Tribunal administratif N° 49691 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49691 2e chambre Inscrit le 10 novembre 2023 Audience publique du 14 juillet 2025 Recours formé par l’association sans but lucratif (AA) ASBL, …, l’association sans but lucratif (BB) ASBL, …, et l’association sans but lucratif (CC) ASBL, …, en présence de l’association sans but lucratif (DD) ASBL, …, contre un acte du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière d’accueil de demandeurs de protection internationale
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49691 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2023 par Maître Catherine WARIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) l’association sans but lucratif (AA) ASBL, établie et ayant son siège à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;
2) l’association sans but lucratif (BB) ASBL, établie et ayant son siège à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;
3) l’association sans but lucratif (CC) ASBL, établie et ayant son siège à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;
tendant à l’annulation :
d’« un acte administratif à caractère règlementaire :
• apparemment pris le 20 octobre 2023 par le Ministre de l’Immigration et de l’Asile, • non publié mais annoncé par le Ministre lors d’une conférence de presse le 20 octobre 2023, et sur lequel le Ministre a communiqué dans la presse à plusieurs reprises à partir de cette date […] • prévoyant que soient exclus de l’accueil prévu par la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale, les hommes seuls présentant leur demande de protection internationale au Luxembourg ayant déjà déposé une demande de protection internationale dans un autre Etat membre de l’Union européenne, sinon que l’accès à cet accueil leur soit drastiquement restreint. » ;
Vu la requête en intervention volontaire déposée en date du 16 novembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Catherine WARIN au nom de l’association sans but lucratif (DD) ASBL, établie et ayant son siège à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à intervenir dans l’instance introduite par le recours en annulation du 10 novembre 2023 et portant le numéro 49691 du rôle ;
Vu le courrier du 29 janvier 2024, déposé au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2024, par le biais duquel Maître Catherine WARIN a informé le tribunal administratif en application de l’article 25 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives que l’association sans but lucratif (CC) ASBL se désiste du recours inscrit sous le numéro 49691 du rôle ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 12 février 2024 par Maître Marc THEWES, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2024 par Maître Catherine WARIN, au nom des parties requérantes et intervenante, préqualifiées ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2024 par Maître Marc THEWES, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine WARIN et Maître Pierre DURAND, en remplacement de Maître Marc THEWES, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 mai 2025.
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Il se dégage de la requête introductive d’instance qu’à une date indéterminée, le ministre de l’Immigration et de l’Asile aurait décidé de réserver prioritairement les places d’accueil aux familles avec enfants et de ne plus accueillir temporairement de demandeurs de protection internationale qui sont des hommes seuls.
Cette décision aurait ensuite été annoncée lors d’une conférence de presse en date du 20 octobre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile y ayant déclaré « À partir de lundi, les hommes voyageant seuls, déjà enregistrés dans un autre pays, seront placés sur une liste d’attente jusqu’à ce que l’Office national de l’accueil (ONA) prenne une décision. », de même qu’il aurait réaffirmé cette position à travers des déclarations ultérieures à la presse.
Les associations sans but lucratif (AA) ASBL, (BB) ASBL et (CC) ASBL exposent dans le recours sous analyse, appuyées à cet égard par l’association sans but lucratif (DD) ASBL, partie intervenante suivant requête du 16 novembre 2023, que les effets désastreux de cette décision auraient pu être constatés dès le lundi 23 octobre 2023 lorsque des demandeurs de protection internationale nouvellement arrivés au Luxembourg se seraient présentés dans les locaux des associations (AA) ASBL et (BB) ASBL en y expliquant avoir introduit une demande de protection internationale sans toutefois avoir obtenu l’accès à un hébergement ni à d’autres conditions matérielles d’accueil, de sorte que chaque jour, des personnes se verraient privées d’accueil et, dans le meilleur des cas, obtiendraient un courrier du directeur de l’Office national de l’accueil (ONA) précisant ce qui suit :
« […] En tant que demandeur de protection internationale, vous pouvez prétendre aux aides de l’ONA. Conformément aux articles 2, lettre g) et 13 de la précitée loi modifiée du 18 décembre 2015, vous bénéficiez des conditions matérielles d’accueil suivantes :
1° Aide alimentaire immédiate et unique de 10€ par jour distribuée sous forme de bons lors de votre passage à la Direction de l’Immigration.
2° Aide pour l’alimentation de 121,84€ distribuée 2 fois par mois sous forme de bons lors de votre passage à I’ONA.
3°Aide vestimentaire de 121,84€ distribuée sur demande 2 fois par an sous forme de bons lors de votre passage à l’ONA.
4°Aide pour l’hygiène de 24,23€ distribuée 2 fois par mois sous forme de bons lors de votre passage à I’ONA.
5°Allocation pécuniaire de 31,22€ distribuée 1 fois par mois à partir de la date d’ouverture du droit aux conditions matérielles d’accueil.
