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30/07/2025 | LUXEMBOURG | N°53125

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 juillet 2025, 53125


Tribunal administratif N° 53125 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:53125 Chambre de vacation Inscrit le 4 juillet 2025 Audience publique de vacation du 30 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 53125 du rôle et déposée le 4 juillet 2025 au greffe du tri

bunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau d...

Tribunal administratif N° 53125 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:53125 Chambre de vacation Inscrit le 4 juillet 2025 Audience publique de vacation du 30 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 53125 du rôle et déposée le 4 juillet 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Maroc) et d’être de nationalité marocaine, connu sous différents alias, actuellement assigné à résidence à la maison retour sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 20 juin 2025 de le transférer vers la Bulgarie comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nur CELIK, en remplacement de Maître Lukman ANDIC, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 juillet 2025.

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Le 22 mai 2025, Monsieur (A), connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit des demandes de protection internationale en Bulgarie le 26 août 2024, en Croatie le 26 septembre 2024, en Slovénie le 30 septembre 2024 et en Italie le 6 novembre 2024, tandis qu’une recherche dans la base de données VIS montra qu’il s’était vu refuser, en date du 28 février 2024, la délivrance d’un visa par l’Espagne.

1Le 26 mai 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

Le 30 mai 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues bulgares une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers, sur le même fondement, par courrier du 2 juin 2025.

Par arrêté du 19 juin 2025, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur (A) à la maison retour pour une durée de trois mois.

Par décision du 20 juin 2025, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Bulgarie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 22 mai 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d et du règlement (UE) 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Bulgarie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains, le rapport de Police Judiciaire du 22 mai 2025 ainsi que le rapport d'entretien Dublin III du 26 mai 2025 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 22 mai 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale sur le territoire des Etats membres en Bulgarie en date du 26 août 2024, une demande en Croatie en date du 26 septembre 2024, une demande en Slovénie en date du 30 septembre 2024 et une demande en Italie en date du 6 novembre 2024.

2 Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable de l'examen de votre demande de protection internationale introduite au Luxembourg, un entretien Dublin III a été mené en date du 26 mai 2025.

Sur base des éléments à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités bulgares en date du 30 mai 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités bulgares en date du 2 juin 2025.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 22 mai 2025 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale sur le territoire des Etats membres en Bulgarie en date du 26 août 2024, une demande en Croatie en date du 26 septembre 2024, une demande en Slovénie en date du 30 septembre 2024 et une demande en Italie en date du 6 novembre 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d'origine le 13 août 2024 pour vous rendre en Turquie par avion. Après deux semaines sur le territoire turc, vous auriez 3traversé la frontière bulgare à pied de manière irrégulière et vous seriez entré sur le territoire des Etats membres en Bulgarie. A la frontière, la police bulgare vous aurait interceptée et vous aurait obligé à donner vos empreintes. Selon vos dires, un agent de police vous aurait blessé à l'épaule. Vous ne seriez pas resté en Bulgarie et auriez continué votre chemin vers la Croatie, en passant par la Serbie et la Bosnie.

Monsieur, vous avez introduit des demandes de protection internationale en Bulgarie, en Croatie, en Slovénie et en Italie. Vous n'auriez pas attendu de réponses à ces demandes, mais vous auriez continué votre trajet vers le Luxembourg, où vous seriez arrivé en date du 22 mai 2025.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 26 mai 2025, vous déclarez être en bonne santé, mais vous auriez été blessé à l'épaule par un policier en Bulgarie. Cependant, vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Bulgarie qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez que s'il s'avère que vous devriez retourner en Bulgarie, vous chercheriez de l'aide auprès d'organisations et d'un avocat.

Rappelons à cet égard que la Bulgarie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture ».

Il y a également lieu de soulever que la Bulgarie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Bulgarie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la Bulgarie est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la CourEDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Bulgarie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires bulgares.

4Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Bulgarie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Finalement, relevons également qu'en avril 2023, chaque Etat membre, y compris la Bulgarie, a rédigé en collaboration avec la Commission européenne et l'Agence de l'Union européenne pour l'Asile, un document officiel intitulé « information on procedural elements and rights of applicants subject to a Dublin transfer », dans lequel des informations reflétant à la fois les dispositions légales ainsi que leur mise en oeuvre, ont été mises à la disposition de tous les Etats membres. Ensemble avec tous les autres Etats membres, la Bulgarie s'est engagée à fournir des informations exactes et actualisées quant aux conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale faisant l'objet d'un transfert vers la Bulgarie. Ce document retient que les personnes qui sont transférées vers la Bulgarie dans le cadre du règlement Dublin III ont droit à un logement ainsi qu'aux conditions matérielles d'accueil incluant une prise en charge médicale après avoir exprimé l'intention d'introduire une demande de protection internationale.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Notons dans ce contexte que bien qu'il soit compréhensible que vous voudriez rejoindre vos membres de familles qui résident ici au Luxembourg, il y a lieu de constater que vous êtes majeur d'âge et capable de vivre seul sans l'assistance d'un membre de famille. Ainsi, rien n'empêche votre transfert vers la Bulgarie.

Pour l'exécution du transfert vers la Bulgarie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la Bulgarie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s'avérer nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendrait en compte votre état de santé lors de 5l'organisation du transfert vers la Bulgarie en informant les autorités bulgares conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités bulgares n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 20 juin 2025.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en expliquant avoir subi, d’une part, des violences policières en Bulgarie où un policier lui aurait asséné un coup de matraque sur l’épaule, et, d’autre part, un refoulement en Croatie. Il précise ne pas être d’accord avec la motivation avancée dans la décision ministérielle litigieuse consistant à retenir la compétence des autorités bulgares afin de connaître de sa demande de protection internationale et sollicite, en conséquence, à ce que le tribunal de céans procède à un examen plus approfondi en fait et en droit.

En droit, le demandeur se prévaut d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, d’une violation des articles 3 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée la « CEDH », ainsi que d’une violation de l’article 17 du règlement Dublin III.

S’agissant, en premier lieu, de la violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le demandeur reproche au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation de sa situation particulière, tant au regard des conditions matérielles d’accueil que des défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Bulgarie, ainsi que de s’être abstenu de procéder à un examen rigoureux et approfondi de la situation prévalant dans ce pays. Il souligne le caractère réfragable de la présomption de respect des droits fondamentaux par les Etats membres, en se fondant sur les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10 et C-493/10, N. S. e.a., ainsi que du 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, tout en relevant, par renvoi, à cet égard, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après désignée par la « CourEDH », que les Etats-membres devraient renoncer au transfert de demandeurs de protection internationale en cas de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil dans l’Etat de destination, entraînant une violation des droits fondamentaux des personnes concernées.

En se basant sur un rapport de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés, ci-après désignée par l’« OSAR », du 6 août 2023, intitulé « BULGARIE - Situation actuelle des personnes requérants d’asile et des personnes au bénéfice d’un statut de protection transférées en vertu du règlement Dublin III ou d’accords bilatéraux de réadmission, y compris jurisprudence en la matière », le demandeur explique qu’en Bulgarie il y aurait de nombreuses 6difficultés auxquelles seraient exposés les demandeurs de protection internationale. Il fait plus particulièrement référence au fait qu’il n’y aurait pas d’hébergement spécial pour les personnes de retour en Bulgarie après un transfert dans le cadre du règlement Dublin III et que la législation bulgare autoriserait la révocation des conditions d’accueil si une « personne d’asile a été suspendue à la suite de la disparition de la personne requérante ». En pratique, ce droit de révocation serait appliqué aux personnes ayant fait l’objet d’un transfert dans le cadre du règlement Dublin III, mais que des exceptions seraient possibles pour des familles avec enfants et des personnes vulnérables. Les personnes ne bénéficiant pas d’un hébergement dans un centre d’accueil ne recevraient pas non plus à boire ou à manger et ne bénéficieraient d’aucun soutien psychologique. Le demandeur soutient qu’il y aurait des raisons légitimes de douter qu’une personne transférée en Bulgarie aurait accès aux conditions minimales d’accueil. Le même rapport ferait encore état de violences policières systématiques aux postes de frontière en Bulgarie et préciserait que les personnes renvoyées en Bulgarie, dans le cadre du règlement Dublin III, et dont la demande de protection internationale n’y aurait pas encore fait l’objet d’un rejet, n’auraient accès à une place d’hébergement et à des repas en Bulgarie qu’en fonction des capacités d’accueil nationales et des disponibilités, lesquelles seraient cependant limitées en raison de la hausse constante du nombre de nouveaux arrivants. Par ailleurs, en ce qui concerne les conditions de traitement des demandes de protection internationale en Bulgarie, le rapport de l’OSAR mettrait en exergue une défaillance au niveau de l’entretien des demandeurs de protection internationale, dans la mesure où les services d’interprètes seraient d’une qualité médiocre, respectivement défaillants.

