COUR D'APPEL D'ANGERS 1ère CHAMBRE A SC/ChG ARRETN0 43 AFFAIRE N0 :97/01975 AFFAIRE:
La STE EUROPEENNE DE DIFFUSION CI La CHAMBRE SYNDICALE DES PHARMACIENS DE MAINE ET LOIRE, La SA ERIDIS et autres Décision du T.G.I. ANGERS du 17 Juillet 1997 ARRET DU 19 JANVIER 1999 APPELANTES:
La SOCIETE EUROPEENNE DE DIFFUSION (SA) 12 Cour St Eloi 75012 PARIS Représentée par Maître VICART, Avoué Assistée de Maître MARVILLE, Avocat au barreau de PARIS La SA ERIDIS rue Valentin des Ormeaux 49130 MURS ERIGNE Représentée par la SCP CHATTELEYN et GEORGE, Avoués Assistée de Maître P. BEUCHER, Avocat au barreau d'ANGERS La Société SOGRAMO FRANCE (SA) Z.A.E.
St Guénault i rue Jean Mermoz - Cours Couronne 91002 EVRY La Société CARREFOUR SAINT SERGE 30 Boulevard Gustave Ramon 49000 ANGERS La Société CARREFOUR GRAND MAINE rue du Grand Launay 49000 ANGERS Représentées par Maître VICART, avoué Assistées de Maître SOUSTIEL, Avocat au barreau de PARIS La Société CASINO FRANCE (SA) 24, rue de la Montat 42008 ST ETIENNE CEDEX 02 Représentée par la SCP CHATTELEYN et GEORGE, Avoués Assistée de Maître FOURGOUX, Avocat au barreau de PARIS
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La Société BEILLARD DUVAL (SA) 306, rue Haute des Banchais 49000 ANGERS Représentée par la SCP CHATTELEYN et GEORGE, Avoués Assistée de Maître P. BEUCHER, Avocat au barreau d'ANGERS
La Société LR MONOPRIX DISTRIBUTION (SA) .
3, rue Paul Cézanne 75008 PARIS Représentée par Maître VICART, avoué Assistée de Maître MONEGIER du SORBIER, Avocat au barreau de PARIS INTIMEES: La CHAMBRE SYNDICALE DES PHARMACIENS DE MAINE ET LOIRE 30 Boulevard St Michel 49100 ANGERS Représentée par la SCP GONTIER-LANGLOIS, avoués Assistée de Maître de BODINAT, Avocat au barreau d.'ANGERS, La Société Anonyme GOURONNIERES DISTRIBUTION
Boulevard Albert Camus 49000 ANGERS La Société Anonyme Laboratoire KENKO Z.I. Les Estroublans 25 - 1ère avenue 13 127 VITROLLES Représentées par la SCP CHATTELEYN et GEORGE, Avoués Assistées de Maître BONAMY, substituant Maître MENARD, Avocat au barreau de NANTES La Société TIMAEL (SA) 55, boulevard Jacques Mulot 49000 ANGERS Régulièrement assignée et réassignée N'ayant pas constitué avoué, COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE Madame CHAUVEL, Conseiller, désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 10 décembre 1997, pour exercer les fonctions de Président, Monsieur X... et Madame LOURMET, Conseillers GREFFIER: A. LECOMTE DEBATS : A l'audience publique du 20 Octobre 1998 à 13 H 45
-3 - A l'issue des débats, le Président a indiqué que l'arrêt serait rendu le 1er Décembre 1998. A cette date, le Président a indiqué que le délibéré était prorogé et que l'arrêt serait rendu le 5 Janvier 1999. A cette date, le délibéré a été à nouveau prorogé au 19 Janvier 1999. ARRET : REPUTE CONTRADICTOIRE Prononcé par l'un des magistrats ayant participé au délibéré, à l'audience publique du 19 Janvier 1999, date indiquée par le Président. Vu l'ordonnance de clôture en date du 15 Octobre 1998.
