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11/07/2025 | LUXEMBOURG | N°49916

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2025, 49916


Tribunal administratif N° 49916 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49916 5e chambre Inscrit le 11 janvier 2024 Audience publique du 11 juillet 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49916 du rôle et déposée le 11 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Madame (A), demeurant à L-…, dirigée contre u

ne décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 10 octobre 2023...

Tribunal administratif N° 49916 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49916 5e chambre Inscrit le 11 janvier 2024 Audience publique du 11 juillet 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49916 du rôle et déposée le 11 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Madame (A), demeurant à L-…, dirigée contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 10 octobre 2023, référencée sous les numéros (1) et (2) du rôle ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 avril 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en sa plaidoirie à l’audience publique du 26 février 2025, Madame (A) ne s’étant pas présentée.

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Dans sa déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2020, signée en date du 23 octobre 2021 et réceptionnée le 25 octobre 2021 par le bureau d’imposition …, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », Madame (A) indiqua son adresse comme étant : « … »1.

En date du 13 janvier 2022, les bulletins de l’impôt sur le revenu de l’année 2020 et de la fixation des avances trimestrielles pour l’année 2022 furent émis et adressés à Madame (A), lesquels indiquèrent tous les deux l’adresse : « … »2.

Dans sa déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2021, signée en date du 14 décembre 2022 et réceptionnée le 19 décembre 2022 par le bureau d’imposition, Madame (A) indiqua à nouveau : « … »3 comme étant son adresse.

En date du 15 février 2023, les bulletins de l’impôt sur le revenu de l’année 2021 et de la fixation des avances trimestrielles pour l’année 2023 furent émis et adressés à Madame (A), lesquels indiquèrent tous les deux l’adresse : « … »4.

1 Souligné par le tribunal.

2 Souligné par le tribunal.

3 Souligné par le tribunal.

4 Souligné par le tribunal.

1En date du 7 juillet 2023, un extrait de compte fut émis à l’égard de Madame (A), lequel indiqua l’adresse « … »5 et informa Madame (A) qu’elle était redevable de … euros d’impôts, ainsi que de … euros d’intérêts de retard en raison d’impôts impayés.

Par courrier daté du 1er août 2023 et réceptionné le 3 août 2023 par l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par « l’administration », Madame (A) introduisit auprès du directeur de l’administration, ci-après désigné « le directeur », une « contestation des intérêts de retard sur l’extrait de compte du 07 juillet 2023 », en demandant plus particulièrement au directeur « le geste gracieux d’annuler l’application [d]es intérêts de retard de € … ». En outre, elle demanda au directeur de justifier le calcul des avances pour les années 2022 et 2023 reprises sur l’extrait de compte du 7 juillet 2023, ainsi que de procéder à une « adaptation vers le bas des avances de 2022 et 2023 » respectivement de lui « accorder un sursis de paiement par rapport à 2022 et 2023, pour pouvoir procéder au paiement du solde définitif dû après votre réponse ».

Par courrier daté du 4 août 2023, l’administration s’adressa à Madame (A) pour lui demander, par rapport à son courrier daté du 1er août 2023, de clarifier pour le 21 août 2023 au plus tard « si [sa] demande tend à contester (§ 228 AO) les intérêts de retard » ou bien « si [sa] demande ne constitue pas une contestation, mais tend à l’obtention d’une remise gracieuse des intérêts de retard sur base du § 131 AO ».

Par courrier daté du 14 août 2023 et réceptionné le 17 août 2023 par l’administration, Madame (A) fit suite au courrier susvisé de l’administration en répondant qu’elle souhaitait « réintégrer [s]a demande de contestation à titre principal » et formuler sa « demande de réduction gracieuse » « à titre subsidiaire ».

Par courrier daté du 18 août 2023, l’administration répondit à Madame (A) en les termes suivants : « Votre requête est entrée le 03/08/2023 et a été portée au rôle du contentieux sous le numéro (1). ».

