Monsieur Michel D... a exercé une activité de mécanicien au sein de la Marine Nationale du 4 décembre 1963 au 17 juin 1985, date de sa mise à la retraite. Il est atteint d'un mésothéliome pleural gauche malin diagnostiqué en mars 1997 pour lequel une pension militaire d'invalidité lui est servie depuis le 4 avril1997. Il a saisi la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infractions Pénales du Tribunal de Grande Instance de CHERBOURG au motif que l'atteinte physique qu'il présente résulte de faits présentant le caractère matériel de l'infraction prévue par les articles 221-6 du Code pénal et 319 et 320 de l'Ancien Code pénal. Il précisait, au soutien de sa requête, que son employeur n'avait pas respecté la réglementation déjà ancienne destinée à prévenir l'inhalation de poussières de sorte qu'il a contracté dans l'exercice de ses fonctions sur les unités navigantes de la Marine Nationale une maladie spécifique liée à l'inhalation de poussière d'amiante. Le Fonds de Garantie s'est opposé à la demande en rétorquant que Monsieur D... , qui souffre d'une maladie professionnelle, ne justifie pas avoir été victime de faits présentant le caractère d'une infraction pénale. Par décision rendue le 25 mars 1999, la Commission saisie a : -déclaré recevable l'action de Monsieur D... et constaté que les atteintes et dommages subis par celui-ci résultent de faits qui présentent le caractère matériel du délit de blessures involontaires prévu et réprimé par l'article 222-19 du Code pénal, -fixé le montant de la réparation intégrale du préjudice à 980.000 F et alloué à Monsieur D... ladite indemnité à régler par le Fonds de Garantie des Victimes. MOTIFS Il convient de relever, à titre liminaire, que l'appelant n'élève aucun moyen à l'encontre des dispositions ayant déclaré la demande recevable au regard des conditions posées par l'article 706-5 du Code de Procédure Pénale. Il soutient exclusivement à l'appui de son appel que l'atteinte à la personne présentée par Monsieur D... ne résulte
pas de faits volontaires ou non présentant le caractère matériel d'une infraction pénale de sorte qu'elle ne peut ouvrir droit à indemnisation dans le cadre de l'article 706-3 du Code de Procédure Pénale. L'application dudit texte n'est pas subordonnée à l'engagement de poursuites pénales et moins encore à la reconnaissance par la juridiction pénale de l'existence d'une infraction et ce, même dans l'hypothèse où, ainsi qu'en l'espèce, la matérialité de l'infraction est contestée par le Fonds de Garantie. 1La Commission d'Indemnisation des Victimes a, en effet, une compétence propre pour déterminer si les conditions prescrites par l'article 706-3 sont réunies et donc si les faits allégués présentent le caractère matériel d'une infraction. Il n'est pas contesté que Monsieur D... , dans le cadre de son activité de mécanicien exercée à bord des bâtiments de la Marine Nationale pendant environ 20 années, était exposé à l'amiante utilisée dans le calorifugeage des collecteurs et tuyauteries sur lesquels il était amené à intervenir. La reconnaissance d'une maladie professionnelle au titre du tableau n° 30 intitulé "affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussière d'amiante" en apporterait, en tout état de cause, la preuve. C'est à tort que les premiers juges ont retenu que le comportement fautif de l'employeur de Monsieur D... consistait dans un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements. En effet, la loi du 12 juillet 1893 et son décret d'application qui imposent l'évacuation des poussières directement en dehors des ateliers au fur et à mesure de leur production et le renouvellement de l'air desdits ateliers concernent l'hygiène et la sécurité des travailleurs des établissements industriels. Si la loi du 11 juillet 1903 a étendu cette réglementation aux établissements publics, elle n'est pas pour autant directement applicable au personnel militaire embarqué sur les
