Tribunal administratif N° 49460 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49460 4e chambre Inscrit le 21 septembre 2023 Audience publique de vacation du 23 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 47 (4), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49460 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2023 par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant à …, tendant, d’après son dispositif, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 août 2023 portant retrait du statut de réfugié à son encontre et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en sa plaidoirie à l’audience publique du 20 mai 2025.
Le 10 septembre 2015, Monsieur (A) et son épouse, Madame (B), introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 27 décembre 2016, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », informa Monsieur (A), Madame (B), ainsi que leur fille mineure (C), entretemps née au Luxembourg, ci-après désignés par « les consorts (A) », que leurs demandes de protection internationales avaient été déclarées non fondées, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours à compter du jour où la décision sera devenue définitive.
Suite au recours contentieux introduit par les consorts (A), le tribunal administratif, par un jugement du 11 juillet 2017, inscrit sous le numéro 39046 du rôle, annula, dans le cadre du recours en réformation, la décision ministérielle du 27 décembre 2016 portant refus de leurs demandes de protection internationale, de même que l’ordre de quitter le territoire contenu dans 1le même acte.
Par une première décision du 8 septembre 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile refusa à nouveau de faire droit à la demande de protection internationale de Madame (B).
Par une deuxième décision du 8 septembre 2017, le ministre accorda le statut de réfugié à Monsieur (A) et à sa fille mineure, (C).
Par jugement du 2 mai 2018, inscrit sous le numéro 40273 du rôle, le tribunal administratif accorda, par réformation de la première décision précité du 8 septembre 2017, le statut de réfugié à Madame (B), tout en annulant, dans le cadre du recours en réformation, l’ordre de quitter le territoire y attaché.
Par une décision du 9 mai 2018, le ministre accorda le statut de réfugié à la fille mineure de Monsieur (A), (D), née le … 2018 à Luxembourg.
Par un arrêt du 4 octobre 2018, inscrit sous le numéro 41215C du rôle, la Cour administrative déclara, par réformation du jugement précité du 2 mai 2018, non fondé le recours de Madame (B) dirigé contre la décision précitée du 8 septembre 2017, ayant refusé de faire droit à sa demande de protection internationale.
Par un courrier du 25 octobre 2018, le litismandataire de l’époque de Madame (B) demanda au ministre d’accorder un report à l’éloignement à sa mandante, demande qui fut acceptée jusqu’au 30 décembre 2018 par une décision du 30 octobre 2018.
Par courrier du 18 juillet 2023, notifié en mains propres le même jour, le ministre informa Monsieur (A) de son intention de lui retirer le statut de réfugié et l’invita à présenter ses observations dans un délai de huit jours. Ce courrier a la teneur suivante :
« (…) Je vous fais parvenir la présente afin de vous informer que je procède conformément aux termes de l'article 33, paragraphes (2) et (3), de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »), au réexamen de la validité de votre statut de réfugié dont vous êtes bénéficiaire depuis le 8 septembre 2017.
Suivant l'article 33 paragraphe (1) de la Loi de 2015 « on entend par retrait de la protection internationale, la décision par laquelle le ministre révoque le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire d'une personne, refuse de le renouveler, ou y met fin conformément aux articles 47 et 52. (…) ».
Selon l'article 47 paragraphe (4) point b) de la Loi de 2015 « Le ministre peut révoquer le statut octroyé à un réfugié :
[…] b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société du pays. ».
2Monsieur, il ressort d'un jugement du Tribunal de district de Tata du 1er octobre 2021, transmis par votre mandataire, que vous avez été arrêté le 26 janvier 2021 et détenu à partir du 28 janvier 2021 par les autorités hongroises.
En date du 1er octobre 2021, vous avez été jugé par ledit Tribunal pour les chefs de trafic d'êtres humains et vous avez été reconnu coupable. Le Tribunal vous a ensuite condamné selon le code pénal hongrois à « un an et huit mois d'emprisonnement et trois ans et quatre mois d'expulsion du territoire de la Hongrie ».
Monsieur, vous avez en l'occurrence été condamné pour une infraction particulièrement abjecte et parfaitement intolérable. En effet, vous avez sciemment et à des seules fins de lucre non seulement profité de la misère humaine pour vous enrichir mais vous avez également en toute connaissance de cause mis la vie de ces personnes vulnérables en danger en tentant de clandestinement les amener en Allemagne via l'Autriche.