Par décision sur réclamation du 10 octobre 2023, référencée sous les numéros (1) et (2) du rôle, le directeur dit irrecevables « les réclamations » de Madame (A), ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vu la requête introduite le 3 août 2023 par la dame (A), demeurant à L-…, pour contester la mise en compte d’intérêts débiteurs, et en précisant en même temps que sa requête vaudrait « à titre subsidiaire » une « demande de réduction gracieuse » ;

Vu la demande du 4 août 2023 de la division gracieux à la requérante de bien vouloir clarifier si la requête est à qualifier en tant que réclamation au vœu du § 228 de la loi générale des impôts (AO) ou en tant que demande de remise gracieuse au vœu du § 131 AO ;

Vu la réponse de la requérante introduite le 17 août 2023, formulant principalement une réclamation contre la mise en compte d’intérêts de retard ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 228 et 301 AO ;

5 Souligné par le tribunal.

2 Considérant que la réclamante conteste « des intérêts de retard sur l’extrait de compte du 7 juillet 2023 » et demande une « justification et (…) adaptation vers le bas des avances de 2022 et 2023 » ;

Considérant que si l’introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n’est incompatible, en l’espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d’examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu’il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ; qu’il n’y a pas lieu de la refuser en la forme ;

En ce qui concerne les intérêts de retard Considérant que les intérêts de retard ne forment qu’un accessoire au principal dû (cf.

article 155bis de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.)), de sorte qu’en cas de réclamation en bonne et due forme contre les bulletins d’impôt sur le revenu des années 2020 et 2021, leur sort va de pair avec la cote proprement dite ; qu’il n’existe donc aucune voie de recours exerçable, le cas échéant, contre les seuls intérêts de retard ;

Considérant qu’en l’espèce, les intérêts de retard dus ne sont que repris et énumérés sur le décompte du 7 juillet 2023, de sorte qu’il ne s’agit que d’une pure énumération dont les montants en soi ne sauront être attaqués ;

En ce qui concerne la demande « de justification et d’adaptation vers le bas des avances de 2022 et 2023 » Considérant que la réclamante demande une « justification et (…) adaptation vers le bas des avances de 2022 et 2023 » ;

Considérant que les bulletins de la fixation des avances trimestrielles pour l’impôt sur le revenu des années 2022 et 2023 ont été émis en dates du 13 janvier 2022 (avances 2022) et du 15 février 2023 (avances 2023) ; qu’aux termes des §§ 228 et 246 AO, le délai de réclamation est de trois mois et court à partir de la notification, qui en cas de simple pli postal, est présumée accomplie le troisième jour ouvrable après la mise à la poste ; qu’en vertu de l’article 2 du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 portant exécution du § 211 AO, la notification est présumée accomplie le troisième jour ouvrable qui suit la remise de l’envoi à la poste ;

Considérant que les bulletins litigieux, émis en dates du 13 janvier 2022 (avances 2022) et du 15 février 2023 (avances 2023), ont été notifiés en dates du 18 janvier 2022 (avances 2022) et du 20 février 2023 (avances 2023) ;

Considérant que • le délai pour le bulletin de la fixation des avances trimestrielles pour l’impôt sur le revenu de l’année 2022 a expiré le 19 avril 2022, • le délai pour le bulletin de la fixation des avances trimestrielles pour l’impôt sur le revenu de l’année 2023 a expiré le 22 mai 2023 ;

3que les réclamations, introduites en date du 3 août 2023 à l’encontre de ces bulletins sont à considérer comme tardives ;

Considérant toutefois, qu’au vœu de l’article 135 de la loi de l’impôt sur le revenu (L.I.R.), le contribuable est tenu de payer ses avances sur l’impôt à établir par voie d’assiette ;

que si le montant de chaque avance est fixé, en principe, au quart de l’impôt qui, après imputation des retenues à la source, résulte de l’imposition établie en dernier lieu, il n’en reste pas moins que l’impôt qui résultera probablement de l’imposition de l’année en cours peut y être substitué ; qu’en vertu de l’article 135 L.I.R., le montant des avances de l’impôt sur le revenu doit être modifié sur demande motivée du contribuable ;

Considérant donc qu’il est loisible à la réclamante de présenter, à tout moment, des éléments de preuve au préposé du bureau d’imposition, de nature à infirmer le montant de ses avances courantes (article 135, alinéa 2, dernière phrase et alinéa 3, première phrase L.I.R.) ;

Considérant, en guise de rappel, que le décompte, tout comme le tableau des avances et l’extrait de compte d’ailleurs, n’ont qu’une valeur de simple renseignement et n’engendrent aucun droit nouveau au profit du Trésor ni aucune obligation nouvelle à charge du contribuable ; qu’il en résulte que la voie de la réclamation contentieuse n’est pas admise contre le décompte des montants imputés sur la cote d’impôt ;

PAR CES MOTIFS dit les réclamations contre les intérêts de retard ainsi que les bulletins de la fixation des avances trimestrielles de l’impôt sur le revenu des années 2022 et 2023 irrecevables. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 janvier 2024, Madame (A) a introduit un recours contre la décision directoriale précitée du 10 octobre 2023.