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x x Exposé du litige Par actes des 5 et 7 Novembre 1996 et 21 Janvier 1997 la Chambre Syndicale des Pharmaciens de Maine et Loire a fait assigner à jour fixe devant le Tribunal de Grande Instance d'ANGERS:
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la SA ERIDIS, exploitant le magasin "Hyper U" à MURS-ERIGNE, -
la SA SOGRAMO, exploitant les établissements 'CARREFOUR" Saint Serge et Grand Maine à ANGERS, -
la SA GOURONNIERES DISTRIBUTION, exploitant le magasin Centre Leclerc à ANGERS, -
la SA CASINO FRANCE exploitant le magasin "GEANT ESPACE ANJOU" à
ANGERS, -
la Société TIMAEL exploitant le magasin "INTERMARCHE" à ANGERS, -
la Société BELLIARD-DUVAL, exploitant le magasin "Hypermarché SUPER U" à SAINT BARTHELEMY D'ANJOU, -
la Société L.R. MONOPRIX DISTRIBUTION exploitant le magasin MONOPRIX à ANGERS Au visa d'un jugement du même Tribunal du 17 Mars 1987, d'un arrêt de la Cour de Cassation du 6 Mars 1992, rendu en assemblée plénière, de l'arrêt de la Cour d'Appel de Renvoi (VERSAILLES) du 22 Janvier 1996, (tous rendus à propos de la vitamine C 800), de la jurisprudence communautaire, elle demandait à la juridiction saisie de: -
dire que les vitamines C 500 et C 180 étaient des médicaments "par fonction",
-4- en application de l'article L.511 du Code de la Santé Publique et de la Directive Européeenne 65/65 du 26 janvier 1965, -
dire que le monopole des pharmaciens, résultant de l'article L.5l2 du même Code et non contraire aux dispositions de l'article 30 du Traité de Rome, s'appliquait aux. vitamines C 500 et C 180, -
l'autoriser en conséquence et avec exécution provisoire à faire procéder à la saisie des stocks de ces vitamines "et de toutes autres vitamines C, qui étaient supérieures à l'apport nutritionnel retenu par des experts, le Docteur Y... et le Professeur PELLERIN" (commis dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour d'Appel de VERSAILLES) - interdire, sous astreinte, la vente par les défendeurs desdites vitamines. Sont volontairement intervenues à la cause: -
la Société Européenne de Diffusion (S.E.D), qui assure la production et la commercialisation de produits dits de parapharmacie, -
la Société KENKO, qui a notamment pour objet la distribution de vitamine C. Après jonction d'instances, le Tribunal de Grande Instance dANGERS a, par jugement du 17 Juillet 1997 -
déclaré la Chambre Syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire représentée par sa présidente recevable à agir, - reçu les Sociétés ONKO et EUROPEENNE DE DIFFUSION (SED) en leurs interventions, - dit n'y avoir lieu de rejeter des débats les conclusions et pièces déposées par les défenderesses, -
écarté les moyens tirés de l'inopposabilité et de la nullité des rapports d'expertise du Docteur Y... et du Professeur PELLERIN, - dit que la vitamine C constituait un médicament par fonction au sens de l'article L 511-1 du Code de la Santé Publique à partir d'un dosage de 150 mg et plus, -
dit que le monopole des pharmaciens tel qu'il résultait de l'article L.520 du Code de la Santé Publique, qui n'était pas contraire aux dispositions de l'article 30 du Traité de Rome, s'appliquait aux vitamines C 150 et plus, - fait interdiction aux sociétés ERIDIS, SOGRAMO FRANCE, CARREFOUR SAINT SERGE, CARREFOUR GRAND MAINE, SA GOURONNIERES DISTRIBUTION, BELLIARD DUVAL, TIMAEL, CASINO FRANCE, LR MONOPRIX DISTRIBUTION de proposer à la vente des
-5- vitamines C 150 mg et plus, ce dans un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement, -
dit que passé ce délai de 15j ours, les sociétés précitées y seraient contraintes par le versement d'une astreinte de 10.000 francs par jour de retard pendant un délai de 3 mois au-delà duquel il pourrait à nouveau être fait droit, -
ordonné l'exécution provisoire de ces chefs, -
rejeté toute autre demande, -
dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de la Chambre Syndicale des Pharmaciens, - condamné solidairement les sociétés défenderesses et intervenantes aux entiers dépens. LA SA SED, la SA LR MONOPRIX DISTRIBUTION, la SA SOGRAMO FRANCE, la Société CARREFOUR SAINT SERGE, la Société
CARREFOUR GRAND MAINE, la SA CASINO FRANCE, la SA ERIDIS et la SA BELLIARD-DUVAL ont successivement interjeté appel de cette décision. Les instances ont été jointes dans le cadre de la mise en état. La Société SED demande à la Cour: -