Le demandeur soutient encore que les services de santé en Bulgarie seraient insuffisants en raison d’un manque de personnel qualifié et de ressources financières, ce qui affecterait tant la population locale que les demandeurs de protection internationale, tout en invoquant, dans ce contexte, sa blessure à l’épaule causée par des policiers bulgares pour laquelle il n’y aurait pas pu bénéficier de soins.

Le demandeur se prévaut finalement, dans le cadre de son moyen basé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, (i) sur un jugement du tribunal administratif du 11 février 2025, inscrit sous le numéro 52216 du rôle, ayant annulé une décision de transfert vers la Bulgarie, (ii) sur une recommandation du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ci-après désigné par l’« UNHCR », du 2 janvier 2014 de suspendre les transferts vers la Bulgarie, ainsi que (iii) sur un article de presse de l’OSAR du 19 février 2020 et intitulé « Renoncer aux transferts Dublin vers la Bulgarie », faisant état d’un jugement du tribunal administratif suisse ayant retenu l’existence, en Bulgarie, de défaillances systémiques quant aux conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.

En second lieu, le demandeur conclut à la violation, par la Bulgarie, de l’article 3 de la CEDH, en raison des conditions d’accueil et d’hébergement des demandeurs de protection internationale y régnant. Le demandeur, après avoir cité, d’une part, un arrêt de la CourEDH du 2 juillet 2020, affaire N.H. et autres c. France, ayant retenu une violation, par la France, de l’article 3 de la CEDH en raison de la circonstance que des demandeurs de protection internationale y auraient dû vivre, pendant une période prolongée, dans la rue, ainsi que, d’autre part, un arrêt n°C-578/16 de la CJUE du 16 février 2017, affaire C.K.H. A.S. c. Republika Slovenija, en vertu duquel l'existence de défaillances systémiques dans l'Etat membre responsable ne serait pas seule susceptible d'affecter l'obligation de transfert d'un demandeur d'asile vers cet Etat membre, au regard du caractère absolu de l'interdiction de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte », se base, à nouveau sur le rapport de l’OSAR du 6 août 2023, sur une recommandation de 7l’UNHCR de 2014 et sur une publication de l’OSCAR de 19 février 2020, pour faire valoir que la Bulgarie connaîtrait des défaillances systémiques en ce que (i) la police bulgare commettrait des violences lors des opérations de contrôle aux frontières, (ii) les conditions d'accueil, de subsistances et d'accès aux soins ne seraient pas satisfaites, (iii) l'accès au travail ne serait pas satisfaisant, (iii) la Bulgarie violerait le principe de non-refoulement des demandeurs de protection internationale, et en ce que (iii) les propos des demandeurs de protection internationale dans le cadre de leur entretien individuel concernant les motifs de leur demande de protection internationale ne feraient pas l’objet d’une traduction convenable.

Le demandeur fait encore valoir, sur base de la jurisprudence de la CJUE, ainsi que du rapport, précité, de l’OSAR du 6 août 2023, que la Bulgarie violerait l’article 13 de la CEDH en n’assurant pas le droit à un recours effectif aux demandeurs de protection internationale, en raison de la circonstance (i) que la Bulgarie aurait procédé à des pushbacks, (ii) que les propos des demandeurs de protection internationale dans le cadre de leur entretien individuel concernant les motifs de leur demande de protection internationale ne feraient pas l’objet d’une traduction convenable et (iii) que la Bulgarie suspendrait, respectivement mettrait directement fin à la procédure d’asile lorsque le demandeur de protection internationale concerné quitterait le territoire bulgare avant la fin de la procédure.

