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13/10/2020 | FRANCE | N°18/00923

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 13 octobre 2020, 18/00923


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 13 OCTOBRE 2020



(Rédacteur : Madame Elisabeth FABRY, Conseiller)





N° RG 18/00923 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KJEP







Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'AQUIT AINE





c/



SAS NATURGIE

Sté.coopérative Banque Pop. BRED BANQUE POPULAIRE





















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Nature de la décision : AU FOND

























Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 janvier 2018 (R.G. 2017F00337) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 19 février 2...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 13 OCTOBRE 2020

(Rédacteur : Madame Elisabeth FABRY, Conseiller)

N° RG 18/00923 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KJEP

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'AQUIT AINE

c/

SAS NATURGIE

Sté.coopérative Banque Pop. BRED BANQUE POPULAIRE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 janvier 2018 (R.G. 2017F00337) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 19 février 2018

APPELANTE :

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'AQUITAINE société coopérative à capital variable agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

représentée par Maître Fernando SILVA de la SCP DELTA AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

SAS NATURGIE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis Lieudit [Adresse 3]

représentée par Maître Xavier HEYMANS de la SELAS ADAMAS-AFFAIRES PUBLIQUES, avocat au barreau de BORDEAUX,

et assistée de Maître Céline FABIE VERDIER, avocat au barreau de PARIS

Sté.coopérative Banque Pop. BRED BANQUE POPULAIRE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

représentée par Maître Marie CASANOVA, avocat au barreau de BORDEAUX,

et assistée de Me DE LA MORTIERE de la SELAS LHUMEAU GIORGETTI HENNEQUIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 15 septembre 2020 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Elisabeth FABRY, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Robert CHELLE, Président,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

Madame Catherine BRISSET, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Audrey COLLIN

Greffier lors du prononcé : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE 

La société Naturgie SAS dispose d'un compte courant auprès de la société Bred Banque Populaire.

En septembre 2013, la société Naturgie s'est aperçue de virements frauduleux effectués par sa comptable, Mme [U], sur divers comptes ouverts au nom de membres de sa famille à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine.

Par jugement du 06 mars 2015, le tribunal correctionnel d'Agen a déclaré Mme [U] coupable de faux, usage de faux et escroquerie, et son époux de recel de biens.

Par exploit d'huissier en date du 10 mars 2016, la société Naturgie, considérant que le Crédit Agricole, banque de Mme [U], avait engagé sa responsabilité, l'a assigné devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de le voir condamner au paiement d'une somme de 74 077,19 euros à titre de dommages et intérêts. Le Crédit Agricole a assigné la Bred Banque Populaire aux fins de se voir exonérer de toute responsabilité.

Par ordonnance du 07 mars 2017, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bordeaux a déclaré cette juridiction incompétente et a renvoyé le litige devant le tribunal de commerce de Bordeaux.

Par jugement contradictoire en date du 30 janvier 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- déclaré le Crédit Agricole irrecevable à l'encontre de la Bred Banque Populaire Banque Populaire pour défaut d'intérêt à agir,

- condamné le Crédit Agricole à verser à la société Naturgie la somme de 68 506,40 euros, outre intérêts,

- dit que le Crédit Agricole serait subrogé à hauteur de 68 506,40 euros dans les droits à remboursement de la société Naturgie à l'encontre des époux [U] en vertu des dispositions du jugement du tribunal correctionnel d'Agen du 06 mars 2015,

- ordonné à la société Naturgie communication des pièces relatives aux voies d'exécution diligentées à l'encontre de Mme [U] sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

- ordonné l'exécution provisoire,

- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes,

- condamné le Crédit Agricole à payer la somme de 2 500 euros à la société Naturgie au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné le Crédit Agricole à payer la somme de 1 500 euros à la Bred Banque Populaire Banque Populaire au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Le Crédit Agricole a relevé appel du jugement par déclaration en date du 19 février 2018 énonçant les chefs de jugement expressément critiqués intimant la société Naturgie et la Banque Populaire.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 16 novembre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, le Crédit Agricole demande à la cour de :

