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12/11/2001 | FRANCE | N°00/02931

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 12 novembre 2001, 00/02931


Par jugement du 18 avril 2000, le tribunal de grande instance de BORDEAUX : Décidait que la dénomination CHATEAU DE LA TOUR était une contrefaçon de la marque déposée CHATEAU LATOUR, Décidait en conséquence que la société civile du CHATEAU DE LA TOUR ne pourrait utiliser cette dénomination pour désigner ses vins et comme raison sociale sans y ajouter à titre de préfixe, le mot ou la locution de son choix, entre les mots CHATEAU et LA TOUR, dans un délai de six mois à compter de la signification du jugement sous astreinte provisoire de 5.000 F (762,25 T) par infraction constaté

e, Condamnait la société civile du CHATEAU DE LA TOUR à verser à...

Par jugement du 18 avril 2000, le tribunal de grande instance de BORDEAUX : Décidait que la dénomination CHATEAU DE LA TOUR était une contrefaçon de la marque déposée CHATEAU LATOUR, Décidait en conséquence que la société civile du CHATEAU DE LA TOUR ne pourrait utiliser cette dénomination pour désigner ses vins et comme raison sociale sans y ajouter à titre de préfixe, le mot ou la locution de son choix, entre les mots CHATEAU et LA TOUR, dans un délai de six mois à compter de la signification du jugement sous astreinte provisoire de 5.000 F (762,25 T) par infraction constatée, Condamnait la société civile du CHATEAU DE LA TOUR à verser à la société civile du vignoble de CHATEAU LATOUR la somme de un franc à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé par la contrefaçon, Ordonnait la publication par extraits du dispositif du jugement dans trois journaux, au choix de la demanderesse et aux frais de la défenderesse, sans que le coût de chaque insertion excède 20.000 F (3048,98 T), Déboutait la demanderesse du surplus de ses demandes, Näordonnait pas läexécution provisoire, Allouait à la société civile du vignoble de CHATEAU LATOUR la somme de 15.000 F (2286,74 T) en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

Par déclaration du 24 mai 2000, dont la régularité n'est pas contestée, la société civile du CHATEAU DE LA TOUR relevait appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 septembre 2001, elle soutient que si le jugement doit être confirmé en quäil jugeait quäelle bénéficiait du droit däutilisation du nom de son terroir et rejetait donc la demande däinterdiction pure et simple du nom CHATEAU DE LA TOUR, il doit être infirmé pour le surplus en läabsence de toute contrefaçon démontrée. Elle conclut à la réformation du

jugement sur ce point et au débouté des demandes. Elle réclame encore la somme de 100.000 F (15244,90 T) application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR, dans ses écritures déposées le 26 janvier 2001, relève appel incident et conclut à la contrefaçon pure et simple de la marque LA TOUR. Elle conclut à läinterdiction pure et simple de läutilisation de ce terme. A titre subsidiaire, elle estime que les premiers juges ont fait une exacte application des règles de droit aux éléments de l'espèce et sollicite donc la confirmation du jugement entrepris, sauf à porter le montant des dommages-intérêts à 1.500.000 F (228673,53 T) et läastreinte à la somme de 20.000 F (3048,98 T). Elle réclame encore la somme de 50.000 F (7622,45 T) en remboursement de ses frais irrépétibles. SUR QUOI,

Sur la procédure

Attendu quäen raison des causes graves justifiées et de läaccord des parties réitéré à läaudience, läordonnance de clôture du 24 septembre 2001 sera rabattue et quäelle sera fixée au 08 octobre 2001 ;

Sur le fond

Attendu que les pièces régulièrement communiquées démontrent que le domaine de la société civile du CHATEAU DE LA TOUR, situé à SALLEBOEUF (33) produit des vins rouges et blancs däentre deux mers ; quäil a une existence établie depuis le moyen âge et quäil est mentionné sous ce vocable dans des actes de 1759 ; quäil figure de même comme domaine viticole dans läédition du Ferret de 1874 et dans les éditions successives ; que le propriétaire de ce domaine déposait la marque CHATEAU DE LA TOUR et que celle-ci était enregistrée le 08 août 1968 sous le nE 762 083 ; que le 09 mai 1985 était déposée un renouvellement de cette marque qui était enregistré sous le nE 1 308 866 ;