A ces aides s’ajoutent la prise en charge des besoins nutritionnels spécifiques et des soins médicaux de base.
Ces aides sont garanties en tout état de cause.
Cependant, le réseau d’hébergement est saturé au point que nous ne sommes actuellement pas en mesure de vous attribuer un logement dans l’une de nos structures d’hébergement. Je tiens toutefois à préciser que vous êtes inscrit sur une liste d’attente en vue de l’attribution d’un logement dans notre réseau. Par conséquent, dès que les capacités d’accueil le permettent, l’ONA vous contactera sans délai.
Soyez convaincu que l’ONA met tout en œuvre pour garantir au mieux votre droit à l’accueil et ce même en situation de saturation du réseau d’hébergement. […] ».
Elles ajoutent que si les courriers de l’ONA mentionnaient certes le droit à des bons alimentaires, ni l’accès à ceux-ci ni leur utilisation n’auraient été expliqués aux personnes concernées, de sorte que la plupart se seraient retrouvées non seulement à la rue mais, qui plus est, sans nourriture, scénario qui se serait répété à de nombreuses reprises.
L’association sans but lucratif (AA) ASBL expose ensuite que face à l’afflux de personnes complètement démunies, elle aurait déployé ses modestes ressources en lançant un appel à la solidarité du public, de sorte à avoir commencé à distribuer des tentes et des sacs de couchage pour parer aux urgences vitales, les tentes données ayant été installées, pour la plupart, sous le pont Adolphe. En parallèle, elle aurait encore multiplié les échanges avec différents partenaires pour chercher des solutions auprès d’autres associations et de structures d’hébergement pour sans-abris et personnes vulnérables, tout en travaillant à mettre en contact les personnes concernées avec des avocats disposés à effectuer rapidement des démarches en justice.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2023, inscrite sous le numéro 49691 du rôle, l’association sans but lucratif (AA) ASBL, l’association sans but lucratif (BB) ASBL, ainsi que l’association sans but lucratif (CC) ASBL ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de l’acte réglementaire apparemment pris le 20 octobre 2023 par le ministre de l’Immigration et de l’Asile et ayant décidé que soient exclus de l’accueil prévu par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale, ci-après désignée par « la loi Accueil », les hommes seuls présentant leur demande de protection internationale au Luxembourg ayant déjà déposé une demande de protection internationale dans un autre Etat membre de l’Union européenne, sinon que l’accès à cet accueil leur soit drastiquement restreint, tandis que par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 49692 du rôle, les trois associations sans but lucratif ont demandé à voir suspendre l’acte entrepris en attendant la solution de leur recours au fond, requête dont elles ont été déboutées par ordonnance présidentielle du 24 novembre 2023.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 2023 par Maître Catherine WARIN, l’association sans but lucratif (DD) ASBL, préqualifiée, a déclaré vouloir intervenir volontairement dans l’instance introduite par le recours en annulation du 10 novembre 2023 et portant le numéro 49691 du rôle.
A titre liminaire, le tribunal constate que par acte de désistement d’instance daté du 29 janvier 2024, l’association sans but lucratif (CC) ASBL a déclaré se désister de la présente instance en application de l’article 25 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par la « loi du 21 juin 1999 », de sorte qu’il y a lieu de lui en donner acte.
Quant au recours principal Il y a lieu de constater que la partie étatique conclut au rejet du recours en annulation introduit par les associations requérantes pour cause d’incompétence du tribunal, respectivement pour cause d’irrecevabilité en contestant, d’une part, que l’acte déféré au tribunal puisse être considéré comme constituant un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux, tout en déniant, d’autre part, et en tout état de cause, tout intérêt à agir dans le chef des associations requérantes, même à supposer que le recours soit considéré comme étant dirigé contre un acte administratif attaquable en justice.
Quant à la question de l’existence d’un acte administratif susceptible d’un recours contentieux, les associations requérantes soutiennent, dans la requête introductive d’instance, que l’acte entrepris par elles serait bien constitutif d’un acte administratif dans la mesure où le ministre de l’Immigration et de l’Asile aurait adopté une « nouvelle règle de tri pour déterminer quelles personnes se verront nier l’accès aux conditions matérielles d’accueil » et que cette « règle [serait] appliquée de façon générale à l’ensemble des personnes qui se présentent pour déposer leur demande de protection internationale et voient leur situation factuelle et juridique affectée par le refus d’accès à un hébergement ». Elles insistent, dans ce contexte, sur la nature règlementaire de l’acte attaqué en ce qu’il constituerait une décision générale et abstraite prise par le ministre de l’Immigration et de l’Asile et qu’il modifierait l’ordonnancement juridique puisqu’il créerait une nouvelle règle générale et discriminatoire ayant pour objet d’exclure du bénéfice des conditions matérielles d’accueil, en particulier de l’hébergement, les hommes seuls ayant déjà présenté une demande de protection internationale dans un autre Etat membre de l’Union européenne et présentant une telle demande au Luxembourg, sinon de leur restreindre drastiquement l’accès à ces conditions. Elles ajoutent qu’il semblerait que l’acte en question ne nécessiterait pas de décisions individuelles supplémentaires pour produire ses effets en se référant, à cet égard, à une ordonnance du président du tribunal administratif du 27 octobre 2023 dans laquelle il aurait été retenu que les courriers individuels de l’ONA ne matérialiseraient pas des décisions administratives mais des voies de fait.
