Tribunal administratif N° 53013 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025: 53013 1re chambre Inscrit le 13 juin 2025 Audience publique du 9 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A1) et consort, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 53013 du rôle et déposée le 13 juin 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Maria Ana REAL GERALDO DIAS, au nom de Monsieur (A1), né le … à … (Afghanistan), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de son enfant mineur (A2), née le … à …, tous les deux de nationalité afghane, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 30 mai 2025 ayant déclaré irrecevables leurs demandes de protection internationale sur le fondement de l’article 28 (2) a) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Léa FAUVERTEIX, en remplacement de Maître Maria Ana REAL GERALDO DIAS, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 juillet 2025.
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Le 30 mai 2025, Monsieur (A1) introduisit, en son nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de sa fille mineure (A2), auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », des demandes de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A1) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur son itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il s’avéra à cette occasion qu’il avait introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 21 novembre 2024 et qu’une protection internationale lui avait été accordée en date du 16 janvier 2025.
1 Toujours le 30 mai 2025, Monsieur (A1) fut entendu par un agent du ministère sur la recevabilité de sa demande de protection internationale.
Par décision du 30 mai 2025, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A1) que sa demande de protection internationale, ainsi que celle sa fille avaient été déclarées irrecevables en application des dispositions de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’ils étaient bénéficiaires du statut de réfugié en Grèce, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] En date du 30 mai 2025, vous avez introduit des demandes de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 ») pour vous ainsi que pour le compte de votre enfant mineure, la dénommée (A2), née le … à … en Afghanistan, de nationalité afghane.
Je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28(2), point a), de la Loi de 2015, vos demandes de protection internationale sont irrecevables au motif qu’une protection internationale vous a été accordés par un autre Etat membre de l’Union européenne, en l’occurrence la Grèce.
En effet, il ressort du résultat des recherches effectuées dans la base de données « Eurodac » que vous avez précédemment introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 11 novembre 2024. Il en ressort également qu’un statut de protection internationale vous a été accordé en date du 16 janvier 2025 par les autorités grecques.
Lors de votre entretien mené avec le Service de Police Judiciaire, à l’occasion de l’introduction de votre demande de protection internationale sous analyse, ainsi que lors de votre entretien mené avec un agent ministériel sur la recevabilité de votre demande, vous êtes en aveu pour déclarer être bénéficiaire d’un statut de protection internationale en Grèce.
Pareil constat s’impose pour votre fille (A2).
Or, Monsieur, l’introduction de nouvelles demandes de protection internationale dans un autre Etat membre n’est pas justifiée alors que vous et votre fille ne sauriez vous voir octroyer une deuxième fois un statut de protection dont vous êtes déjà bénéficiaires.
En ce qui concerne les préoccupations que vous avez exprimées quant au manque de soutien médical en Grèce, et en l’occurrence en ce qui a trait à votre suivi médical alors que vous seriez atteint d’un cancer et que votre fille souffrirait d’asthme, il convient de soulever que vous n’étayez aucunement cette information par des précisions médicales ou des justificatifs probants, tels que des rapports médicaux attestant d’une pathologie ou d’une quelconque fragilité de votre état de santé ou encore celui de votre fille. L’absence de telles pièces justificatives, ainsi que le manque de précisions sur la nature exacte des besoins médicaux allégués, conduisent à émettre un doute quant à votre situation médicale, sinon celle de votre fille.
Quoi qu’il en soit, il est pertinent de soulever que la Grèce dispose d’un système de santé permettant d’assurer les soins de base, y compris les examens médicaux pour les personnes atteintes d’un cancer. En effet, les structures médicales grecques sont en mesure de garantir un suivi, comprenant les thérapies ciblées, la chimiothérapie, la radiothérapie ou 2 encore la chirurgie.
En tant que bénéficiaire d’une protection internationale en Grèce, vous avez par conséquent droit à un accès effectif aux soins médicaux dans ce pays. Conformément au cadre légal en vigueur, les autorités grecques vous attribuent un numéro de sécurité sociale permanent, l’AMKA, qui vous permet de bénéficier des services de santé au même titre que les citoyens grecs. Ce droit s’étend également à votre enfant.
