Tribunal administratif N° 53160 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:53160 Chambre de vacation Inscrit le 11 juillet 2025 Audience publique de vacation du 30 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous un autre alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 53160 du rôle et déposée le 11 juillet 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, actuellement assigné à résidence à la maison retour, sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 26 juin 2025 de le transférer vers Malte, comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juillet 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour.
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Le 28 avril 2025, Monsieur (A), connu sous l’alias (A) FATH-ALLAH, introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé n’avait précédemment pas introduit de demande de protection internationale dans un Etat membre de l’Union européenne.
Par courrier de la direction générale de l’Immigration du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, Monsieur (A) fut formellement convoqué à un entretien prévu le 6 mai 2025, entretien auquel l’intéressé ne se présenta pas, tel que cela ressort d’une note figurant au dossier administratif.
1Par courrier électronique du 13 mai 2025, envoyé via la plateforme Dublinet, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues maltais une demande de prise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 12, paragraphe (4) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III », sur base de la considération que l’intéressé était titulaire d’un permis de séjour délivré par les autorités maltaises, périmé depuis moins de deux ans.
Par courrier électronique du 5 juin 2025, les autorités maltaises refusèrent de faire droit à la prédite demande, tout en indiquant qu’elles seraient disposées à réexaminer celle-ci, sous réserve que les autorités luxembourgeoises apportent la preuve que l’intéressé n’avait pas quitté le territoire de l’Union européenne.
Suite à un courrier électronique du 12 juin 2025 par lequel les autorités luxembourgeoises transmirent aux autorités maltaises notamment un relevé du Centre de coopération policière et douanière (CCPD) duquel il ressort que Monsieur (A) a des antécédents judiciaires en Belgique en 2024, les autorités maltaises acceptèrent en date du 17 juin 2025, la prise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III.
Par arrêté du 26 juin 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », assigna Monsieur (A) à résidence à la maison retour pour une durée de trois mois à partir de la notification.
Par décision du même jour, notifiée à l’intéressé en mains propres également le 26 juin 2025, le ministre informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers Malte sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 28 avril 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 12(4) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers Malte qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 28 avril 2025 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale.
21. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 28 avril 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac n’a révélé aucun résultat.
Lors de l’introduction de votre demande de protection internationale, vous avez déposé votre passeport marocain, votre permis de conduire marocain ainsi que votre permis de résidence maltais expiré depuis le 9 septembre 2023.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, vous avez été convoqué à un entretien Dublin III qui était prévu pour le 6 mai 2025. Cet entretien n’a pas eu lieu, étant donné que vous ne vous êtes pas présenté au rendez-vous prévu.
Sur base des informations à notre disposition, une demande de prise en charge en vertu de l’article 12(4) du règlement DIII a été adressée aux autorités maltaises en date du 13 mai 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités maltaises en date du 17 juin 2025.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
La responsabilité de Malte est acquise suivant l’article 12(4) du règlement DIII en ce que le demandeur est titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre et que l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
33. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, et notamment des documents que vous avez remis lors de l’introduction de votre demande de protection internationale, que les autorités maltaises vous avaient délivré un permis de résidence valable jusqu’au 9 septembre 2023.
Selon vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire, vous auriez quitté votre pays d’origine le 13 août 2022 par avion en direction de Malte. Vous auriez obtenu un contrat de travail auprès d’une entreprise d’électricité et de climatisation et une carte de résidence établie par les autorités maltaises. Après un séjour de deux mois à …, vous auriez quitté Malte pour vous rendre en Espagne et depuis lors, vous auriez voyagé entre l’Espagne, le Luxembourg, la Belgique et la France. Avant d’arriver au Luxembourg en avion, vous auriez séjourné à …, en Espagne, du … février 2025 jusqu’au 8 avril 2025.