Il devrait dès lors être admis que l’acte attaqué produirait par lui-même des effets juridiques affectant la situation des personnes concernées qu’il priverait du droit à une décision individuelle et donc de la possibilité de contester une telle décision. Les effets et l’interprétation de la loi telle qu’opérée par le ministre de l’Immigration et de l’Asile et de la pratique correspondante seraient donc nécessairement généraux.
Au vu de ces considérations, il ne ferait pas de doute que l’acte litigieux affecterait non seulement les intérêts des demandeurs de protection internationale, en général, mais aussi ceux de l’association sans but lucratif (AA) ASBL, en particulier, dont l’objet même consisterait à faire parvenir l’information aux demandeurs de protection internationale et à s’assurer que ceux-ci puissent faire valoir leurs intérêts et exercer leurs droits.
Comme l’acte en cause produirait des effets immédiats sur un nombre indéterminé de personnes, dont les associations requérantes, il serait à considérer comme ayant un caractère réglementaire.
Dans son mémoire en réponse, la partie étatique invoque tout d’abord l’incompétence du tribunal pour connaître du recours sous analyse au motif qu’il viserait un acte ne produisant aucun effet juridique direct sur la situation des demandeurs de protection internationale qui sont inscrits sur une liste d’attente, de sorte à ne pas constituer un acte réglementaire au sens de l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par la « loi du 7 novembre 1996 ». Afin de sous-tendre son moyen, elle fait plaider, en substance, que l’« annonce de la pratique administrative de l’État » consisterait plus particulièrement en une simple mise en œuvre d’une adaptation temporaire des conditions matérielles d’accueil pour surmonter une période de saturation, adaptation qui serait d’ailleurs prévue par la loi Accueil et qui ne nécessiterait aucun acte réglementaire pour être instaurée. A cela viendrait s’ajouter le fait que, de toute façon, suivant la jurisprudence des juridictions administratives, la possibilité d’un recours en annulation à l’encontre d’un acte administratif à caractère réglementaire serait limitée aux seuls actes de nature à produire un effet direct sur les intérêts privés d’une ou de plusieurs personnes dont ils affectent immédiatement la situation sans nécessiter pour autant la prise d’un acte administratif individuel d’exécution. Il s’ensuivrait que ce serait en vain que les associations requérantes tenteraient de déduire l’existence d’un acte réglementaire « occulte » de l’existence de décisions individuelles telles que le courrier du 25 octobre 2023 émanant de l’ONA. En effet, il devrait être admis que le fait même que des actes individuels soient nécessaires pour que le prétendu acte règlementaire « occulte » sorte ses effets s’opposerait à l’introduction d’un recours direct contre ledit acte. La partie étatique insiste enfin sur le fait que les lettres notifiées par l’ONA aux demandeurs de protection internationale inscrits sur une liste d’attente pour un hébergement constitueraient des décisions individuelles susceptibles d’un recours contentieux pour émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et affecter les droits et intérêts de la personne qui la conteste.
Dans leur mémoire en réplique, après avoir critiqué le fait que l’ONA communique avec les demandeurs de protection internationale inscrits sur une liste d’attente au moyen d’un affichage, ainsi que contesté l’état de saturation des capacités des structures d’accueil, tel que mis en avant par la partie étatique, les associations requérantes insistent, en droit, tout d’abord sur le fait que « l’acte entrepris » ne serait pas une simple mise en œuvre de la loi Accueil, mais qu’il modifierait, au contraire, les modalités prévues par ladite loi et la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), ci-après désignée par la « directive Accueil ». Elles contestent, dans ce même contexte, que la Wanteraktioun vers laquelle étaient redirigés les demandeurs de protection internationale inscrits sur une liste d’attente, puisse être considérée comme correspondant à l’une des catégories d’hébergement ou de logement prévues par la directive Accueil en pointant l’obligation de résultat qui serait imposée par ladite directive à l’Etat dès que des personnes demandent une protection internationale. Elles estiment, enfin, qu’en ajoutant de nouvelles hypothèses de restrictions aux conditions matérielles d’accueil, fondées sur la vulnérabilité des demandeurs de protection internationale, l’Etat luxembourgeois violerait les obligations prévues en vertu de la directive Accueil et de la loi Accueil.
