Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_60/2022
Arrêt du 21 janvier 2025
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Koch, Hurni, Kölz et Hofmann.
Greffière: Mme Schwab Eggs.
Participants à la procédure
A.________ Ltd,
Grande-Bretagne, représentée par
Maîtres Daniel Tunik et Hikmat Maleh, avocats,
recourante,
contre
Ministère public de la Confédération,
Guisanplatz 1, 3003 Berne,
intimé.
Objet
Ordonnance de classement (retrait de la qualité de partie plaignante),
recours contre la décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral du 23 novembre 2022 (BB.2021.202).
Faits :
A.
A.a. A la suite d'une dénonciation adressée par A.________ Ltd le 28 janvier 2011, le Ministère public de la Confédération (ci-après: le MPC) a ouvert, par ordonnance du 3 mars 2011, une instruction pénale contre inconnus pour soupçons de blanchiment d'argent ( art. 305 bis CP ) provenant d'escroqueries et d'actes de corruption d'agents publics étrangers (procédure SV.11.0049-KOD).
Lors de son audition le 17 mai 2011, B.________, président-directeur général de A.________ Ltd, a déclaré vouloir se constituer partie plaignante pour le compte de cette société. Le MPC a accordé à la société la qualité de partie plaignante comme demanderesse au pénal, son statut sur le plan civil ayant été réservé durant la procédure.
A.b. Par ordonnance du 21 juillet 2021, le MPC a classé la procédure pénale SV.11.0049-KOD ouverte contre inconnus pour soupçons de blanchiment d'argent (ch. 1), a levé certains séquestres portant sur des relations bancaires ouvertes au nom de tiers, en particulier de C.________, D.________ Ltd, E.________ Ltd, F.________ Ltd et G.________ Ltd (ch. 5 et 6), a retiré la qualité de partie plaignante à A.________ Ltd (ch. 7) et a alloué des indemnités sur la base de l' art. 434 CPP à certains tiers concernés par les séquestres (ch. 9).
B.
Par décision du 23 novembre 2022, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (ci-après: la Cour des plaintes) a rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, le recours formé par A.________ Ltd contre l'ordonnance du 21 juillet 2021.
La Cour des plaintes a notamment résumé le contexte de la procédure comme il suit: Selon la dénonciation de A.________ Ltd, à l'occasion d'une perquisition opérée dans le cadre d'une prétendue enquête pénale dans les bureaux moscovites d'un cabinet juridique et de son entreprise cliente, H.________, des policiers - agissant sous le couvert de leur fonction officielle mais à des fins criminelles - auraient saisi divers documents concernant trois filiales russes de H.________, à savoir H.A.________ Ltd, H.B.________ Ltd et H.C.________ Ltd; en substance, ces pièces auraient été utilisées dans diverses opérations ayant abouti à un remboursement indu par le Trésor russe d'impôts d'environ 230 millions USD en faveur des auteurs de ces opérations; ces impôts - payés précédemment par H.________ - ne lui auraient pas été restitués mais auraient été volés par un groupe criminel. Le remboursement d'impôts en question aurait fait l'objet de multiples actes de blanchiment au moyen de transferts internationaux effectués par et pour le compte de divers intervenants. La Cour des plaintes a encore relevé que les deux hommes placés à la tête des trois filiales précitées de H.________ avaient été condamnés pour le remboursement illégal de l'impôt sur les bénéfices.
C.
A.________ Ltd interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre la décision du 23 novembre 2022, en concluant principalement à sa réforme en ce sens que les chiffres 1, 5, 6, 7 et 9 de l'ordonnance du MPC du 21 juillet 2021 soient annulés, qu'en tant que de besoin la qualité de partie plaignante soit maintenue, respectivement lui soit restituée, et qu'en tant que de besoin les séquestres soient maintenus sur les relations bancaires dont il est question aux chiffres 5 et 6 du dispositif de l'ordonnance susmentionnée. A titre subsidiaire, A.________ Ltd conclut à l'annulation de la décision querellée et au renvoi de la cause à la juridiction précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Par avis du 3 juillet 2023, les parties ont été informées de la transmission du recours à la IIe Cour de droit pénal en raison de la réorganisation interne du Tribunal fédéral.
Par courriers des 8 décembre 2023 et 19 août 2024, C.________, D.________ Ltd, E.________ Ltd, F.________ Ltd et G.________ Ltd ont requis de recevoir une copie du recours de A.________ Ltd et de pouvoir se déterminer. Par avis des 14 décembre 2023 et 27 août 2024, le Juge instructeur de la IIe Cour de droit pénal a refusé d'accéder à ces requêtes et a précisé que la qualité de partie serait, le cas échéant, examinée dans le cadre de l'arrêt à intervenir.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence ( art. 29 al. 1 LTF ) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2).
