il y a lieu d'enjoindre aux parties de régulariser un bail en conformité avec ces dispositions;
Attendu qu'il résulte de la qualification de bail commercial attribué au contrat que l'expulsion n'était pas justifiée; qu'il y a donc lieu d'ordonner la réintégration de la société JEF2 dans les lieux;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile:
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la société JEF 2 la charge de ses frais irrépétibles qui seront fixés à la somme de 5.000 euros;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
- Infirme le jugement;
- Dit qu'un bail commercial a été conclu entre la SARL JEF 2 et Madame Geneviève X... veuve Y... à compter du 3 janvier 2006 ;
- Enjoint à la SARL JEF 2 et Madame Geneviève C... veuve Y..., assistée de Madame Joëlle Z..., ès qualités d' administratrice légale sous contrôle judiciaire de régulariser un bail en conformité avec les articles L.145-1 et suivant du Code de commerce;
- Ordonne la réintégration de la société JEF 2 dans les locaux situés ... Le Hoc à DEAUVILLE ;
- Condamne Madame Geneviève X... veuve Y... assistée de Madame Joëlle Z... ès qualités à payer à la société JEF 2 la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile;
- Condamne Madame Y... assistée de Madame Z... ès qualités aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
N. LE GALL B. CALLE