Tribunal administratif N° 50359 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50359 2e chambre Inscrit le 22 avril 2024 Audience publique du 14 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50359 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2024 par Maître Faisal QURAISHI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Venezuela), de nationalité vénézuélienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 20 mars 2024 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2024 ;
Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2024 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-
1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B265326, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), préqualifié ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Julie KIEFFER, en remplacement de Maître Frank WIES, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leur plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 mars 2025.
Le 17 mai 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
1En date des 9 novembre 2022 et 7 mars 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 20 mars 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 17 mai 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Vous déclarez être de nationalité vénézuélienne, être célibataire et avoir eu votre dernière résidence permanente à … au Venezuela jusqu’en … avant d’aller vivre au Panama.
Vous affirmez que vous auriez introduit une demande de protection internationale en raison de l’« insécurité sociale » due à des « problèmes sociaux et de santé ». En ce sens, vous expliquez que vous seriez séropositif et qu’en …, « il n’y avait pas de médicaments ni de nourriture » (fiche de motifs du 17 mai 2022). Vous dénoncez également l’« insécurité générale dans les rues du Venezuela » (p. 9 de votre rapport d’entretien) alors que vous déclarez vous être fait voler votre téléphone et avoir été touché par du gaz lacrymogène lors d’une manifestation.
Vous déclarez ensuite que vous auriez découvert votre homosexualité en 2009, à l’âge de … ans, lorsque vous auriez eu une expérience avec un collègue d’étude. Vous auriez eu une relation sérieuse entre 2013 et 2014, où vous auriez découvert que vous seriez atteint du VIH.
Concernant votre homosexualité, vous expliquez encore qu’on « refusais (sic) de [vous] donner un job » (p.10 de votre rapport d’entretien) et que vous auriez subi des insultes dans la rue, notamment dans le métro où vous auriez eu « une petite discussion » (p.13 de votre rapport d’entretien).
Etant donné que vous n’auriez plus eu « de médicaments pour traiter [votre] maladie du VIH » (p.8 de votre rapport d’entretien), vous auriez quitté le Venezuela en septembre … en avion depuis … pour aller vous installer au Panama où vous auriez été pris en charge.
Vous expliquez qu’en 2021, vous auriez eu un « problème fort » au Panama alors qu’une personne aurait utilisé vos informations personnelles afin de créer des faux comptes à votre nom, notamment sur un site de rencontre, dénommé « … », ainsi que sur un site d’annonce en ligne, dénommé « … » (p.5 de votre rapport d’entretien), raison pour laquelle vous auriez porté plainte. À la suite d’une enquête de la police et du Procureur, « l’annonce n’était plus là » (p.7 de votre rapport d’entretien), le Procureur vous aurait dit qu’il « allait 2prendre au sérieux l’affaire » mais étant donné qu’il n’y aurait eu aucun résultat à la suite des recherches et que cela n’aurait « [mené] à rien [vous auriez] décidé de quitter le Panama » (p.8 de votre rapport d’entretien), notamment car vous auriez risqué de ne plus pouvoir vous faire soigner en raison d’un problème de « résistance aux médicament » (p.8 de votre rapport d’entretien).
En cas de retour dans votre pays d’origine, vous craindriez de ne pas pouvoir continuer votre traitement et vous affirmez que vous pourriez en mourir « ou qu’il pourrait [vous] arriver quelque chose » (p.13 de votre rapport d’entretien).
A l’appui de votre demande de protection internationale, vous versez les documents suivants :
- Votre passeport vénézuélien établi le … et prolongé le …, valable jusqu’au …, déclaré comme authentique par l’Unité de police de l’aéroport ;
- votre titre de séjour panaméen établi le … et valable jusqu’au …, déclaré comme authentique par l’Unité de police de l’aéroport ;
- un rapport de plainte émis par les autorités panaméennes en date du … en langue espagnole ainsi que sa traduction en langue française ;
- un ensemble de documents émis par les autorités panaméennes concernant une enquête, en langue espagnole ainsi que leur traduction en langue française ;
- un ensemble de captures d’écran concernant ladite enquête ;
- un certificat médical émis par le Centre hospitalier … au Panama en date du …, en langue espagnole ainsi que sa traduction en langue française.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
Avant tout progrès en cause, il convient de noter que suivant l’article 2 point p) de la Loi de 2015, une demande de protection internationale est à analyser par rapport au pays d’origine du demandeur, c’est-à-dire le pays dont vous possédez la nationalité, ce qui dans votre cas est le Venezuela. Ainsi, les faits qui se seraient déroulés au Panama, respectivement qui ont un lien avec le Panama ne sont dès lors pas pris en compte dans l’évaluation de votre demande de protection internationale.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut 3ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils n’émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.
