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21/02/2023 | SUISSE | N°6B_967/2022

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral, Cour de droit pénal  , Arrêt du 21 février 2023  , 6B 967/2022


 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_967/2022  
 
 
Arrêt du 21 février 2023  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux 
Denys, Juge présidant, van de Graaf et Hurni. 
Greffière : Mme Musy. 
 
Participants à la procédure 
A.A.________, 
représenté par Me Inès Feldmann, avocate, 
recourant, 
 
contre  
 
1. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renen

s VD, 
2. B.________, 
représenté par Me Monica Mitrea, avocate, 
intimés. 
 
Objet 
Ordonnance de classement (incitation et assistance 
au suicide; art. 115 CP ), 
 
reco...

 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_967/2022  
 
 
Arrêt du 21 février 2023  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux 
Denys, Juge présidant, van de Graaf et Hurni. 
Greffière : Mme Musy. 
 
Participants à la procédure 
A.A.________, 
représenté par Me Inès Feldmann, avocate, 
recourant, 
 
contre  
 
1. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD, 
2. B.________, 
représenté par Me Monica Mitrea, avocate, 
intimés. 
 
Objet 
Ordonnance de classement (incitation et assistance 
au suicide; art. 115 CP ), 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal 
du canton de Vaud, Chambre des recours pénale, 
du 10 mars 2022 (n° 184 PM17.010762-ERE). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 24 mars 2017, C.A.________, âgé de 17 ans, s'est donné la mort en se pendant à l'aide d'une ceinture en cuir dans les toilettes de l'établissement D.________, à U.________. Son corps a été découvert dans la soirée par trois de ses camarades, dont B.________. 
Par courrier du 13 avril 2017, A.A.________, père du défunt, a avisé le Tribunal des mineurs du canton de Vaud de l'existence de messages qu'il avait découvert sur le téléphone portable de son fils, lesquels avaient été envoyés le jour de son décès par B.________. Ces messages avaient la teneur suivante: 
 
- "Yo C.A.________" (24.03.2017 16:07) 
- "Kill yourself" (24.03.2017 16:07) 
- "Please" (24.03.2017 16:07) 
- "For us" (24.03.2017 16:07). 
Une instruction a été ouverte le 8 juin 2017 par le Juge des mineurs à l'encontre de B.________ pour incitation et assistance au suicide ( art. 115 CP ). Le 22 juin 2017, A.A.________ a déposé une plainte pénale et s'est constitué partie civile. 
 
B.  
Par ordonnance du 6 juin 2018, le Président du Tribunal des mineurs a ordonné le classement de la procédure pénale dirigée contre B.________. 
Par arrêt du 1er octobre 2018, la Chambre des recours pénale a admis le recours formé par A.A.________ contre cette ordonnance, a annulé celle-ci et a renvoyé le dossier au Juge des mineurs pour complément d'instruction. 
Le Juge des mineurs a conduit l'instruction entre novembre 2018 et septembre 2019, puis a adressé un avis de prochaine clôture aux parties le 11 octobre 2019. Le 11 novembre 2019, A.A.________ a réitéré des réquisitions de preuves qu'il avait formulées le 26 novembre 2018. Après avoir annulé une première citation à comparaître le 16 janvier 2020, le Juge des mineurs a cité, le 12 décembre 2020, E.________, enseignant de D.________ et "tuteur d'études" de C.A.________ pour être entendu en qualité de témoin le 5 février 2021. Le 28 décembre 2020, le Juge des mineurs a annulé cette audition dès lors que, comme le mandataire du témoin l'exposait, celui-ci vivait désormais à V.________ et qu'il paraissait impossible d'exiger de lui qu'il se rende en Suisse à la seule fin d'être entendu en qualité de témoin, ce d'autant moins compte tenu de la pandémie de Covid-19. 
Le Juge des mineurs a procédé à deux nouvelles auditions le 5 février 2021. A cette occasion, le conseil de A.A.________ a réitéré les réquisitions de preuves formulées dans son courrier du 11 novembre 2019 et insisté pour que E.________ soit rapidement entendu, par vidéoconférence ou sur des questions écrites. Le Juge des mineurs a répondu qu'il allait se pencher sur la question. 
Le 17 février 2021, des éléments du dossier de la procédure ouverte contre divers membres de l'établissement D.________ à la suite de la plainte pénale formée contre eux par A.A.________, ont été versés au dossier. Cette procédure a été classée par ordonnance du 9 octobre 2019, confirmée par la Chambre des recours pénale le 25 novembre 2019 puis par le Tribunal fédéral le 1er avril 2020 (6B_143/2020). 
Le 4 mars 2021, le Juge des mineurs a adressé un avis de prochaine clôture aux parties. Par courrier du 29 mars 2021, A.A.________ a réitéré en substance les réquisitions de preuves qu'il avait formulées le 26 novembre 2018, demandant en particulier l'audition de E.________. Le 12 mai 2021, le Juge des mineurs a indiqué au conseil de A.A.________, s'enquérant de la suite donnée à ses réquisitions, qu'il n'avait pas accédé à celles-ci, considérant que l'instruction était complète et qu'une ordonnance de classement était en cours de rédaction. 
Le 20 août 2021, le défenseur de B.________ a contacté téléphoniquement le greffe du Tribunal de mineurs pour se renseigner sur l'avancement de la rédaction de la décision annoncée. Il lui a été répondu que "c'[était] en cours". 
 