1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Lorsque la requête introductive d’instance omet, comme en l’espèce, d’indiquer si le recours tend à la réformation ou à l’annulation de la décision critiquée, il y a lieu d’admettre que le demandeur a entendu introduire le recours prévu par la loi6.

Conformément aux dispositions combinées du § 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégée « AO », et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’imposition.

Le tribunal est, dès lors, compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale susmentionnée du 10 octobre 2023, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

6 Trib. adm., 18 janvier 1999, n° 10760 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1348 et les autres références y citées.

42) Quant au fond Arguments et moyens des parties A l’appui de son recours et en substance, la demanderesse affirme avoir à plusieurs reprises, en 2021 et au début de l’année 2022, tenté de contacter le bureau d’imposition pour lui signaler l’absence de retour de l’administration à la suite de ses déclarations fiscales, mais que « [s]oit le téléphone n’[aurait pas été] décroché, soit [elle aurait été confrontée à] des excuses concernant la pénurie du personnel à la suite du Covid et au télétravail, sans réponse exacte ».

La demanderesse dit avoir été surprise de découvrir, à la réception de l’extrait de compte du 7 juillet 2023, le montant principal et les intérêts de retard y repris, en insistant encore sur le fait que « les avances pour l’année imposable 2022 [auraient] été augmentées de plus de 45% ! par rapport à l’année imposable 2021 ».

Elle fait valoir qu’elle n’aurait reçu « [a]ucun autre écrit » avant l’extrait de compte daté du 7 juillet 2023, lequel aurait été, en substance, le premier document à lui parvenir en rapport avec l’imposition litigieuse.

Quant à la prétendue absence de réception desdits bulletins, la demanderesse soulève que l’adresse indiquée sur ces bulletins aurait été erronée, en ce qu’ils auraient été adressés à « … » au lieu de « … », en précisant qu’elle aurait entretemps rendu attentif le bureau d’imposition à cette erreur, laquelle aurait été corrigée par la suite.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Après avoir expliqué que le courrier daté du 1er août 2023 de la demanderesse aurait été considéré, suivant le principe de l’effet utile, comme une réclamation dirigée contre les « bulletins d’impôt des années 2020 et 2021 » au motif que les intérêts de retard contestés expressément par la demanderesse ne seraient qu’un « accessoire de l’impôt », il souligne que le présent débat serait limité à la question de la recevabilité de ladite réclamation alors que celle-ci aurait été déclarée irrecevable ratione temporis par le directeur.

A cet égard, le délégué du gouvernement estime que la présomption de notification des bulletins, découlant de l’article 2 du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 concernant la notification des bulletins en matière d’impôts directs, tel que modifié, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 », ne serait pas utilement renversée par le moyen de la demanderesse fondé sur l’indication d’une adresse erronée sur les bulletins.

Le délégué du gouvernement fait valoir que le code postal serait déterminant pour les remises postales, et qu’en l’espèce, le code postal aurait été correctement renseigné sur les bulletins. Il souligne plus précisément que ledit code postal ne correspondrait qu’à la seule rue de la « … ». Il précise par ailleurs que la « … » serait une localité, laquelle serait trop vaste pour avoir son propre code postal ou pour constituer une adresse précise.

Le délégué du gouvernement ajoute qu’en recherchant la « … » sur des services de cartographie en ligne, l’utilisateur serait, soit, redirigé vers la « … », soit, tomberait sur un arrêt de bus à l’entrée de l’agglomération dénommée « … », qui serait entourée par la rue « … ».

5Il en conclut que « [l]e facteur n’[aurait] donc pu se méprendre ».

Le délégué du gouvernement souligne encore, en substance, que l’extrait de compte du 7 juillet 2023, qui est parvenu à la demanderesse, indiquerait la même adresse que les bulletins dont la notification est litigieuse. Par ailleurs, il fait valoir qu’aucun des quatre bulletins n’aurait été retourné par la poste à l’administration.