En outre, les informations officielles publiées par le gouvernement grec précisent que les bénéficiaires de la protection internationale ont « le droit à un accès gratuit aux soins de santé primaires, secondaires et tertiaires. Vous pouvez vous faire soigner dans les hôpitaux publics, les centres médicaux publics, les centres de santé et les cliniques municipales. En cas d’urgence, c’est-à-dire si vous faites face à une urgence médicale nécessitant des soins médicaux immédiats et urgents, vous pouvez appeler la ligne nationale au 166. Vous pouvez également vous rendre au service des urgences d’un hôpital ».
Il échet également de noter que selon la législation grecque en vigueur, tous les secteurs médicaux publics sont tenus de fournir un soutien médical de premiers secours en cas d’urgence, même si une personne ne détient pas de PAAYPA, c’est-à-dire le numéro provisoire d’assurance et de soins de santé attribué à un demandeur d’asile, ou d’AMKA. Une telle personne souhaitant obtenir des soins peut même montrer un document officiel d’orientation d’urgence et de référence juridique, respectivement une circulaire, prouvant qu’elle a le droit aux services de santé.
Il est aussi relevant de souligner qu’il existe plus d’une centaine d’ONG en Grèce qui aident les bénéficiaires d’une protection internationale dans la communication avec le personnel médical, qui gèrent des centres médicaux et des polycliniques et qui fournissent divers services médicaux, telles que Médecins du Monde, Médecins sans frontières, Croix-
Rouge hellénique, PRAKSIS, Solidarity Now et BABEL – Unité de santé mentale pour migrants. En outre, de nombreuses ONG spécifiquement dédiées aux enfants sont également implantées à Athènes, telles que The Women’s and Kids’ Space, Infant and young child feeding ou encore Seeds of Humanity Hellas.
Dès lors, votre déclaration aux termes de laquelle vous seriez privés d’une prise en charge médicale en Grèce ne saurait être retenu, puisque non seulement les structures médicales du pays sont pleinement en mesure de répondre à vos besoins de santé ainsi qu’à ceux de votre enfant, mais elles y sont également légalement tenues.
En ce qui concerne vos déclarations aux termes desquelles vous déplorez l’insuffisance des aides fournies par les autorités grecques à un bénéficiaire de la protection internationale, alors que celles-ci vous auraient « coupé mon assurance maladie » (p.2 de votre rapport d’entretien sur la recevabilité), il échet de soulever que ces difficultés rencontrées ne peuvent pas être considérées comme étant contraire à la règlementation de l’UE, dans la mesure où il n’existe a priori dans aucun pays une obligation de l’Etat de pourvoir automatiquement une assurance maladie, et par extension à un bénéficiaire de protection internationale, d’autant plus que les nationaux et résidents grecs peuvent eux aussi être confrontés à des difficultés similaires. Dès lors, l’absence d’une assistance spécifique en la matière ne saurait justifier l’introduction de nouvelles demandes de protection internationale dans un autre État membre.
À cet égard, il est relevant de rappeler qu’une personne ayant obtenu le statut de réfugié 3 en Grèce bénéficie des mêmes droits et obligations qu’un citoyen grec. Cela implique qu’elle doit entreprendre, comme tout citoyen grec, les démarches administratives nécessaires pour accéder aux services publics, notamment en matière de logement, d’emploi et de couverture sociale. L’absence d’une assistance spécifique au-delà de ce qui est accordé aux citoyens grecs ne constitue pas un motif suffisant pour solliciter une nouvelle protection internationale dans un autre État membre. Par ailleurs, cette même exigence s’appliquerait à une personne résidant au Luxembourg.
Or, Monsieur, vous n’avez également à aucun moment mentionné avoir entrepris la moindre démarche auprès des autorités grecques en vue de trouver une solution aux prétendues difficultés que vous alléguez. Dès lors, on ne saurait reprocher aux autorités grecques un manquement à leurs obligations dès lors qu’aucune tentative de votre part n’a été faite pour solliciter leur aide ou pour exercer les droits qui vous sont reconnus en tant que bénéficiaire de la protection internationale.