bâtiments de la Marine Nationale. Il en est de même du décret du 10 juillet 1913 et de celui du 13 décembre 1948. Quant au décret du 17 août 1977 réglementant spécifiquement les conditions de travail des personnes exposées de par leur fonction aux poussières d'amiante et fixant des valeurs limites dont le respect est obligatoire, il était, à la date de sa publication, applicable aux seuls établissements soumis aux dispositions de l'article L.231-1 du Code du Travail et donc seulement aux établissements à caractère industriel et commercial. Il convient de relever que c'est par un décret du 12 juillet 1985, donc postérieur à la cessation d'activité de Monsieur D... , que les règles du Titre LII Livre II du Code du Travail relatif à l'hygiène et à la sécurité et leurs décrets d'application ont été rendus applicables aux personnels civils du Ministère de la Défense et, pour l'essentiel, aux personnels militaires exerçant une activité semblable aux civils. Avant cette date, le Ministre de la Défense avait, par voie d'instructions ministérielles, édicté des règles générales organisant la prévention des accidents du Travail et des Maladies Professionnelles. Si l'instruction générale du 8 novembre 1973 pose que les dispositions techniques réglementaires à observer pour assurer la protection des personnels civils sont applicables aux personnels militaires employés, tels Monsieur D... , à des activités professionnelles ouvrières, celle du 10 février 1975 qui prévoit l'organisation de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles à l'égard du personnel militaire de la Marine définit l'autorité -service SHT de la Marine- chargé de l'élaboration et de la diffusion des textes. Or, il n'est pas allégué que cette autorité ait élaboré une réglementation relative à la protection des personnels exposés à l'inhalation de poussières. Dès lors, aucune inobservation de la part de l'employeur de Monsieur D... , qui a cessé son activité en juin 1985, d'un texte légal ou d'un
règlement, en relation avec l'atteinte physique présentée par celui-ci, n'est caractérisée. Mais l'employeur auquel incombe une obligation de sécurité vis-à-vis de ses personnels avait l'obligation, indépendamment de l'observation des règlements, d'observer les règles de prudence et de prendre les précautions nécessaires pour éviter que Monsieur D... soit exposé à des risques d'atteinte à sa santé . Celui-ci fait valoir, à cet égard, que son employeur en lui faisant exécuter sans aucune protection des travaux l'exposant à l'inhalation de poussière d'amiante a commis une imprudence ayant eu pour effet la prise de risques dangereux. Monsieur M... , mécanicien motoriste entre 1966 et 1981, ayant travaillé avec Monsieur D... , a, par voie d'attestation, décrit de façon précise les conditions de travail de celui-ci, relatant notamment que, dans un milieu clos et non ventilé, il devait habituellement pour démonter les collecteurs et tuyauteries enlever manuellement les matelas de calorifugeage en amiante qui, ayant été soumis à de fortes températures, étaient friables et libéraient des poussières d'amiante à la moindre manipulation. Il affirme que ces travaux étaient exécutés sans moyen de protection collectif ni individuel. La teneur de cette attestation, confirmée, quant au défaut de protection et à la présence importante d'amiante sur les bateaux, par Monsieur H... , n'est pas utilement contestée par l'appelant. Il est donc établi qu'aucune mesure de protection individuelle et collective n'a été prise par la Marine Nationale pour éviter l'inhalation par Monsieur D... des poussières d'amiante libérées dans l'atmosphère lors des travaux exécutés par celui-ci entre 1963 et juin 1985 sur les unités navigantes. Il est, par ailleurs, démontré par la documentation versée aux débats par l'intimé que la toxicité de l'amiante a alimenté depuis le début de ce siècle des débats scientifiques et que de nombreuses publications
tant médicales qu'émanent d'inspecteurs ou de médecins du travail ont alerté les industriels utilisateurs d'amiante mais aussi les pouvoirs publics. Le tableau n° 30 relatif aux maladies professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante a d'ailleurs été créé en 1945, l'affection alors visée étant l'asbestose, maladie identifiée dès 1930 et connue comme entraînant une incapacité de travail puis le décès. S'il est certain que les études et recherches initiales concernaient logiquement les "travailleurs de l'amiante", à savoir ceux qui étaient employés à l'extraction de l'amiante, à la préparation de la fibre et à la production de produits manufacturés, il convient de relever que, dès 1955, la liste des travaux prévus par le tableau 30 comme susceptibles de provoquer la maladie n'a plus été qu'indicative et qu'y ont été portés les travaux de calorifugeage. Les études effectuées et publiées font, par