Selon le délégué du gouvernement, il conviendrait dès lors de considérer que les délais pour agir contre les bulletins émis, respectivement, le 13 janvier 2022 et le 15 février 2023 seraient venus à échéance le 18 avril 2022 et le 22 mai 2023 en application de la présomption de notification, de manière que la réclamation du 3 août 2023 aurait effectivement été tardive.

Appréciation du tribunal Le tribunal relève que le directeur a déclaré irrecevable la réclamation de la demanderesse sur deux fondements distincts, à savoir :

(i) en ce qui concerne la contestation des intérêts de retard, au motif qu’il n’existerait pas de voie de recours exerçable contre les seuls intérêts, lesquels ne seraient qu’un accessoire aux impôts auxquels ils se rapportent, et que l’extrait de compte du 7 juillet 2023 ne constituerait qu’une « pure énumération dont les montants en soi ne saur[aient] être attaqués » ;

(ii) en ce qui concerne les avances, au motif que la réclamation de la demanderesse aurait été introduite tardivement eu égard à la date de notification des bulletins.

En ce qui concerne, d’abord, le volet de la réclamation portant sur les intérêts de retard, il convient de constater que, contrairement à ce que la décision directoriale laisse sous-

entendre, la réclamation de la demanderesse ne vise pas le montant même des intérêts de retard.

En effet, la réclamation de la demanderesse est fondée essentiellement sur le moyen de fait qu’elle n’aurait pas reçu les bulletins d’impôt et de fixation des avances à l’origine des intérêts de retard, de sorte que sa contestation portait, non sur le montant desdits intérêts, mais sur le principe de leur déclenchement.

A cet égard, la jurisprudence des juridictions administratives retient qu’un extrait de compte peut constituer la seule matérialisation de la décision sous-jacente de la fixation des intérêts de retard7.

Dans ce contexte, il y lieu de rappeler que l’article 155bis de la loi modifiée de l’impôt sur le revenu du 4 décembre 1967, ci-après désignée par « LIR », sur lequel est basé ce volet de la décision directoriale, prévoit que : « Les intérêts de retard constituent des prestations accessoires aux impôts auxquels ils se rapportent. Les dispositions applicables à ces impôts sont d’application correspondante aux intérêts de retard. ».

Cependant, il échet également de citer dans ce contexte les dispositions du § 91, alinéa (1) AO qui prévoient que « Verfügungen (Entscheidungen, Beschlüsse, Anordnungen) der Behörden für einzelne Personen werden dadurch wirksam, dass sie demjenigen zugehen, für den sie ihrem Inhalt nach bestimmt sind (Bekanntgabe). […] ».

7 Trib. adm., 26 avril 1999, n° 10668 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1275, et trib. adm., 14 juin 2019, n° 41072 du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.

6 Il découle d’une lecture combinée des dispositions qui précèdent, et notamment du fait que les intérêts de retards constituent, sans préjudice de leur caractère de sanction, un accessoire à l’impôt auquel ils se rapportent et dont ils suivent le sort8, que le principe même de la fixation d’intérêts de retard constitue une décision administrative susceptible de faire l’objet d’une contestation notamment dans un cas particulier comme celui en l’espèce où la notification même des bulletins est mise en cause, indépendamment de la question de savoir si le montant des intérêts peut faire l’objet d’une contestation.

Etant donné qu’il est constant en l’espèce que le seul acte à travers lequel la demanderesse a été informée de la mise en compte d’intérêts de retard à son égard est l’extrait de compte du 7 juillet 2023, il ne saurait partant lui être reproché d’avoir visé l’extrait de compte du 7 juillet 2023 afin de contester le principe même de la fixation desdits intérêts, étant relevé à cet égard que les bulletins sous-jacents ne pouvaient – par essence – pas mentionner des intérêts de retard qui ne deviennent dus, le cas échéant, qu’en raison du paiement tardif des impôts qui y sont fixés.

C’est partant à tort que le directeur a déclaré irrecevable le volet de la réclamation de la demanderesse visant le principe même de la mise en compte d’intérêts de retard sur son extrait de compte, et il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation, d’annuler ladite partie de la décision directoriale et de renvoyer l’affaire sur ce point en prosécution de cause au directeur afin qu’il puisse statuer sur la question de la régularité de la décision même de fixer des intérêts de retard dans le chef de la demanderesse.