Le demandeur conclut finalement à une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III en faisant valoir que le ministre, dans le cadre de la décision déférée, n’aurait pas pris en compte les circonstances dans lesquelles il aurait vécu en Bulgarie, de sorte que la décision litigieuse serait à réformer de ce chef.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement, la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités bulgares pour le traitement de la demande de protection internationale du demandeur, respectivement de ses suites, prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers la Bulgarie et de ne pas examiner sa demande de protection 8internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait la Bulgarie, en ce qu’il y avait introduit une demande de protection internationale le 26 août 2024 et que les autorités bulgares avaient accepté sa reprise en charge le 2 juin 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Force est de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de la Bulgarie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais invoque l’existence en Bulgarie de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au sens de l’article 2, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, un risque de subir, en cas de transfert vers ce pays, des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH, ainsi qu’une violation de son droit à un recours effectif consacré à l’article 13 de la CEDH - étant relevé que le tribunal doit constater que la violation du prédit article de la CEDH n’est invoquée qu’en tant qu’argumentation censée prouver l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Bulgarie, de sorte à devoir faire l’objet d’une analyse dans le cadre du moyen du demandeur basé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, et non pas en tant que moyen autonome visant directement la décision déférée du 20 juin 2025. Finalement, le demandeur invoque encore une violation de l’article 17 du règlement Dublin III.

A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En ce qui concerne l’invocation, par le demandeur, de défaillances systémiques en Bulgarie dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que celui-ci prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale de s’abstenir de transférer 9l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.

A cet égard, le tribunal relève que la Bulgarie est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par la « Convention contre la torture », ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par la « Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4. Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

3 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

10l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.

En l’espèce, le tribunal constate qu’il ressort certes du rapport de l’OSAR du 6 août 2023 invoqué par le demandeur que les autorités bulgares connaissent de sérieux problèmes quant à leur politique d’asile actuelle, dans la mesure où il y est fait référence, notamment, à certaines pratiques inacceptables de la part de ces autorités, telles que des « pushbacks » violents aux frontières du pays.aux conditions de vie difficiles régnant dans les centres d’hébergement pour demandeurs d’asile, ainsi qu’aux difficultés auxquelles les demandeurs peuvent, selon le cas de figure, être exposés pour obtenir un hébergement dans un tel centre et pour accéder aux soins médicaux.

Il n’en reste pas moins qu’au regard du seuil de gravité fixé par la CJUE, ce même rapport n’est pas suffisant pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Bulgarie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour 6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10 Ibidem, pt. 92.

11 Ibidem, pt. 93.

11l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur selon lesquels la législation bulgare autoriserait la révocation des conditions d’accueil si une demande d’asile a été suspendue en raison de la disparition de la personne concernée, tel que cela ressortirait du rapport, précité, de l’OSAR du 6 août 2023, alors que le demandeur ne se trouve pas dans une telle situation, étant donné que sa demande de protection internationale a déjà été refusée au fond par les autorités bulgares compétentes. En effet, il échet de constater que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale en Bulgarie, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précité.

En effet, il échet de constater que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale en Bulgarie, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précité. En tout état de cause, le tribunal doit encore relever, dans ce contexte, qu’au regard du transfert accepté par les autorités bulgares le risque pour le demandeur d’être exposé à un refoulement direct à la frontière bulgare, respectivement de subir, lors de son transfert vers la Bulgarie, des violences policières contre lesquelles il ne disposerait pas de recours effectif est à exclure.

En cas de transfert vers la Bulgarie, il devra, dans ces conditions, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur de protection internationale débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.