Premièrement, vous affirmez qu’il y aurait une « insécurité sociale » au Venezuela alors que vous craigniez de ne pas recevoir, en tant que personne séropositive, les soins adéquats car « il n’y avait pas de médicaments ni de nourriture » (fiche de motifs). Or, de telles craintes ne rentrent nullement dans le champ d’application de la Convention de Genève. En effet, ces craintes seraient à définir comme étant manifestement limitées à la seule situation du système de santé vénézuélien ou à l’accès aux soins au Venezuela et ne concernent nullement votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.
De plus, il y a lieu de soulever qu’il ne vous serait jamais rien arrivé de grave à cet effet et que vos problèmes se seraient limités à « des fois, on venait à notre rendez-vous et on nous disait qu’il n’y a pas de médicament. J’attendais » (p.9 de votre rapport d’entretien). Or, cela ne revêt toutefois pas un degré de gravité tel à pouvoir être définis comme des actes de persécution au sens desdits textes précités.
Il convient dans ce contexte d’ajouter qu’il paraît évident que vous auriez quitté le Venezuela pour des motifs économiques et de convenance personnelle, à savoir des raisons d’ordre médical relatives à votre état de santé, et par extension à cause de l’incapacité du système de santé vénézuélien de répondre à votre attente d’un traitement adéquat contre le VIH.
Or, des motifs médicaux ne sauraient toutefois pas justifier l’octroi du statut de réfugié, alors qu’ils ne rentrent nullement dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, textes qui prévoient une protection à toute personne persécutée ou à risque d’être persécutée à cause de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social.
Deuxièmement, il échet de noter concernant vos craintes touchant à votre sécurité, respectivement concernant l’« insécurité générale » au Venezuela dont vous faites référence, que vous les liez, d’une part, au fait que vous vous seriez fait voler votre téléphone « mais sinon rien de particulier » et que, d’autre part, vous auriez senti l’odeur de gaz lacrymogène en passant par une manifestation (p.9 de votre rapport d’entretien). Or, force est de constater que lesdites craintes traduisent un sentiment d’insécurité général, qui ne saurait suffire pour établir dans votre chef l’existence d’une crainte fondée de persécution liée à un des motifs de fond énumérés dans la Convention de Genève et la Loi de 2015 à savoir votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un groupe social ou vos opinions politiques.
En effet, concernant, tout d’abord, le vol de votre portable, il ne saurait évidemment pas être exclu que vous ayez tout simplement été la victime malchanceuse de délinquants qui auraient voulu s’approprier votre portable et ce d’autant plus que les vols sont monnaie courante au Venezuela.
4 Par ailleurs, il convient de noter que ce vol aurait été perpétré par des personnes privées sans lien avec les autorités vénézuéliennes et qu’il serait par conséquent à définir comme étant une infraction de droit commun, contre laquelle vous auriez manifestement pu porter plainte en vous adressant aux autorités de votre pays d’origine alors que les vols sont punissables selon la législation vénézuélienne. Ainsi, il est clair que vous auriez pu porter plainte auprès des autorités de votre pays d’origine.
Finalement, force est de soulever qu’il ne vous serait jamais rien arrivé de grave et qu’à part cet acte unique de vol de portable, vous restez en total défaut de faire part d’une quelconque agression dont vous auriez été victime au cours de toutes ces années ou ne serait-
ce que d’une simple menace qui aurait été proférée contre vous.
Ensuite, concernant le fait que vous auriez senti l’odeur de gaz lacrymogène, vous affirmez en premier lieu que, lorsque vous auriez « participé à des manifestions », vous auriez été « touché par le gaz lacrymogène ». Or, lorsque l’agent ministériel vous demande à combien de manifestations vous auriez participé, vous répondez : « Aucune, mais quand je suis sorti du travail, en passant, j’ai senti l’odeur du gaz lacrymogène » (p.9 de votre rapport d’entretien).
