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14/07/2025 | LUXEMBOURG | N°50353

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 2025, 50353


Tribunal administratif N° 50353 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50353 2e chambre Inscrit le 22 avril 2024 Audience publique du 14 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50353 du rôle et déposée le 22 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Hakima GOUNI-ANDRIE

UX, avocat à la Cour, inscrite à l’époque au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem...

Tribunal administratif N° 50353 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50353 2e chambre Inscrit le 22 avril 2024 Audience publique du 14 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50353 du rôle et déposée le 22 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Hakima GOUNI-ANDRIEUX, avocat à la Cour, inscrite à l’époque au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant, aux termes de son dispositif, à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 26 mars 2024 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2024 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2024 par Maître Samira MABCHOUR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Samuel BECHATA, en remplacement de Maître Samira MABCHOUR, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 mars 2025.

Le 30 janvier 2020, Messieurs (B) et (C), les frères de Monsieur (A), déposèrent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », des demandes de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision ministérielle du 17 décembre 2021, Messieurs (B) et (C) se virent accorder le statut de réfugié, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au ….

Le 21 janvier 2022, ces derniers firent introduire une demande de regroupement familial dans le chef de leur mère, Madame (D), leur sœur majeure, Madame (E), leur frère majeur, Monsieur (A), et leurs frères mineurs, (F) et (G).

Par décision ministérielle du 14 mars 2022, le regroupement familial fut accordé pour la mère et les deux frères mineurs de (B) et (C), mais pas pour leurs sœur et frère majeurs.

Néanmoins, le ministre de l’Immigration et de l’Asile indiqua, dans la même décision, qu’il était disposé, pour ces deux derniers, à leur accorder un visa de long séjour (« visa D ») sous condition de lui verser différents documents.

Par décision ministérielle du 27 juin 2022, ledit visa d’une validité de six mois fut accordé à Monsieur (A).

Le 4 juillet 2022, Madame (D) et ses deux enfants mineurs, (F) et (G), introduisirent une demande de protection internationale.

Le 13 octobre 2022, Madame (D) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Le 28 octobre 2022, Monsieur (A) introduisit une demande de protection internationale.

Le 31 janvier 2024, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision ministérielle du 26 mars 2024, Madame (D) et ses deux enfants mineurs, (F) et (G), obtinrent le statut de réfugié.

Toujours par décision du même jour, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 2 avril 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« […] Je me réfère à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 28 octobre 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant aux faits et rétroactes procéduraux Il échet de noter que vous êtes arrivé Luxembourg moyennant un visa D accordé par le Luxembourg accompagné de l’une de vos sœurs, Madame (H). En effet, vos deux frères (C) et (B) se trouvent déjà au Luxembourg et sont bénéficiaires de protection internationale depuis janvier 2022. Votre mère et vos deux autres frères sont arrivés au Luxembourg, dans le cadre de regroupement familial, quatre mois avant vous, en date du 4 juillet 2022.

2 Il convient encore de noter que votre sœur (H), qui vous a accompagné au Luxembourg, a décidé de ne pas attendre l’issue de sa demande de protection internationale au Luxembourg et a quitté le foyer dans lequel elle était hébergée. Son lieu de séjour actuel n’est pas connu des autorités luxembourgeoises.

En outre, il y a lieu de mentionner que vous indiquez avoir quitté l’Afghanistan pour la première fois en avril 2019, avec votre mère, votre oncle et votre fratrie. (C), (B) et votre oncle auraient été séparés du reste de votre famille et auraient réussi à traverser l’Iran et la Turquie pour se rendre en Europe et finalement arriver au Luxembourg. Cependant, votre mère, le reste de votre fratrie et vous-même auriez été interceptés par la police iranienne et vous ne seriez pas parvenus à vous rendre en Turquie. Vous indiquez qu’après avoir vécu environ huit mois en Iran, votre famille aurait été contrainte de retourner en Afghanistan alors qu’elle n’aurait pas été en possession de documents. Vous auriez définitivement quitté votre pays d’origine en décembre 2021. Vous ajoutez qu’après votre retour en Afghanistan et jusqu’à votre départ définitif en 2021, vous auriez vécu en cachette.

Le jour de l’introduction de votre demande de protection internationale, vous avez été entendu par un agent du Service de Police Judiciaire et un entretien sur les motifs à la base de votre demande a été effectué par un agent ministériel en date du 31 janvier 2024.