- vu les articles 1147, 1382,1927 et 1937 anciens du code civil ;

- vu les articles L.133-14 ; L.133-18 ; L.133-24 ; L.561-10-2 du code monétaire et financier,

- vu les articles 5 et 700 code de procédure civile ;

- le recevoir en son appel et l'y déclarer recevable et bien fondé ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que « les demandes (de remboursement de la société Naturgie) au titre d'opérations datant de plus de 13 mois (') seront déclarées forcloses, c'est-à-dire l'ensemble des virements antérieurs à la date 07 septembre 2012 » ;

- infirmer le jugement pour le surplus ;

- en conséquence et statuant de nouveau,

- à titre principal,

- en premier lieu,

- dire et juger que la Bred Banque Populaire est responsable de plein droit du préjudice subi par sa cliente, la société Naturgie ;

dire et juger que seule la Bred Banque Populaire a manqué à son obligation de vigilance et de surveillance à l'égard de la société Naturgie, en application in fine de l'article L.561-10-2 du code monétaire et financier

- en deuxième lieu,

- dire et juger que la société Naturgie a commis une faute de négligence dans le cadre de sa gestion interne, contribuant à son propre préjudice ;

- dire et juger que la société Naturgie n'a alerté que tardivement la Bred Banque Populaire sur le caractère anormal des virements litigieux ;

- en troisième lieu,

- dire et juger qu'il n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la société Naturgie ;

- en conséquence,

- débouter purement et simplement la société Naturgie des demandes dirigées à son encontre ;

- en tant que de besoin,

- condamner solidairement la Bred Banque Populaire et la société Naturgie à lui rembourser les sommes versées en exécution du jugement déféré ;

- à titre subsidiaire,

- dire et juger que la responsabilité de la Bred Banque Populaire est engagée à l'égard de la société Naturgie

- dire et juger que la société Naturgie a commis une faute de négligence contribuant à la réalisation de son préjudice ;

- dire et juger qu'il doit être exonéré en conséquence de sa part de responsabilité ;

- ordonner un partage de responsabilité entre la Bred Banque Populaire, la société Naturgie et lui ;

le condamner au règlement d'une somme de 22 835,47 euros à la société Naturgie à titre de dommages intérêts ;

- en tout état de cause,

- condamner solidairement les société Naturgie et la Bred Banque Populaire au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens de l'instance.

Le Crédit Agricole fait notamment valoir que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal pour des motifs incompréhensibles, son action à l'encontre de la BRED Banque Populaire est recevable ; que celle-ci ayant exécuté les faux ordres de paiement transmis par la société Naturgie, sa responsabilité doit être engagée de plein droit ; que l'obligation de vigilance pesait sur la Banque Populaire et non sur lui ; qu'il a intérêt à agir à l'encontre de la Banque Populaire, sollicitant qu'elle soit déclarée seule responsable, d'autant qu'il s'est acquitté le 10 avril 2018 de la somme de 72 302 euros mise à sa charge par le jugement assorti de l'exécution provisoire ; que la négligence de la société Naturgie est patente, qui a manqué à son devoir de contrôle dans la bonne tenue de sa comptabilité et n'a alerté que tardivement la société Bred sur le caractère anormal des virements litigieux ; que la fraude dont est victime le donneur d'ordre ne suffit pas à exclure sa responsabilité civile ; que la société Naturgie a contribué à son propre préjudice et doit en assumer la responsabilité, ce qui peut conduire notamment à un partage de responsabilité avec sa banque si elle a, par sa négligence fautive, participé à la perpétuation et à l'aggravation des détournements ; que sa propre responsabilité ne saurait être engagée en l'absence de faute.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 17 août 2018, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Naturgie demande à la cour de :

- vu les articles L.561-10-2, L.561-6 et L.561-15 du code monétaire et financier;

- vu les articles 1240 et suivants du code civil ;