de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit son intervention recevable. Réformant pour le surplus: - à titre principal, -
de dire que les produits ne peuvent être qualifiés de médicaments au sein de la réglementation française, -
de dire que les produits sont des compléments alimentaires au sens du décret du 10 avril 1996 (actuellement 14 octobre 1997) et qu'il peuvent être, en conséquence, librement distribués hors du monopole des pharmacies, -
de constater que le jugement entrepris, s'il a repris l'argumentation et les demandes de la SA SED, n'a pas répondu dans ses motifs: *
à sa demande d'expertise complémentaire, *
à sa demande et à son argumentaire sur la qualification de compléments alimentaires des produits au sens du décret du 10 avril 1996 (actuellement 14 octobre 1997),
-6- son argumentaire et à sa demande visant à voir constater l'incohérence absolue de la position de la Chambre Syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire, - à titre subsidiaire, - d'ordonner les mesures d'expertises sur le fondement des critères de qualification arrêtés par l'Assemblée Plénière de la Cour de Cassation dans son arrêt du 6 mars I 992et, en conséquence, désigner des experts indépendants qui devront: *
dans le cadre des éventuelles propriétés pharmacologiques du produit en l'état actuel des connaissances scientifiques, déterminer si: le produit est destiné à "être administré à l'homme ou à l'animal en vue de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques" ou le produit est destiné à être "ingéré en complément de l'alimentation
courante, afin de pallier l'insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers" (décret du 14 Octobre 1997), *
déterminer l'ampleur de la diffusion du produit en utilisant la voie du sondage d'opinion aux fins de savoir si les produits sont perçus par le public comme des médicaments ou comme des produits de bien-être (compléments alimentaires), - en tout état de cause, -
de constater l'incohérence de la position de la Chambre Syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire et l'objectif purement mercantile poursuivi, - de constater la distribution par Madame MOUCHET Z..., Présidente de la Chambre Syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire, de produits comparables aux produits vendus sans autorisation de mise sur le marché en violation de la réglementation applicable, -
de condamner la Chambre Syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire à lui verser la somme de 500.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, compte tenu de l'intimidation effectuée auprès des clients de la SED sur la régularité de la distribution des produits, -
de condamner la Chambre Syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire à lui verser la somme de 30.000 francs au titre de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux dépens. Les Sociétés SOGRAMO FRANCE, CARREFOUR SAINT SERGE et CARREFOUR GRAND MAINE concluent à l'infirmation du jugement déféré et au débouté de la Chambre Syndicale des Pharmaciens de Maine et Loire de toutes ses demandes, aux motifs que la qualification de médicament à laquelle a procédé le Tribunal est erronée et injustifiée au regard de la jurisprudence applicable, en l'absence de cadre réglementaire et qu'elle est en outre contraire au Traité de ROME par suite d'un -
-7- élargissement de l'article L.5 1 I du Code de la Santé Publique, le monopole des pharmaciens étant injustifié, et ce, que la vitamine C soit ou non qualifiée de médicament. Au cas où la Cour ne
s'estimerait pas suffisamment éclairée sur les difficultés soulevées par l'application des articles 3, 5 (f), 85 1 et 30 du Traité de ROME, elles proposent que soit posée à la Cour de Justice de la Communauté Européenne (CJCE) la question préjudicielle suivante:
une loi, qui a pour effet d'obliger à vendre la Vitamine C à un dosage supérieur à 150 mg dans des pharmacies, et d'imposer de ce fait un système de distribution sélective pour ce produit n'est-elle pas contraire aux articles 5, 3 (f) et 85 1 du Traité de ROMEä Elles réclament à la Chambre Syndicale des Pharmaciens de Maine et Loire la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. La Société CASINO FRANCE entend à son tour: - que la Chambre Syndicale des Pharmaciens de Maine et Loire soit déboutée de l'ensemble de ses demandes, - subsidiairement, qu'il soit dit que la mesure ordonnée par le jugement du 17 juillet 1997 ne pouvait concerner que le magasin CASINO exploité au Centre GEANT Espace Anj ou, - que la Chambre Syndicale des Pharmaciens de Maine et Loire soit en toute hypothèse condamnée au paiement de la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Elle fait grief aux premiers juges d'avoir appuyé leur décision sur des motifs inopérants et inexacts, voire sur des éléments non débattus, et prétend pour l'essentiel, que la preuve n'est pas rapportée de ce que le produit litigieux serait, en l'état des connaissances scientifiques un médicament par fonction. La Société LR MONOPRIX DISTRIBUTION conteste de son côté, au regard de
la définition légale et jurisprudentielle, la qualification de médicament donnée, à son sens de manière abstraite, à la Vitamine C supérieure à 150 mg et fait valoir que le domaine d'exclusivité des pharmaciens ne saurait être étendu aux produits non qualifiés comme tels. La Société ERIDIS et la Société BEILLARD-DUVAL demandent à la Cour: -
de leur décerner acte de ce qu'elles s'associent en tant que de besoin à toutes
-8- observations et prétentions formulées à la cause par les autres parties contre le Syndicat des Pharmaciens, en ce qu'elles sont conformes à leurs intérêts, -
de leur en adjuger le bénéfice, -
de déclarer la Chambre Syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire irrecevable faute de justification d'un mandat donné à sa Présidente et en tout cas non fondée en ses demandes, fins et conclusions et de l'en débouter, -
de les décharger des condamnations de toute nature résultant du jugement entrepris, -
de dire et juger que jusqu'à la dose de 1.000 mg la vitamine C est un complément alimentaire et ne rentre pas dans la définition du médicament au sens de l'article L 511 du Code de la Santé Publique, -
à défaut, d'ordonner le retrait de la vente par le Syndicat des Pharmaciens de Maine et Loire dans toutes les officines de pharmacie du département de tous produits à base de vitamine C ne comportant pas d'autorisation de mise sur le marché et ce, sous astreinte de 10.000 francs par infraction, sur simple production d'un constat d'huissier, -
de condamner la Chambre Syndicale des Pharmaciens du Maine et Loire à leur payer à chacune la somme de 30.000 francs au titre de l'article
700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens. Après rappel, comme ses co-appelantes, des principes applicables en la matière, elles soutiennent que le Tribunal s'est fondé sur des rapports d'expertise qui ne leur sont pas opposables et qui, en tous cas, ne sont pas démonstratifs et sont contredits par les avis d'autres autorités ; que la vitamine C n'est pas un médicament et ne présente aucun caractère de dangerosité, en tout cas jusqu'à la dose de 1.000 mg, mais un complément alimentaire au sens du décret du 14 octobre 1997; qu'au cas où il serait jugé le contraire, il serait alors constaté au visa des articles L.512 et L.601 du Code de la Santé Publique, que les pharmaciens n] ont en l'état aucune autorisation de mise sur le marché ; que le monopole invoqué par la Chambre Syndicale pour distribuer un produit, qui n'est pas un médicament, est attentoire aux dispositions de l'article 30 du Traité de ROME, l'exception prévue par l'article 36 n'étant alors pas applicable; que très subsidiairement, et faute de démonstration d'un préjudice, la demande de dommages intérêts devra être rejetée. Appelante incidente, la Société GOURONNIERES DISTRIBUTION sollicite l'infirmation du jugement déféré, le débouté de la Chambre Syndicale de l'ensemble de ses demandes et la condamnation de celle-ci au paiement des sommes de 80.000 F à titre de dommages intérêts et de 40.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et ce, au motif qu'au regard de la jurdisprudence communautaire, compte tenu des propriétés pharmacologiques du produit, en l'état actuel de la connaissance scientifique, de ses modalités d'emploi, de l'ampleur et de l'ancienneté de sa diffusion, de la connaissance qu'en ont les consommateurs, la vitamine C, jusqu'à un dosage de 1.000 mg, ne constitue pas un médicament au sens de l'article L.5 Il du Code de la Santé Publique et ne relève pas du monopole des pharmaciens.