C.  
Par ordonnance du 13 décembre 2021, le Président du Tribunal des mineurs a classé la procédure pénale dirigée contre B.________ pour incitation au suicide ( art. 115 CP ). 
 
D.  
Par arrêt du 10 mars 2022, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours formé par A.A.________ contre cette ordonnance. 
 
E.  
A. A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 10 mars 2022 en concluant, avec suite de frais et dépens, à sa réforme en ce sens que l'ordonnance de classement du 13 décembre 2021 est annulée et l'affaire renvoyée à l'autorité d'instruction de première instance pour complément d'instruction. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Selon l' art. 81 al. 1 let. b LTF , a qualité pour recourir en matière pénale toute personne ayant un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de la décision attaquée. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un intérêt juridiquement protégé à l'examen matériel de la décision cantonale de dernière instance disparaît lorsqu'il n'est plus possible de procéder à une modification sur le plan pénal, en l'absence de jugement mettant fin à la prescription de l'action pénale (arrêts 6B_479/2018 du 19 juillet 2019 consid 2.1; 6B_927/2015 du 2 mai 2016 consid. 1 avec référence). La survenance de la prescription de l'action pénale doit être prise en compte d'office à chaque stade de la procédure (ATF 139 IV 62 consid. 1; 129 IV 49 consid. 5.4; 116 IV 80 consid. 2a p. 81). C'est pourquoi, ainsi que pour des raisons d'économie de procédure, il convient d'examiner au préalable si la prescription de l'action publique est acquise pour l'infraction reprochée à l'intimé et si une condamnation est d'emblée exclue pour cette raison. 
 
1.1. L'infraction d'incitation au suicide ( art. 115 CP ) est sanctionnée par une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.  
L'intimé étant mineur au moment des faits, la Loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs (RS 311.1; DPMin) est applicable en l'espèce (cf. art. 1 al. 1 let. a DPMin ). Aux termes de l' art. 36 al. 1 let. a DPMin , l'action pénale se prescrit par cinq ans si la peine maximale encourue est une peine privative de liberté de plus de trois ans. 
Le point de départ du délai de prescription est régi par l' art. 98 CP , applicable par renvoi de l' art. 1 al. 2 let . j DPMin. La prescription court du jour où l'auteur a exercé son activité coupable (let. a), du jour où le dernier acte a été commis, si cette activité s'est exercée à plusieurs reprises (let. b) ou du jour où les agissements coupables ont cessé, s'ils ont eu une certaine durée (let. c). 
 
1.2. En l'espèce, le délai de prescription pénale a commencé de courir au plus tard le 24 mars 2017, jour du décès de C.A.________ et de l'envoi par B.________ des messages visés dans la plainte. La prescription de l'action pénale pour l'infraction d'incitation au suicide imputée à un mineur a dès lors été atteinte le 24 mars 2022, étant précisé que la prescription n'a pas été interrompue par l'ordonnance de classement du 13 décembre 2021 qui n'est pas un "jugement de première instance" au sens de l' art. 97 al. 3 CP (cf. arrêts 6B_707/2019 du 29 novembre 2019 consid. 3.3; 6B_565/2019 du 12 juin 2019 consid. 3.2; 6B_614/2015 du 14 mars 2016 consid. 2.2). Ainsi, en cas de renvoi de la cause à l'instance précédente, celle-ci ne pourrait que constater que la prescription est acquise.  
Il découle de ce qui précède que le recourant ne dispose pas d'un intérêt juridique actuel à la contestation de la décision de classement confirmée par la cour cantonale, une condamnation de l'intimé pour incitation au suicide étant exclue en raison de la prescription de l'action pénale. Il n'y a par conséquent pas lieu d'entrer en matière sur le recours dans la mesure où le recourant demande l'annulation de la décision de l'instance précédente et le renvoi de la procédure à l'autorité de première instance. 
 
2.  
Indépendamment de l'absence de qualité pour recourir sur le fond, la partie recourante est aussi habilitée à se plaindre d'une violation de ses droits de partie équivalant à un déni de justice formel, sans toutefois pouvoir faire valoir par ce biais, même indirectement, des moyens qui ne peuvent être séparés du fond (ATF 141 IV 1 consid. 1.1 p. 5 et les références citées). L'intérêt juridiquement protégé au sens de l' art. 81 al. 1 let. b LTF résulte dans ce cas du droit de participer à la procédure. 
 
2.1. En tant que le recourant se plaint de l'absence d'audition de E.________, ses développements ne visent qu'à démontrer en quoi ces mesures seraient nécessaires afin d'établir ses accusations. Il ne fait ainsi pas valoir de moyen qui peut être séparé du fond, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur ce point.  
 