Les associations requérantes continuent en donnant à considérer que même à supposer qu’il puisse être considéré qu’il y avait « un pouvoir discrétionnaire à l’œuvre », cet état de fait n’exclurait pas tout contrôle juridictionnel, tout en renvoyant, à cet égard, à un arrêt de la Cour administrative du 28 novembre 2023, inscrit sous le numéro 48728C du rôle, dans lequel il aurait été retenu, en substance, que les « exigences découlant du principe de l’Etat de droit avec les principes d’accès au juge et du recours effectif s’appliquent à tout recours en annulation, qu’il soit dirigé contre un acte individuel ou un acte réglementaire ».
Quant à la question concrètement litigieuse de l’existence de l’acte entrepris et plus loin de son caractère attaquable, les associations requérantes soulignent que l’ajout de nouvelles conditions de tri pour l’accès à l’hébergement des demandeurs de protection internationale serait bien constitutif d’un acte administratif.
Elles affirment, dans ce contexte, qu’un parallèle avec un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») du 5 décembre 2023, rendu dans une affaire C-128/22, Nord Info, viendrait appuyer leur argumentation à ce sujet, en ce que ladite juridiction, après avoir examiné des mesures restreignant la liberté de circulation des citoyens de l’Union, telle que protégée par la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, aurait expliqué que si les garanties en termes d’accès à un recours juridictionnel étaient envisagées en premier lieu pour les décisions individuelles restrictives des droits prévus par ladite directive, les mêmes exigences vaudraient pour les actes de portée générale, sans qu’il ne soit venu à l’idée de la CJUE que la restriction de droits prévus par une directive puisse être opérée autrement que par « des actes et des décisions adoptés par les autorités nationales ». Or, elles insistent sur le fait qu’en l’espèce, il existerait bien un acte à caractère réglementaire attaquable en justice.
Toujours pour sous-tendre leur affirmation suivant laquelle elles auraient bien déféré au tribunal à travers le recours sous analyse un acte administratif à caractère réglementaire susceptible d’un recours contentieux, elles se réfèrent encore à un arrêt du Conseil d’Etat belge du 13 septembre 2023 ayant ordonné la suspension de la décision de la secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration belge, adoptée à une date indéterminée, d’exclure temporairement les hommes seuls, demandeurs d’asile, du bénéfice de l’accueil, ainsi qu’à un arrêt du Conseil d’Etat français du 12 juin 2020 dans lequel celui-ci, après avoir retenu que les « documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisées ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre », ce qui serait notamment le cas de « documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices », a reconnu sa compétence pour connaître d’un recours pour excès de pouvoir contre « une note d’actualité […] de la division de l’expertise en fraude documentaire et à l’identité de la direction centrale de la police aux frontières du 1er décembre 2017 relative "aux fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil" ». Après avoir relevé que la Cour administrative serait d’ailleurs allée dans le même sens dans son arrêt du 23 février 2023, inscrit sous le numéro 48104C du rôle, elles ajoutent que contrairement à la « note d’actualité » qui avait été attaquée devant le Conseil d’Etat français et qui aurait laissé les fonctionnaires procéder à un examen au cas par cas sur base de critères légaux, en l’espèce, les critères eux-mêmes seraient illégaux, et la « décision » serait contraire à plusieurs normes juridiques supérieures.
Elles estiment que si un doute devait subsister « sur la nature d’acte attaquable de la décision (ou du « choix politique ») entreprise », il conviendrait de poser à la CJUE, sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE »), la question suivante : « les articles 17 et 18 de la directive Accueil, l’article 47 de la Charte, et le principe général du droit à une bonne administration doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une décision consistant à introduire des critères pour refuser sinon retarder l’accès de certaines catégories de demandeurs d’asile à certaines conditions matérielles d’accueil, en particulier le logement, doit être considérée comme un acte pouvant faire l’objet d’un recours juridictionnel ? ».
Dans son mémoire en duplique, la partie étatique maintient ses contestations ayant trait à l’incompétence du tribunal pour connaître du recours sous analyse faute d’être dirigé contre un acte administratif susceptible d’un recours contentieux en insistant sur le fait que le tribunal ne pourrait que constater l’absence de preuve de l’existence d’un acte réglementaire ayant la teneur invoquée par les associations requérantes. Elle réfute, par ailleurs, l’affirmation suivant laquelle les autorités luxembourgeoises excluraient de l’accueil ou en restreindraient drastiquement les hommes seuls présentant une demande de protection internationale au Luxembourg après en avoir déjà déposé une dans un autre Etat membre, tout en insistant sur le fait que l’Etat n’aurait ni arrêté d’octroyer les conditions matérielles de l’accueil ni limité ces mêmes conditions, mais que ce serait face à la situation de saturation des structures d’accueil dont dispose l’ONA qu’avait été mis en place un système de gestion dans le cadre duquel les demandeurs jugés moins vulnérables ne seraient pas admis immédiatement dans ces structures mais placés sur une liste d’attente et temporairement dirigés vers des structures d’accueil non dédiées à l’accueil des demandeurs de protection internationale mais relevant du système d’assistance publique générale. Le courrier de l’ONA du 25 octobre 2023, versé en cause par les associations requérantes, établirait d’ailleurs que l’Etat continue d’octroyer les conditions matérielles aux personnes remplissant les conditions fixées par l’article 8 de la loi Accueil. A cela s’ajouterait qu’il serait faux de prétendre que le droit à l’hébergement serait catégoriquement remis en cause puisqu’au contraire, à travers la prise des décisions individuelles différant dans le temps l’octroi de l’hébergement au sein du réseau de l’ONA, l’Etat ferait la promesse au demandeur de protection internationale inscrit sur une liste d’attente qu’une place lui sera accordée dès que cela sera possible, tout en l’invitant, dans l’intervalle, d’avoir recours à la Wanteraktioun. Au vu de ces considérations, il devrait être admis que la politique luxembourgeoise se distinguerait drastiquement de la politique belge à laquelle les associations requérantes feraient expressément référence.