2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Vous déclarez être de nationalité afghane, d’ethnie Sadat, de confession musulmane sunnite et avoir vécu à … dans le district de … de la province de ….

Concernant vos motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale, vous relatez premièrement avoir peur de subir des représailles de la part des Taliban, alors que vous auriez refusé de suivre leurs ordres de vous rendre au Pakistan.

Dans ce contexte, vous indiquez qu’il y a environ quatre ans, c’est-à-dire lorsque vous auriez été âgé de … ans, le mollah « … » de la madrassa que vous auriez fréquentée, aurait appelé les habitants à envoyer tous les adolescents de … ans au Pakistan pour y suivre des études. Votre grand-père aurait toutefois été persuadé que le mollah collaborerait avec les Taliban et aurait voulu envoyer les adolescents au Pakistan non pas pour étudier, mais afin de les former à devenir des kamikazes. Les Taliban auraient toutefois insisté auprès de votre grand-père pour que vous soyez envoyé au Pakistan. Votre famille aurait alors décidé de quitter l’Afghanistan, alors que, selon vous, si vous aviez refusé d’aller au Pakistan, les Taliban vous y auraient amené de force.

Deuxièmement, vous indiquez que votre père aurait travaillé pour une association étrangère et qu’il aurait reçu plusieurs menaces écrites de la part des Taliban lui ordonnant d’arrêter de travailler pour les étrangers, étant donné qu’ils considéreraient cela comme « haram ». Vous indiquez qu’un jour en 2019, votre père, qui ne se serait pas plié aux exigences des Taliban, ne serait pas rentré du travail et que vous n’auriez plus eu de nouvelles de lui depuis.

Vous précisez que votre mère et votre grand-père seraient persuadés qu’il aurait été emmené par les Taliban. Peu après la disparition de votre père, votre frère aurait été battu par l’imam de la madrassa, qui aurait appris que votre frère suivrait des cours d’anglais. Il aurait accusé votre frère (B) d’apprendre l’anglais pour ensuite travailler pour les « mécréants ». Vous précisez que 3 les Taliban « disent que l’anglais est « haram » et que ceux qui le parlent sont des mécréants » (p.9/12 de votre rapport d’entretien). Vous indiquez qu’en raison de ces incidents, votre famille aurait commencé à ne plus se sentir en sécurité en Afghanistan. Vous n’exprimez toutefois pas de craintes concrètes par rapport à ce sujet.

Finalement, vous mentionnez encore que vous ne pourriez pas retourner vivre dans votre pays d’origine, en l’occurrence l’Afghanistan, en raison du fait que vous seriez considéré comme un mécréant par les Taliban pour avoir vécu en Europe.

A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez votre carte d’identité afghane (« … ») ainsi que votre passeport afghan. L’Unité de la Police à l’aéroport a confirmé l’authenticité de ces documents.

3. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Premièrement, vous indiquez que vous auriez peur des représailles des Taliban en raison du fait que vous auriez refusé de suivre leurs ordres de vous rendre au Pakistan et auriez plutôt décidé de quitter l’Afghanistan.

Avant tout progrès en cause, il convient de souligner que vous n’avez à aucun moment été personnellement approché ou menacé par les Taliban. Vous vous bornez simplement à faire état d’une demande du mollah de la madrassa sur demande des Taliban qui aurait visé tous les adolescents du village. L’ensemble des éléments que vous mettez en avant dans ce contexte ne repose sur aucun fait concret et n’a trait qu’à des propos prétendument rapportés dont vous ignorez la teneur exacte.

4 De plus, il convient de souligner que vos craintes sont dénuées de tout lien avec les motifs énumérés par la Convention de Genève et la Loi de 2015 alors que vous ne craignez pas de subir de représailles de la part des Taliban du fait de votre race, de votre nationalité, de votre religion, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques, mais simplement étant donné que vous auriez refusé de partir au Pakistan.