- vu l'article 700 du code de procédure civile ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a engagé la responsabilité civile de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel et dit qu'elle serait subrogée dans les droits à remboursement qu'elle tient à l'encontre des époux [U] en vertu des dispositions civiles du jugement du tribunal correctionnel d'Agen en date du 06 mars 2015 définitif pour Madame [H] épouse [U] et confirmé en appel pour ce qui concerne Monsieur [U] ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a limité le montant des condamnations à 68 506, 40 euros ;

- en conséquence,

- condamner le Crédit Agricole à lui verser la somme globale de 80 702,60 euros (étant précisé que 68 506,40 euros ont déjà été réglées à l'issue du jugement de premier instance) en principal, somme assortie d'intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2016 ;

- condamner le Crédit Agricole à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Naturgie fait notamment valoir que la jurisprudence fondée sur l'article 1241 du code civil a dégagé une obligation générale de vigilance des banques sur le compte de leurs clients, qui les rend responsables vis à vis de leurs clients mais aussi des tiers ; que le principe de non ingérence interdisant au banquier de s'immiscer dans les affaires de ses clients s'arrête là où commencent les anomalies apparentes ; qu'il était de l'obligation du Crédit Agricole de s'interroger sur la licéïté de l'objet des montants des virements encaissés sur les comptes de la famille [U] ; que seul le manque de vigilance du Crédit Agricole a permis les détournements ; qu'elle disposait d'un moyen très simple de constater les anomalies, les virements faisant apparaître non seulement le compte bénéficiaire du virement mais aussi le nom attaché à ce compte ; que l'article L.133-24 du code monétaire et financier (qui régit les rapports entre le prestataire et l'utilisateur de services) ne peut limiter la responsabilité du Crédit Agricole, puisqu'il ne s'agit pas de son propre établissement bancaire, et qu'elle n'a pas de lien contractuel avec lui ; qu'elle a rempli quant à elle les obligations légales de contrôle auxquelles elle est soumise.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 31 octobre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la Bred Banque Populaire demande à la cour de :

- vu les articles 122, 331 et 564 du code de procédure civile,

- vu le jugement entrepris,

- la recevoir en ses conclusions, l'y déclarant bien fondée,

- rejeter l'appel interjeté par le Crédit Agricole,

- confirmer le jugement entrepris en son entier dispositif,

- déclarer irrecevables les demandes nouvelles formulées en cause d'appel par le Crédit Agricole, dont celles tendant à un prétendu partage de responsabilité entre les trois parties présentes,

- débouter en toute hypothèse le Crédit Agricole de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à son égard,

- condamner le Crédit Agricole à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et ce au titre des frais irrépétibles d'appel,

- condamner le Crédit Agricole aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Marie Casanova, avocat aux offres de droit, et ce en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La Bred Banque Populaire fait notamment valoir que le Crédit Agricole ne formule toujours aucun appel en garantie formel ni aucune demande spécifique à son encontre ; qu'il ne présente que des demandes nouvelles en cause d'appel, qui doivent être déclarées irrecevables.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance en date du 25 août 2020.

La société Naturgie a notifié le 24 août 2020 de nouvelles conclusions, dont le Crédit Agricole a conclu à l'irrecevabilité par conclusions datées du 28 août 2020. au visa des articles 15, 16, et 783 du code de procédure civile. La Bred Banque Populaire a quant à elle sollicité le report de l'ordonnance de clôture.

MOTIFS DE LA DECISION

sur la recevabilité des conclusions notifiées par la société Naturgie le 24 août 2020 :

Les dernières conclusions de la société Naturgie ayant été notifiées le 24 août 2020, soit la veille de l'ordonnance de clôture, elle n'encourent pas l'irrecevabilité prévue par l'article 783 du code de procédure civile. En revanche, leur tardiveté, qui n'a pas permis aux parties adverses d'en prendre dument connaissance et d'y répondre utilement, doit conduire à les écarter comme étant contraires au contradictoire qui s'impose aux parties comme au juge en application des articles 15 et 16 du code de procédure civile.

sur la recevabilité de l'action engagée par le Crédit Agricole CA à l'encontre de la BRED devant le tribunal :

Le tribunal a déclaré le Crédit Agricole irrecevable pour défaut d'intérêt à agir au visa de l'article 331 du code de procédure civile au motif que s'il formulait contre la BRED une demande tendant à lui rendre commun le jugement, il ne formulait aucune demande de condamnation.