Alors qu'il appert donc que vous tombez sous le point b) de l'article 47 paragraphe (4), précité, j'envisage de procéder à la révocation de votre protection internationale.
Je vous informe également que j'envisage de procéder à la révocation de la protection internationale de vos enfants (C), née le … 2016 à Luxembourg, de nationalité syrienne et (D), née le … 2018 à Luxembourg, de nationalité syrienne, toutes les deux bénéficiaires du statut de réfugié depuis les décisions des 8 septembre 2017 et 9 mai 2018.
Dans la mesure où le statut de réfugié de vos deux filles découle de votre propre statut, il est en effet de conséquence qu'un réexamen de leur droit à bénéficier d'une protection internationale s'impose également dans leurs chefs.
En vertu des dispositions de l'article 33 paragraphe (3) de la Loi de 2015, vous êtes invité à faire part des motifs pour lesquels vous estimez qu'il n'y aurait pas lieu de révoquer votre protection. Conformément aux dispositions de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, il vous est loisible de me communiquer vos observations et pièces à l'appui jugées utiles endéans la huitaine de la date de notification de la présente. Vous avez le droit, si vous en faites la demande endéans ce délai, d'être entendu en personne. (…) ».
Suite à une demande y relative de la part de son litismandataire, Monsieur (A) fut entendu en ses observations dans le cadre d’un entretien ayant eu lieu en date du 28 juillet 2023.
Par décision du 24 août 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé en date du 6 septembre 2024, le ministre retira le statut de réfugié à Monsieur (A), tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, dans les termes suivants :
« (…) Je reviens vers vous suite à la missive qui vous a été notifiée en mains propres en date du 18 juillet 2023 et à l'audition qui s'est tenue le 28 juillet 2023 concernant l'intention de vous retirer le statut de réfugié.
3En date du 8 septembre 2017, le statut de réfugié vous a été accordé au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée la « Loi de 2015 »).
Le 18 juillet 2023, vous vous êtes vu notifier, en mains propres, un courrier vous informant de l'intention ministérielle de vous retirer votre protection internationale conformément à l'article 47 de la Loi de 2015 et de votre possibilité de faire parvenir vos observations quant aux faits indiqués dans ce courrier et ce endéans un délai de huit jours. Il vous est en effet reproché d'avoir été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave alors que vous avez été reconnu coupable en Hongrie pour les chefs de trafic d'êtres humains.
En date du 19 juillet 2023, vous avez, par le biais de votre mandataire, manifesté votre volonté d'être entendu en personne afin de prendre position quant aux faits évoqués.
Le 28 juillet 2023, vous avez été entendu par un agent du Ministère. Lors de cette audition, vous avez expliqué avoir loué votre véhicule à un dénommé …, afin de gagner un peu d'argent pour l'envoyer à votre mère en Syrie. Vous continuez en expliquant que ce dernier vous aurait contacté le 21 janvier 2021 afin que vous veniez récupérer votre véhicule en Hongrie, car il aurait été dans l'impossibilité de vous ramener ledit véhicule au Luxembourg.
Vous vous seriez donc rendu en Hongrie pour récupérer votre voiture. Selon vos dires, le dénommé … vous aurait demandé de déposer plusieurs personnes sur votre chemin vers le Luxembourg en vous donnant un point de rendez-vous. Vous seriez monté dans votre voiture et auriez transporté lesdites personnes sans savoir qu'il s'agissait de personnes en séjour irrégulier (p.2/5 du rapport d'entretien concernant la révocation du statut de réfugié). Vous expliquez encore que lors de votre arrestation votre avocat vous aurait suggéré de faire des aveux (p.3/5 du rapport d'entretien concernant la révocation du statut de réfugié).
Je vous informe par la présente que votre protection internationale vous est retirée conformément à l'article 47(4) point b) de la Loi de 2015 qui dispose que « Le ministre peut révoquer le statut octroyé à un réfugié :
[…] b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société du pays.» En effet, il ressort clairement du jugement du Tribunal de district de Tata en Hongrie du 1er octobre 2021, que vous avez été arrêté et détenu par les autorités hongroises et que vous avez été jugé le 1er octobre 2021 pour les chefs de trafic d'êtres humains, faits pour lesquels vous avez été en aveu et pour lesquels vous avez plaidé coupable. Il est donc légitime que le Tribunal vous ait condamné à « un an et huit mois d'emprisonnement et trois ans et quatre mois d'expulsion du territoire de la Hongrie ».