En conséquence, il semble évident que votre choix de venir vous installer au Luxembourg repose pleinement sur des motifs de convenance personnelle, plutôt que par nécessité liée à l’obtention d’une protection internationale.
A toutes fins utiles, il échet de retenir que la Grèce, en tant qu’Etat membre de l’Union européenne est signataire de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CharteUE), de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est présumée en appliquer les dispositions. Or, vous ne rapportez pas la preuve que vos droits ne seraient pas garantis en cas de retour en Grèce ou encore que vous n’auriez aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités grecques.
Eu égard à ce qui précède, force est de constater qu’il n’existerait donc pas dans votre chef, et celui de votre enfant mineure, en cas de retour en Grèce, un risque d’atteintes graves au sens de l’article 3 de la CEDH, sinon de l’article 4 de la CharteUE, d’autant plus que vous ne fournissez aucune preuve concrète et circonstanciée que vous auriez personnellement rencontré des problèmes en Grèce à la suite de l’obtention de vos statuts de réfugié, de sorte qu’aucune défaillance ne saurait être reprochée aux autorités grecques.
Partant vos demandes en obtention d’une protection internationale sont déclarées irrecevables. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2025, Monsieur (A1), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de son enfant mineur (A2), a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 30 mai 2025 ayant déclaré irrecevables leurs demandes de protection internationale.
Etant donné que la décision déférée déclare irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur (A1) et celle de son enfant mineur (A2) sur base de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 35 (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28 (2) de la même loi, seul un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.
4 Le tribunal est dès lors incompétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal. Il est, par contre, compétent pour statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Prétentions et moyens des parties A l’appui de son recours et en fait, Monsieur (A1) expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée. Plus particulièrement, il explique être atteint d’un cancer du sang nécessitant une prise en charge médicale soutenue, impliquant l’administration quotidienne d’un traitement destiné à stabiliser la maladie.
Il précise qu’en sa qualité de demandeur de protection internationale en Grèce, il aurait pu bénéficier d’un accès aux soins pendant la durée de l’instruction de sa demande. Toutefois, cet accès aurait cessé dès l’octroi du statut de réfugié, entraînant de facto la perte de ses droits à la couverture sociale, et ce, malgré la persistance de ses besoins médicaux.
Il indique, dans ce contexte, que l’accès aux soins serait subordonné à l’obtention d’un numéro de sécurité sociale, dénommé « AMKA », qui ne serait délivré qu’à condition de disposer d’une autorisation de séjour, d’une adresse de correspondance, ainsi que d’un numéro d’identification fiscale. Il souligne toutefois que l’accès à une adresse constituerait un obstacle majeur, dans la mesure où la location d’un logement serait généralement conditionnée par la présentation d’un contrat de travail.
Eu égard aux difficultés considérables d’accès à l’emploi pour les personnes bénéficiant d’un statut de réfugié, il apparaîtrait manifeste que les bénéficiaires d’une protection internationale se heurteraient à de nombreux obstacles pour obtenir une AMKA, indispensable à l’accès aux soins en Grèce. Le demandeur se réfère, dans ce contexte, à un rapport de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (« OSAR ») du 11 août 2023, intitulé « La Grèce en tant qu’« Etat tiers sûr » ».
La Commission européenne aurait également critiqué les difficultés structurelles d’accès aux prestations sociales en Grèce en raison des conditions restrictives imposées par les autorités nationales. Ces conditions révèleraient l’existence de défaillances systémiques grecques entraînant une discrimination à l’encontre des bénéficiaires d’une protection internationale.
A cet égard, le demandeur indique ne plus avoir eu accès aux soins depuis plusieurs mois, soit depuis l’octroi de son statut de réfugié. Il précise également n’avoir pu accéder à un emploi, malgré ses recherches actives et continues. Parmi les obstacles rencontrés figurerait notamment la barrière linguistique, dans la mesure où il ne maîtriserait ni la langue grecque ni l’anglais. Faute de pouvoir accéder à un emploi, il ne disposerait d’aucun logement, ce qui constituerait, tel que précisé ci-avant, un obstacle pour obtenir une AMKA, pourtant indispensable pour accéder aux soins.
