Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_374/2024
Arrêt du 2 avril 2025
IIIe Cour de droit public
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux
Moser-Szeless, Présidente, Stadelmann, Parrino, Beusch et Bollinger.
Greffier : M. Bürgisser.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par M es Andrea Bolliger et Nathan Bouvier, avocats,
recourante,
contre
Administration fiscale cantonale du canton de Genève, rue du Stand 26, 1204 Genève,
intimée,
Service cantonal des contributions du canton du Valais, avenue de la Gare 35, 1950 Sion.
Objet
Impôts cantonaux et communaux du canton de Genève, période fiscale 2016,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 21 mai 2024 (A/1562/2023-ICC ATA/625/2024).
Faits :
A.
A.a. A.________ (ci-après: la société ou la contribuable), dont le siège se situe dans le canton de Genève, a notamment pour but les travaux et services de rénovation, transformation, aménagement, décorations dans le domaine de l'immobilier, ainsi que les activités de gestion hôtelière et d'entreprise générale.
A.b. En 1998, la société a acquis l'hôtel B.________ à U.________, dans le canton du Valais. Elle l'a transformé dès 2006 en lots de propriété par étages (ci-après: PPE) destinés à la revente dans le cadre d'une promotion immobilière qu'elle a dirigée et qui s'est achevée en 2011. Dans le cadre de cette opération, elle a réalisé un bénéfice d'un montant de 12'400'000 fr.
Afin de réinvestir ce gain, la société a comptabilisé une provision pour remploi totalisant 12'400'000 fr. durant les exercices 2010 et 2011. Dans le compte d'exploitation annexé à la déclaration d'impôt de l'année 2016, la société a fait figurer un produit de 8'267'000 fr., résultant de la dissolution de cette provision pour remploi.
A.c. Le bénéfice imposable qui a résulté de la dissolution de cette provision a été soumis à l'impôt cantonal et communal (ci-après: ICC) de l'année 2016 dans le canton du Valais (décision du Service cantonal des contributions du canton du Valais [ci-après: le Service valaisan des contributions] du 28 septembre 2017 et décision de la commune de U.________ du 6 octobre 2017).
A.d. Par bordereau d'impôts cantonaux et communaux de l'année 2016, l'Administration fiscale cantonale du canton de Genève (ci-après: l'Administration fiscale genevoise) a procédé à la taxation de la contribuable et a intégré dans le bénéfice imposable de celle-ci le montant de 8'267'000 fr. Pour l'Administration fiscale genevoise, le canton du Valais (en tant que "canton de départ") avait perdu toute compétence de taxer ce bénéfice (décision de taxation du 5 août 2022).
Par décision sur réclamation du 29 mars 2023, l'Administration fiscale genevoise a rejeté la réclamation de la contribuable.
B.
B.a. Statuant par jugement du 4 décembre 2023, le Tribunal administratif de première instance de la République et canton de Genève (ci-après: le TAPI) a admis le recours de la société et a renvoyé le dossier à l'Administration fiscale genevoise pour nouvelle décision de taxation.
B.b. Par arrêt du 21 mai 2024, la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, a admis le recours de l'Administration fiscale genevoise, a annulé le jugement du TAPI du 4 décembre 2023 et a rétabli les décisions de taxation du 5 août 2022 et sur réclamation du 29 mars 2023.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ conclut en substance et à titre principal à la réforme de l'arrêt cantonal du 21 mai 2024, en ce sens que le canton de Genève ne dispose pas du droit d'imposer le produit résultant de la dissolution de la provision pour remploi de 8'267'000 fr. pour les ICC 2016, ce droit revenant au canton du Valais ainsi qu'à la commune de U.________. Elle demande également l'annulation de la décision de taxation du 5 août 2022, ainsi que de la décision sur réclamation du 29 mars 2023 de l'Administration fiscale genevoise. Subsidiairement, la contribuable conclut à ce qu'il soit dit que le canton du Valais et la commune de U.________ ne disposent pas du droit d'imposer le montant de 8'267'000 fr. à titre d'ICC 2016 et que celui-ci revient au canton de Genève. Elle demande également d'"annuler les décisions querellées pour violation de l'interdiction de la double imposition intercantonale" et d'ordonner le remboursement en sa faveur des impôts perçus à titre d'ICC 2016 par le canton du Valais et la commune de U.________, avec intérêts rémunératoires.