Vos tentatives de justifications avancées au cours de votre entretien du 28 juillet 2023 ne sauraient en rien changé les faits inqualifiables pour lesquels vous avez été condamnés.
4Il s'avère que vous avez en l'occurrence commis une infraction particulièrement abjecte et parfaitement intolérable et pour laquelle vous avez été condamné. En effet, vous avez sciemment et à des seules fins de lucre, alors que 21 billets de 50 euros ont été retrouvés sur vous et confisqués, non seulement profité de la misère humaine pour vous enrichir mais vous avez également en toute connaissance de cause et sans émettre la moindre réticence mis la vie de ces personnes vulnérables en danger en tentant de clandestinement les amener en Allemagne via l'Autriche sur votre chemin de retour vers le Luxembourg.
Ainsi, il convient de souligner que vos actes constituent une des infractions les plus graves et la plus inacceptable qui soit, que ce soit en matière des droits de l'Homme, en matière de droit international ou encore et surtout en matière d'immigration et de protection internationale. En effet, non seulement vous avez commis des infractions sans scrupules, à savoir du trafic d'êtres humains, ceci en abusant de personnes vulnérables, mais vous avez encore l'audace de vouloir profiter des avantages et procédures en matière d'immigration au Luxembourg.
Il est dès lors sans équivoque que vous avez été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave et que vous constituez une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l'intérêt fondamental de la société du Luxembourg.
Par conséquent, le statut de réfugié vous est retiré tel que prévu par l'article 47(4) point b) de la Loi de 2015 et vous êtes, en vertu des dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015 dans l'obligation de quitter le territoire luxembourgeois. Votre comportement et votre énergie criminelle constituant un danger pour l'ordre public, la sécurité publique respectivement la sécurité nationale, il va de soi que vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire sans délai.
Je vous informe également que la protection internationale est retirée à vos enfants (C), née le … 2016 à Luxembourg, de nationalité syrienne et (D), née le … 2018 à Luxembourg, de nationalité syrienne, toutes les deux bénéficiaires du statut de réfugié depuis les décisions des 8 septembre 2017 et 9 mai 2018. Dans la mesure où le statut de réfugié de vos deux filles découle de votre propre statut, il est en effet de conséquence qu'un retrait de leur droit à bénéficier d'une protection internationale s'impose également dans leurs chefs.
Conformément aux termes des articles 47(4), point b), et 47(1) de la Loi de 2015, vos protections internationales sont révoquées.
Vos séjours étant illégaux, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire sans délai à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Syrie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, d’après son dispositif auquel le tribunal est seul tenu, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 24 août 2023 portant retrait de son statut de réfugié et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours visant la décision du ministre portant retrait du statut de réfugié 5Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions portant retrait d’un statut de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre la décision du ministre du 24 août 2023, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur rappelle les rétroactes passés en revue ci-avant.
En droit, le demandeur conclut d’abord à une violation de la loi, alors qu’il conteste tomber sous l'application de l'article 116 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation et l’immigration, dénommée ci-après « la loi du 29 août 2008 », selon lequel pourrait être expulsé, l'étranger dont la présence constitue une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité publique.
En effet, contrairement à ce qui aurait été retenu dans la décision déférée, son comportement ne constituerait pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'ordre public de nature à porter atteinte à l'intérêt fondamental de la société luxembourgeoise.
Il donne à considérer qu’il serait bénéficiaire du statut de réfugié au Luxembourg depuis le 8 septembre 2017 et que sa famille et surtout ses enfants vivraient au Luxembourg, ces dernières étant issues de son union avec son épouse Madame (B) et seraient scolarisées au Luxembourg.
Il fait encore relever qu’il se serait intégré dans la société luxembourgeoise et serait en apprentissage de la langue luxembourgeoise, ce qui démontrerait sa volonté sincère de rester sur le territoire luxembourgeois et de s'y intégrer à long terme.
Le demandeur fait finalement souligner qu’il n'aurait commis aucune nouvelle infraction de ce genre.