A cela s’ajoute qu’il ne ressort pas des informations en mes mains que les Taliban procéderaient depuis leur prise de pouvoir à des recrutements forcés de jeunes, pour intégrer leurs rangs, de sorte que votre crainte n’est plus fondée. En effet, il convient de souligner que vos craintes remontent à 2019, c’est-à-dire à un moment où les Taliban avaient intérêt à forcer les jeunes hommes à rejoindre leurs rangs en vue de combattre les autorités afghanes pour renverser celles-ci du pouvoir. Or, en raison du changement du régime et de l’instauration d’un nouveau gouvernement après le mois d’août 2021, vos craintes relatives au recrutement forcé ne sont plus d’actualité et sont à qualifier de purement hypothétiques, et ce d’autant plus que vous n’auriez jamais effectué une formation militaire, et vous êtes désormais une personne adulte.

Or, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Deuxièmement, vous indiquez que votre père aurait disparu après avoir refusé de se plier aux exigences des Taliban de mettre fin à son emploi auprès d’une association étrangère, fait que les Taliban considéreraient comme « haram ». Dans ce contexte, vous mentionnez également le fait que peu après la disparition de votre père, votre frère aurait été battu par l’imam de la madrassa, qui aurait appris que votre frère aurait suivi des cours d’anglais. Il aurait accusé votre frère d’apprendre l’anglais en vue de travailler pour les « mécréants ».

Force est de constater que vous ne pouvez répondre à aucune question relative à l’emploi de votre père et que vous ne fournissez aucun document ou aucun élément de preuve quant à cette partie de votre récit qui serait néanmoins facile à verser, comme par exemple un certificat de travail de votre père. En fait, vous indiquez vous-même ignorer pour quelle association votre père aurait travaillé, quand il aurait commencé à travailler pour cette association, ou à quoi aurait ressemblé son travail et vous vous contentez de prétendre que vous n’auriez aucun renseignement sur le travail de votre père.

De plus, vous expliquez que les lettres de menaces n’auraient concerné que votre père et qu’il ne vous serait arrivé rien de particulier en lien avec le travail de votre père. Enfin, vous vous bornez à relater les faits, sans néanmoins exprimer de crainte concrète de persécution.

Ainsi, vous indiquez vous-même que ces faits auraient suscité un sentiment général d’insécurité dans votre famille. Or, un simple sentiment d’insécurité ne saurait suffire pour établir dans votre chef l’existence d’une crainte fondée de persécution.

Troisièmement, Monsieur, vous indiquez que les Taliban considéreraient tous ceux qui auraient vécu en Europe comme étant des mécréants.

Il y a tout d’abord lieu de noter que vous n’exprimez aucune crainte concrète à ce sujet.

En effet, vous vous bornez dans ce contexte à faire état de généralités et n’établissez aucunement 5 que vous seriez dans le collimateur des Taliban à titre individuel. De plus, vous ne pouvez pas répondre à la question de savoir en quoi consisterait le problème du fait que, selon les Taliban, ceux qui partent en Europe seraient des mécréants.

Il ne ressort pas non plus des informations dont je dispose que le seul séjour en Europe d’un ressortissant afghan, l’exposerait de manière systématique, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions ou à des atteintes graves de la part des Taliban.

Il convient dès lors de conclure que les craintes que vous exprimez sont, une fois de plus, purement hypothétiques. Or, comme susmentionné, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié, et notamment que vous auriez de subir des représailles de la part des Taliban en raison de votre refus de vous rendre au Pakistan, respectivement votre peur des représailles des Taliban en raison de votre départ en Europe. Vous basez votre demande de protection subsidiaire également sur les faits relatifs au travail et à la disparition de votre père et au fait que votre frère aurait été frappé par l’imam pour avoir suivi des cours d’anglais.

Or, sur base des développements et conclusions retenues qui précèdent dans le cadre du rejet du statut de réfugié, vous n’invoquez aucun autre élément additionnel susceptible de rentrer dans le champ d’application de l’article 48 précité, et vous restez en défaut de faire état d’un risque réel de faire l’objet d’atteintes graves en cas de retour dans votre pays d’origine.

6 Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant aux termes de son dispositif, d’une part, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 26 mars 2024 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire qui s’ensuit, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle déférée du 26 mars 2024 portant refus d’octroi d’une protection internationale, de même qu’il est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire. Ces recours sont, par ailleurs, recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre la décision portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, Monsieur (A), après avoir présenté les rétroactes, explique que son père aurait travaillé pour une organisation étrangère et qu’il aurait reçu plusieurs courriers de menaces de la part des talibans le sommant de ne plus travailler pour les étrangers qui seraient des « koufar », à savoir des mécréants, et que travailler pour eux aurait été « haram », c’est-à-dire un péché selon la religion musulmane. Ce travail étant sa seule source de revenus, son père aurait continué à travailler pour ladite organisation étrangère jusqu’à ce qu’un jour il ne revienne plus au domicile familial. Quelque temps après sa disparition, sa famille aurait appris qu’il aurait été emmené par les talibans.