En tout état de cause, la partie étatique fait valoir que comme l’acte réglementaire visé par le recours n’existerait pas, il n’appartiendrait pas non plus au tribunal de statuer sur le recours en question.
La partie étatique reproche ensuite aux associations requérantes de tenter de modifier l’objet du recours sous analyse à travers le mémoire en réplique en attaquant « tous azimuts » la manière dont l’ONA a géré, depuis le mois d’octobre 2023, la saturation des structures d’hébergement sous sa gestion, tout en tentant de démontrer l’existence d’un acte réglementaire par l’examen des décisions administratives qui, prétendument, le mettraient en œuvre. Elle insiste, à cet égard, sur le fait qu’il serait de jurisprudence que le législateur luxembourgeois n’avait pas prévu dans le chef des juridictions administratives un recours en annulation ouvert directement contre toute disposition à caractère réglementaire, mais limité le recours en annulation à l’encontre d’un acte administratif à caractère réglementaire aux seuls actes de nature à produire un effet direct sur les intérêts privés d’une ou de plusieurs personnes dont ils affectent immédiatement la situation sans nécessiter pour autant la prise d’un acte administratif individuel d’exécution. Elle estime qu’en s’attaquant à ce prétendu acte réglementaire, les associations requérantes ne chercheraient en réalité qu’à porter devant le tribunal, de manière générale, et au moyen d’une actio popularis, leur désaccord avec la politique de gestion de la crise de l’accueil qui se manifesterait par autant de décisions individuelles qu’il y avait eu de personnes pour lesquelles le bénéfice de l’hébergement a dû être décalé dans le temps faute de place disponible immédiatement dans les structures d’accueil d’urgence de l’ONA.
Ce serait sous ces réserves que la partie étatique procèderait à l’examen du mémoire en réplique pour démontrer, à l’inverse de ce que pensent les associations requérantes, non seulement que l’action de l’ONA trouverait son fondement directement dans la loi et resterait dans les limites de la marge d’appréciation que le législateur avait laissée à l’administration, mais également les raisons pour lesquelles il devrait être admis que l’hébergement de demandeurs de protection internationale pour lesquels il n’y a pas de place dans les structures d’accueil gérées par l’ONA dans d’autres structures d’hébergement satisfait bien aux exigences de la loi Accueil. Après avoir rappelé plus particulièrement le cadre juridique de la mise en œuvre de modalités dérogatoires d’hébergement en cas de saturation du réseau d’accueil et mis en lumière les raisons pour lesquelles les conditions d’hébergement des demandeurs de protection internationale inscrits sur la liste d’attente étaient bien en adéquation avec la loi Accueil, lue à la lumière de la directive Accueil, elle insiste encore sur le fait que les déclarations du ministre de l’Immigration et de l’Asile de l’époque n’auraient pas ajouté de nouvelles sanctions aux régimes de l’article 22 de la loi Accueil, tout en relevant qu’après l’octroi des conditions matérielles, il serait possible au directeur de l’ONA d’adopter des sanctions conformément à l’article 22 de la loi Accueil.
Enfin, la partie étatique réitère que le prétendu acte règlementaire entrepris, même à admettre qu’il existe, ne serait pas attaquable pour ne pas avoir d’effet direct, la partie étatique développant encore les raisons pour lesquelles elle estime qu’il y aurait lieu de rejeter les exemples jurisprudentiels belges et français invoqués par les associations requérantes pour convaincre le tribunal de se déclarer compétent pour connaître du recours sous analyse.