L'Administration fiscale genevoise a conclu à la confirmation de l'arrêt cantonal. Le Service valaisan des contributions a conclu à ce que l'exception tirée de la péremption du droit de taxer du canton de Genève soit admise, ce que l'Administration fiscale genevoise a contesté par une nouvelle détermination, dans laquelle elle a également conclu à l'annulation des décisions de taxation prises par le Service valaisan des contributions. La contribuable s'est encore déterminée.
Considérant en droit :
1.
1.1. Le recours porte sur une décision finale ( art. 90 LTF ) d'une autorité judiciaire supérieure ayant statué en dernière instance cantonale ( art. 86 al. 1 let . d et al. 2 LTF) et rendue dans une cause de droit public qui ne tombe pas sous le coup d'une clause d'exception de l' art. 83 LTF . Au surplus, le recours a été interjeté en temps utile ( art. 100 al. 1 LTF ) par la contribuable destinataire de l'arrêt attaqué, qui a qualité pour recourir (cf. art. 89 al. 1 LTF ). Il est par conséquent recevable.
1.2. Toutefois, les conclusions relatives à l'annulation de la décision de taxation du 5 août 2022 et de la décision sur réclamation du 29 mars 2023 de l'Administration fiscale genevoise sont irrecevables en raison de l'effet dévolutif complet du recours auprès de la Cour de justice (cf. ATF 136 II 539 consid. 1.2; arrêt 9C_186/2024 du 18 juin 2024 consid. 1.5).
2.
2.1. Saisi d'un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral applique le droit d'office ( art. 106 al. 1 LTF ). En vertu de l' art. 106 al. 2 LTF , il n'examine toutefois la violation de droits fondamentaux - dont fait partie, en tant que droit individuel, l'interdiction de la double imposition intercantonale au sens de l' art. 127 al. 3 Cst. (cf. arrêt 9C_102/2023 du 2 novembre 2023 consid. 2.1 non publié in ATF 150 I 31) - ainsi que celle de dispositions de droit cantonal que si ce grief a été invoqué et motivé par la partie recourante, c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de façon claire et détaillée (ATF 142 III 364 consid. 2.4; 141 I 36 consid. 1.3).
2.2.
2.2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente ( art. 105 al. 1 LTF ). En vertu de l' art. 97 al. 1 LTF , le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l' art. 95 LTF , et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause, ce que la partie recourante doit rendre vraisemblable par une argumentation répondant aux exigences des art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF (cf. ATF 136 II 508 consid. 1.2). L'obligation pour le Tribunal fédéral de s'en tenir aux faits établis par l'autorité précédente qui découle de l' art. 105 al. 1 LTF et l'interdiction de faits et moyens de preuve nouveaux de l' art. 99 al. 1 LTF vaut également pour le recours en matière de double imposition intercantonale. Il n'en va autrement que si le canton dont la décision de taxation déjà entrée en force et à qui ces dispositions ne sont pas applicables conteste effectivement les constatations de faits. Ce n'est que dans ce cas que le Tribunal fédéral ne peut faire autrement que d'examiner librement les faits et que l'interdiction des nova doit aussi être relativisée (ATF 139 II 373 consid. 1.7; arrêts 9C_73/2024 du 26 février 2025 consid. 2.2; 9C_591/2023 du 2 avril 2024 consid. 2.2 et les références; 2C_152/2019 du 20 septembre 2019 consid. 3.2).
2.2.2. En l'occurrence, le Service cantonal des contributions du canton du Valais produit un échange de courriels avec l'Administration fiscale genevoise (daté d'août et de septembre 2017) à l'appui de son argumentation, selon laquelle ce dernier canton devrait se laisser opposer l'exception tirée de la péremption du droit de taxer. Cette pièce est recevable, puisque le canton du Valais, dont les décisions de taxation sont entrées en force, n'a pas pu la présenter devant les juridictions administratives genevoises. Il en va de même de la pièce produite subséquemment par l'Administration fiscale genevoise (courriel daté de février 2018) à l'appui de sa détermination, dans laquelle elle soutient que les conditions jurisprudentielles relatives à la péremption de son droit de taxer telle qu'invoquée par le canton du Valais ne seraient pas réalisées.
3.
Le litige a trait à l'imposition du montant de 8'267'000 fr. dans le chapitre fiscal de la recourante provenant de la dissolution de la provision pour remploi (constituée en 2010 et 2011 en lien avec la revente de l'immeuble situé en Valais) à titre d'ICC 2016. Compte tenu des motifs et des conclusions du recours, il porte sur la question de savoir si cette somme doit être soumise à la souveraineté fiscale du canton de Genève ou à celle du canton du Valais.