Au vu de toutes ces considérations, le demandeur estime que le retrait de son statut de réfugié ainsi que l’ordre de quitter le territoire y attaché seraient disproportionnés.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Il échet d’abord de relever qu’il est constant en cause que le ministre a pris la décision déférée sur base de l'article 33 paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, selon lequel « On entend par retrait de la protection internationale, la décision par laquelle le ministre révoque le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire d'une personne, refuse de le renouveler, ou y met fin conformément aux articles 47 et 52. ».
En effet, il a considéré que le statut de réfugié devait être retiré à Monsieur (A) et à ses enfants sur base de l’article 47, paragraphe (4), point b) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Le ministre peut révoquer le statut octroyé à un réfugié :
(…) 6b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société du pays. ».
Il s’ensuit que le présent litige concerne le retrait d’un statut de protection internationale en application de la loi du 18 décembre 2015 et non une expulsion en application de la loi du 29 août 2008, de sorte que les développements et le moyen relatif à une violation de l’article 116 de cette dernière loi sont d’ores et déjà à rejeter pour manquer de pertinence.
C’est également à bon droit que le délégué du gouvernement a relevé que si dans le dispositif de la requête introductive d’instance, il est encore demandé au tribunal de « dire que le requérant a droit à ce que sa demande de protection internationale soit traitée selon la procédure de l'article 35 (1) de la Loi modifiée du 18 décembre 2015 ;
Voir dire que le requérant a droit au bénéfice de la protection internationale ;
Subsidiairement, voir dire que le requérant a droit au bénéfice de la protection subsidiaire ; », ces demandes de réformation, s’apparentant plutôt à un recours sur base de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 contre une décision prise dans le cadre d’une procédure accélérée, sont totalement étrangères à un litige concernant le retrait d’un statut de réfugié au sens de l’article 33 de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que ces demandes encourent d’ores et déjà le rejet pour manquer de fondement.
Il échet également de relever, à l’instar du délégué du gouvernement, que la requête introductive d’instance est exclusivement introduite au nom de Monsieur (A) et pour le seul compte de ce dernier, alors même que la décision déférée avait également retiré le statut de réfugié à ses deux filles mineures, pour lesquelles ledit retrait n’est dès lors pas mis en cause dans le cadre de la présente procédure.
Au fond, il est constant en cause pour ressortir des pièces du dossier administratif, que le demandeur a été condamné en dernier ressort par un jugement du 1er octobre 2021, portant le numéro …, rendu par le Tribunal de district de Tata en Hongrie, à « 1(un) an et 8 (huit) mois d'emprisonnement et 3 (trois) ans et 4 (quatre) mois d'expulsion du territoire de la Hongrie » du chef de « trafic d'êtres humains ».
Au vu de la particulière gravité de l’infraction, surtout au regard du fait que le demandeur a profité de l’octroi d’un statut de protection internationale pour s’enrichir sur le dos et au péril d’autres immigrants, dont l’un avait été transporté dans le coffre de la voiture, la simple allégation du demandeur, selon laquelle il n’aurait plus commis « aucune nouvelle infraction de ce genre », n’est pas de nature à ébranler le constat qu’il constitue, de ce chef, une menace pour la société luxembourgeoise, d’autant plus qu’il ressort de ses explications données dans le cadre de son entretien du 28 juillet 2023, qu’il semble toujours être dans le déni des faits lui reprochés du fait d’avoir essayé d’amoindrir sa responsabilité par rapport à l’infraction commise.
Ni le fait qu’il serait en train de prendre des cours de langue en vue de s’intégrer dans la société luxembourgeoise, ni le fait que ses enfants seraient actuellement scolarisées au Luxembourg, ne sont de la moindre pertinence dans le cadre des conditions d’application de l’article 47, paragraphe (4), point b) de la loi du 18 décembre 2015. Ces mêmes considérations ne sont pas non plus de nature à établir un excès de pouvoir qui rendrait la décision déférée disproportionnée.
7Il suit de toutes ces considérations que c'est à juste titre que le ministre a retiré le statut de réfugié au demandeur sur base de l’article 47, paragraphe (4), point b) de la loi du 18 décembre 2015.