En effet, la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), prévoit explicitement la faculté de « limiter les possibilités d’abus du système d’accueil en précisant les circonstances dans lesquelles le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs peut être limité ou retiré, tout en garantissant un niveau de vie digne à tous les demandeurs »12. L’article 20 de cette directive prévoit, pour sa part, explicitement la possibilité pour les Etats membres notamment de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur « a) abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue » ou encore « c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive 2013/32/UE ».

12 Considérant n° 25.

12De même, si le 11ème considérant du règlement Dublin III prévoit explicitement que la directive Accueil est applicable aux demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin, il admet également explicitement l’application des limitations figurant dans cette même directive.

Le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, y compris l’hébergement, ne constitue ainsi pas un droit absolu, de sorte que la limitation de ce bénéfice ne saurait per se constituer une violation de l’article 4 de la Charte.

Par ailleurs, le tribunal relève que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») relative à une suspension générale des transferts vers la Bulgarie, voire une demande actuelle en ce sens de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la Bulgarie de ressortissants marocains dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile bulgare qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte. Le tribunal doit encore relever, dans ce contexte, que la recommandation de l’UNHCR du 2 janvier 2014, tel qu’invoquée par le demandeur, n’est pas de nature à invalider la conclusion ci-avant retenue, dans la mesure où la prédite recommandation est trop éloignée dans le temps et ne reflète plus la situation existant actuellement en Bulgarie en ce qui concerne la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, constat qu’il y a également lieu de réitérer en ce qui concerne la publication de l’OSAR du 19 février 2020.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Bulgarie, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays, surtout qu’il ressort du rapport d’audition devant la direction générale de l’Immigration du demandeur du 26 mai 2025 que ce dernier a été hébergé dans des foyers pour demandeurs de protection internationale lors de son séjour en Bulgarie. En ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle les autorités bulgares connaîtraient d’importantes difficultés, en ce qui concerne les services d’interprètes dans le cadre de l’audition des demandeurs de protection internationale, le tribunal doit encore relever qu’il ressort du rapport de l’OSAR du 6 août 2023 que l’interprétation, en Bulgarie, se fait essentiellement depuis l’anglais, respectivement le français et l’arabe, soit au moins deux langues que le demandeur maîtrise13, de sorte qu’aucune défaillance systémique affectant, en Bulgarie, la situation personnelle du demandeur ne saurait être retenue de ce chef. Pour les mêmes raisons, l’argumentation du demandeur fondée sur l’article 13 de la CEDH encourt le rejet pour manquer de fondement.

Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par 13 Dans le cadre de son audition auprès du ministère en date du 26 mai 2025, le demandeur a communiqué en anglais et a reconnu que « The interview was conducted in english, a language i speak fluently and there was no problem of understanding between the parties present and me » (page 9 du rapport d’audition).

13la CEDH n’étant en effet pas irréfragable14.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte15, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant.16 En l’espèce, le tribunal constate, au regard des constats ci-avant effectués, qu’il ne ressort pas des éléments soumis à son appréciation qu’au cours du séjour du demandeur en Bulgarie, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur ayant trait à une nécessaire prise en considération de son état de santé, le tribunal relève que dans son arrêt, précité, du 16 février 2017, la CJUE a mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, que les Etats membres liés par la directive 2013/33 sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats (…) ». Elle a retenu ensuite que « (…) dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. (…) »17. Dans une telle situation, il appartiendra 14 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

15 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

16 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88.

17 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.

14aux autorités concernées « (…) d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert (…) »18.

Ainsi, cet arrêt concerne l’hypothèse particulière dans laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourraient entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée19.

Or, force est de constater, qu’en l’espèce, il ne ressort d’aucune pièce soumise par le demandeur à l’appréciation du tribunal que son transfert vers la Bulgarie pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers la Bulgarie et qu’il ne serait pas en mesure d’obtenir les soins nécessaires à son arrivée dans ce pays.

Si le demandeur verse certes en cause des documents concernant ses problèmes médicaux à l’épaule, lesdits documents ne portant que sur une radiographie, respectivement que sur un scanner de l’épaule gauche, sans comporter d’indication quant aux problèmes actuels dont le demandeur souffrirait, respectivement quant au traitement à lui prodiguer de ce chef, de sorte que ces documents ne permettent pas au tribunal d’apprécier la nature exacte et la gravité de l’état de santé du demandeur, ni de retenir que son état de santé nécessiterait un traitement ou suivi médical spécifique qui, en cas d’interruption, serait de nature à impacter son état de santé de manière irrémédiable et significative.