4.
La Cour de justice a constaté que la recourante avait été propriétaire d'un immeuble dans le canton du Valais et qu'elle y avait été assujettie de manière limitée conformément au critère de rattachement économique, soit au lieu de situation de l'immeuble. À la suite de la vente de ce bien immobilier (transformé en PPE lors d'une promotion immobilière en 2010 et 2011), la contribuable avait obtenu l'accord des autorités fiscales valaisannes en vue de comptabiliser une provision pour remploi s'élevant à 8'267'000 fr., afin de réinvestir cette partie du gain immobilier dans le canton du Valais. Les juges cantonaux ont également constaté que "l'ensemble des reprises" avait été accepté par l'Administration fiscale genevoise dans ses taxations 2010, 2012 et 2013. En l'absence de projet de réinvestissement, la provision en cause avait été dissoute et le bénéfice en résultant avait été taxé par le Service cantonal des contributions du canton du Valais et la commune de U.________ pour l'année fiscale 2016. L'Administration fiscale genevoise avait quant à elle considéré que ce résultat devait être intégré au bénéfice imposable dans le canton de Genève, dans lequel se trouvait le siège de la société. Pour les juges cantonaux, la question de savoir si les conditions permettant de constituer une telle provision pour remploi étaient réunies (notamment eu égard au point de savoir si un bien immobilier nécessaire à l'exploitation était concerné par cette provision) pouvait se poser, mais ne faisait pas l'objet de la procédure cantonale; seule était litigieuse la compétence d'imposer la dissolution pour remploi que se disputaient les cantons du Valais et de Genève. La Cour de justice a considéré qu'il existait en l'occurrence une double imposition actuelle pour les ICC de l'année fiscale 2016, qu'il convenait donc de résoudre.
De l'avis des juges précédents, la compétence d'imposer dans les relations intercantonales le bénéfice provenant de la dissolution d'une provision pour remploi dissoute (en lien avec des immeubles appartenant à la fortune commerciale dont le gain immobilier n'avait pas fait l'objet d'un remploi effectif) n'avait encore jamais été tranchée par le Tribunal fédéral. Pour eux, conformément au principe de déterminance (sur ce principe, cf. consid. 7.2 infra), l'augmentation du bénéfice imposable qui résultait de la dissolution d'une provision découlait directement du droit comptable, ce qui avait pour conséquence que le canton du domicile fiscal de la société pouvait prélever l'impôt sur le bénéfice ainsi augmenté au moment de la réalisation (soit en l'occurrence la dissolution de la provision pour remploi). Contrairement à ce que soutenait la contribuable, ce n'était pas la "simple existence d'une écriture comptable de transition" (à savoir la provision) qui déterminait le droit de taxer, mais bien le report d'une imposition ensuite de l'octroi du remploi qui neutralisait la réalisation du gain jusqu'à la dissolution de la provision pour remploi. En cela, la réalisation du revenu suivait la même approche que celle de la réalisation des réserves latentes en cas de transfert du siège en neutralité fiscale d'une entreprise dans un autre canton (sur ce point, cf. consid. 7.1 infra). Pour les juges cantonaux, cette solution s'imposait d'autant plus qu'il ressortait du dossier que la contribuable n'avait plus eu, depuis l'aliénation de ses biens immobiliers en 2010 et 2011 et donc durant la période fiscale 2016, de rattachement fiscal avec le canton du Valais. La Cour de justice a également retenu que la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à des situations de report d'imposition du gain immobilier dans les rapports intercantonaux et dans laquelle la méthode unitaire avait été jugée conforme au droit fédéral (cf. ATF 143 II 694 et arrêt 2C_337/2012 du 19 décembre 2012 consid. 3.5; cf. consid. 6.4.1 supra) devait également s'appliquer au cas dans lequel une provision pour remploi était dissoute.
En outre, le fait que le canton de Genève avait attendu le 5 août 2022 pour procéder à la taxation des ICC 2016 "après avoir accepté l'ensemble des reprises concernant la constitution des provisions pour remploi durant les périodes fiscales précédant l'année fiscale en cause" n'y changeait rien, dans la mesure où l'application du principe de la bonne foi n'était pas pertinente. En définitive, la compétence d'imposer la dissolution de la provision pour remploi revenait intégralement au canton de Genève en tant que canton du domicile fiscal principal de la société, et non au canton du Valais.
5.