Monsieur, alors même que vous revenez sur vos propos, notamment lors de la relecture de votre entretien individuel, en disant que vous n’auriez participé à aucune manifestation, il semble tout de même important de relever qu’il existe une différence considérable entre le fait d’être touché par les gaz lors d’une participation à une manifestation et le fait d’avoir uniquement senti l’odeur en passant à proximité d’une manifestation sans y prendre part.
Ainsi, il convient de relever que vos propos sont dès lors remis en doute alors qu’il est clair que vous essayez dans un premier temps d’aggraver les faits que vous auriez vécus, cela dans un but certain d’accroître vos chances d’obtenir une protection de la part de autorités luxembourgeoises.
De plus, il échet d’en conclure que vous n’avez pas été visé personnellement par ces gaz lacrymogènes et qu’en ce sens, vous n’avez pas été victime d’actes de persécution au sens des textes précités. En effet, le simple fait de sentir l’odeur du gaz lacrymogène en passant à côté d’une manifestation ne permet pas de venir à la conclusion que vous ayez été persécuté et que vous ne pourriez plus vivre sereinement dans votre pays d’origine. Ce constat est d’autant plus vrai alors que vous confirmez ne jamais avoir participé à des manifestations, de sorte que vous n’êtes nullement dans le collimateur des autorités vénézuéliennes.
Troisièmement, il ressort également de vos dires que vous ne pourriez pas retourner dans votre pays d’origine en raison de votre orientation sexuelle alors que vous expliquez faire partie de la communauté LGBTQI+.
Or, force est tout d’abord de constater que la constitution du Venezuela prévoit dans son article 21 que : « Tous sont égaux devant la loi et, par conséquent : Aucune discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion ou le statut social n’est permise, ni, en général, aucune discrimination ayant pour but ou pour effet d’annuler ou d’entraver la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice en toute égalité des droits et libertés de toute personne.
La loi garantit des conditions juridiques et administratives telles que l’égalité de tous devant la loi est réelle et efficace; prévoit des mesures d’action positive pour tout groupe 5victime de discrimination, vulnérable ou marginalisé; protège particulièrement les personnes qui, en raison des circonstances susmentionnées, se trouvent manifestement dans une position de faiblesse; et punit tout individu qui malmène ou maltraite ces personnes (Venezuela 1999) ».
De plus, il convient de relever qu’il y a une importante communauté LGBTQI+ à … et qu’en plus de nombreux bars, hôtels et clubs destinés au public homosexuel, une « Gay Pride parade » y est organisée annuellement.
Il s’ensuit que le seul fait d’être homosexuel au Venezuela n’est pas suffisant pour se voir octroyer automatiquement une protection internationale, de sorte que le demandeur de protection internationale doit établir qu’il soit personnellement et individuellement à risque d’être persécuté.
Or, Monsieur, vous expliquez à cet égard uniquement que vous auriez eu du mal à trouver un travail, que « Les gens aussi dans la rue disent des choses comme des insultes » (p.10 de votre rapport d’entretien) ou encore que vous auriez eu « une petite discussion dans le métro. Mais rien ne s’est passé » (p.13 de votre rapport d’entretien), faits qui ne sauraient aucunement constituer une crainte de persécution en raison de votre orientation sexuelle.
En effet, le fait qu’« ils refusaient de me donner un job étant donné que je suis homosexuel » (p.10 de votre rapport d’entretien) ne saurait constituer un acte de persécution mais tout au plus une discrimination. Cependant, il convient également de relever que vous affirmez avoir travaillé en tant que « … » et que plus tard vous auriez fait du « … » en tant qu’… (p.2 de votre rapport d’entretien), de sorte qu’il s’agit d’allégations totalement non-
corroborées. En ce sens, il convient également de noter que vous aviez la possibilité de faire vos études et de travailler dans votre pays d’origine pendant de nombreuses années. Ainsi, non seulement il convient de relever qu’il ne s’agit pas d’un acte de gravité tel à pouvoir être qualifié d’acte de persécution mais également d’une crainte totalement hypothétique alors qu’il n’est nullement établi que vous n’auriez pas pu trouver un emploi en raison de votre orientation sexuelle.