1.1. Dans le cadre d'un recours en matière pénale, le Tribunal fédéral contrôle uniquement l'application correcte par l'autorité cantonale du droit fédéral en vigueur au moment où celle-ci a statué (cf. art. 453 al. 1 CPP ; ATF 145 IV 137 consid. 2.6 ss; 129 IV 49 consid. 5.3). La décision querellée ayant été rendue le 23 novembre 2022, il n'y a pas lieu en l'espèce de prendre en compte les modifications du code de procédure pénale entrées en vigueur le 1er janvier 2024 (RO 2023 468; arrêts 7B_1008/2023 du 12 janvier 2024 consid. 2.2; 7B_997/2023 du 4 janvier 2024 consid. 1.2).
1.2. La décision attaquée a été rendue dans le cadre d'une procédure pénale par une autorité statuant sur recours en dernière instance ( art. 80 al. 1 LTF ) et peut donc faire l'objet d'un recours en matière pénale au sens des art. 78 ss LTF . La recourante se voit dénier la qualité de partie plaignante; elle se trouve ainsi définitivement écartée de la procédure pénale. La décision entreprise revêt donc à son égard les traits d'une décision finale au sens de l' art. 90 LTF (arrêt 7B_931/2023 du 24 mai 2024 consid. 1.1 et la référence citée). Eu égard au statut de partie plaignante qui lui est refusé, la recourante peut se plaindre d'une violation de ses droits de partie; elle dispose donc de la qualité pour recourir au Tribunal fédéral, indépendamment des éventuelles conclusions civiles qu'elle pourrait faire valoir ( art. 81 LTF ; cf. ATF 141 IV 1 consid. 1.1 et 1.2; arrêts 7B_852/2023 du 1er juillet 2024 consid. 1.3.2). Le recours a en outre été déposé en temps utile ( art. 100 al. 1 LTF ), de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Le mémoire de recours débute par une longue introduction; il est également émaillé de nombreuses digressions sur les faits de la cause. En tant que les éléments de fait qui y sont exposés divergent de ceux constatés dans la décision querellée et qu'ils ne sont pas critiqués sous l'angle de l'arbitraire, ils ne seront pas pris en considération (cf. art. 97 et 106 al. 2 LTF ).
3.
3.1. La recourante fait grief à la juridiction précédente d'avoir confirmé le retrait de la qualité de partie plaignante prononcé par le MPC.
3.2.
3.2.1. On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil ( art. 118 al. 1 CPP ). La notion de lésé est définie à l' art. 115 CPP . Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction.
En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 147 IV 269 consid. 3.1; 141 IV 1 consid. 3.1 et les références citées). Pour être directement touché, le lésé doit en outre subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie, ce qui exclut les dommages par ricochet (ATF 147 IV 269 consid. 3.1; 141 IV 454 consid. 2.3.1; arrêts 6B_588/2022 du 8 mai 2023 consid. 2.1.1; 6B_831/2021 du 26 janvier 2023 consid. 1.1).
Lorsqu'une infraction est perpétrée au détriment du patrimoine d'une personne morale, seule celle-ci subit un dommage et peut donc prétendre à la qualité de lésé, à l'exclusion des actionnaires d'une société anonyme, des associés d'une société à responsabilité limitée, des ayants droit économiques et des créanciers desdites sociétés (ATF 148 IV 170 consid. 3.3.1; 141 IV 380 consid. 2.3.3; 140 IV 155 consid. 3.3.1; arrêts 6B_588/2022 du 8 mai 2023 consid. 2.1.1; 1B_418/2022 du 17 janvier 2023 consid. 3.1).
3.2.2. Selon l' art. 305bis ch. 1 CP , est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire notamment celui qui aura commis un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu'elles provenaient d'un crime.
Les valeurs patrimoniales blanchies doivent provenir d'un crime au sens de l' art. 10 al. 2 CP , soit d'une infraction passible d'une peine privative de liberté de plus de trois ans. En matière de blanchiment d'argent, comme dans le domaine du recel, la preuve stricte de l'acte préalable n'est pas exigée. Il n'est pas nécessaire que l'on connaisse en détail les circonstances du crime, singulièrement son auteur, pour pouvoir réprimer le blanchiment. Le lien exigé entre le crime à l'origine des fonds et le blanchiment d'argent est volontairement ténu (ATF 138 IV 1 consid. 4.2.2; 120 IV 323 consid. 3d; arrêts 7B_171/2022 du 15 août 2024 consid. 2.4.4; 6B_1016/2023 du 19 mars 2024 consid. 2.1.2).
3.3.
3.3.1. Dans un premier temps, la Cour des plaintes a retenu que la recourante n'avait pas démontré - ou à tout le moins rendu vraisemblable - que l'obtention de valeurs patrimoniales supposément blanchies en Suisse était la conséquence directe et immédiate des infractions qu'elle soulevait. A cet égard, le lien de causalité n'apparaissait pas de manière évidente entre les fonds objet de la présente procédure et la génération de dettes fictives des sociétés H.A.________ Ltd, H.B.________ Ltd et H.C.________ Ltd, la subtilisation des documents corporatifs des sociétés précitées et leur appropriation. La recourante ne prétendait au demeurant pas que les valeurs patrimoniales retrouvées en Suisse proviendraient directement de ces infractions. S'agissant de l'éventuelle gestion déloyale - qui aurait été commise ensuite de l'escroquerie au préjudice du Trésor russe -, la Cour des plaintes a laissé ouverte la question de savoir s'il pouvait s'agir d'une infraction préalable au blanchiment d'argent vu les considérations qui suivent.