En raison des obstacles administratifs majeurs entravant l’accès effectif aux soins pour les bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce, il existerait un risque sérieux d’atteinte grave à sa santé, alors qu’il se trouverait dans l’impossibilité totale de poursuivre son traitement médical. En effet, la leucémie myéloïde chronique, dont il serait atteint, – un cancer 5 de la moelle osseuse – requerrait impérativement une thérapie ciblée par la prise continue, sans interruption, d’un traitement médicamenteux spécifique.
En droit, le demandeur fait valoir que, bien que lui et sa fille aient obtenu le 16 janvier 2025 le statut de réfugié, les obstacles persistants à l’accès aux soins en Grèce les auraient contraints à quitter ledit pays. Il soutient que les défaillances systémiques du système de santé grec feraient peser sur lui un risque réel d’atteinte grave à son intégrité physique, en violation du principe d’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants formulés par les articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».
Il rappelle que son impossibilité d’obtenir une AMKA l’exposerait à un risque sérieux de traitement inhumain, d’autant plus qu’il serait privé de son traitement depuis une période prolongée. Il se trouverait ainsi dans l’incapacité totale de bénéficier de soins en Grèce, circonstance suffisante, selon lui, pour établir l’existence d’un risque réel de traitement inhumain, justifiant dès lors leurs demandes de protection internationale.
Les difficultés d’accès aux prestations sociales en Grèce témoigneraient des défaillances systémiques de ce pays, qui ne parviendrait pas à offrir des solutions adéquates aux bénéficiaires d’une protection internationale. Ces derniers y vivraient dans des conditions précaires.
Le demandeur soutient que, contrairement aux affirmations du ministre, le droit d’accès aux soins, bien que garanti par la loi grecque, ne correspondrait pas à la réalité concrète à laquelle il aurait été confronté.
Enfin, il insiste sur le fait que sa décision de quitter la Grèce ne résulterait nullement de considérations personnelles, mais exclusivement de son impossibilité d’y accéder aux soins vitaux.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours.
Appréciation du tribunal Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants :
a) une protection internationale a été accordée par un autre Etat membre de l’Union européenne ; […] ».
Cet article transpose en droit national l’article 33 (2) a) de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, qui prévoit que :
« Les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque :
a) une protection internationale a été accordée par un autre État membre […] ».
6 Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande de protection internationale, sans vérifier si les conditions d’octroi en sont réunies, dans le cas où le demandeur s’est vu accorder une protection internationale dans un autre Etat membre de l’Union européenne.
Dès lors, et dans la mesure où il est constant en cause que le demandeur et sa fille mineure se sont vu accorder le statut de réfugié par les autorités grecques en date du 16 janvier 2025, c’est a priori à bon droit que le ministre a déclaré irrecevables leurs demandes de protection internationale introduites au Luxembourg.
S’agissant de l’argumentation du demandeur ayant trait à l’existence, dans son chef, d’un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de retour en Grèce, le tribunal relève tout d’abord que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et le Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1.
Le tribunal relève encore que la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») a, dans un arrêt du 19 mars 20192, confirmé le principe selon lequel le droit de l’Union européenne repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union européenne qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment à l’article 4 de celle-ci, qui consacre l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs ou aux bénéficiaires d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.
Il ne saurait, cependant, être exclu que ce système rencontre, en pratique, des difficultés majeures de fonctionnement dans un Etat membre déterminé, de telle sorte qu’il existe un risque sérieux que des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale soient traités, dans cet Etat membre, d’une manière incompatible avec leurs droits fondamentaux.
Dans ce contexte, il importe de relever que, eu égard au caractère général et absolu de l’interdiction énoncée à l’article 4 de la Charte, qui interdit, sans aucune possibilité de dérogation, les traitements inhumains ou dégradants sous toutes leurs formes, il est indifférent, aux fins de l’application de cet article 4, que ce soit au moment même d’un transfert, au cours de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait un risque sérieux de subir un tel traitement.