Monsieur, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers Malte qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que Malte est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que Malte est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que Malte profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, Malte est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers Malte sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence à Malte revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée à Malte, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités maltaises ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les 4autorités compétentes maltaises, notamment judiciaires.
Les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers Malte, seule votre capacité à voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers Malte, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers Malte en informant tes autorités maltaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités maltaises n’ont pas été constatées. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 26 juin 2025.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique avoir quitté son pays d’origine, le Maroc, pour des raisons qu’il aurait « aimé détailler plus amplement » lors d’un 5entretien individuel devant la direction générale de l’Immigration, tout en soulignant qu’il n’aurait pas été en mesure de se présenter à son entretien Dublin III et que ses propos recueillis auprès de la police judiciaire seraient « incomplets ».
Il fait valoir qu’une audition en vue de recueillir son avis et ses observations aurait permis de prévoir « un minimum de garanties (légales) », alors qu’il se serait senti « délaissé » durant son séjour à Malte où il n’aurait pas été considéré comme une personne « pourvue des droits civiques et fondamentaux les plus élémentaires ». Il explique, à cet égard, avoir dû vivre à Malte dans la clandestinité et la précarité, sans sécurité et en craignant pour son intégrité physique, voire sa vie.
En droit, le demandeur invoque tout d’abord une violation de l’article 5, paragraphes (1) et (3) du règlement Dublin III, en soutenant que son « dossier individuel » n’indiquerait pas les raisons pour lesquelles il n’aurait pas bénéficié d’un entretien individuel. Il fait valoir que nonobstant les impératifs de devoir traiter rapidement les demandes de protection internationales formulées dans le cadre d’une situation de prise ou de reprise en charge, un demandeur de protection internationale aurait droit à un entretien individuel en vue de déterminer l’Etat membre responsable du traitement de ladite demande, lequel devrait avoir lieu dans des conditions garantissant la confidentialité et la présence d’un interprète, si nécessaire.
Le demandeur s’empare ensuite de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III pour reprocher au ministre de ne pas avoir fait application de la clause discrétionnaire et ce compte tenu de son « dossier médical ».
Il soutient ensuite qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre pourrait être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existerait dans ce pays des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale lesquelles requerraient, pour être de nature à s’opposer à un transfert, « d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et des dispositions de la CEDH qu’[il] entend invoquer ».
Il met, dans ce contexte, en avant ses problèmes de santé pour lesquels il bénéficierait de soins adaptés au Luxembourg, tout en faisant valoir que même si la compétence pour examiner une demande de protection internationale n’était pas une obligation légale pour les autorités luxembourgeoises au sens de l’article 17 du règlement Dublin III, la particularité de sa demande en ferait néanmoins une « obligation morale » alors qu’un renvoi « vers l’Italie » l’exposerait à prendre des risques pour sa santé, du fait de constituer une « rupture disproportionnée » dans son parcours de soins.
Au vu de ces considérations, le demandeur conclut à la réformation de la décision de transfert litigieuse.
Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
6Quant à la légalité externe de la décision déférée En ce qui concerne la prétendue violation de l’article 5, paragraphes (1) et (3) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l’État membre responsable, l’État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l’article 4. (…) 3. L’entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu’une décision de transfert du demandeur vers l’État membre responsable soit prise conformément à l’article 26, paragraphe 1. », le tribunal relève qu’il ressort d’une note figurant au dossier administratif que le demandeur ne s’est pas présenté à l’entretien prévu le 6 mai 2025 auprès de la direction générale de l’Immigration en vue de déterminer l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale en application des dispositions du règlement Dublin III, auquel il avait été convoqué par courrier du 28 avril 2025, lui notifié en mains propres le même jour, sans toutefois s’être excusé ou fournir des explications justifiant son absence.