ailleurs, état de ce que les employés des chantiers navals, civils ou militaires, où l'emploi de l'amiante est largement répandu, présentaient un nombre élevé d'asbestose et de cancers du poumons. La Revue Professionnelle des Maladies Respiratoires a publié en 1975 une étude clinique et professionnelle portant sur 54 cas de mésothéliomes pleuraux dont 32 concernent des ouvriers des chantiers navals de la région de SAINT-NAZAIRE. Il y est noté que les médecins du travail et pneumologues de cette région ont observé la fréquence particulièrement élevée de cette maladie parmi les ouvriers des chantiers navals. Il est, par ailleurs, produit aux débats un courrier adressé en 1950 par un syndicat de CHERBOURG faisant état du rapport présenté par deux médecins inspecteurs du Travail soulignant les effets dangereux de l'amiante. Par ailleurs, diverses actions menées dans les années 1975 et 1976 contre notamment le flocage à l'amiante de divers locaux, largement relayées par la presse, ont entraîné une large diffusion des informations relatives à la toxicité
de l'amiante, ainsi que la promulgation en 1977 du premier texte spécifique relatif à l'exposition à l'amiante. Le mésothéliome a, par ailleurs, été inscrit en 1976 au tableau n° 30 des maladies professionnelles. Il résulte suffisamment de ces éléments que l'employeur de Monsieur D... , à savoir la Marine Nationale et donc l'Etat, avait nécessairement connaissance des risques graves résultant de l'inhalation de poussière d'amiante pour ses personnels travaillant dans les chantiers navals mais aussi pour ceux entretenant sur ses unités navigantes les chaudières et tuyauteries calorifugées à l'amiante. En faisant sciemment travailler Monsieur D... sans moyen de protection collectif ou individuel, alors que ceux-ci étaient connus et, depuis plusieurs décennies, obligatoires pour les établissements industriels -évacuation des poussières, masques, dans des lieux clos et non ventilés où l'exposition à l'inhalation de poussières d'amiante liée à la manipulation des matelas de calorifugeage était importante, l'employeur de Monsieur D... a eu un comportement imprudent constitutif d'une faute. Le lien de causalité entre celle-ci et l'atteinte physique présentée par Monsieur D... qui souffre d'un mésothéliome est, par ailleurs, établi. Il n'existe, en effet, pour cette tumeur, aucun autre facteur de risque démontré que l'amiante et l'erionite. Il n'est pas allégué que Monsieur D... ait été exposé à cette dernière fibre minérale présente en Turquie ni qu'il ait été soumis avant 1997 à des irradiations médicales dont le rôle favorisant est suspecté. Il est, en revanche, reconnu que les personnes présentant cette maladie ont, dans 70% à 90% des cas, ont été de façon certaine exposées à l'amiante. Par ailleurs, la date d'apparition de la maladie chez Monsieur D... a suivi d'environ 33 ans le début de son activité sur les bâtiments de la Marine Nationale. Or, les études ont effectivement mis en évidence que cette maladie apparaissait entre 30
et 40 ans après le début de l'exposition. Il n'est pas, enfin, allégué que Monsieur D... ait subi une exposition à l'amiante dans un autre cadre professionnel ou extra-professionnel que celui de son activité au sein de la Marine Nationale. Dès lors que la faute ci-dessus caractérisée est en relation de causalité avec l'atteinte présentée par Monsieur D... , laquelle occasionne incontestablement l'incapacité prévue par le texte de prévention, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que les conditions prévues par l'article 706-3 du Code de Procédure Pénale sont réunies, le préjudice résultant de faits présentant le caractère matériel du délit de blessures involontaires. Les premiers juges ont exactement caractérisé , le préjudice personnel extra-patrimonial subi par Monsieur D... qu'ils ont, par ailleurs, justement indemnisé, eu égard à la situation concrète, personnelle et individuelle de celui-ci qu'ils ont précisément définie, à la somme de 980.000 F et ce, indépendamment de la référence erronée au barème élaboré par le Fonds d'Indemnisation des Transfusés et Hémophiles contaminés par le VIH. La décision déférée doit donc être confirmée en toutes ses dispositions. Les dépens sont à la charge du Trésor Public et les dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile ne sont pas applicables, le Trésor Public n' étant pas "une partie condamnée" .