Le tribunal se doit tout d’abord de relever qu’il se dégage sans équivoque de la requête introductive d’instance que le recours sous examen est concrètement dirigé contre un acte réglementaire que le ministre de l’Immigration et de l’Asile aurait prétendument pris le 20 octobre 2023, en annonçant l’exclusion de l’accueil prévu par la loi Accueil des hommes seuls présentant leur demande de protection internationale au Luxembourg ayant déjà déposé une demande de protection internationale dans un autre Etat membre de l’Union européenne, sinon que l’accès à cet accueil leur soit drastiquement restreint. Dans la mesure où il est de jurisprudence que la requête introductive d’instance délimite tant l’objet que les moyens avancés à l’appui d’un recours et qu’il n’est pas possible d’étendre l’objet du recours au-delà de l’acte concrètement déféré par ladite requête1, l’analyse de la recevabilité du recours sous analyse et plus particulièrement celle de la question de savoir s’il est dirigé contre un acte administratif susceptible d’un recours contentieux se fera dès lors uniquement par rapport à l’acte ainsi déféré au tribunal.
De l’entendement du tribunal, les associations requérantes tirent plus particulièrement l’existence d’un acte à caractère réglementaire, dont elles entendent soumettre l’examen de la légalité au tribunal à travers le recours sous analyse, des propos publics tenus par le ministre de l’Immigration et de l’Asile lors d’une conférence de presse le 20 octobre 2023, tels que relatés par la presse à travers deux extraits de presse versés en cause selon lesquels : « À partir de lundi, les hommes voyageant seuls, déjà enregistrés dans un autre pays, seront placés sur une liste d’attente jusqu’à ce que l’Office national de l’accueil (ONA) prenne une décision » et que « M. Asselborn a déclaré qu’au lieu de continuer jusqu’à ce que le système ne puisse plus faire face, le gouvernement a pris une décision simple. Suivant l’exemple de la Belgique, le Luxembourg n’acceptera plus les hommes célibataires qui arrivent en tant que cas Dublin.
« Nous devons fixer des priorités et veiller à conserver une capacité d’accueil pour les familles », a-t-il expliqué ». Cette décision aurait « encore été affirmée » par ledit ministre par des déclarations ultérieures à la presse.
Il n’est, par ailleurs, pas contesté qu’à l’époque où le ministre de l’Immigration et de l’Asile a tenu lesdits propos, certaines personnes obtenaient à l’occasion de l’introduction de leur demande de protection internationale un courrier du directeur de l’ONA ayant la teneur reprise ci-avant.
La première question qui se pose est dès lors celle de savoir si le recours est recevable comme étant véhiculé, directement ou indirectement, contre un acte administratif faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux devant le juge administratif.
Sous ce rapport, le tribunal se doit tout d’abord de relever que si certes les propos publics tenus par le ministre de l’Immigration et de l’Asile le 20 octobre 2023, tels que relatés par la presse, pouvaient donner l’impression de la mise en place d’une pratique institutionnalisée de refus d’accès à l’accueil ou d’exclusion de l’accueil, tel que prévu par la loi Accueil, sinon de restrictions drastiques de l’accueil des « hommes voyageant seuls, déjà enregistrés dans un autre pays », tel que le dénoncent les associations requérantes, la preuve d’une telle pratique institutionnalisée ne se dégage toutefois d’aucun élément de preuve tangible produit en cause.
1 En ce sens: Trib. adm., 22 octobre 2008, n°22230, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n°402 et les autres références y citées.
Ce constat se trouve conforté par les explications étatiques, sous-tendues par les pièces versées en cause, suivant lesquelles c’est face à une situation de saturation du réseau d’accueil des demandeurs de protection internationale, géré par l’ONA, lequel n’était plus en mesure d’accueillir immédiatement toutes les personnes sollicitant l’octroi de conditions matérielles d’accueil, qu’a été prise la décision politique d’organiser un système de priorisation fondé sur la vulnérabilité des demandeurs de protection internationale, ce système ayant consisté, et consistant toujours, non pas à exclure systématiquement et définitivement les hommes voyageant seuls de l’accès aux structures d’hébergement, mais à différer dans le temps, en cas de saturation ou de risque imminent de saturation, uniquement - les autres conditions matérielles d’accueil leur étant en effet octroyées, tel que cela se dégage du courrier prévisé de l’ONA - le bénéfice matériel d’un logement dans une structure dédiée à l’accueil des demandeurs de protection internationale pour certains demandeurs qui ont été mis sur une liste d’attente par l’ONA. Il est, à cet égard, également constant en cause que l’ONA s’est engagé, suivant la teneur du courrier, précité, de son directeur, adressé aux personnes concernées, à les contacter sans délai « dès que les capacités d’accueil le permettent » et qu’en attendant, les personnes concernées ont été redirigées vers des structures d’accueil relevant du système d’assistance publique général. Il convient encore de relever qu’il se dégage des explications et pièces fournies par la partie étatique que la décision d’inscrire un demandeur de protection internationale sur une liste d’attente n’est ni automatique ni systématique, mais qu’elle intervient non seulement uniquement en cas de saturation ou de risque imminent de saturation du réseau d’hébergement de l’ONA, mais qu’elle tient, par ailleurs, compte de la situation au cas par cas des demandeurs en leur assignant un rang de priorité en fonction de leur niveau de vulnérabilité évalué par les services du ministère compétent, le tout sur base des déclarations faites par ceux-ci lors d’un entretien avec les services sociaux de l’ONA et reprises dans un questionnaire, intitulé « Détection rapide pour bénéficier d’un logement en Primo accueil ». A cela s’ajoute que l’affirmation étatique suivant laquelle de nombreux demandeurs de protection internationale de sexe masculin, arrivant seuls et ayant déjà déposé une demande de protection internationale dans un autre Etat membre, qui avaient été initialement placés sur la liste d’attente en raison de l’indisponibilité d’un lit pouvant leur être attribué, avaient, par la suite, pu être hébergés dans l’une des structures de l’ONA, et donc a fortiori le caractère seulement temporaire du placement de certaines personnes sur une liste d’attente, n’ont, par ailleurs, pas été valablement ébranlés par les associations requérantes.