De plus, le demandeur n’a pas fait état lors de son entretien Dublin III auprès de la direction générale de l’Immigration en date du 26 mai 2025 de la nécessité de bénéficier d’un suivi médical spécifique et il est a fortiori resté en défaut d’établir qu’un tel traitement ne serait pas disponible en Bulgarie.

Ainsi, le demandeur n’a pas fourni d’éléments objectifs qui seraient de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et a fortiori les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner le transfert sur lui.

Il résulte des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas démontré que, dans son cas précis, ses droits ne seraient pas garantis en cas de retour en Bulgarie.

18 Ibidem, points 76 à 85 et point 96.

19 Ibidem, point 83.

15Dans ce contexte le tribunal rappelle que la Bulgarie est signataire de la Charte, de la CEDH, de la Convention contre la torture et de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censée en appliquer les dispositions. Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide croate est à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités bulgares en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates.

Finalement, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32 (1), alinéa 1er une obligation à la charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers la Bulgarie par le biais de la communication aux autorités bulgares des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

S’agissant de l’argumentation du demandeur ayant trait à une violation du principe de non-refoulement, le tribunal relève que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202320, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat membre requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat membre, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat membre requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale. Des divergences d’opinion entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat membre requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.

Par ailleurs, et en tout état de cause, le tribunal se doit de relever que la décision ministérielle déférée n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur mais désigne uniquement l’Etat responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, ainsi que de ses suites, étant souligné que ledit Etat, en l’occurrence la Bulgarie, a reconnu être compétent pour reprendre le demandeur en charge.

Le tribunal relève ensuite que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un risque d’être renvoyé arbitrairement dans son pays d’origine par les autorités bulgares. Il ne fournit plus particulièrement aucun élément de nature à démontrer que la Bulgarie ne respecterait pas le principe de non-refoulement à son égard et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son 20 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-315/21 et C-328/21.

16intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.

Par ailleurs, il n’appert de toute façon pas que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant, tel que relevé ci-dessus, précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only », le règlement Dublin III cherchant, en effet, à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat de leur choix.

A cela s’ajoute que si les autorités bulgares devaient néanmoins décider de le rapatrier en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, respectivement de l’article 33 de la Convention de Genève, alors même que dans son pays d’origine, il serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie et son intégrité physique, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités bulgares en usant des voies de droit adéquates.

Par ailleurs, même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait possible au demandeur de saisir la CourEDH pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de demander aux autorités bulgares de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

L’argumentation ayant trait à une violation du principe de non-refoulement est, au vu des développements faits ci-avant, à rejeter pour ne pas être fondée.

Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé à un risque réel de subir personnellement et concrètement des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert vers la Bulgarie, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

En ce qui ensuite le moyen fondé sur une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, il y a lieu de relever que celui-ci dispose comme suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.

(…) ».

A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres21, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201722.

21 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

22 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

17Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge23, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration24.

Or, force est au tribunal de constater qu’il vient d’être retenu qu’un transfert du demandeur vers la Bulgarie n’est pas de nature à l’exposer à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, alors que, d’une part, la preuve de défaillances systémiques en Bulgarie dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, n’a pas été rapportée en l’espèce et, d’autre part, le demandeur n’a pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, plus particulièrement au regard de son état de santé, un transfert vers la Bulgarie l’exposerait à un tel risque, nonobstant le constat de l’absence de défaillances systémiques, au sens de cette dernière disposition du règlement Dublin III, de sorte qu’aucune violation de ses droits ne saurait être retenue, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur soutient que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur alors même que cet examen incombe aux autorités bulgares.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 30 juillet 2025 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, 23 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.

24 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.

18en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 juillet 2025 Le greffier du tribunal administratif 19


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 53125
Date de la décision : 30/07/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-07-30;53125 ?

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