Le demandeur explique ensuite que lui-même ainsi que ses frères auraient été scolarisés dans une école « normale », mais auraient également fréquenté une « madrassa » pour des cours de religion prodigués par l’imam du quartier, qui aurait été un taliban. Un jour, ses frères (B) et (C) se seraient présentés en retard à la mosquée, car (B) aurait oublié son livre de prière à la maison et serait allé à son cours d’anglais, ce qui aurait énervé l’imam, qui l’aurait violemment frappé avec un tuyau d’arrosage en le traitant de « koufar » sous les yeux de son petit frère. Celui-ci aurait voulu intervenir mais l’imam l’aurait menacé de le fouetter également. Arrivés à la maison, ils se seraient plaints auprès de leur mère et de leur grand-père, qui se serait rendu à la mosquée pour avoir des explications avec l’imam, le mollah …. Celui-ci aurait décidé d’enrôler tous lesadolescents âgés entre … ans pour les envoyer dans des camps au Pakistan. A son retour, son grand-père aurait informé sa mère que l’imam aurait constaté qu’un des fils de la famille, à savoir le demandeur lui-même, aurait été en âge d’aller au Pakistan pour officiellement apprendre le Coran, ce qui aurait, en réalité, signifié qu’il irait apprendre le maniement des armes et des explosifs pour devenir un « soldat de Dieu ». Comme ni lui ni sa mère n’auraient voulu qu’il s’y rende, ils auraient décidé de fuir en Iran, ce qu’ils auraient fait au printemps 2019, en pleine nuit, avec tous les autres membres de la famille et accompagnés par leur oncle. Ils y seraient restés pendant deux semaines avant que le passeur n’organise deux voitures pour la suite de leur voyage, le demandeur expliquant que dans la première voiture auraient pris place deux de ses frères et son oncle, tandis que dans la deuxième se seraient trouvés sa mère, sa sœur, ses deux plus jeunes frères et lui-même. Cette deuxième voiture serait tombée en panne avant d’arriver à … et aurait été interceptée par la police, qui aurait placé ses occupants en garde à vue, jusqu’à ce que le passeur paie une caution pour leur libération. Il continue en relatant que quelques jours plus tard, ils auraient été rejoints par son oncle, mais sans ses deux frères qui auraient été confiés à une famille en partance pour la Turquie. Le demandeur précise qu’il serait resté avec les autres membres de sa famille pendant près de huit mois dans un logement appartenant au passeur, période durant laquelle sa sœur … serait décédée de la COVID-19. Sa mère et son oncle auraient alors décidé de rentrer en Afghanistan avec les membres de la famille restants et se seraient cachés à …, dans un autre quartier que le leur, à savoir celui d’…. Plusieurs mois se seraient écoulés avant que ses deux frères, qui entre-temps étaient arrivés au Luxembourg, ne leur donnent de leurs nouvelles. Pendant tout ce temps, il aurait vécu en cachette avec les autres membres de sa famille et ils n’auraient pas pu sortir de peur d’être découverts par les talibans, sauf sa mère vêtue d’une burqa.

Le demandeur précise que, depuis que les talibans auraient arrêté son père, qu’ils auraient considéré comme un « mécréant à la solde de mécréants », sa famille aurait été en danger, que les garçons auraient eu une interdiction de suivre une scolarité laïque et que, dès leur puberté, ils auraient été obligés d’aller au Pakistan pour y apprendre à combattre et y être endoctrinés afin de devenir des kamikazes. Comme lui-même aurait été enregistré dans son quartier d’origine et plus particulièrement sur les listes de l’école coranique à la mosquée, les talibans auraient disposé de ses informations personnelles, telles que son nom, son prénom, son âge et son adresse. Il estime que sur ces listes, il aurait « très certainement » été mentionné que son père aurait travaillé pour les étrangers et que ses enfants auraient suivi une scolarité laïque, dans laquelle ils auraient appris l’anglais, langue qui aurait été considérée comme étant celle des mécréants. A cela s’ajouterait que pendant leur séjour en Iran, son absence, ainsi que celle de ses frères, à la madrasa auraient été signalées et l’imam aurait, de ce fait, harcelé son grand-père, en lui demandant son lieu de séjour et d’envoyer son petit-fils au Pakistan. Les talibans ayant pris le pouvoir, le demandeur estime qu’il leur aurait été facile de le retrouver et de l’y envoyer s’il ne s’était pas caché. Il aurait été soulagé lorsqu’en décembre 2021, ses petits frères auraient obtenu le statut de réfugié au Luxembourg et auraient procédé à une demande de regroupement familial.