La recourante soutient que les jurisprudences fédérales citées par la Cour de justice ne seraient pas pertinentes puisqu'elles concerneraient des situations dans lesquelles un remploi avait concrètement été effectué. Or tel n'était pas le cas en l'espèce, de sorte que rien ne justifiait un "déplacement des réserves latentes d'un espace de souveraineté cantonal à un autre" de même que la "rupture du lien de connexité matériel des réserves latentes immobilières avec le canton de situation" de l'immeuble, soit le Valais. Il fallait donc s'en tenir au principe de l'imposition du gain immobilier au lieu de situation de l'immeuble. Par ailleurs contrairement à ce qu'avaient retenu les juges cantonaux en lien avec le moment de la dissolution et la compétence de taxer du canton de Genève, la recourante soutient que "la source du droit de taxer continue de se fonder sur le lieu de situation de l'immeuble [...] indépendamment du moment de la dissolution de la provision pour remploi".
6.
6.1. Énoncé à l' art. 127 al. 3 Cst. , le principe de l'interdiction de la double imposition intercantonale s'oppose à ce qu'un contribuable soit concrètement soumis, par deux ou plusieurs cantons, sur le même objet, pendant la même période, à des impôts analogues (double imposition effective) ou à ce qu'un canton excède les limites de sa souveraineté fiscale et, violant des règles de conflit jurisprudentielles, entende prélever un impôt dont la perception est de la seule compétence d'un autre canton (double imposition virtuelle). En d'autres termes, la notion de double imposition intercantonale prohibée par la disposition constitutionnelle précitée implique un conflit de souveraineté fiscale entre cantons et suppose la réunion des quatre conditions d'identité du sujet, de l'objet, du type d'impôt et de la période fiscale (ATF 150 I 31 consid. 4.1 et les références; 148 I 65 consid. 3.1 et les références).
Selon les principes découlant de l'interdiction de la double imposition intercantonale, lorsqu'une entreprise possède un immeuble de placement dans un canton où elle n'a ni siège ni établissement stable, le canton de situation de l'immeuble se voit attribuer le droit exclusif d'imposer les revenus provenant de cet immeuble au titre de for fiscal spécial (ATF 148 I 65 consid. 4.1.1 et les références; 111 Ia 120 consid. 2a).
6.2. Selon l' art. 21 al. 1 let . c LHID, les personnes morales dont le siège ou l'administration effective se trouve hors du canton sont assujetties à l'impôt, lorsqu'elles sont propriétaires d'un immeuble sis dans le canton ou qu'elles ont sur un tel immeuble des droits de jouissance réels ou des droits personnels assimilables économiquement à des droits de jouissance réels.
6.3. L' art. 8 al. 4 LHID , applicable par renvoi de l' art. 24 al. 4 LHID , prévoit que "lorsque des biens immobilisés nécessaires à l'exploitation sont remplacés, les réserves latentes de ces biens peuvent être reportées sur les biens immobilisés acquis en remploi, si ces biens sont également nécessaires à l'exploitation et se trouvent en Suisse. L'imposition en cas de remplacement d'immeubles par des biens mobiliers est réservée".
En droit de l'impôt fédéral direct, l' art. 64 al. 2 LIFD (RS 642.11) prévoit que "lorsque le remploi n'intervient pas pendant le même exercice, une provision correspondant aux réserves latentes peut être constituée. Cette provision doit être dissoute et utilisée pour l'amortissement de l'élément acquis en remploi ou portée au crédit du compte de résultats, dans un délai raisonnable". La provision ainsi constituée, qui correspond aux réserves latentes afférentes à l'objet aliéné, neutralise le gain comptable résultant de cette opération (cf. ROBERT DANON, in Commentaire romand LIFD, 2e éd. 2017, n ° 26 ad art. 64 LIFD ). Bien que la LHID ne contienne pas de disposition correspondante, la possibilité de créer de telles provisions a été jugé inhérente au droit de l'harmonisation fiscale (arrêt 2C_1118/2015 du 10 juin 2016 consid. 2.3; art. 24 al. 1 let. a a contrario et 25 LHID).
6.4.
6.4.1. S'agissant des personnes physiques, l' art. 12 al. 3 let . e LHID prévoit, sous le titre marginal, "impôt sur les gains immobiliers" que l'imposition est différée en cas d'aliénation de l'habitation (maison ou appartement) ayant durablement et exclusivement servi au propre usage de l'aliénateur, dans la mesure où le produit ainsi obtenu est affecté, dans un délai approprié, à l'acquisition ou à la construction en Suisse d'une habitation servant au même usage.