Pour ce qui est ensuite concrètement de l’annonce faite par le ministre de l’Immigration et de l’Asile le 20 octobre 2023 de la pratique administrative de l’ONA consistant à organiser un système de priorisation de l’accès à l’accueil fondé sur la vulnérabilité des demandeurs de protection internationale, telle que circonscrite par après à travers des courriers individuels adressés par le directeur de l’ONA aux demandeurs de protection internationale personnellement concernés, ayant la teneur reprise ci-avant, se pose - au-delà de la question du contenu et de la portée précises de cet acte - celle de savoir si cette communication peut être considérée comme étant constitutive d’un acte administratif susceptible d’un recours contentieux, question concrètement litigieuse en l’espèce.
Le tribunal relève, à cet égard, que l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 dispose comme suit : « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements », l’article 7 de la même loi prévoyant en des termes analogues la compétence du juge administratif à l’égard des « actes administratifs à caractère réglementaire ».
La première et principale condition se dégageant de ces deux dispositions légales a trait à l’exigence d’une « décision administrative », à savoir un acte décisionnel, d’une part, laquelle émane d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés, d’autre part2.
Il y a, dans ce contexte, encore lieu de relever que le juge administratif, statuant en tant que juge de l’annulation, statue par rapport à un acte déterminé et non par rapport au comportement fût-il répréhensible, d’une autorité administrative, le contentieux administratif étant, en effet, un contentieux objectif3.
Ensuite, suivant les dispositions légales prévisées, pour être sujet à un recours contentieux, l’acte doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame.
Tel n’est pas le cas des informations que donne l’administration aux administrés ou encore de ses déclarations d’intention, lesquelles ne sont pas destinées à produire par elles-
mêmes, des effets juridiques4.
Sur la toile de fond qu’il vient d’être retenu ci-avant qu’aucune pratique institutionnalisée de refus d’accès à l’accueil ou d’exclusion de l’accueil, tel que prévu par la loi Accueil, sinon de restrictions drastiques de l’accueil des « hommes voyageant seuls, déjà enregistrés dans un autre pays », n’est établie en l’espèce, et qu’au contraire, il a non pas été décidé d’exclure systématiquement et définitivement les demandeurs de protection internationale, hommes seuls, de l’accès aux structures d’hébergement, mais uniquement de temporiser le bénéfice matériel d’un logement pour certains demandeurs de protection internationale au vu de la saturation du réseau d’hébergement de l’ONA, le tribunal se doit de relever que ce n’est pas l’annonce faite par le ministre en cause au sujet des mesures mises en œuvre par l’ONA pour faire face à la gestion de ladite saturation qui a véhiculé par elle-même des effets juridiques sur les droits ou la situation personnelle des administrés, mais les décisions individuelles prises par le directeur de l’ONA à travers lesquelles ont par la suite été appliquées - compte tenu de l’état de saturation du réseau d’accueil et à la suite d’une évaluation afférente de leur état de vulnérabilité -, à certains demandeurs de protection internationale, hommes seuls, les mesures annoncées. Ce sont dès lors ces décisions individuelles, lesquelles se sont, tel que relevé ci-avant, matérialisées par l’émission de courriers émanant dudit directeur, ayant la teneur reprise ci-avant, et informant certains demandeurs de protection internationale ayant sollicité des conditions matérielles d’accueil, à la suite d’une évaluation au cas par cas de leur situation personnelle, que l’accès concret et matériel à un logement dans l’une des structures dédiées aux demandeurs de protection internationale gérées par l’ONA ne leur est temporairement pas accordé, mais qu’ils sont inscrits sur une liste d’attente et qu’ils obtiendront un tel hébergement « dès que les capacités d’accueil le permettent », qui sont seules susceptibles de faire grief aux personnes concernées et contre lesquelles elles peuvent agir en justice.
2 Cour adm., 23 février 2023, n° 48104C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
3 Trib. adm., 18 mai 2015, n°34275 du rôle, c. par Cour adm., 17 décembre 2015, n°36488C du rôle, Pas. adm.
2024, V° Recours en annulation, n° 20 et les autres références y citées.