En ce qui concerne ensuite la contestation par la demanderesse de ses avances trimestrielles, le tribunal relève que dans la mesure où à travers la décision directoriale litigieuse le directeur a déclaré irrecevable ratione temporis ce volet de la réclamation, sans se prononcer sur son bien-fondé, l’analyse du tribunal ne pourra porter que sur la question de savoir si c’est à bon droit ou non que le directeur est arrivé à cette conclusion et qu’il a aussi déclaré ce deuxième volet de la réclamation irrecevable9.

Il s’ensuit également que les contestations soulevées à l’égard des avances par la demanderesse et n’ayant pas trait à la recevabilité de sa réclamation, mais notamment au montant des avances, échappent à l’analyse du tribunal et sont dès lors rejetées.

Il convient de rappeler que le délai pour introduire une réclamation devant le directeur contre un bulletin d’impôt est fixé à travers les §§ 228 et 245, alinéa (1) AO à trois mois.

Il s’agit, selon les §§ 83, alinéa (2) et 246, alinéa (1) AO, d’un délai de forclusion, qui court en principe à partir de la notification du bulletin.

S’agissant des modalités de notification d’un bulletin d’imposition10, le § 211, alinéa (3) AO dispose que « Die Steuerbescheide sind verschlossen zuzustellen. Der [Großherzog] kann statt der Zustellung eine einfachere Form der Bekanntgabe zulassen. ».

Dans ce cadre, l’article 1er du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 dispose que 8 Trib. adm., 19 février 2018, n° 38607 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1163 (2e volet) et les autres références y citées.

9 Voir en ce sens : Trib. adm., 15 janvier 2025, n° 47927 du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.

10 Cour adm., 14 janvier 2016, n° 36400C du rôle, Pas. adm. 2024, n° 1147 (4e volet) et les autres références y citées.

7« Les bulletins qui fixent une cote d´impôt, ceux qui établissent séparément une valeur unitaire ou des revenus d´une certaine catégorie, ceux qui fixent la base d´assiette d´un impôt réel et ceux qui appellent en garantie un tiers responsable du paiement de l´impôt peuvent être notifiés aux destinataires par simple pli fermé à la poste. Il en est de même des bulletins qui ventilent une cote d´impôt ou une base d´assiette entre plusieurs communes ».

Les bulletins portant fixation d’avances trimestrielles rentrent a priori dans le champ d’application de l’article 1er du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 et leur notification a partant pu être effectuée par la voie d’un courrier simple fermé à la poste.

L’article 2 du même règlement grand-ducal établit une présomption de notification dans les termes suivants :

« La notification par simple lettre est présumée accomplie le troisième jour ouvrable qui suit la remise de l’envoi à la poste à moins qu’il ne résulte des circonstances de l’espèce que l’envoi n’a pas atteint le destinataire dans le délai prévu. ».

Au vu de la finalité du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 visant à admettre la notification de bulletins avec la dispense du récépissé de dépôt requis en cas de notification par courrier recommandé sur base du § 88, alinéa (3) AO, il y a lieu d’appliquer la présomption de notification prévue par l’article 2 du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 en ce sens qu’elle impose au destinataire l’obligation de faire état de circonstances qui rendent plausible le défaut de la notification dans le délai présumé, en principe en produisant le bulletin lui notifié et l’enveloppe d’envoi y relative afin de permettre la vérification de la date effective de remise à la poste. Dans l’hypothèse où le contribuable affirme que la réception du bulletin serait intervenue à une date postérieure à celle résultant de l’application de la présomption de notification sans pour autant soumettre en cause ces pièces, il n’a pas utilement renversé cette présomption par l’établissement d’indices suffisants en sens contraire11.

En revanche, il résulte encore des enseignements de la jurisprudence précitée de la Cour administrative que dans l’hypothèse, telle qu’en l’occurrence, où le contribuable nie totalement la réception de l’envoi contenant le bulletin, il ne saurait se voir imposer la production du bulletin original et de son enveloppe d’envoi en vue d’être admis à contester la notification valable du bulletin. Une telle preuve est impossible à fournir dans la mesure où le contribuable argue précisément qu’il n’a jamais reçu ces documents. Cependant, conformément à l’article 2 du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978, la simple négation ne suffit pas et le contribuable doit faire état d’un faisceau convergent de circonstances qui permettent de conclure que l’envoi n’a effectivement pas du tout atteint son destinataire12.