Que de son côté, la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR

exploite un vignoble à PAUILLAC ; que son existence et la qualité de ses vins est attestée depuis le début du XVIIIE siècle ; que le premier dépôt de la marque CHATEAU LATOUR a été réalisé en 1863 et que läétiquette actuelle remonte à 1891 ; que ces dépôts ont été régulièrement renouvelés, même au niveau international ; que le renouvellement actuel est en date du 19 juin 1997 sous le nE 1 418 751 ;

Quäaux motifs le läimportance croissante, en terme de volumes, de vin produit et de la ressemblance de plus en plus grande de läétiquette du CHATEAU DE LA TOUR avec la sienne, la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR engageait la présente procédure qui aboutissait au jugement déféré ;

Attendu que pour critiquer ce jugement, la société civile du CHATEAU DE LA TOUR estime que son nom trouve son droit à la fois dans celui däune majorité des tènements cadastraux, des ruines däune tour et quäil säagit däun nom däun usage séculaire, ininterrompu et loyal ; quäelle prétend quäil näexiste aucun risque de confusion entre les deux marques en raison de la différence des termes qui leur a permis de cohabiter ainsi durant plusieurs siècles ; quäenfin, son étiquette ne constitue ni une contrefaçon, ni une imitation, ni un acte de parasitisme ; quäelle en déduit donc que le jugement doit être réformé en ce quäil a admis läexistence däune ressemblance entre les étiquettes susceptibles de créer une confusion et lui a fait obligation däajouter un préfixe ;

Que dans son appel incident, la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR estime, au vu däune jurisprudence fournie, que la société appelante näa aucun droit sur le terme LA TOUR en application des dispositions de läarticle L.711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, aucun argument ne pouvant être tiré däun usage, faute de revendication des droits antérieurs ; quäelle prétend encore que

läarticle L. 713-6 du même Code issu de la loi du 04 janvier 1991 doit conduire à interdire läusage du nom LA TOUR ;

Quäà titre subsidiaire, elle conclut à la confirmation du jugement sauf à augmenter le montant de läastreinte à la somme de 20.000 F (3048,98 T) par infraction constatée et à porter à 1.500.000 F (228673,53 T) le montant des dommages-intérêts ;

Sur läutilisation du vocable LA TOUR

Attendu que pour conclure à läinfirmation du jugement sur ce point, la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR explique quäelle a un droit absolu et exclusif sur le terme LATOUR et CHATEAU LATOUR en tant que premier utilisateur et premier déposant de ce terme ; que le terme LATOUR représente läélément essentiel de sa marque, ainsi que cela lui a été reconnu par une nombreuse jurisprudence ;

Que la société civile du CHATEAU DE LA TOUR ne saurait utiliser ces termes alors que läusage ne crée aucun droit, quäelle ne saurait arguer du nom toponymique alors que les tènements portant ce nom ne représentent pas la moitie de la superficie totale et que, depuis läentrée en vigueur de la loi du 04 janvier 1991, il est nécessaire de transposer les dispositions de läarticle L. 713-6 du Code de la Propriété Intellectuelle aux toponymes en ce qui concerne les marques de très grande notoriété tels les premiers grands crus classés comme le revendique une partie de la doctrine ;

Attendu quäil näest pas contesté que la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR, de par son ancienneté et sa renommée mondiale, bénéficie däune marque notoire dont le mot LATOUR constitue läélément essentiel ; quäelle est déposée et renouvelée depuis 1897 ;