Le demandeur continue en expliquant que toute la famille, y compris sa sœur (E), auraient pris le chemin vers l’Iran à l’aide d’un passeur et auraient patienté jusqu’à l’obtention des autorisations de séjour pour le Luxembourg. Sa mère et ses deux plus jeunes frères seraient partis en premier, et quelques mois plus tard, il aurait quitté l’Iran, avec sa sœur, avec laquelle il aurait déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 28 octobre 2022. Sa sœur aurait néanmoins décidé d’aller se marier en France où elle résiderait actuellement. Le demandeur s’interroge ensuite sur les raisons pour lesquelles le 26 mars 2024, sa mère a obtenu le statut de réfugié, tandis que lui-même se l’est vu refuser, alors que les raisons fournies par sa mèreà l’appui de sa demande de protection internationale seraient identiques aux siennes, à savoir la peur des talibans, qui auraient enlevé son père, et la volonté d’éviter l’enrôlement par ces derniers des garçons de la famille.

En droit, après avoir cité l’article 37 (3) et (5), ainsi que l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 et l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, le demandeur soutient que le ministre aurait basé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits.

Il estime, tout d’abord, quant à sa crainte d’être enrôlé par les talibans, que le raisonnement du ministre selon lequel cette crainte aurait pu justifier l’octroi d’un statut en 2019 mais non pas en 2021 en raison du changement de régime serait aberrant dans la mesure où les talibans auraient instauré une dictature islamique extrêmement cruelle et arbitraire. Le demandeur renvoie, dans ce contexte, à diverses publications, avant de conclure qu’il risquerait toujours d’être enrôlé par les talibans en cas de retour dans son pays d’origine. Il explique qu’il aurait craint en 2019 d’être envoyé au Pakistan par les talibans, raison pour laquelle il serait allé en Iran, et qu’il ne serait retourné dans son pays d’origine qu’en raison du décès de sa sœur et du retour des autres membres de sa famille. Pendant son séjour en Iran, l’imam aurait sans cesse demandé à son grand-père de l’envoyer au Pakistan, de sorte que ce risque aurait toujours existé. Il ajoute que, tant en 2019 qu’en 2021, les talibans auraient recruté les jeunes hommes pour leur « Jihad », et comme il aurait disparu, il encourrait de graves punitions pour avoir tenté de leur échapper. Il fait valoir que les faits relatés auraient été exposés à l’identique par sa mère lors de son audition respective par la direction de l’Immigration, qui aurait en effet mentionné la disparition de son époux qui travaillait pour les étrangers, les coups portés par l’imam à son fils (B) pour avoir participé à un cours d’anglais et le risque que son fils (B) soit envoyé au Pakistan pour devenir un kamikaze. A cet égard, le demandeur fait valoir que les raisons gisant à la base de la demande de protection internationale de sa mère, ainsi que celles à la base des demandes de ses frères venus en 2020, seraient parfaitement similaires aux siennes et qu’ils ont obtenu le « statut » tandis que lui-même se l’est vu refuser. Il conclut que ses craintes seraient réelles et avérées.

En ce qui concerne la disparition de son père et l’emploi qu’il exerçait, le demandeur estime que le ministre aurait fait preuve d’incohérence dans sa prise de décision et réitère qu’il aurait mené un examen superficiel et insuffisant des faits. En effet, son frère (B), auditionné en date du 15 février 2021, et sa mère, auditionnée le 13 octobre 2022, auraient expliqué la disparition de son père de manière semblable à ses propres déclarations et ceux-ci n’auraient pas non plus pu donner de détails sur l’emploi de son père, de sorte que le ministre ne pourrait pas lui adresser un tel reproche ni lui réclamer des documents prouvant l’activité que son père exerçait. Ainsi, le ministre ne pourrait pas considérer d’un côté que les craintes invoquées à cet égard par sa mère et son frère seraient crédibles mais que de l’autre côté elles ne le seraient pas pour lui-même.