Selon la jurisprudence, la prorogation de l'imposition prévue par l' art. 12 al. 3 LHID signifie qu'un transfert constituant en soi un acte d'aliénation n'est cependant pas soumis à imposition. Tout se passe, sous l'angle de l'impôt sur les gains immobiliers, comme si le transfert n'avait pas eu lieu ou, en d'autres termes, comme s'il n'y avait pas eu réalisation d'un gain. La prorogation n'implique toutefois pas une exemption définitive, qui serait d'ailleurs contraire à l' art. 12 LHID . En d'autres termes, le mécanisme du report d'imposition ne constitue pas une exonération fiscale. En effet, l'augmentation de valeur qui s'est produite entre la dernière aliénation imposable et l'acte prorogeant l'imposition n'est que provisoirement pas taxée; l'imposition est simplement différée jusqu'à nouvelle aliénation imposable (arrêt 9C_786/2023 du 10 octobre 2024 consid. 4.3.1 et les références).
6.4.2. Dans le domaine de l'interdiction de la double imposition intercantonale et au sujet de l' art. 12 al. 3 let . e LHID, le Tribunal fédéral a considéré qu'en cas de remploi au sens de cette disposition, le droit à l'imposition de la substance latente revenait intégralement et exclusivement au canton d'arrivée du contribuable, respectivement au dernier canton d'arrivée (arrêt 2C_337/2012 du 19 décembre 2012 consid. 3.5). Dans le contexte d'un report de l'impôt sur les gains immobiliers ensuite de l'acquisition en remploi d'une habitation, il convient d'appliquer également la méthode unitaire aux transferts équivalant à un réinvestissement. Cela signifie que le droit d'imposer le substrat fiscal latent lorsque la chaîne d'acquisition en remploi est brisée revient également dans ces cas entièrement et exclusivement au canton sur lequel s'est installé l'assujetti (personne physique), respectivement le dernier des cantons sur lequel celui-ci s'est installé, les cas d'abus de droit étant réservés (ATF 143 II 694 consid. 4).
7.
7.1. En l'occurrence, la possibilité pour la contribuable d'avoir constitué la provision litigieuse n'est pas remise en cause, l'instance précédente ayant d'ailleurs constaté que cet élément ne faisait pas partie de la présente procédure et que seule la question de savoir quel canton pouvait taxer le produit issu de sa dissolution était litigieuse. Il n'est pas davantage contesté qu'un remploi effectif n'a jamais été effectué par la contribuable, puisque celle-ci n'a procédé à aucune acquisition d'un bien immobilier après avoir vendu les lots de PPE dans le canton du Valais durant les années 2010 et 2011.
Partant, la recourante fait valoir à juste titre que la jurisprudence fédérale sur la prorogation de l'imposition prévue à l' art. 12 al. 3 let . e LHID auxquelles la Cour de justice semble se référer (cf. consid. 6.4.2 supra) n'est pas pertinente en l'espèce. En effet, les arrêts en question concernaient des cas dans lesquels les contribuables avaient procédé effectivement à l'acquisition d'une habitation en remploi et donc dans lesquels l'imposition du gain immobilier était différée en application de la disposition citée. On ne saurait donc, comme les juges cantonaux l'ont fait, conclure qu'en application de la méthode unitaire imposée par la jurisprudence fédérale, le canton de Genève serait compétent pour imposer le bénéfice provenant de la dissolution de la provision pour remploi en l'absence de toute acquisition effective d'un immeuble de remplacement. En d'autres termes, en l'absence d'une "chaîne d'acquisition en remploi", on ne peut tirer des arrêts relatifs à l' art. 12 al. 3 let . e LHID que le canton de Genève serait le "canton d'arrivée" et qu'il disposerait par conséquent de la souveraineté fiscale sur le bénéfice litigieux.