3.3.2. Dans un second temps, la Cour des plaintes a considéré que la recourante n'avait pas été touchée directement et personnellement par un crime préalable au blanchiment d'argent. Ainsi, la gestion déloyale - si elle était avérée - lésait uniquement les intérêts des sociétés H.A.________ Ltd, H.B.________ Ltd et H.C.________ Ltd; or dans la mesure où il s'agissait de sociétés à responsabilité limitée, seules celles-ci subissaient un dommage en cas d'infractions contre leur patrimoine. Au surplus, l'absence de lésion de la recourante résultait de la nature des prétentions articulées à titre de dommage; les trois postes allégués par la recourante - à savoir des frais légaux engendrés par des procédures pénales, la valeur résiduelle d'une société tierce et la perte économique en cas d'atteinte à la réputation - constituaient en effet typiquement des dommages par ricochet.
3.4.
3.4.1. Les griefs développés par la recourante au sujet du lien de causalité entre les infractions préalables dénoncées et les fonds objet de la procédure de blanchiment d'argent (cf. consid. 3.2.2 et 3.3.1 supra ) n'ont pas à être examinés plus en avant. En effet, le défaut de qualité de partie plaignante de la recourante doit de toute manière déjà être confirmé pour les motifs qui suivent.
3.4.2. Contrairement à ce que soutient la recourante, on ne voit pas qu'elle aurait subi une atteinte directe du fait des infractions dénoncées, comme l'a relevé à juste titre la Cour des plaintes. Sur cet aspect, la recourante se contente en effet de prétendre que la seule partie lésée reconnue par les autorités suisses - à savoir le Trésor russe - aurait délibérément opté pour l'impunité des auteurs des infractions et qu'à l'inverse de la Suisse, de nombreuses juridictions d'autres pays - Lituanie, France ou États-Unis d'Amérique - auraient reconnu la qualité de partie plaignante de la recourante. Ces affirmations - outre qu'elles sont purement appellatoires et, partant, irrecevables - ne sont pas propres à remettre en cause les constatations des juridictions précédentes. A cet égard, dans la mesure où les infractions dénoncées par la recourante auraient été commises au préjudice de trois sociétés, à savoir H.A.________ Ltd, H.B.________ Ltd et H.C.________ Ltd, on ne voit pas en quoi - et la recourante ne l'expose pas - le prétendu dommage subi par ces sociétés tierces aurait directement lésé ses intérêts propres (cf. consid. 3.2.1 supra ). Au contraire, il résulte de l'ordonnance du 21 juillet 2021 du MPC citée dans la décision querellée que la recourante est "conseillère en placement" de H.________, laquelle détenait les trois sociétés dont il est question ci-dessus; or la recourante ne démontre pas - ni même ne tente de le faire - que ces constatations seraient arbitraires.
Pour le surplus, la recourante se contente de reprocher aux juges précédents de s'être appuyés sur ses prétentions civiles pour lui dénier la qualité de lésée; elle soutient qu'elle n'aurait pas été forclose pour articuler de nouvelles prétentions civiles. Ce faisant, la recourante ne critique pas la motivation de la Cour des plaintes s'agissant du caractère typique de dommages par ricochet des prétentions articulées à ce jour (cf. art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF); cette appréciation ne prête au surplus pas le flanc à la critique. Pour le reste, quoi qu'en dise la recourante, il apparaît révélateur qu'après plus de dix ans de procédure, elle ait uniquement articulé les prétentions précitées, alors même que sa qualité de partie plaignante était remise en question.
3.5. En définitive, la Cour des plaintes n'a pas violé le droit fédéral en considérant que la recourante n'était pas directement touchée par les infractions dénoncées et en confirmant le retrait de la qualité de partie plaignante prononcé par le MPC.
4.
Pour ces motifs, le recours doit être rejeté.
Vu l'issue du recours, il n'y a pas lieu de fixer un délai pour se déterminer aux autres parties à l'ordonnance du 21 juillet 2021 du MPC, à savoir notamment C.________, D.________ Ltd, E.________ Ltd, F.________ Ltd et G.________ Ltd. Pour faire suite à leur demande, l'arrêt leur sera communiqué.
La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires ( art. 66 al. 1 LTF ). Il ne sera pas alloué de dépens ( art. 68 al. 1 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, à C.________, à D.________ Ltd, à E.________ Ltd, à F.________ Ltd et à G.________ Ltd.
Lausanne, le 21 janvier 2025
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Schwab Eggs