Le tribunal relève encore que dans le susdit arrêt du 19 mars 2019, de même que dans un arrêt séparé du même jour3, la Cour a retenu que lorsque la juridiction saisie d’un recours 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.
2 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.
3 CJUE, 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-438/17.
7 contre une décision rejetant une nouvelle demande de protection internationale comme irrecevable dispose d’éléments produits par le demandeur aux fins d’établir l’existence d’un tel risque dans l’Etat membre ayant déjà accordé l’un des statuts conférés par la protection internationale, cette juridiction est tenue d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union européenne, la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes.
La CJUE a, à cet égard, souligné que, pour relever de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH, et dont le sens et la portée sont donc, en vertu de l’article 52 (3) de la Charte, les mêmes que ceux que lui confère ladite convention, les défaillances en question doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause.
Elle a encore précisé que ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant4.
Le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable du demandeur n’est, quant à lui, pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte5.
Le demandeur remettant, en substance, en question la présomption du respect par les autorités grecques de ses droits fondamentaux tels que consacrés notamment par la Charte et par la CEDH, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.
Il ressort des développements du demandeur que ce dernier fonde l’existence de défaillances systémiques en Grèce sur les obstacles rencontrés par les bénéficiaires d’une protection internationale pour accéder aux soins de santé. Il soutient que cet accès serait conditionné par l’obtention d’une AMKA, dont la délivrance serait subordonnée à la présentation d’une autorisation de séjour, d’une adresse de correspondance, ainsi que d’un numéro d’identification fiscale. Or, l’attribution d’une adresse de résidence serait elle-même conditionnée par la présentation d’un contrat de travail, alors même que l’accès à l’emploi s’avérerait particulièrement difficile pour les bénéficiaires d’une protection internationale.
Le tribunal constate, à ce propos, qu’en ce qui concerne l’accès aux soins de santé, il ressort du rapport de l’OSAR, intitulé « La Grèce en tant qu’« Etat tiers sûr » », dans sa version du 10 octobre 2024, que cet accès est effectivement subordonné à l’obtention d’une AMKA. A 4 CJUE, 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-438/17, points 90 et 91.
5 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17, point 97.
8 cet égard, les bénéficiaires d’une protection internationale peuvent convertir leur numéro provisoire d’assurance et de soins de santé (« PAAYPA »), attribué durant la procédure de demande de protection internationale, en AMKA dans le mois suivant la délivrance de leur titre de séjour. Une fois délivrée, cette AMKA doit – tel qu’il se dégage du susdit rapport de l’OSAR, de même que d’un extrait du site internet « www.greece.refugee.info », intitulé « Assurance santé »6, cité par la partie étatique – encore être activée pour que les personnes concernées puissent effectivement accéder aux soins de santé. Selon cette dernière publication, l’activation de l’AMKA est subordonnée, notamment, à une preuve de l’exercice d’un travail ou de la poursuite d’études. Il se dégage, toutefois, également des explications de la partie étatique, source à l’appui, que les services médicaux publics sont tenus de fournir les soins d’urgence, même si l’intéressé ne détient pas de PAAYPA ou d’AMKA.
Quant à l’hébergement, il se dégage du susdit article de l’OSAR qu’en Grèce, les bénéficiaires d’une protection internationale perdent leur place d’hébergement 30 jours après la reconnaissance d’un statut de protection internationale. Même si aucune solution de relogement n’est prévue, il se dégage néanmoins de ce rapport, ainsi que d’une communication de la Commission européenne du 4 avril 20257, qu’il existe un programme dénommé HELIOS, respectivement, depuis janvier 2025, HELIOS+, qui prévoit notamment l’octroi d’allocations de loyer en faveur des bénéficiaires d’une protection internationale.