2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal à l’encontre de la décision ministérielle du 24 août 2023 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de ce volet du recours, le demandeur sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire en ce qu’il ne serait ni fondé ni proportionné par rapport aux circonstances de l’espèce.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Une décision du ministre vaut décision de retour, à l’exception des décisions prises en vertu de l’article 28, paragraphes (1) et (2), points a), d) et f). L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire, ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office. Pour satisfaire à l’ordre de quitter le territoire, le demandeur dispose d’un délai de trente jours à compter du jour où la décision de retour sera devenue définitive et peut solliciter à cet effet un dispositif d’aide au retour. Le demandeur est obligé de quitter le territoire sans délai à compter du jour où la décision de retour sera devenue définitive si son comportement constitue un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
A défaut de restriction prévue à cet égard, les dispositions légales précitées ont également vocation à s’appliquer à un ordre de quitter le territoire contenu dans une décision portant retrait du statut de réfugié prise en application de l’article 47, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015.
Au vu du constat retenu ci-avant, selon lequel c’est à bon droit que le ministre a pu retirer le statut de réfugié au demandeur sur base de l’article 47, paragraphe (4), point b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir en raison de l’existence d’une menace pour la société du pays, c’est a priori également à bon droit qu’il a assorti cette décision, conformément à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la même loi, d’un ordre de quitter le territoire sans délai.
Si par l’argumentation selon laquelle il vivrait au Luxembourg en tant que réfugié depuis septembre 2017 en prenant des cours de langue et que ses deux enfants y seraient scolarisées, le demandeur ait voulu invoquer son droit à une vie privée et familiale, au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », et de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », il échet de rappeler 8qu’aux termes de ces dispositions, « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. », respectivement « (…) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. (…) », ces deux textes étant, en raison de leur similarité, analysés ensemble ci-après par rapport à la jurisprudence relative à l’article 8 de la CEDH.
A titre liminaire, le tribunal rappelle le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative - telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH - est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne. Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale1/2.
Partant, le tribunal souligne que si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont partis, y compris la CEDH3.
Or, l’article 8 CEDH n’est pas absolu et ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis - l’article 8 ne garantissant en particulier pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale4 - le tribunal devant procéder à une analyse de la conformité de la décision litigieuse avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8 CEDH.
En l’espèce, la décision attaquée a été prise en application de la loi du 18 décembre 2015 dont les dispositions doivent être considérées comme constituant des mesures qui, dans une société démocratique, sont nécessaires pour contrôler l’entrée des non-nationaux sur le territoire national.
Par ailleurs, outre l’existence d’une vie familiale effective, il faut encore, cumulativement, l’impossibilité pour les intéressés de s’installer et mener une vie familiale normale dans un autre pays5.
1 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C, Pas. adm. 2024, V° Lois et règlements, n° 97 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 486 et les autres références y citées.
3 Voir par exemple en ce sens CourEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-bas, n° 1948/04, § 135 ; Trib.
adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 501 et les autres références y citées.
4 Voir Cour eur. D.H., Abdulaziz, Cabales and Balkandali c. Royaume-Uni, du 28 mai 1985, et Ahmut c. Pays-
Bas,. du 28 novembre 1996.
5 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 488 et les autres références y citées.
9Or, à cet égard, si la décision de retrait du statut de réfugié, ainsi que l’ordre de quitter le territoire sont certes de nature à mettre fin à la vie familiale du demandeur sur le territoire luxembourgeois, le tribunal doit relever que, d’un côté, mis à part un contrat de bail à loyer, ainsi que deux certificats de participation à des cours de langue, le demandeur reste en défaut d’établir l’existence d’une vie sociale au Luxembourg, et que, d’un autre côté, au vu du droit de séjour précaire de Madame (B), ainsi que du fait que leurs enfants communes font également l’objet d’un ordre de quitter le territoire, l’exécution de l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’égard du demandeur, tel que déféré, n’aura a priori pas pour conséquence de provoquer une rupture de l’unité familiale, étant donné qu’il n’est pas établi que la famille, d’une part, soit séparée, respectivement, d’autre part, ne puisse pas s’installer ensemble dans un autre pays, de sorte qu’il n’y a dès lors pas violation des articles 8 de la CEDH, respectivement 7 de la Charte.
Il s’ensuit que le volet du recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 24 août 2023 portant retrait du statut de réfugié de Monsieur (A) ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 24 août 2023 portant ordre de quitter le territoire dans le chef de Monsieur (A) ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les recours subsidiaires en annulation introduit contre lesdites décisions ministérielles du 24 août 2023 ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 23 juillet 2025 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 juillet 2025 Le greffier du tribunal administratif 10