Concernant ensuite les insultes que vous auriez subies et la « petite discussion » dans le métro, il ne peut à nouveau pas être établi que vous soyez persécutée en raison de votre appartenance à la communauté LGBTQI+ d’autant plus que ces faits ne représentent pas une gravité suffisante pour constituer une crainte fondée de persécution au sens des dispositions précitées de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.
De plus, s’agissant d’actes perpétrés par des personnes privées, ceux-ci ne peuvent être considérés comme fondant une crainte de persécution légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce alors que vous auriez pu porter plainte auprès des autorités de votre pays d’origine si vous vous étiez senti harcelé.
En effet, vous confirmez ne jamais avoir dénoncé un quelconque fait, ou encore avoir demandé une protection quelconque aux autorités vénézuéliennes. Il n’est par conséquent nullement établi que celles-ci n’auraient pas pu ou n’auraient pas voulu vous aider alors que vous n’avez jamais essayé de faire valoir vos droits.
Votre explication selon laquelle vous n’auriez jamais recherché de protection auprès des autorités vénézuéliennes étant donné que « je n’avais pas de raison de le faire et je ne le 6ferai pas non plus […] la police ils me riraient en plein visage en disant que c’est ma faute étant donné que je suis homosexuel » (p.13 de votre rapport d’entretien), ne saurait être plus convaincante alors qu’il n’est pas établi que les autorités vénézuéliennes ne seraient pas en mesure d’offrir une protection adéquate ou suffisante à leur population, respectivement qu’elles resteraient inactives face à des infractions commises à l’encontre de personnes homosexuelles.
Il est en tout cas établi que vous n’avez pas été persécuté de quelque façon que ce soit au Venezuela à cause de votre orientation sexuelle et que vous ne faites état d’aucune crainte fondée de persécution en cas de retour.
Finalement, votre situation au Venezuela n’est manifestement pas aussi grave que vous voulez le faire croire aux autorités luxembourgeoises alors qu’il convient de noter que vous avez pu mener une vie normale d’étudiant, avant de continuer à vivre normalement au Venezuela en travaillant et en ayant eu des relations amoureuses jusqu’en …. Dans cette même lignée, sans faire part d’un quelconque incident concret dans lequel vous auriez été impliqué, vous êtes retourné volontairement au Venezuela en mai 2021 pour rendre visite à votre mère et en juin 2021 pour vous faire émettre le prolongement de votre passeport et quitter le pays, là aussi, sans rencontrer un souci quelconque, de sorte que vous avez vous-même estimé que vous seriez donc nullement en danger ou à risque dans votre pays d’origine.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.
L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Outre les conclusions effectuées ci-dessus il n’existe manifestement pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi de 2015.
7En effet, vous omettez d’établir qu’en cas de retour au Venezuela, vous risqueriez la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Venezuela, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 20 mars 2024 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 20 mars 2024, prise dans son double volet, telle que déférée.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur rappelle les faits et rétroactes relevés ci-avant ainsi qu’en substance les motifs à la base de sa demande de protection internationale tels que retranscrits dans le rapport d’audition contenu dans le dossier administratif.
En droit, le demandeur soutient que la décision déférée serait entachée d’illégalité en faisant valoir que les conditions d’obtention du statut de réfugié sinon du statut conféré par la protection subsidiaire seraient réunies dans son chef.
En citant l’article 37 (3) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur rappelle l’obligation du ministre de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en prenant en compte les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, les informations et documents pertinents présentés par le demandeur ainsi que son statut individuel et sa situation personnelle.
8Le demandeur reproche en substance à cet égard au ministre de ne pas avoir pris en compte « la réalité du terrain et la manière dont les lois et règlement sont concrètement appliqués ainsi que le comportement des politiques de répression au Vénézuela ».
En s’appuyant sur l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur fait ensuite valoir que, dans la mesure où ses affirmations quant aux faits invoqués par lui n’auraient pas été utilement critiquées par le ministre, elles devraient être considérées comme avérées et devraient lui permettre d’obtenir une protection internationale.
Il en conclut que le ministre aurait basé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits et une mauvaise analyse en droit, de sorte que la décision déférée devrait être réformée pour violation de la loi, abus de droit, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.