Enfin, quant aux craintes d’un retour en Afghanistan, le demandeur considère que l’imam, qui aurait dénoncé son père aux talibans et qui aurait exigé de son grand-père qu’il soit envoyé au Pakistan, vouerait une haine à l’encontre de sa famille, qu’il ne cesserait de le rechercher et qu’il serait « plus que probable » que cet imam ait fourni son nom aux talibans, de sorte qu’il ne pourrait plus retourner dans son pays d’origine. Monsieur (A) ajoute qu’en outre, ce retour serait compromis étant donné qu’il parlerait plusieurs langues et aurait un style de vie non compatible avec les préceptes talibans, à savoir qu’il suivrait de brillantes études à l’… et se serait laissé pousser les cheveux.

En s’emparant de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur relève que ses « agresseurs » devraient être considérés comme agents de persécution et conclut avoir démontré qu’il risquerait de subir des persécutions en cas de retour dans son pays d’origine au sens des articles 42 et 43 de la loi du 18 décembre 2015.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, après avoir cité les articles 43 et 48 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que l’arrêt « Elgafaji », C-465/07, de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 17 février 2009, Monsieur (A) donne à considérer qu’il aurait fait l’objet de « menaces de la part de personnes à la solde des militaires corrompus ». Il en conclut qu’en cas retour, il serait exposé, au vu des faits exposés, à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement réitère en substance les développements contenus dans la décision ministérielle entreprise. Il précise que le ministre aurait bien procédé à une instruction complète et suffisante et à un examen approprié de la demande de protection internationale de Monsieur (A) en accomplissant toutes les diligences en la matière au regard de l’article 37 (3) de la loi du 18 décembre 2015. Il ajoute que, dans la mesure où la crédibilité générale du récit du demandeur n’avait pas été remise en cause, l’invocation du bénéfice du doute prévu à l’article 37 (5) de la même loi serait sans pertinence. Enfin, il soutient que le ministre, en statuant sur une demande de protection internationale, suivrait exactement la ligne de conduite recommandée par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), en précisant que chaque demande de protection internationale ferait l’objet d’une analyse individuelle, objective et impartiale en tenant compte de la situation particulière du demandeur de protection internationale ainsi que de tous les éléments de son dossier, de sorte que l’octroi d’un statut de protection internationale à une personne n’impliquerait et n’entraînerait pas automatiquement l’octroi du même statut aux autres membres de sa famille.

Suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.

Au titre de la légalité externe, le demandeur reproche au ministre d’avoir fait preuve d’incohérence dans sa prise de décision et d’avoir réalisé un examen superficiel et insuffisant des faits présentés par lui. Il estime qu’en ne lui accordant pas une protection internationale alors qu’il en a accordé une à ses frères et à sa mère sur base des mêmes faits, le ministre aurait violé l’article 37 (3) de la loi du 18 décembre 2015 disposant que : « […] Le ministre procède à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ;

b) les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécution ou d’atteintes graves ;

c) le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave ;

10 d) le fait que, depuis qu’il a quitté son pays d’origine, le demandeur a ou non exercé des activités dont le seul but ou le but principal était de créer les conditions nécessaires pour présenter une demande de protection internationale, pour déterminer si ces activités l’exposeraient à une persécution ou à une atteinte grave s’il retournait dans ce pays ;

e) le fait qu’il est raisonnable de penser que le demandeur pourrait se prévaloir de la protection d’un autre pays dont il pourrait revendiquer la citoyenneté. […] ».

En reprochant une mauvaise instruction de son dossier au ministre, au motif qu’il n’aurait pas analysé à suffisance son cas particulier sur la toile de fond de l’octroi du statut de réfugié à cinq autres membres de sa famille sur la base des mêmes motifs que ceux invoqués par lui-même à la base de sa demande de protection internationale, le demandeur invoque également, de l’entendement du tribunal, la violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que « […] (3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que :

a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement ; […] ».

