Tribunal administratif N° 50159 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50159 2e chambre Inscrit le 8 mars 2024 Audience publique du 14 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures, en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50159 du rôle et déposée le 8 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise NSAN-NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Arménie), de nationalité arménienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 12 décembre 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Françoise NSAN-NWET et Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mai 2025.
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Le 5 avril 2022, Monsieur (A), accompagné de sa compagne, Madame (B), de nationalité ukrainienne, ainsi que de l’enfant mineure (C), également de nationalité ukrainienne, se vit accorder par le ministre de l’Immigration et de l’Asile une protection temporaire au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 », avec une validité jusqu’au 4 mars 2023.
Le 2 décembre 2022, la protection temporaire ainsi accordée à Monsieur (A) fut prolongée jusqu’au 4 mars 2024.
Le 14 mars 2023, Monsieur (A) déclara renoncer à son statut de protection temporaire.
Le même jour, il introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité 1organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.
Les 20 avril et 4 mai 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 29 juin 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2023, l’intéressé fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 29 juin 2023, lequel recours fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 25 septembre 2023, inscrit sous le numéro 49166 du rôle.
Par courrier de son litismandataire du 17 octobre 2023, Monsieur (A) s’adressa à la direction de l’Immigration pour solliciter le bénéfice d’un report à l’éloignement.
Par décision du 12 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par le « ministre », rejeta la demande de Monsieur (A) en obtention d’un report à l’éloignement sur base des motifs et considérations suivants :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 17 octobre 2023 par lequel vous sollicitez pour le compte de votre mandant une demande en obtention d'un report à l'éloignement.
En réponse permettez-moi de vous informer que je ne suis malheureusement pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande en obtention d'un report à l'éloignement étant donné que Monsieur (A) ne remplit pas les conditions à l'article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
En effet, le Tribunal administratif, dans son jugement du 25 septembre 2023, constate que la crédibilité générale du récit de Monsieur (A) est manifestement ébranlée. De fait, il n'est pas clair quel serait exactement le problème rencontré par le demandeur avec les autorités de son pays d'origine et en raison duquel il serait recherché par ces dernières, les explications afférentes étant incohérentes, voire contradictoires. Monsieur (A) s'est borné à fournir des développements théoriques d'ordre général, sans prendre position in concreto quant aux multiples incohérences et contradictions.
Finalement, le retour en Arménie n'est pas exclu d'office car la situation sécuritaire en Arménie ne serait pas telle que toute personne présente sur le territoire dudit pays risquerait de subir des menaces et atteintes graves contre sa vie ou sa personne en raison de violences aveugles dans le cadre d'un conflit armé interne ou international.
La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un 2délai de trois mois à partir de la notification de la présente. Le recours n'est pas suspensif.
[…] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 12 décembre 2023.
Etant donné qu’en la présente matière aucun recours au fond n’est prévu ni par la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 », ni par une autre disposition légale, le demandeur a valablement pu introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle déférée refusant de faire droit à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et avant d’exposer en partie les faits et rétroactes tels que repris ci-avant, le demandeur invoque être un ressortissant arménien et avoir quitté son pays d’origine en raison des persécutions qu’il y aurait subies pour se réfugier en Ukraine où il aurait rencontré sa compagne, Madame (B), qui aurait donné naissance le … à leur fille, (C).
En raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, ils auraient quitté ce pays pour le Luxembourg où ils se seraient vu accorder une protection temporaire.
En droit, le demandeur estime qu’il y aurait lieu de vérifier si la décision déférée n’était pas manifestement disproportionnée au regard de la protection de ses droits fondamentaux et de ceux de sa famille, en invoquant à ce sujet plus particulièrement une violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par la « CEDH », dans la mesure où il aurait sollicité un report à l’éloignement en raison des persécutions qu’il risquerait de subir en cas de retour dans son pays d’origine et où l’obligation de quitter le territoire luxembourgeois rendrait impossible toute vie familiale avec sa compagne et leurs deux enfants, le demandeur faisant à ce sujet valoir que sa filiation avec l’enfant (C) serait établie par un test ADN et que de sa relation avec sa compagne serait encore issu un deuxième enfant, (D), né le ….
Après avoir souligné que la majorité des Etats membres de l’Union européenne aurait mis en place une protection spéciale des femmes enceintes au regard de leur vulnérabilité particulière, laquelle serait également reconnue au niveau international, le demandeur renvoyant à ce sujet à une note publiée sur le site du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, il fait exposer que sa compagne aurait été enceinte au moment où il avait introduit sa demande tendant à l’obtention d’un report à l’éloignement et que le refus intervenu à la suite de cette demande les aurait plongés, elle et ses enfants, dans une situation de vulnérabilité accrue en ce que la décision déférée leur nierait le droit à une vie de famille et contribuerait à la dégradation de la situation sociale et affective de sa compagne qui serait contrainte d’élever seule ses deux enfants dont l’un d’eux serait encore un nourrisson.