-9- Egalement appelante incidente, la Société KENKO conclut dans les mêmes termes sauf à chiffrer ses demandes de dommages intérêts et d'indemnité de procédure aux sommes respectives de 300.000 F et 60.000 F. La Chambre Syndicale des Pharmaciens de Maine et Loire conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions" tout en formant appel incident du chef du rejet de sa demande de dommages intérêts, chiffrée à 80.000 F, et des frais irrépétibles de première instance, chiffrés à 50.000 F. Au titre des mêmes frais en appel, elle réclame la somme identique de 50.000 F. Elle fait valoir: - qu'elle justifie bien de la qualité à agir de sa Présidente et de la recevabilité de sa demande, - que les rapports d'expertise produits constituent, comme les autres pièces, des éléments valables d'appréciation, -
qu'au regard des principes de droit, des définitions régissant la matière et des éléments scientifiques apportés, la vitamine C, dosée à 150 mg et plus, constitue un médicament, -
qu'il s'en suit qu'elle ne peut être vendue par les Sociétés appelantes, eu égard au monopole conféré aux pharmaciens par l'article L.5 12 du Code de la Santé Publique et non contraire aux dispositions du Traité de ROME, - que les demandes des Sociétés ERIDIS, BEILLIARD-DUVAL et SED, tendant au retrait des officines du département de la vitamine C et de tout produit à base de vitamine C, ne comportant pas d' A.M.M, sont irrecevables comme formées pour la première fois en cause d'appel et contre une Chambre Syndicale qui n'a aucun pouvoir de retrait, - que la demande subsidiaire de la Société CASINO FRANCE, tendant à ce que soit limitée au magasin CASINO Centre GEANT Espace Anjou l'interdiction prononcée, relève de l'exécution du jugement déféré et de son opposabilité, - que les éléments produits à la cause sont suffisants, de sorte qu'il n'y a pas lieu à expertise ou sondage sollicités par la Société SED.
Régulièrement assignée et réassignée, la Société TIMAEL n'a pas constitué avoué.
Discussion - sur la capacité à agir du Président de la Chambre Syndicale des Pharmaciens Dans leurs conclusions du 2 avril 1998, la Société ERIDIS et la Société BEILLIARD-DU VAL reprennent une exception, sur laquelle les premiers juges ont omis de statuer et qui est tirée du défaut de justification d'un mandat exprès donné par le -10- Conseil Syndical à Madame MOUCHET-VIENNE, Président de la Chambre, tel qu'exigé par l'article 15-9ème des statuts. Un tel mandat, daté du 8 février 1996, soit antérieurement à l'exploit introductif d'instance, a cependant été produit sans nouvelle observation critique des Sociétés, de sorte que ne sont encourues ni la nullité de l'assignation et de la procédure subséquente, ni irrecevabilité de l'action tour à tour invoquées. - sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Société CASINO FRANCE La Société CASINO FRANCE prétend à l'irrecevabilité de la demande, motif pris de ce que la Chambre Syndicale a engagé un débat théorique et a placé le Tribunal "dans l'impossibilité de se prononcer", ce qui est inexact, les demanderesses ayant développé des moyens dont l'appréciation de la valeur relève du fond -- sur la qualification de la vitamine C Ainsi que l'expose l'ensemble des parties, la discussion a pour cadre * les définitions légales ou réglementaires du médicament et du "complément alimentaire", à savoir: - pour le premier, l'article L.511 alinéa 1 du Code de la Santé Publique, dont la rédaction est similaire à celle de l'article 1 paragraphe 2 de la directive 65/65 du Conseil des Communautés Européennes du 26 janvier 1965, (concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques) et qui est libellé comme suit: "on entend par
médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l'homme ou à l'animal, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques". Etant précisé que le litige se circonscrit en l'espèce à la notion de médicament par fonction ("restaurer corriger ou modifier les fonctions organiques"), - pour le second, le décret du 14 octobre 1997 (postérieur au jugement déféré mais peu différent de celui antérieur du 10 avril 1996) aux termes duquel "les compléments alimentaires sont des produits destinés à être ingérés en complément de l'alimentation courante afin de pallier l'insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers". * les principes jurisprudentiels dégagés en la matière, à savoir: 1 - des arrêts de la CJCE en dates des 30 novembre 1983, 20mars 1986, 21 mars 1991, 16avril1991, + le dernier (UPJOI-IN Company) énonce: qu'un produit, qui ne possède pas des propriétés curatives ou préventives à