Le demandeur expose ensuite que les menaces de mort et la discrimination, combinées à l’absence d’aide de la part des autorités de police vénézuéliennes, seraient à assimiler à des « actes de menace, violence et de persécution », de sorte qu’il y aurait lieu de lui octroyer « la protection internationale […] sinon le statut de la protection subsidiaire ».
Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours.
S’agissant de la légalité externe de la décision déférée, le demandeur semble, de l’entendement du tribunal, reprocher au ministre d’avoir violé l’article 37 (3)1 de la loi du 18 décembre 2015 en n’ayant pas tenu compte de tous les éléments pertinents pour l’évaluation individuelle de sa demande de protection internationale. Force est toutefois à cet égard de constater que le demandeur reste en défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles il estime que le ministre n’aurait pas respecté ladite disposition légale, le seul fait que l’instruction de sa demande de protection internationale n’ait pas abouti à l’octroi d’une protection internationale ne permettant, en tout état de cause, pas au demandeur de soutenir valablement que l’article 37 (3) de la loi du 18 décembre 2015 aurait été violé, de sorte que le moyen afférent est rejeté.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, concernant, tout d’abord, le moyen selon lequel les conditions de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015 ayant trait à la nécessité de produire ou non des preuves documentaires par le demandeur de protection internationale à l’appui de ses déclarations seraient remplies, de sorte que les déclarations de Monsieur (A) seraient à considérer comme établies même en l’absence de documents, il échet de constater que dans la mesure où le ministre n’a pas remis en cause la crédibilité du récit du 1 « (3) Le ministre procède à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants:
a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués;
b) les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécution ou d’atteintes graves;
c) le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave;
d) le fait que, depuis qu’il a quitté son pays d’origine, le demandeur a ou non exercé des activités dont le seul but ou le but principal était de créer les conditions nécessaires pour présenter une demande de protection internationale, pour déterminer si ces activités l’exposeraient à une persécution ou à une atteinte grave s’il retournait dans ce pays;
e) le fait qu’il est raisonnable de penser que le demandeur pourrait se prévaloir de la protection d’un autre pays dont il pourrait revendiquer la citoyenneté. » 9demandeur, le moyen y afférent est à rejeter pour ne pas être pertinent.
Ensuite, il convient de relever qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
« a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au 10paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation générale, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans son pays d’origine.
Il échet, à ce stade, de préciser qu’étant donné que Monsieur (A) est un ressortissant vénézuélien, les problèmes qu’il a rencontrés au Panama ne peuvent être pris en considération dans le cadre de l’examen du bien-fondé de sa demande de protection internationale, dans la mesure où les faits en question ne se sont pas déroulés dans son pays d’origine, étant précisé que la notion de « réfugié » implique des persécutions dans le pays d’origine du demandeur qui est défini par l’article 2 p) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « le pays ou les pays dont le demandeur a la nationalité ou, s’il est apatride, le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle ».
Le tribunal relève qu’à la base de sa demande du statut de réfugié, le demandeur invoque différents motifs, à savoir (i) le manque d’accès aux médicaments et aux soins au Venezuela, (ii) l’insécurité, notamment le fait qu’il se soit fait voler son téléphone et qu’il ait senti une odeur de gaz lacrymogène en passant dans la rue non loin d’une manifestation, et (iii) les insultes et la discrimination au travail en tant qu’homosexuel.
Force est tout d’abord au tribunal de constater que les premier et deuxièmes motifs ne peuvent permettre l’octroi du statut de réfugié dans le chef de Monsieur (A), étant donné qu’ils n’ont aucun lien avec les critères de fond prévus par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève », à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance du demandeur à un certain groupe social.
Ensuite, si les craintes du demandeur concernant son homosexualité entrent a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève, le tribunal est néanmoins amené à suivre les constatations ministérielles selon lesquelles des insultes, une dispute dans le métro 11et le sentiment d’être discriminé par des employeurs ne sauraient être considérés comme étant des persécutions au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, à savoir des actes suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’Homme.
Partant, le tribunal est amené à constater que le ministre a, à bon droit, retenu que les faits relatés par le demandeur ne permettaient pas l’octroi du statut de réfugié dans son chef, de sorte que le recours encourt le rejet pour ne pas être fondé de ce point de vue.
Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.