Attendu que läarticle L. 713-6 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que ä läenregistrement däune marque ne fait pas obstacle à läutilisation däun même signe ou däun signe similaire comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne lorsque cette

utilisation est ä le fait däun tiers de bonne foi employant son nom patronymiqueäToutefois, si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de läenregistrement peut demander quäelle soit limitée ou interdite ä ;

Que les termes même de ce texte démontrent que le législateur näa pas entendu étendre aux toponymes cette interdiction puisque seul le nom patronymique peut faire läobjet däune telle procédure ;

Quäen outre, la mauvaise foi nécessaire näest pas établie en läespèce puisquäil est constant que la société civile du CHATEAU DE LA TOUR bénéficie däune marque déposée depuis 1968 sous le nom et que les deux marques ont cohabité sans difficultés pendant de nombreuses années ;

Quäainsi, comme le jugeait le tribunal, les dispositions de la loi du 04 janvier 1991 näont pas fait disparaître le droit däun producteur de vins à utiliser le nom de son terroir, même lorsque ce nom a fait läobjet däun dépôt de marque antérieur par un concurrent ; Attendu ensuite que les premiers juges, par des motifs pertinents que la Cour adopte, reconnaissaient läexploitation de vignes sur le domaine de la société civile du CHATEAU DE LA TOUR depuis 1759 ; que läappellation DE LA TOUR était mentionnée dans les éditions Ferrey depuis 1874, ce qui démontre un usage ancien, constant et loyal puisque depuis cette époque, les deux vignobles coexistant sans confusion ;

Quäen outre, il est établi par la production des relevés cadastraux que la société civile du CHATEAU DE LA TOUR possédait au jour de läassignation 101 ha 82 a et 20 ca plantées en vigne ; que 43,64 % de ces parcelles se situaient sur des parcelles cadastrées LA TOUR ; que les autres parcelles sont sur divers autres tènements portant des noms différents dont aucun näatteint ce pourcentage, le pourcentage

maximum étant de 20% ;

Quäainsi, cäest à bon droit quäen raison de läexistence de ce toponyme assez majoritaire, le tribunal refusait de prononcer läinterdiction de läusage du nom LA TOUR ou CHATEAU DE LA TOUR devait être rejeté ;

Sur la concurrence déloyale

Attendu quäaux termes de läarticle L. 713-2 du Code de la Propriété Intellectuelle sont interdites la reproduction, läusage ou läapposition däune marque ainsi que läusage däune marque reproduite pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans läenregistrement ; que la contrefaçon est constituée par la seule reproduction quasi identique däune marque ; que läarticle L. 713-3 du même Code réprime läimitation de la marque däautrui lorsquäil en résulte un risque de confusion dans läesprit du public ;

Attendu en läespèce quäil résulte de la comparaison des étiquettes produites aux débats que la société civile du CHATEAU DE LA TOUR a, dans le dernier modèle, fait figurer sur ses étiquettes le dessin däun tour dont la stylisation évoque incontestablement celle de la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR (présence de créneaux, figuration des pierres, däune porte arrondie et däouvertures de manière similaire) ;

Quäen outre, sur läétiquette de la réserve du CHATEAU DE LA TOUR, le mot CHATEAU est disposé juste en dessus du mot LA TOUR, la préposition DE en étant éloignée, presque indépendante, en caractères plus fins ;

Que comme le relevait le tribunal, il existe donc une confusion volontairement entretenue avec läétiquette du grand vin de CHATEAU LATOUR laquelle constitue une contrefaçon ou à tout le moins un acte de parasitisme qui doit être sanctionnée ; que läadjonction däun préfixe säimpose donc, celui ci devant être dans des caractères de

même typographie et de même taille que le reste de läappellation ; quäil sera ajouté au jugement sur ce point ;

Sur le préjudice

Attendu que pour conclure à la réformation du jugement qui lui allouait la somme de 1 F (0,15 T) à titre de dommages-intérêts, la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR estime que son préjudice strictement moral doit être égal au prix de vente des vins contrefaisant ; quäen raison de 780.000 bouteilles vendues 25 F (3,81 T) pièce, cela donne un chiffre däaffaire de 24.375.000 F (3715944,80 T) et un bénéfice de 7.800.000 F (1189102,33 T) ; que la somme de 1.500.000 F (228673,53 T) réclamée est donc dérisoire ;