-11- l'égard des maladies humaines ou animales, est un médicament s'il peut être administré en vue ... de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques" et qu"'il appartient au juge national de procéder au cas par cas aux qualifications nécessaires en tenant compte des propriétés pharmacologiques du produit considéré, telles qu'elles peuvent être établies en l'état actuel de la connaissance scientifique, de ses modalités d'emploi, de l'ampleur de sa diffusion et de la connaissance qu'en ont les consommateurs" que sur le point de savoir ce qu'il faut entendre par "restaurer, corriger, ou modifier les fonctions organiques", il résulte de l'objectif de protection de la santé poursuivi par le législateur communautaire que cette expression doit être entendue de manière suffisamment large afin de comprendre toutes les substances pouvant
avoir un effet sur le fonctionnement proprement dit de l'organisme " et pouvant avoir des conséquences sur la santé en général (cf pts n°s 21 et 17). + cet objectif de protection de la santé publique est rappelé dans plusieurs arrêts, + s'agissant spécialement de vitamines, la CJCE, saisie de questions préjudicielles, énonce dans l'arrêt VAN BENNEKOM du 30novembre 1983. "Dans la mesure où les vitamines se définissent habituellement comme des substances indispensables en infime quantité à l'alimentation quotidienne et au bon fonctionnement de l'organisme, elles ne sauraient, en règle générale, être considérées comme des médicaments dès lors qu'elles sont consommées en petite quantité. De même, il est constant que des préparations vitaminées ou polyvitaminées sont parfois utilisées, généralement à fortes doses, à des fins thérapeutiques contre certaines maladies dans lesquelles la carence en vitamines n'est pas la cause morbide. Dans ces cas, il est incontestable que lesdites préparations vitaminées constituent des médicaments. Il apparaît cependant du dossier, et de l'ensemble des observations déposées devant la Cour, qu'il est impossible, dans l'état actuel de la science, d'indiquer si le critère de la concentration peut, à lui seul, toujours suffire à considérer qu'une préparation vitaminée constitue un médicament ni a fortiori de préciser à partir de quel degré de concentration une telle préparation vitaminée tomberait sous la définition communautaire du médicament. Il y a dès lors lieu de répondre au juge national que la qualification d'une vitamine6 comme médicament au sens de la deuxième définition de la directive 65/65 doit être effectuée au cas par cas, ei.i] égard aux propriétés pharmacologiques de chacune d'entre elles, telles qu'elles sont établies en l'état actuel de la connaissance scientifique"... + l'arrêt DELATTRE du 21 mai 1991 indique encore qu'il appartient aux autorités nationales de déterminer, sous le contrôle du juge, si,
compte-tenu de sa composition, des risques que peuvent entraîner sa consommation prolongée ou ses effets secondaires et, plus généralement, de l'ensemble de ses caractéristiques, un produit présenté comme destiné à lutter contre certaines sensations ou certains états constituait ou non un médicament. 2 - l'arrêt de la Cour de Cassation (Assemblée Plénière) du 6 mars 1992, rendu au visa à la fois de l'article 1er 2 de la directive CEE 65/65 du 26janvier 1965 et de
-12- l'article L511 du Code de la Santé Publique et rappelant qu'il appartient au juge de "procéder à une analyse concrète au sens de la jurisprudence communautaire - afin de vérifier s'il s'agit d'un produit qui peut être administré en vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques - et de rechercher les propriétés pharmacologiques de ce produit en l'état actuel de la connaissance scientifique, de ses modalités d'emploi, de l'ampleur de sa diffusion et de la connaissance qu'en ont les consommateurs.