En revanche, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, il échet de relever que le demandeur renvoie aux mêmes motifs factuels que ceux à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.
12 En ce qui concerne tout d’abord les insultes, la dispute dans le métro et le sentiment de discrimination que le demandeur a pu ressentir vis-à-vis de certains employeurs en lien avec son orientation sexuelle, le tribunal est amené à réitérer ses conclusions selon lesquelles ces faits ne sont pas d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’atteintes graves, de sorte que Monsieur (A) n’est pas davantage fondé à se prévaloir de l’existence de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il courrait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en raison de son homosexualité permettant de justifier l’octroi d’une protection subsidiaire dans son chef.
Concernant ensuite le manque d’accès aux médicaments et aux soins au Venezuela, si le demandeur estime que son état de santé, en tant que personne séropositive, serait susceptible de se dégrader par le fait d’être privé de cet accès, il y a lieu de relever que l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 se réfère à des actes de torture « infligés », tandis que l’article 39 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’« atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Il en résulte que l’état de santé à lui seul, sinon avec la situation sanitaire et sociale du pays de destination, ou encore l’état de précarité, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’il aurait été infligé ou qu’il résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Enfin, quant à l’insécurité qui règne au Venezuela, le tribunal est amené à retenir que les faits invoqués par le demandeur à cet égard, à savoir le vol de son téléphone et l’utilisation de gaz lacrymogène lors d’une manifestation au moment où il passait dans la rue ne sont pas non plus d’une gravité suffisante pour pouvoir s’analyser en des atteintes graves au sens de la loi, de sorte qu’ils ne peuvent pas non plus justifier l’octroi d’une protection subsidiaire dans son chef.
Dans ces circonstances, le tribunal retient que les faits sous analyse, même pris dans leur globalité, ne sont pas de nature à établir l’existence d’un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour au Venezuela, de sorte à ne pas justifier l’octroi au profit de Monsieur (A) d’une protection subsidiaire sur base de ces différents motifs.
Pour autant qu’à travers l’invocation de la situation sécuritaire au Venezuela, le demandeur ait entendu se prévaloir d’un risque de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle liée à un conflit armé régnant dans le prédit pays au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il convient de relever que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé dans le considérant 43 de son arrêt du 17 février 2009, « Elgafaji c. Pays-Bas », numéro C-465/07, que « […] l’article 15, sous c), de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de la même directive, doit être interprété en ce sens que:
- l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition que ce dernier rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle ;
13- l’existence de telles menaces peut exceptionnellement être considérée comme établie lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours, apprécié par les autorités nationales compétentes saisies d’une demande de protection subsidiaire ou par les juridictions d’un État membre auxquelles une décision de rejet d’une telle demande est déférée, atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir lesdites menaces. ».
Elle a également retenu, dans le considérant 39 du prédit arrêt, que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire ».
Le conflit armé interne a été défini par la CJUE dans son arrêt du 30 janvier 2014, « Diakité c. Belgique », numéro C-285/12, et plus particulièrement en son considérant 35, de la manière suivante : « […] lorsque les forces régulières d’un État affrontent un ou plusieurs groupes armés ou lorsque deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, sans qu’il soit nécessaire que ce conflit puisse être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens du droit international humanitaire et sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné. ».
Quant aux violences aveugles, elles ont été définies par la CJUE dans le prédit arrêt « Elgafaji c. Belgique », notamment dans les considérants 34 et 35, comme étant des violences qui s’étendent à des civils sans considération de leur situation personnelle ou de leur identité.
Or, il ne ressort pas des éléments soumis au tribunal que la situation sécuritaire au Venezuela correspondrait actuellement à un contexte de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que le demandeur ne peut pas non plus prétendre à l’obtention d’une protection subsidiaire de ce point de vue.
C’est partant à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur le statut conféré par la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur (A) prise en son double volet, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.
2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur conclut à la réformation de l’ordre de quitter le territoire en conséquence de la réformation de la décision lui refusant une protection internationale, tout en invoquant le principe de précaution.
14Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.
Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Monsieur (A) au Venezuela ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire encourt également le rejet.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 20 mars 2024 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 20 mars 2024 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Melvin Roth, attaché de justice délégué.
15et lu à l’audience publique du 14 juillet 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 16