Aux termes de l'article 331 du code de procédure civile, un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d'agir contre lui à titre principal. Il peut également être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement. (...)

Le tribunal a tiré des conclusions erronées de l'article 331 qui n'impose pas cumulativement la demande de condamnation (ce que le Crédit Agricole n'avait pas qualité à faire) et celle de jugement commun. La demande du Crédit Agricole tendant à lui voir déclarer le jugement commun suffit à justifier la mise en cause de la BRED. Le jugement qui a déclaré le Crédit Agricole irrecevable en son action à son égard sera infirmé.

sur la demande principale :

Le litige trouve son origine dans les 36 virements litigieux réalisés entre le 22 août 2012 et le 31 juillet 2013 par la comptable de la société Naturgie, Mme [H] épouse [U], depuis le compte de la société Naturgie à la Bred Banque Populaire sur divers comptes détenus au Crédit Agricole par des proches de Mme [H], pour un préjudice total de 80 702,60 euros.

La société Naturgie soutient que la responsabilité incombe au Crédit Agricole à qui elle demande le remboursement en lui reprochant d'avoir, par ses manquements et négligences répétés, manqué à son obligation de surveillance des comptes bancaires des membres de la famille [U] qui ont bénéficié des virements frauduleux.

Le tribunal a, pour l'essentiel, fait droit à la demande indemnitaire de la société sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables car forcloses, au visa de l'article L.133-24 du code monétaire et financier, les demandes portant sur les opérations antérieures au 07 septembre 2012, plus de 13 mois s'étant écoulés entre ces opérations et le signalement des anomalies par la société Naturgie qui a déposé plainte le 07 octobre 2013

La société Naturgie, qui conteste cette forclusion en alléguant que l'article L.133-24 n'est pas applicable puisqu'il régit les rapports entre le prestataire et l'utilisateur de services et que le Crédit Agricole n'est pas son établissement bancaire, demande pour le surplus la confirmation du jugement en faisant notamment valoir que la jurisprudence fondée sur l'article 1241 du code civil a dégagé une obligation générale de vigilance des banques sur le compte de leurs clients, qui les rend responsables vis à vis de leurs clients mais aussi des tiers ; que le principe de non ingérence interdisant au banquier de s'immiscer dans les affaires de ses clients s'arrête là où commencent les anomalies apparentes. Invoquant les dispositions des articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier, et notamment de l'article L.561-10-2, elle soutient qu'il était de l'obligation du Crédit Agricole de s'interroger sur la licéité de l'objet des montants des virements encaissés sur les comptes de la famille [U] ; que seul le manque de vigilance du Crédit Agricole a permis les détournements, alors qu'il disposait d'un moyen très simple pour constater les anomalies, les virements faisant apparaître non seulement le compte bénéficiaire du virement mais aussi le nom attaché à ce compte.

Il est constant qu'il appartient au banquier dépositaire des fonds que lui a confiés son client et qui à ce titre a l'obligation de ne les restituer qu'à celui qui les lui a confiés ou conformément aux indications de paiement de ce dernier, d'établir, en cas de contestation, qu'il a reçu du déposant l'ordre d'effectuer le virement contesté. L'appelant est cependant fondé à opposer que le devoir de surveillance repose sur le lien contractuel entre la banque et son client et que les griefs énoncés par la société Naturgie, qui s'inscrivent très précisément dans le cadre des articles 1927 du code civil et L.133-18 du code monétaire et financier, s'adressent en premier lieu à la BRED, détentrice des fonds, dont la responsabilité est engagée de plein droit, et non au Crédit Agricole auquel la société Naturgie n'était unie par aucun lien contractuel.