Dans ces conditions, il ne saurait être reproché à l’autorité ministérielle de ne pas avoir voulu mener un entretien individuel avec le demandeur afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable en application du règlement Dublin III, étant, à cet égard, précisé que le paragraphe (2), point b) de l’article 5 du même règlement prévoit qu’un entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque, après avoir reçu les informations visées à l’article 4, le demandeur a déjà fourni par d’autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l’Etat membre responsable, ce qui est le cas en l’espèce dans la mesure où l’intéressé a remis au ministère, lors du dépôt de sa demande de protection internationale, notamment son permis de résidence maltais expiré depuis le 9 septembre 2023.
Le moyen fondé sur une prétendue violation de l’article 5, paragraphes (1) et (3) du règlement Dublin III en raison de l’absence d’un entretien individuel est dès lors rejeté.
Quant à la légalité interne de la décision déférée A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’il n’est pas tenu par l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
7En vertu de l’article 12 (1) du règlement Dublin III, « (…) Si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’Etat membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. ».
L’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités maltaises pour prendre en charge Monsieur (A), prévoit que « Si le demandeur est seulement titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des États membres. (…) ».
Il suit de ces dispositions que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui qui a délivré au demandeur un titre de séjour dont la validité a expiré depuis moins deux ans, aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des Etats membres.
Le tribunal constate de prime abord que la décision de transférer le demandeur vers Malte et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur (A), mais Malte, étant donné que cet Etat membre lui avait délivré un titre de séjour valable jusqu’au 9 septembre 2023 et que les autorités maltaises avaient accepté sa prise en charge le 17 juin 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale, étant, à cet égard, relevé que le demandeur ne conteste pas en l’espèce l’applicabilité de l’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III, mais soutient que son transfert vers Malte violerait l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ainsi que, de l’entendement du tribunal, l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du même règlement et les articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-
après désignée par la « CEDH », et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte ».
A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
Pour autant qu’à travers ses développements selon lesquels une acceptation de prise en charge d’un demandeur de protection internationale par un Etat membre pourrait être remise en cause par celui-ci lorsqu’il existerait des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, 8le demandeur ait entendu se prévaloir des dispositions de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non expressément invoquées en l’espèce, le tribunal relève qu’aux termes de cet article : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.
La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.
A cet égard, le tribunal est amené à rappeler que Malte est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par la « Convention torture », ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par la « Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats membres, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants.
Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la Convention de Genève ainsi qu’à la CEDH. Cette présomption peut toutefois être renversée lorsqu’il y a lieu de craindre qu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.
2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, pt. 78.
9d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il y a lieu d’apprécier dans chaque cas, au vu des pièces communiquées, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités répondent à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile.
Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives3, reposant elle-même sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE »4, ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt du 16 février 20175.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20196 que pour relever de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine7. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant8.
En l’espèce, étant donné que le demandeur remet en question cette présomption du respect par Malte des droits fondamentaux, puisqu’il fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation à Malte, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.
3 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.ja.etat.lu.
4 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.
5 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.
6 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
91.
7 Ibidem., pt. 92.
8 Ibidem, pt. 93.
10Or, force est de constater que le demandeur ne produit aucun élément probant, tel que des rapports d’organisations internationales, qui permettrait d’appuyer son argumentation fondée sur l’existence, à Malte, de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, qui atteindraient le seuil de gravité tel que décrit ci-avant, de même qu’il n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dénommée ci-après la « CourEDH », relative à une suspension générale des transferts vers Malte, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, dénommé ci-après l’« UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers Malte dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile maltaise qui exposerait les demandeurs de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.
En effet, le demandeur n’a pas fourni le moindre élément probant qui serait de nature à établir qu’à l’heure actuelle, l’Etat maltais connaîtrait de manière générale des défaillances systémiques en ce sens que les conditions matérielles des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure, d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH.
Le demandeur n’a plus particulièrement fourni aucun élément objectif tangible permettant de retenir que les droits des demandeurs de protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés à Malte, ou encore que ceux-ci n’auraient dans ce pays aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités maltaises en usant des voies de droit adéquates, étant rappelé que Malte est signataire de la Charte et de la CEDH et qu’elle est, en tant que membre de l’Union européenne, tenue au respect des dispositions de celles-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques, de la Convention torture et de la Convention de Genève.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, à Malte, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.
Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par 11la CEDH n’étant en effet pas irréfragable9.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte10, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant11.
Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé12.
Or, en l’espèce, le tribunal constate que le demandeur se limite à affirmer de manière péremptoire que ses droits les plus élémentaires ne seraient pas respectés à Malte, sans préciser en quoi consisteraient concrètement ces prétendus non-respects, les seules affirmations non autrement circonstanciées selon lesquelles il aurait vécu dans ce pays dans la clandestinité, la précarité et l’insécurité et qu’il craindrait pour son intégrité physique, voire pour sa vie étant largement insuffisantes à cet égard. Il ne se dégage, en effet, pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement les droits du demandeur n’auraient pas été respectés lors de son arrivée sur le territoire malte, d’autant plus qu’il a pu y travailler sur base d’une autorisation de séjour.
A cet égard, il y a plus particulièrement lieu de relever qu’outre le fait qu’il n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour à Malte, de sorte qu’il ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale de ce pays au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III qu’il aurait personnellement pu y rencontrer, il n’a, qui plus est, pas fait état de problèmes particuliers qu’il aurait personnellement rencontrés à Malte, notamment pour y déposer une demande de protection internationale. Il ressort, au contraire, des déclarations du demandeur devant l’agent de police le 28 avril 2025 que celui-ci a quitté Malte, où il avait obtenu un titre de séjour, après avoir mis fin au contrat de travail qu’il avait conclu avec une entreprise d’électricité et de climatisation en raison d’insultes proférées à son encontre de la part de son employeur13, sans faire état de son souhait d’y déposer une demande de protection internationale.
9 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09 10 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.
11 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
88.
12 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.
13 Page 2/2 du rapport d’audition.
12En ce qui concerne encore l’état de santé de Monsieur (A), le tribunal relève qu’il ne se dégage pas de la jurisprudence de la CJUE14 que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour le traitement de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé, pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé. En effet, suivant la jurisprudence de la CJUE, ce n’est que si un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, que les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée15.
La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposant, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.
Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.
En l’espèce, force est de constater que si l’intéressé affirme certes dans son recours avoir des problèmes de santé qui s’opposeraient à son transfert vers Malte, celui-ci reste toutefois en défaut de les préciser, voire de les établir concrètement, alors qu’aucun certificat médical en ce sens n’est versé par lui. Il ne ressort, dès lors, pas des éléments soumis au tribunal par le demandeur qu’un transfert de celui-ci vers Malte pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers ce pays.
Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur reste en défaut de verser une quelconque pièce, voire de soumettre un quelconque élément concret, qui permettrait au tribunal de conclure qu’il ne pourrait pas bénéficier à Malte des soins médicaux dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.
14 Voir en ce sens CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75.
15 Trib. adm., 8 janvier 2020, n° 43800 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu, ayant repris ces principes.
13Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale, au système de santé maltais, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités maltaises en usant des voies de droit internes, voire devant les instances européennes adéquates.
A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose de toute façon pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers Malte par le biais de la communication aux autorités maltaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.
Partant, le tribunal est amené à retenir qu’il ne se dégage pas des éléments lui soumis que le demandeur se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière s’opposant à son transfert vers Malte.
Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert à Malte, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation, par la décision ministérielle litigieuse, des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, pris isolément, est à rejeter.
En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […]. », il y a lieu de relever que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres16, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné par la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201717.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la 16 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
17 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 88 et 97.
14satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge18, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration19.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise par rapport à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation qu’il estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur alors même que cet examen incombe aux autorités maltaises.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 30 juillet 2025 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 juillet 2025 Le greffier du tribunal administratif 18 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.
19 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.