S’agissant encore de l’accès à l’emploi légal, qui constitue un levier essentiel pour garantir aux bénéficiaires d’une protection internationale un accès effectif au logement et aux soins de santé, notamment par l’activation de l’AMKA, il se dégage du susdit rapport de l’OSAR que cet accès peut être entravé par certains obstacles, tels que des difficultés linguistiques, des démarches administratives complexes et un contexte économique défavorable. Il ressort encore du document intitulé « Guide d’information pour les bénéficiaires de la protection internationale », dont se prévaut la partie étatique, que l’exercice d’une activité professionnelle légale en Grèce est soumis à plusieurs conditions, dont l’obtention d’un numéro d’affiliation à la sécurité sociale, démarche qui requiert la présentation d’un justificatif de résidence, tel qu’un « contrat de bail/déclaration sur l’honneur de votre hôte ou bailleur/facture d’électricité ou d’eau à votre nom ».
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de relever qu’il ressort, certes, du susdit rapport de l’OSAR, ainsi que d’autres sources invoquées, que les bénéficiaires d’une protection internationale risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent au niveau de l’accès à l’hébergement, à l’emploi et aux soins. Toutefois, force est de constater que sur base de ces seuls éléments, il ne peut être retenu pour les bénéficiaires d’une protection internationale une absence totale et systématique d’accès à un logement, à un emploi, aux soins, à des prestations sociales ou, de manière générale, à des moyens de subsistance permettant de faire face à leurs besoins les plus élémentaires.
Il s’ensuit qu’au regard du seuil de gravité fixé par la CJUE, le tribunal ne s’est pas vu soumettre d’éléments probants qui lui permettraient de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Grèce, en ce sens que la situation des bénéficiaires d’un statut de protection internationale y serait telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour les personnes concernées, d’être systématiquement exposées à une situation de dénuement 6 https://greece.refugee.info/fr/articles/4985624835479.
7 En ce sens: trib. adm., 2 juin 2025, n° 52672 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
9 matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur renvoi dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Eu égard aux considérations qui précèdent et à défaut d’autres éléments, le tribunal retient que le demandeur est resté en défaut de démontrer que les bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce risqueraient systématiquement de voir leurs droits les plus fondamentaux bafoués dans ledit pays en raison de l’existence de défaillances systémiques.
Cependant, il appartient encore au tribunal d’analyser la situation personnelle du demandeur et de sa fille.
En effet, il ressort de la jurisprudence de la CJUE qu’il ne saurait être entièrement exclu qu’un demandeur de protection internationale puisse démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles qui lui sont propres et qui impliqueraient qu’un renvoi dans l’Etat membre lui ayant déjà accordé une protection internationale l’exposerait, en raison de sa vulnérabilité particulière, à un risque de traitements contraires à l’article 4 de la Charte8.
S’agissant de la situation personnelle de la fille mineure (A2), il y a lieu de relever que Monsieur (A1) a déclaré auprès de l’agent de la police grand-ducale qu’elle souffrirait d’asthme. Or, non seulement le demandeur n’a plus évoqué cette information par la suite, mais il ne l’a pas davantage étayée par un quelconque élément de preuve. Il s’ensuit que cette simple allégation, non corroborée, ne saurait suffire à conclure à l’existence d’un risque de traitements inhumains ou dégradants à l’encontre de l’enfant (A2) en cas de retour en Grèce en raison de son état de santé.
S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur ayant trait à son propre état de santé, le tribunal relève qu’il ressort d’un arrêt de la CJUE du 16 février 20179, certes rendu en matière de transfert d’un demandeur d’asile vers l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale, mais dont les principes sont néanmoins transposables mutatis mutandis au cas d’espèce, (i) qu’il n’est pas possible d’exclure d’emblée que, étant donné l’état de santé particulièrement grave d’un demandeur d’asile, son transfert en application du règlement Dublin III puisse entraîner pour ce dernier un risque de subir des traitements inhumains et dégradants10, (ii) que pour qualifier de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, il y a lieu de prendre en considération l’affectation, mentale ou physique, particulièrement grave, qui entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé du concerné11 et (iii) qu’il incombe à la personne concernée de produire des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert vers l’Etat membre de destination12.
8 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17, point 95 ; CJUE, Milkiyas Addi c. Bundesrepublik Deutschland, C-517/17, n° 52.
9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.