Comme, en l’espèce, la demanderesse conteste la réception notamment des bulletins de la fixation des avances trimestrielles pour les années 2022 et 2023, il convient d’examiner si la demanderesse a rapporté la preuve qu’il existe un tel faisceau convergent de circonstances permettant d’admettre que lesdits bulletins ne lui auraient pas été notifiés, étant rappelé qu’il ne saurait évidement être requis de la demanderesse de fournir la preuve négative d’un défaut de réception du bulletin.

Force est de constater qu’il est constant en cause que l’adresse renseignée sur les bulletins de la fixation des avances trimestrielles pour les années 2022 et 2023 contient une 11 Idem.

12 Idem.

8erreur dans la mesure où lesdits bulletins sont adressés à « … » au lieu de « … »13, dont il est constant qu’il s’agit de l’adresse exacte de son domicile.

Il ressort certes des développements et des pièces de la partie étatique que la « … » n’est pas une rue munie de son propre code postale et qu’il s’agit du nom d’un quartier existant, qui est encerclé par la rue « … » et qui se trouve dans la même commune que ladite rue, mais il n’en reste pas moins qu’il ne peut être exclu que l’agent des services postaux se soit trompé d’adresse, même en présence d’un code postal correct et d’une différence pouvant, au premier regard, paraître minime.

A titre superfétatoire, le tribunal note qu’il n’est pas soutenu par la partie étatique en l’espèce que l’erreur d’adresse serait imputable à la demanderesse, et le tribunal ne s’est par ailleurs vu soumettre aucun élément de nature à suggérer une pareille conclusion. Au contraire, il ressort des déclarations de la demanderesse pour l’impôt sur le revenu des années 2020 et 2021 qu’elle y a constamment renseigné son adresse comme étant le « … ».

Le seul fait que la demanderesse ne conteste pas avoir reçu, voire même confirme avoir reçu, l’extrait de compte daté du 7 juillet 2023 envoyé à la même adresse erronée, ne permet pas de conclure que les bulletins de la fixation des avances trimestrielles pour les années 2022 et 2023, ni par ailleurs les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2020 et 2021, auraient ipso facto également été réceptionnés par la demanderesse.

Bien au contraire, le comportement affiché par la demanderesse à la suite de la réception de l’extrait de compte du 7 juillet 2023 l’informant du montant des avances et des intérêts de retard dus, est cohérent et correspond à celui d’un contribuable diligent qui se rend compte de l’existence de bulletins dont il n’a pas reçu communication et qui tente par la suite immédiatement et avec insistance d’en prendre connaissance.

En effet, il n’est pas contesté par le délégué du gouvernement que la demanderesse a pris contact avec le bureau d’imposition pour lui signaler et faire corriger l’erreur au niveau de son adresse, de même que pour récupérer une copie des bulletins qu’elle nie avoir reçus.

Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de retenir que dans les conditions particulières du cas d’espèce, la demanderesse a fait état d’un faisceau cohérent de circonstances permettant de conclure que les bulletins de la fixation des avances pour les années 2022 et 2023, comme par ailleurs ceux de l’impôt sur le revenu des années 2020 et 2021, ne lui ont jamais été délivrés, de sorte que la présomption de notification prévue par l’article 2 du règlement grand-ducal du 24 octobre 1978 ne peut pas lui être opposée pour déclarer sa réclamation du 3 août 2023 irrecevable pour cause de tardiveté au vu de l’expiration du délai de réclamation.

Il échet partant d’annuler, dans le cadre du recours en réformation, aussi le volet de la décision directoriale ayant déclaré irrecevable pour tardiveté la réclamation de la demanderesse en rapport avec ses avances.

Il convient de renvoyer l’affaire en prosécution de cause devant le directeur, étant signalé à cet égard que la conclusion du tribunal quant au défaut vérifié de notification par voie postale des bulletins est intimement liée la question des intérêts de retard.

13 Souligné par le tribunal.

9 Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 10 octobre 2023, référencée sous les numéros (1) et (2) du rôle ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule ladite décision ;

renvoie l’affaire en prosécution de cause devant le directeur de l’administration des Contributions directes ;

condamne l’État aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juillet 2025 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Georges GEDGEN, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2025 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 49916
Date de la décision : 11/07/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-07-11;49916 ?

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