Mais attendu que la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR näinvoque quäun préjudice moral ; que celui-ci ne saurait être fixé sur un prix de vente et un bénéfice au demeurant hypothétiques ;

Quäen outre, force est de constater que si dans un courrier du 30 septembre 1975, la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR écrivait à la société civile du CHATEAU DE LA TOUR pour lui demander des explications sur son appellation et sur le graphisme de ses étiquettes, elle restait taisante jusquäà la présente instance après la réponse faite par la société appelante le 04 novembre 1975 ;

Quäainsi, le préjudice moral de la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR näest que symbolique et quäil a justement été estimé à la somme de 1 F (0,15 T) ; quäil en est de même quant aux modalités de läexécution et au montant de läastreinte fixée, aucun élément régulièrement communiqué ne permettant à la cour de les modifier ou däaugmenter ce dernier ;

Attendu en définitive que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu que la société civile du CHATEAU DE LA TOUR, qui succombe dans ses prétentions däappelante principale, supportera les dépens ;

Que, tenue aux dépens, elle devra payer à la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR la somme de 10.000 F (1524,49 T) en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; PAR CES MOTIFS,

Reçoit en la forme l'appel principal et läappel incident jugés réguliers,

Rabat läordonnance de clôture du 24 septembre 2001 et fixe au 08 octobre 2001 la date de läordonnance de clôture,

Au fond, confirme le jugement rendu le 18 avril 2000 par le tribunal de grande instance de BORDEAUX,

Y ajoutant,

Dit et juge que le préfixe ordonné devra être écrit dans des caractères de même typographie et de même taille que le reste de läappellation,

Déboute la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR de ses autres demandes,

Condamne la société civile du CHATEAU DE LA TOUR à payer à la société civile du vignoble du CHATEAU LATOUR la somme de 10.000 F (1524,49 T) en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Condamne la société civile du CHATEAU DE LA TOUR aux dépens et autorise la SCP d'avoués BOYREAU - MONROUX à les recouvrer conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Le président et le greffier ont signé la minute de l'arrêt. Le Greffier

Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro d'arrêt : 00/02931
Date de la décision : 12/11/2001

Analyses

MARQUE DE FABRIQUE - Protection - Contrefaçon - Contrefaçon par imitation - Risque de confusion

Selon les termes de l'article L. 713-6 du Code de la Propriété Intellectuelle il appert que le législateur n'a pas entendu étendre aux toponymes cette inter- diction puisque seul le nom patronymique peut faire l'objet d'une telle procédure. En l'espèce la mauvaise foi n'est pas établie l'appelant ayant usé de façon ancienne, constante et loyale de son appellation, les deux vignobles coexistant depuis de nombreuses années sans confusion. Ainsi, en raison de ce toponyme assez majoritaire, l'interdiction de l'usage du nom La Tour ou Château de La Tour doit être rejetée. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 713-2 du Code de la Propriété Intellectuelle sont interdites la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque ainsi que l'usage d'une marque reproduite pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ; la contrefaçon est constituée par la seule reproduction quasi identique d'une marque ; l'article L. 713-3 du même Code réprime l'imitation de la marque d'autrui lorsqu'il en résulte un risque de confusion dans l'esprit du public ; en l'espèce il résulte de la comparaison des étiquettes produites aux débats, qu' il existe une confusion volontairement entretenue avec l'étiquette du grand vin de CHATEAU LATOUR laquelle constitue une contrefaçon ou à tout le moins un acte de parasitisme qui doit être sanctionnée. L'adjonction d'un préfixe s'impose donc, celui ci devant être dans des caractères de même typographie et de même taille que le reste de l'appellation


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bordeaux;arret;2001-11-12;00.02931 ?
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