2.2. Le recourant reproche à la cour cantonale de ne pas avoir constaté une violation du principe de célérité. Selon lui, le délai qui s'était écoulé entre la dernière audience d'instruction du 5 février 2021 et la reddition de l'ordonnance de classement du 13 décembre 2021 n'était pas admissible.  
 
2.2.1. Bien que l'instance inférieure et la cour cantonale aient entre-temps rendu leur décision et que la procédure soit close, le recourant a un intérêt digne de protection à ce que son grief tiré d'un retard injustifié à statuer soit examiné (cf. arrêts 6B_1014/2016 du 24 mars 2017 consid. 1.3; 6B_927/2015 du 2 mai 2016 consid. 2.5 et les références citées).  
 
2.2.2. Les art. 5 CPP et 29 al. 1 Cst. garantissent notamment à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Ces dispositions consacrent le principe de la célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1 p. 377; cf. ATF 130 I 312 consid. 5.1 p. 331 s.) Le caractère raisonnable du délai s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard notamment à la complexité de l'affaire, à l'enjeu du litige pour l'intéressé, à son comportement ainsi qu'à celui des autorités compétentes (ATF 135 I 265 consid. 4.4 p. 277). A cet égard, il appartient au justiciable d'entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence, que ce soit en l'invitant à accélérer la procédure ou en recourant, le cas échéant, pour retard injustifié (ATF 130 I 312 consid. 5.2 p. 332). Des périodes d'activités intenses peuvent compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Enfin, on ne saurait reprocher à l'autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure. Lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3 p. 56; 130 I 312 consid. 5.2 p. 332). Selon la jurisprudence, apparaissent comme des carences choquantes une inactivité de 13 ou 14 mois au stade de l'instruction, un délai de quatre ans pour qu'il soit statué sur un recours contre l'acte d'accusation ou encore un délai de dix ou onze mois pour que le dossier soit transmis à l'autorité de recours (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3 p. 56 s.).  
 
2.2.3. La cour cantonale a considéré que si l'on pouvait regretter le délai écoulé entre l'avis de prochaine clôture et la reddition de l'ordonnance de classement, dans une affaire qui avait non seulement déjà fait l'objet d'une annulation sur recours, mais qui concernait également la mort d'un jeune homme, on ne saurait retenir un retard exagéré, l'affaire étant complexe. Un délai d'environ huit mois pour rendre une ordonnance dans ce contexte était encore admissible compte tenu de ces aspects (arrêt entrepris, consid. 3.2).  
 
2.2.4. Au regard des circonstances d'espèce, la durée d'inactivité mise en exergue par le recourant n'est pas choquante. En effet, il ressort du dossier de la procédure que l'ordonnance de classement du 13 décembre 2021 a été rendue sept mois après la communication du Juge des mineurs du 12 mai 2021 sur le rejet des réquisitions de preuves formulées par le recourant le 29 mars 2021. Cette ordonnance a mis un terme à une instruction au cours de laquelle de nombreux actes d'enquête ont été effectués, et ce sans désemparer, entre octobre 2018 et janvier 2020, puis à nouveau entre décembre 2020 et février 2021, le recourant ne se plaignant pas de la période d'inactivité survenue dans l'intervalle. En outre, l'enjeu était important, que ce soit pour la famille de l'adolescent décédé ou pour son camarade accusé d'avoir été mêlé à sa mort. Le recourant n'a au demeurant rien entrepris pour accélérer la procédure. En particulier, il ne s'est - contrairement à l'intimé - jamais enquis de l'avancement de l'affaire auprès de l'autorité concernée et n'a encore moins formé un recours pour retard injustifié. Pour le surplus, on peut encore relever que la cour cantonale a rendu son arrêt avant que l'action pénale ne soit atteinte par la prescription. En revanche, même si le premier juge avait statué plus rapidement, il est douteux que l'affaire ait pu être portée devant le Tribunal fédéral avant l'échéance du délai de prescription, intervenue le 24 mars 2022. Le délai pris pour rendre l'ordonnance de classement n'a ainsi pas eu d'incidence sous cet angle.  
Pour les raisons exposées ci-dessus, le grief tiré de la violation des art. 29 Cst. et 6 par. 1 CEDH doit être rejeté. 
 
3.  
L'hypothèse visée à l'art. 81 al. 1 let. b ch. 6 LTF n'entre pas en considération, dès lors que le recourant ne soulève aucun grief concernant spécifiquement son droit de porter plainte. 
 
4.  
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Le recourant, qui succombe, supporte les frais judiciaires ( art. 66 al. 1 LTF ). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale. 
 
 
Lausanne, le 21 février 2023 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant: Denys 
 
La Greffière : Musy 


Synthèse
Formation : Cour de droit pénal  
Numéro d'arrêt : 6B_967/2022
Date de la décision : 21/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 12/03/2023
Fonds documentaire ?: www.bger.ch
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2023-02-21;6b.967.2022 ?

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