Tribunal administratif N° 53182 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:53182 chambre de vacation Inscrit le 16 juillet 2025 Audience publique du 23 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 53182 du rôle et déposée le 16 juillet 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Nigéria), et être de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 4 juillet 2025 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de ladite décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en sa plaidoirie à l’audience publique du 23 juillet 2025, Maître Eric SAYS n’ayant été ni présent, ni représenté.
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Le 4 juillet 2025, Monsieur (A) fit l’objet d’un contrôle policier, lors duquel il ne put présenter de documents d’identité ou de voyage valables, mise à part une attestation de demande d’asile délivrée par les autorités françaises le 17 juin 2025 et valable jusqu’au 16 décembre 2025.
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois irrégulier et lui ordonna de quitter le territoire sans délai.
Par un arrêté ministériel séparé, toujours du 4 juillet 2025, également notifié à l’intéressé ce jour-là, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2003 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport numéro … du … juillet 2025 établi par la Police grand-ducale, Région Capitale, Commissariat Luxembourg ;
Considérant que l'intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juillet 2025, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 4 juillet 2025, ayant ordonné son placement au Centre de rétention.
Étant donné que l’article 123 (1) de loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant qu’il existerait dans son chef un danger de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le demandeur soulignant qu’il disposerait d’une attestation de demande d’asile française valable jusqu'au 16 décembre 2025.
Enfin, le demandeur conteste que les démarches nécessaires auraient été entamées afin d’exécuter son éloignement. Dès lors, le placement au Centre de rétention ne serait pas justifié, de sorte que la décision ministérielle du 4 juillet 2025 serait à réformer.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Appréciation du tribunal C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3 g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.
Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
En ce qui concerne la question de l’existence, dans le chef du demandeur, d’un risque de fuite, le tribunal relève qu’en l’espèce, il est constant que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, une décision de retour ayant été prise à son encontre le 4 juillet 2025, sur le fondement des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008, ainsi que sur base de la considération qu’il ne dispose ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité, qu’il reste en défaut de justifier l’objet et les conditions envisagées de son séjour, ainsi que des ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans son pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission serait garantie et, finalement, qu’il ne dispose pas d’une autorisation de séjour valable, respectivement d’une autorisation de travail, ladite décision comportant en outre l’obligation dans le chef de l’intéressé de quitter sans délai le territoire luxembourgeois.
Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c) 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé (…) s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure notamment celle d’être en possession d’un passeport et d’un visa en cours de validité, telle que prévue au (2) 1. de la disposition légale en question.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.
Il aurait, par conséquent, appartenu au demandeur de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser la présomption de risque de fuite dans son chef, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’il reste, toutefois, en défaut de faire.
Les contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont partant rejetées.
Sur base des mêmes considérations, il y a lieu de constater qu’aucune mesure moins coercitive qu’un placement aurait pu être prise à l’égard du demandeur en application de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, le demandeur ne présentant en effet pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite.
Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal relève que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.
En ce qui concerne les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal constate qu’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC en date du 10 juillet 2025 a révélé que l’intéressé avait introduit des demandes de protection internationale en Italie les 19 avril et 25 mai 2017, ainsi qu’en France le 12 janvier 2022. Force est encore au tribunal de constater qu’en date du 11 juillet 2025, les autorités luxembourgeoises ont adressé à leurs homologues français une demande de reprise en charge du demandeur, sur base des articles 18 (1) b), 24 (1) et 28 (3) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », et qu’elles sont actuellement toujours dans l’attente d’une réponse de la part des autorités françaises.
Au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, tributaire à ce stade de la collaboration des autorités françaises, le tribunal est amené à conclure que les démarches entreprises en l’espèce doivent être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008. Les contestations afférentes du demandeur sont, dès lors, à rejeter.
Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 juillet 2025 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Laura URBANY, premier juge, Emilie DA CRUZ DE SOUSA, premier juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 juillet 2025 Le greffier du tribunal administratif 5