Dans un même ordre d’idées et au regard de l’ensemble de ces considérations, le demandeur estime que l’examen de la proportionnalité de la décision déférée devrait également être effectué au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, notion qui serait issue de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, et qui aurait ensuite été reprise dans de nombreux textes tant internationaux que nationaux, dont notamment la Constitution.
3 En se prévalant, dans ce contexte, d’un arrêt rendu par la Cour suprême britannique en 2011 dans une affaire « ZH (Tanzanie) (FC) contre le secrétaire d’Etat au ministère de l’Intérieur », d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », rendu le 11 mars 2021 dans une affaire M. A. contre Etat belge, C-112/20, d’un extrait de l’« Observation générale (n° 14) » du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, ainsi que de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après la « directive 2008/115/CE », le demandeur fait valoir que toute décision concernant un enfant devrait être motivée, justifiée et expliquée, et que si la solution retenue n’était exceptionnellement pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant, les motifs à la base d’une telle décision devraient être exposés de manière qu’il puisse être démontré que l’intérêt supérieur de l’enfant a été néanmoins une considération prépondérante dans la prise de décision.
Le demandeur continue en soutenant que dans l’affaire précitée M. A. contre Etat belge, C-112/20, à l’aune de laquelle son recours en annulation devrait être analysé, la CJUE aurait affirmé que l’article 5 de la directive 2008/115/CE, lu en combinaison avec l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte », serait à interpréter en ce sens qu’il imposerait aux Etats membres de tenir dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant avant d’adopter une décision de retour, et ce, même lorsque le destinataire de cette décision ne serait pas le mineur lui-même, mais le père de celui-ci. Tout en soulignant ainsi l’importance du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et la nécessité d’une interprétation large de ce principe, le demandeur estime que la CJUE aurait fait une exacte application des recommandations énoncées par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies dans sa note n°14 et aurait démontré, à travers cette décision, l’absolue nécessité d’effectuer un contrôle de proportionnalité entre l’acte administratif et la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant qui devrait être primordial, ce d’autant plus si l’acte en question risque de porter atteinte à un droit fondamental, tel le droit à une vie familiale.
A ce sujet, après avoir donné à considérer qu’il vivrait depuis deux ans au Luxembourg avec sa compagne et sa fille mineure (C), qu’il serait récemment devenu père d’un second enfant, que sa famille bénéficierait d’une protection temporaire et que lui personnellement n’aurait commis aucune infraction ni fait l’objet d’aucune condamnation, le demandeur reproche au ministre de s’être limité, pour rejeter sa demande en obtention d’un report à l’éloignement, à rappeler les faits exposés par le jugement du tribunal administratif du 25 septembre 2023 sans faire l’analyse de sa situation personnelle au regard de sa vie familiale, ni rechercher l’intérêt supérieur de ses enfants.
Il résulterait des considérations qui précèdent qu’en concluant qu’il ne remplissait pas les conditions prévues à l’article 125bis de la loi modifiée du 29 août 2008, le ministre aurait violé le principe de droit qui lui imposerait de vérifier la proportionnalité entre les conséquences de la décision déférée et ses droits fondamentaux, à savoir son droit à la vie familiale au sens de l’article 8 CEDH et l’intérêt supérieur de ses enfants au sens de l’article 24, paragraphe (2) de la Charte.
De ce fait, la décision ministérielle du 12 décembre 2023 encourrait l’annulation pour excès de pouvoir.
4Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 : « (1) Si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129, le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances propres à chaque cas et jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation. L’étranger peut se maintenir provisoirement sur le territoire, sans y être autorisé à séjourner. […] ».
Ledit article prévoit ainsi la « faculté » pour le ministre de reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances si celui-ci justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou encore s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans un autre pays conformément à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, disposition qui, quant à elle, dispose comme suit :
« L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
L’article 129 précité s’oppose ainsi à ce qu’un étranger soit éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il est établi que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par la « Convention torture ».
Partant, une lecture combinée des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008 amène le tribunal à retenir qu’au cas où l’étranger réussit à établir qu’il risque sa vie ou sa liberté dans le pays à destination duquel il sera éloigné ou qu’il y sera exposé à des traitements au sens des articles 3 de la CEDH et 1er et 3 de la Convention torture, le ministre est dans l’obligation de reporter l’éloignement, nonobstant le libellé de l’article 125bis qui exprime par l’utilisation du mot « peut » l’existence d’une simple faculté dans le chef du ministre1.
Il convient encore de relever que le report à l’éloignement constitue par définition une mesure provisoire, temporaire, destinée à prendre fin en même temps que les circonstances de fait empêchant l’éloignement de l’étranger soumis à une obligation de quitter le territoire auront cessé, la charge de la preuve des raisons justifiant un report à l’éloignement incombant en principe au demandeur qui se prévaut des conditions de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008.