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x x Pour permettre la recherche requise, sont produits aux débats: - un rapport ancien (16.6.86) du Professeur ROUGEREAU, commis par le Tribunal de Grande Instance d'ANGERS, dans le cadre de la procédure sur la vitamine C 800, - les rapports d'expertise judiciaire en dates des 1er septembre 1994 et 24 novembre 1994 du Professeur PELLERI7N, Professeur émérite de Chimie analytique, et du Docteur Y..., Pharmacien, - le rapport apparemment en date du 23 décembre 1986 du Professeur PACCALIN, titulaire de thérapeutique, médecin-chef de service des hôpitaux de BORDEAUX, spécialiste de médecine interne, diabétologie et nutrition, assisté des Docteurs SCHMITT et GIROUD, docteurs en médecine et professeurs de pharmacologie, - un rapport sur les limites de sécurité dans les consommations alimentaires des vitamines et minéraux, dit "Rapport BERNIER" établi le 17 octobre
1994 et édité sous le patronage de divers ministères, - un avis du Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France (C.S.H.P.F) en date du 12 septembre 1995, - pour la première fois devant la Cour, un rapport en date du 12janvier 1998 du Docteur A... du service de gastro-entérologie et nutrition du Centre Hospitalier de NE VERS, - accessoirement, des publications (extrait du nouveau guide des vitamines, article du "moniteur des pharmaciens"...). Certaines appelantes excipent de l'inopposabilité à leur égard, voire de la nullité, des rapports du Professeur PELLERIN et du Docteur Y..., commis dans le cadre de la procédure suivie devant la Cour d'Appel de VERSAILLES, laquelle, à leur visa, a dit que la vitamine C 800 était un médicament par fonction. Mais ainsi que le fait valoir l'intimée, l'inopposabilité invoquée et avérée, a pour effet, non pas d'écarter les rapports des débats mais d'empêcher que ceux-ci fondent à eux seuls la décision. Les éléments apportés peuvent dès lors être discutés tout comme ceux apportés
-13- par d'autres rapports ou consultations qui sont produits en défense et qui ne sont pas davantage contradictoires. La Société SED ainsi que les Sociétés ERIDIS et BEILLIARD-DUVAL font en outre état de la partialité des deux experts, d'une part parce qu'ils intervenaient dans une spécialité identique à celle de la demanderesse, d'autre part parce qu'ils auraient manifesté des partis pris exempts d'une réponse sereine à une interrogation scientifique. Ces observations ne peuvent valoir que pour le Docteur Y..., qui est pharmacien (mais qui avait précisément compétence particulière en la matière) et qui a émis quelques appréciations excédant le cadre de sa mission. Ceci étant, il n'est pas démontré que les exposés et avisrmacien (mais qui avait précisément compétence particulière en la matière) et qui a émis quelques appréciations excédant le cadre de sa mission. Ceci étant, il n'est pas démontré que les exposés et avis
d'ordre scientifique sont entachés d'un manque d'objectivité au sens de l'article 237 du Nouveau Code de Procédure Civile.
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x x Il ressort des différents rapports que la vitamine C est utilisée: -
soit comme additif anti-oxydant aux aliments, auquel cas elle perd son activité, - soit comme complément nutritionnel (certaines populations s'exposant à des déficits) - soit à titre thérapeutique comme traitement du scorbut (maladie exceptionnelle dans les pays développés et représentant l'aboutissement extrême d'une carence en vitamine C) et comme apport (dont l'efficacité ne serait pas nécessairement démontrée) dans le traitement d'autres maladies ou de certains types d'affection. La question centrale du litige est celle de déterminer le seuil à partir duquel, pour reprendre l'expression de la CJCE, l'absorption de la vitamine C "peut avoir des conséquences sur la santé en général". La Chambre Syndicale des Pharmaciens ne poursuit pas en effet l'interdiction de la libre distribution de toute vitamine C mais de celle supérieure à l'apport nutritionnel nécessaire, qui serait compris entre 60 et 100 mg par jour, la Cour étant parallèlement saisie par les Sociétés ERIDIS et BEILLIARDDIJVAL, d'une demande aux fins de voir dire que la vitamine C n'est pas un médicament jusqu'à 1000 mg et ne pouvant ici se déterminer par voie de référence à des causes déjà jugées. Les différentes appelantes dénoncent le caractère arbitraire de la référence invoquée par l'intimée et retenue par le Tribunal et la confusion faite entre "apport quotidien recommandé" (A.Q.R) et "seuil de sécurité", la Société KENKO, notamment, faisant valoir que le critère décisif est celui du risque réel pour la santé publique, présenté par le produit en cause compte-tenu de sa nature et induit de sa libre distribution, ce qui fait effectivement référence aux