A la lecture des éléments du dossier, le tribunal est amené à constater que Monsieur (A) a invoqué les faits suivants : (i) le risque d’être envoyé au Pakistan par les talibans pour y suivre une formation afin de devenir un kamikaze, (ii) la disparition de son père qui travaillait pour les étrangers et (iii) les coups reçus par son frère (B) par un imam pour avoir participé à des cours d’anglais, étant précisé, à ce stade, que l’affirmation du demandeur, dans le cadre de son recours, selon laquelle il aurait fait l’objet de « menaces de la part de personnes à la solde des militaires corrompus » constitue manifestement une erreur matérielle alors que ce motif n’a aucun lien avec ses déclarations faites dans le cadre de son audition par l’agent ministériel, voire avec les développements contenus dans son recours.

Il ressort encore des rapports d’audition de la mère du demandeur datant du 13 octobre 2022 et de son frère (B) datant du 15 février 2021, figurant au dossier administratif, que les motifs invoqués par ces derniers sont en tous points identiques à ceux de Monsieur (A), ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par la partie étatique.

Au vu de ce qui précède, si certes le ministre a pris en compte l’intégralité des déclarations fournies par Monsieur (A) et a analysé son cas particulier, la partie étatique reste néanmoins en défaut de fournir des explications circonstanciées face à l’argument du demandeur selon lequel les motifs invoqués par ses frères et sa mère à la base de leurs demandes de protection internationale leur ont permis d’obtenir une protection internationale, tandis que ces mêmes motifs ont pourtant entraîné un refus dans son chef.

L’affirmation du délégué du gouvernement, à cet égard, selon laquelle le ministre prendrait des décisions individuelles et que l’octroi d’une protection internationale à l’un des membres d’une même famille n’entraînerait pas automatiquement l’octroi du même statut aux autres membres n’est pas suffisante pour permettre au tribunal de cerner les raisons qui ont poussé le ministre à accorder à cinq membres de la famille de Monsieur (A) le statut de réfugié et de refuser ledit statut à ce dernier alors qu’ils ont tous invoqué les mêmes motifs.

En outre, les circonstances que le régime afghan ait changé en août 2021 et que le demandeur ne soit plus mineur, et donc ne serait plus à risque d’être actuellement enrôlé de force par les talibans, avancées par la partie étatique, ne permettent pas non plus au tribunal d’entrevoir les motivations du ministre à pourvoir le statut de réfugié à la mère du demandeur et à ses deux frères mineurs, qui ont tous trois introduit leurs demandes de protection internationale en date du 4 juillet 2022, soit seulement trois mois avant Monsieur (A).

Ainsi, dans le cas d’une situation aussi particulière que celle de l’espèce où le ministre a accordé le statut de réfugié à cinq membres d’une famille et l’a refusé à un seul autre membre alors qu’ils ont tous invoqué de manière non contestée et d’ailleurs non contestable les mêmes motifs à la base de leurs demandes de protection internationale, le ministre devait expliquer, au plus tard au stade contentieux, objectivement et précisément les raisons de ce changement de position, et ce d’autant plus qu’en cas de revirement de l’attitude de l’administration, celle-ci a une obligation de motivation renforcée et doit justifier expressément dans sa décision ou par des éléments du dossier pourquoi elle déroge à sa ligne de conduite antérieure1. Dans la mesure où le ministre est toutefois resté en défaut de motiver objectivement les raisons de son refus d’octroi du statut de réfugié vis-

à-vis de Monsieur (A), il y a lieu de retenir une violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit qu’il y a lieu d’annuler la décision déférée dans le cadre du recours en réformation et de renvoyer le dossier au ministre compétent en prosécution de cause, sans qu’il y ait lieu de statuer plus en avant.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur n’a pas formulé de moyens spécifiques à l’appui de son recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, dans la mesure où l’ordre de quitter le territoire découlerait directement de la décision rejetant l’octroi d’une protection internationale.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Au regard de l’annulation de la décision relative au volet de la demande de Monsieur (A) d’octroi d’un statut de protection internationale, la décision portant ordre de quitter le territoire à son encontre est également à annuler dans le cadre du recours en réformation.

1 Trib. adm. 20 juin 2006, n° 22160 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure administrative non contentieuse, n°89.Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 26 mars 2024 portant rejet d’un statut de protection internationale ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 26 mars 2024 portant refus d’une protection internationale et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre compétent ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 26 mars 2024 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 26 mars 2024 portant ordre de quitter le territoire ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 13


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50353
Date de la décision : 14/07/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-07-14;50353 ?

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