Il en est de même de l'obligation générale édictée par les articles L. 561-5 et L.561-5-1 du code monétaire et financier comme du devoir de surveillance prévu à l'article L.561-10-2 qui impose à l'établissement bancaire des mesures de vigilance supplémentaire quand le produit ou l'opération présente par sa nature un risque particulier de blanchiment des capitaux ou de financement du terrorisme, étant relevé qu'en tout état de cause, même à considérer que ce devoir de vigilance puisse s'appliquer aussi à la banque des bénéficiaires, le montant des sommes en jeu, bien que très supérieures aux revenus habituels du ménage, ne revêt pour autant aucun caractère suspect permettant de qualifier les opérations litigieuses d'opérations particulièrement complexes ou d'un montant inhabituellement élevé au sens de cet article.

Quant à la faute alléguée sur le fondement de l'article 1241 (anciennement 1383) du code civil (chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence), le Crédit Agricole allègue justement qu'en application de l'article L.133-14, il est tenu, en qualité de prestataire de services de paiement du bénéficiaire, de mettre le montant de l'opération à disposition du bénéficiaire immédiatement après que son propre compte a été crédité ; qu'en encaissant les sommes adressées à ses clients, il n'a fait que se conformer à ses obligations en répondant à son mandat d'encaisser tout en respectant son devoir de non immixtion.

Aucune négligence ni imprudence ne saurait donc lui être reprochée alors qu'il peut par ailleurs faire valoir utilement qu'il ne disposait pas en outre des renseignements susceptibles de révéler les anomalies apparentes. Il ressort en effet des pièces et écritures de la société Naturgie elle-même que le tableau produit devant le tribunal, sur lequel les bénéficiaires ne correspondent pas au nom des titulaires, est une liste établie par la BRED dont il n'est pas établi que le Crédit Agricole en ait eu connaissance, l'appelant soutenant au contraire sans être contredit utilement qu'il ne lui a jamais été transmis lors de l'exécution des ordres de virements qui, de manière habituelle, ne comportaient que les n° de comptes et les codes des établissements bancaires de l'émetteur et du bénéficiaire sans mention des noms. Cette circonstance, qui confirme que seule la BRED, banque détentrice des fonds, disposait des informations nécessaires à l'exercice d'un contrôle, doit conduire de plus fort à écarter toute faute du Crédit Agricole.

Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement qui a condamné le Crédit Agricole à paiement, sans qu'il y ait lieu de statuer ni sur la forclusion partielle de la demande indemnitaire de la société Naturgie, ni sur le partage de responsabilité demandé à titre subsidiaire par la Crédit Agricole au regard des manquements allégués de la société Natrurgie ou de la BRED à l'encontre de laquelle la société Naturgie ne forme pas la moindre demande.

sur les demandes accessoires :

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge du Crédit Agricole les sommes exposées par lui dans le cadre de la procédure et non comprises dans les dépens. Le jugement qui l'a condamné à verser à la société Naturgie une indemnité de 2 500 euros sera infirmé, et la société Naturgie sera condamnée à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Il n'apparaît pas inéquitable en revanche de laisser à la charge de la société Bred Banque Populaire les sommes exposées par elle dans le cadre de la première instance et de l'appel et non comprises dans les dépens. Sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée, et le jugement qui a condamné le Crédit Agricole à lui verser une indemnité de 1 500 euros sera infirmé.

La société Naturgie sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 30 janvier 2018

Déclare la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine recevable en son action à l'encontre de la société Bred Banque Populaire

Déboute la société Naturgie de toutes ses demandes à l'encontre de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine

Condamne la société Naturgie à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute la société Bred Banque Populaire de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires

Condamne la société Naturgie aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par M. Chelle, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18/00923
Date de la décision : 13/10/2020

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 02, arrêt n°18/00923 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-13;18.00923 ?
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