4 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, c. sur ce point par Cour adm., 19 février 1998, n°10263C du rôle, Pas adm. 2024, V° Actes administratifs, n° 80 (1er volet) et les autres références y citées.
Dans cette mesure, l’annonce querellée se distingue d’ailleurs de l’acte dont avait à connaître le Conseil d’Etat belge dans l’arrêt invoqué par les associations requérantes, à savoir une décision du secrétaire d’Etat belge à l’Asile et à la Migration visant à l’exclusion catégorielle automatique des hommes seuls du bénéfice de l’accueil prévu par la loi belge sur l’accueil des demandeurs d’asile, le Conseil d’Etat ayant jugé qu’en raison de l’effet absolu de l’exclusion, celle-ci causait directement grief aux demandeurs de protection internationale qu’elle visait. La jurisprudence du Conseil d’Etat français invoquée par les associations requérantes n’est pas non plus transposable en l’espèce, dans la mesure où il vient d’être retenu ci-avant que l’annonce faite par le ministre de l’Immigration et de l’Asile n’est pas de nature à modifier per se l’ordonnancement juridique mais qu’elle nécessite, pour son implémentation, des décisions individuelles.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal ne saurait retenir l’existence d’un acte administratif de nature à faire grief au niveau de l’annonce faite par le ministre de l’Immigration et de l’Asile le 20 octobre 2023 que les associations requérantes ont entendu déférer au tribunal à travers le recours en annulation sous analyse en la qualifiant à tort d’acte administratif à caractère réglementaire.
Sur base de ce constat, les développements des associations requérantes visant à soutenir que suivant la jurisprudence de la CJUE, les garanties, notamment en termes de contrôle juridictionnel, vaudraient non seulement pour les décisions individuelles restrictives des droits prévus par la directive Accueil, mais également pour les actes à caractère réglementaire sont à rejeter pour défaut de pertinence, le tribunal venant de dénier à l’acte lui déféré à travers le recours sous analyse la qualité d’acte administratif susceptible d’un recours.
Pour les mêmes raisons, la question préjudicielle qu’elles demandent à voir poser à la CJUE et qui repose sur la prémisse que l’acte attaqué puisse être qualifié de « décision consistant à introduire des critères pour refuser sinon retarder l’accès de certaines catégories de demandeurs d’asile à certaines conditions matérielles d’accueil, en particulier le logement », est à écarter pour manquer de pertinence.
Il suit de tout ce qui précède, et sans qu’il y ait lieu de statuer plus en avant, que le recours en annulation sous analyse est à déclarer irrecevable pour ne pas être dirigé contre un acte administratif susceptible de recours contentieux.
Quant à la requête en intervention volontaire Tel que relevé ci-avant, l’association sans but lucratif (DD) ASBL a introduit en date du 16 novembre 2023 une requête tendant à intervenir volontairement dans l’instance introduite par le recours sous analyse.
En ce qui concerne la recevabilité de la requête en intervention formulée par l’association sans but lucratif (DD) ASBL, il y a lieu de relever qu’une telle intervention volontaire faite sur base de l’article 20 de la loi du 21 juin 1999 ne constitue qu’une procédure accessoire à la procédure principale introduite par le demandeur à une instance contentieuse, de sorte à ce qu’à partir du moment où le recours principal est déclaré irrecevable, la requête en intervention doit nécessairement suivre le même sort.
Quant à la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la partie étatique et quant aux frais et dépens La partie étatique sollicite la condamnation des associations sans but lucratif (AA) ASBL, (BB) ASBL et (CC) ASBL à payer chacune à l’Etat une indemnité de procédure, augmentée aux termes de son mémoire en duplique à la somme de 2.500 euros, sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999. Cette demande est toutefois à rejeter, étant donné que la partie étatique n’établit pas en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.
Quant à la demande en distraction des frais au profit du mandataire de la partie étatique, telle que formulée dans le mémoire en réponse, il convient de relever qu’il ne saurait être donné suite à une demande en distraction des frais posée par le mandataire d’une partie, pareille façon de procéder n’étant point prévue en matière de procédure contentieuse administrative5.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
donne acte à l’association sans but lucratif (CC) ASBL de ce qu’elle se désiste de l’instance introduite en date du 10 novembre 2023 sous le numéro 49691 du rôle et déclare le désistement d’instance dans son chef régulier et valable ;
pour le surplus, déclare le recours en annulation irrecevable, partant le rejette ;
déclare irrecevable la requête en intervention volontaire de l’association sans but lucratif (DD) ASBL, partant la rejette ;
rejette la demande de voir poser une question préjudicielle à la CJUE ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la partie étatique ;
rejette la demande en distraction des frais formulée par le mandataire de la partie étatique ;
condamne les associations requérantes, la partie intervenante et l’association sans but lucratif (CC) ASBL aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 5 Trib. adm., 14 février 2001, n° 11607 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 1363 et les autres références y citées.