décisions communautaires sus-rappelées. Force est de constater ici - que le Docteur A..., dont le rapport est le plus récent, évoque le risque
- 14 - lié à une interférence avec d'autres micronutriments ainsi que la possibilité 'en théorie" d'effets secondaires en cas d'apport excessif et se réfère à une dose limite de sécurité, fixée chez l'adulte à 1000 mg, -
que cette limite de 1000 mg est celle retenue par le CSHPF, en suite du rapport BERNIER et décrite comme correspondant à une dose "pour laquelle il est raisonnable de penser que la probabilité d'observer un effet indésirable est la plus faible possible (pour ne pas dire nulle) en tenant compte des différences de sensibilité pouvant exister entre les individus", précision étant donné qu'il s'agit d'une limite de sécurité "en plus de l'apport alimentaire", -
qu à l'exception du Professeur PACCALIN qui ne se prononce pas, les autres spécialistes émettent des avis divergents (Professeur PELLERIN : "en toute hypothèse, l'emploi de formulations renfermant la seule vitamine C à dose forte, égale ou supérieure à 500 mg par dose, ne constitue pas un complément nutritionnel mais un médicament -Docteur B... : (à propos de la vitamine C 800) "Au taux fixé par le fabricant, on quitte le domaine nutritionnel pour entrer dans celui de l'activité pharmacologique et thérapeutique de cette vitamine qui commence à environ 150 mg" - Professeurs GIROUD et SCHMITT: "A fortes doses (supérieures à 0,5 à 1 gr par jour) des incidents peuvent apparaitre...). Face à ces divergences et eu égard à une évolution possible de la connaissance scientifique depuis l'établissement des différents documents soumis, il est nécessaire,avant dire droit, de recourir à une mesure d'expertise, qui sera définie dans le dispositif ci-après. PAR CES MOTIFS:
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit recevable l'action de la Chambre Syndicale des
Pharmaciens de Maine et Loire et en ce qu'il a écarté les moyens tirés de la nullité ou de l'inopposabilité des rapports d'expertise du Professeur Pellerin et du Docteur Y..., Avant dire droit au fond, Ordonne une expertise, Commet pour y procéder: -
le Professeur Pierre CRISTAU, 28, rue Fays 94300 VINCENNES, -
le Professeur Jacques RAUTUREAU, Hôpital AVICENNE 125, route de Stalingrad 93300 BOBIGNY, -
le Docteur Gilbert C..., Laboratoire TOXLAB 18, rue André-del-Sarte 75018 PARIS,
-15- lesquels auront pour mission: -
d'entendre tous sachants et de recueillir tous renseignements qu'ils estimeront utiles, -
de dire si la vitamine C est un produit qui peut être administré en vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques, -
d'indiquer les éventuelles propriétés pharmacologiques de la vitamine C telles qu'elles peuvent être établies en l'état actuel de la connaissance scientifique, de ses modalités d'emploi, de l'ampleur de sa diffusion et de la connaissance qu'en ont les consommateurs, -
de manière générale, de fournir à la Cour tous éléments propres à déterminer si l'absorption de vitamine C à un dosage au moins égal à 150 mg peut avoir des conséquences sur la santé en général, -
en cas de risque, de donner leurs avis sur le seuil à partir duquel celui-ci existe, Dit que la Chambre Syndicale des Pharmaciens de Maine et Loire devra consigner au Greffe de la Cour la somme de 90.000 francs à valoir sur les frais de l'expertise dans les deux mois de l'arrêt, Dit que les experts devront déposer leur rapport commun au Greffe de la Cour dans un délai de huit mois à compter de l'avis de consignation, Réserve à statuer sur l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et sur les dépens. LE GREFFIER présent
LE PRESIDENT, lors du prononcé,
ML. ROBERT
S. CHAUVEL