Par ailleurs, les obstacles visés par le premier cas de figure de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 doivent avoir trait aux modalités effectives du départ, voire de l’éloignement de l’intéressé du territoire luxembourgeois, telles que notamment la délivrance de documents de voyage valables et l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé, l’obstacle à 1 Trib. adm. 14 novembre 2012, n°29750, Pas. adm. 2024, Etrangers, n° 811 et les autres références y citées.
5l’éloignement en raison de la situation de sécurité dans le pays de destination étant, quant à lui, expressément prévu par le second cas de figure dudit article 125bis, lequel, par renvoi à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, prévoit la possibilité d’un report à l’éloignement de l’intéressé si sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH.
Or, force est tout d’abord de constater que le demandeur n’affirme pas ne pas pouvoir quitter le territoire luxembourgeois pour des raisons indépendantes de sa volonté, de sorte que le premier cas de figure défini par l’article 125bis de la loi du 29 août 2008, à savoir celui relatif à l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de la volonté de la personne concernée, n’a pas à être examiné par le tribunal.
En ce qui concerne ensuite le risque de subir des mauvais traitements inhumains et contraires au sens de l’article 3 de la CEDH en cas de retour dans son pays d’origine, qui a trait au cas de figure prévu à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, le demandeur se limite à indiquer dans sa requête introductive d’instance qu’il aurait « sollicité un report à l’éloignement car il craignait de subir des persécutions de retour dans son pays d’origine », sans toutefois autrement développer cette crainte. A cet égard, le tribunal rappelle que des moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, sont à rejeter pour ne pas être fondés, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les arguments juridiques qui auraient pu se trouver à la base desdits moyens. Ce moyen, si tant est que le demandeur l’ait effectivement entendu formuler, encourt partant le rejet pour manquer de fondement.
Quant aux moyens du demandeur tirés de la violation de l’article 8 de la CEDH en vertu duquel « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui », et de l’article 24, paragraphe (2) de la Charte qui dispose que « Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale », force est au tribunal de relever qu’à travers sa décision du 29 juin 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile avait refusé la demande de Monsieur (A) en obtention d’une protection internationale, tout en lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours. C’est dès lors sur le fondement de cette décision ministérielle du 29 juin 2023, qui ne fait pas l’objet du présent recours, que le demandeur est obligé de quitter le Grand-
Duché de Luxembourg, cette décision étant de ce fait seule susceptible de porter, le cas échéant, atteinte à sa prétendue vie familiale au sens de l’article 8 de la CEDH et à l’intérêt supérieur de ses enfants au sens de l’article 24, paragraphe (2) de la Charte. Il s’ensuit que les moyens tirés d’une violation de l’article 8 de la CEDH, respectivement de l’article 24, paragraphe (2) de la Charte, en raison d’une séparation de sa compagne et de ses enfants par le fait de son éloignement du territoire luxembourgeois en exécution de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre par décision ministérielle du 29 juin 2023 et ayant entre-temps acquis autorité de chose jugée, ne sauraient être utilement invoqués dans le cadre d’un recours visant exclusivement une décision portant refus de faire droit à une demande tendant à l’obtention d’un report à l’éloignement, de sorte qu’ils encourent le rejet pour être dénués de pertinence.
6A titre superfétatoire et pour les seuls besoins de la discussion, force est de toute façon au tribunal de constater que l’existence au Luxembourg d’une vie familiale effective n’est en l’occurrence aucunement établie dans le chef du demandeur.
Il convient tout d’abord de rappeler que, dans le cadre du recours en annulation, l’analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où il statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise2. Or, l’enfant (D) – dont la filiation avec le demandeur n’est d’ailleurs étayée par aucun document – n’étant né qu’en date du …, soit postérieurement à la prise de la décision déférée du 12 décembre 2023, l’analyse de l’existence d’une vie familiale effective dans le chef du demandeur doit être effectuée, en l’occurrence, uniquement par rapport à Madame (B) et à leur enfant commun (C).
S’il est certes constant en cause que le demandeur et Madame (B) sont les parents biologiques de la mineure (C) et qu’ils sont arrivés ensemble au Luxembourg où ils se sont vu octroyer une protection temporaire, il n’en reste pas moins que ce fait ne saurait suffire à lui seul, en l’absence d’éléments tangibles pour conclure à l’existence au moment de la prise de la décision litigieuse d’une vie familiale effective entre ces mêmes personnes, étant relevé à cet égard que la notion de vie privée et familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres3, un tel lien n’étant pas établi en l’espèce.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, le recours sous analyse est à rejeter pour n’être fondé dans aucun de ces moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2025 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
2 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 23 et les autres références y citées.
3 V. en ce sens : Cour adm. 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 488 (2e volet) et les autres références y citées.
7 s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 8