Par ailleurs, les juges cantonaux ne sauraient être suivis lorsqu'ils procèdent à une analogie entre la présente cause et celle d'un transfert en neutralité fiscale du siège d'une entreprise dans un autre canton, et dans laquelle le canton d'origine ne peut plus prétendre à l'imposition des réserves latentes transférées lorsque celles-ci sont réalisées dans le canton d'arrivée, de sorte que le gain réalisé est intégralement imposable dans ce dernier canton (cf. à ce sujet arrêt 2C_337/2012 du 19 décembre 2012 consid. 3.5; MARKUS REICH/JULIAN VON AH, in Kommentar zum Schweizerischen Steuerrecht, StHG, 4e éd. 2022, n° 86 ad art. 8 LHID ). Puisqu'aucun remploi n'a été effectué par la contribuable après qu'elle a vendu ses immeubles dans le canton du Valais, on ne saurait considérer qu'il existe avec le canton de Genève un (nouveau) point d'ancrage comme il en existerait un lors d'un transfert du siège d'une société d'un canton à un autre. Ainsi, on ne saurait admettre comme l'a fait en substance la Cour de justice que l'évènement ayant déclenché l'imposition (soit la dissolution de la provision pour remploi) aurait des liens plus étroits avec le canton de Genève qu'avec celui du Valais. Il convient donc de s'en tenir aux règles de répartition applicables en la matière, et qui attribuent exclusivement au canton de situation de l'immeuble le droit d'imposer le gain immobilier (cf. consid. 6.1 supra). Dans cette mesure et en l'absence de tout remploi effectif, la présente constellation se rapproche de celle dans laquelle le bénéfice issu de la réévaluation comptable d'un immeuble situé dans le canton de Saint-Gall, appartenant à une société sans établissement stable dans ce canton, devait être intégralement soumis à imposition dans le canton de situation de l'immeuble et non dans celui du siège de l'entreprise, soit Zurich (cf. ATF 111 Ia 120 consid. 2 à 4).
7.2. Le raisonnement de la Cour de justice ne convainc pas lorsqu'elle se réfère au principe de déterminance pour justifier le prélèvement, dans le canton de Genève, de l'impôt sur le bénéfice résultant de la dissolution de la provision pour remploi.
En tant que tel, ce principe selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal ("Massgeblichkeitsprinzip"; ATF 147 II 209 consid. 3.1.1; arrêt 9C_703/2023 du 15 octobre 2024 consid. 8.1) n'est en l'occurrence pas pertinent. Comme on l'a vu (consid. 6.1 et 7.1 supra), l'application des règles de répartition intercantonale déduites par la jurisprudence de l' art. 127 al. 3 Cst. conduit à ce que le gain immobilier, constitué par la dissolution de la provision pour remploi qui n'a pas été utilisée en l'absence d'acquisition d'un immeuble de remplacement, ne peut être imposé que par le canton du lieu de situation de l'immeuble, soit le canton du Valais. Ainsi, la situation du cas d'espèce ne présente pas de problématique liée au droit comptable; en effet, le bénéfice tel qu'il ressort des états financiers doit, le cas échéant, être réparti entre plusieurs cantons en application de l' art. 127 al. 3 Cst.
7.3. Il suit de ce qui précède que la Cour de justice a violé le droit fédéral en ayant confirmé l'imposition dans le canton de Genève du bénéfice de 8'267'000 fr. issu de la dissolution de la provision pour remploi. L'arrêt attaqué doit donc être annulé et la cause renvoyée à l'Administration fiscale genevoise pour nouvelle décision de taxation, sans qu'elle tienne compte du montant de 8'267'000 fr. dans le chapitre fiscal de la recourante à titre d'ICC 2016.
Vu ce résultat, il n'y a pas lieu d'examiner le grief présenté par le Service valaisan des contributions en lien avec la péremption du droit de taxer du canton de Genève.
8.
Succombant, le canton de Genève, dont l'intérêt patrimonial est en cause, doit supporter les frais de la procédure fédérale ( art. 66 al. 1 et 4 LTF ) et versera une indemnité de dépens à la recourante ( art. 68 LTF ). Bien qu'obtenant gain de cause, le canton du Valais n'a pas droit à des dépens ( art. 68 al. 3 LTF ). Par ailleurs, la cause est renvoyée à la Cour de justice pour qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure antérieure ( art. 68 al. 5 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable en tant qu'il est dirigé, à titre principal, contre le canton de Genève et qu'il concerne les impôts cantonal et communal 2016. L'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 21 mai 2024 est annulé et la cause renvoyée à l'Administration fiscale cantonale du canton de Genève pour qu'elle rende une nouvelle décision dans le sens des considérants.
2.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable en tant qu'il est dirigé, à titre subsidiaire, contre le canton du Valais et qu'il concerne les impôts cantonal et communal 2016.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 15'000 fr., sont mis à la charge du canton de Genève.
4.
Une indemnité de dépens de 15'000 fr. à charge du canton de Genève est allouée à la recourante.
5.
La cause est renvoyée à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure antérieure.
6.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Service cantonal des contributions du canton du Valais et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 4ème section.
Lucerne, le 2 avril 2025
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Moser-Szeless
Le Greffier : Bürgisser