10 Ibidem, point 66.
11 Ibidem, point 74.
12 Ibidem, point 75.
10 Le tribunal précise, dans ce contexte, encore que dans le cadre d’un recours en annulation, la situation à prendre en compte est celle existant objectivement au moment où l’auteur de la décision administrative a statué. Le juge de l’annulation ne saurait ainsi prendre en considération ni des éléments de fait, ni des changements législatifs ou réglementaires s’étant produits postérieurement à la prise de la décision. L’administré n’en pâtit pas puisque dans une telle hypothèse, il peut faire état d’un élément nouveau lui permettant de solliciter une nouvelle décision et obligeant l’autorité administrative à statuer à nouveau, sur base de la nouvelle situation en fait ou en droit. Une annulation de la décision administrative par le juge sur base d’un changement en fait ou en droit intervenu en cours d’instance ne serait pas d’une réelle utilité pour l’administré qui devrait alors, de toute manière, attendre la prise d’une nouvelle décision par l’administration, le juge administratif ne pouvant prendre une décision tenant compte de la nouvelle situation en lieu et place de l’administration.
En revanche, au cas où de nouveaux éléments de preuve sont produits au cours de l’instance contentieuse, permettant d’apprécier différemment la situation factuelle soumise au ministre ayant existé au moment de la prise de la décision, le juge peut et doit les prendre en considération et, le cas échéant, annuler la décision administrative qui ne procède alors pas forcément d’une erreur en fait ou en droit, mais qui a été prise sur base d’une information incomplète ayant amené le ministre à une erreur d’appréciation. Dénier à l’administré, non le droit de se prévaloir en cours d’instance de faits nouveaux, droit qu’il n’a pas, mais celui de produire de nouveaux éléments de preuve se rapportant à la situation ayant existé au moment de la prise de la décision attaquée et appréciée par le ministre, reviendrait à le priver, le cas échéant, de la possibilité d’obtenir une décision prise sur la base de l’ensemble des éléments d’appréciation ayant existé au moment de la prise de la décision et correspondant ainsi à la situation réelle du moment, l’administration n’étant en effet pas obligée de reconsidérer une décision qu’elle a prise sans qu’un fait nouveau ne se soit produit13.
S’agissant du rapport médical du 14 mai 2025, établi par un hématologue en Grèce, versé par le demandeur à l’appui du présent recours, si ce rapport a certes été communiqué par le demandeur postérieurement à la décision déférée et n’a, de ce fait, pas pu être pris en compte par le ministre lors de la prise de ladite décision, il peut néanmoins être pris en considération par le tribunal. En effet, ce rapport tend à établir l’état de santé de Monsieur (A1), tel qu’il se présentait au moment de la prise de la décision déférée, dès lors qu’il a été établi à une date antérieure à celle-ci. Il ne contient donc pas d’éléments fondamentalement nouveaux survenus postérieurement à la décision déférée. Le rapport médical du 14 mai 2025 est, dès lors, admissible et à prendre en considération dans l’analyse ci-après.
Cette précision étant faite, il y a lieu de relever que, selon ce rapport médical du 14 mai 2025, Monsieur (A1) a, certes, des antécédents médicaux connus de leucémie myéloïde chronique ayant nécessité une hospitalisation en novembre 2024, ainsi qu’un traitement médicamenteux pendant trois mois, traitement qui a été interrompu en raison de l’absence d’un numéro de sécurité sociale dans le chef du concerné, il n’en reste pas moins qu’en date du 14 mai 2025, il avait sa dernière consultation programmée, lors de laquelle il ne présentait plus de splénomégalie palpable et son hémogramme était normal.
Si cette pièce fait certes état d’un historique médical de leucémie myéloïde chronique dans le chef du demandeur, il n’en reste pas moins que le seul rapport médical produit ne permet 13 Cour adm., 20 mars 2014, n° 33780C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 29 et les autres références y citées.
11 au tribunal d’apprécier ni son état de santé actuel, ni l’existence d’une particulière vulnérabilité dans son chef.
En effet, la conclusion aux termes de laquelle « the patient have no palplable spleen and normal blood cell count », ne fournit ni d’information sur le stade d’évolution de la maladie ni sur la nécessité, voire la nature d’un traitement médicamenteux, mais décrit a priori une amélioration de l’état de santé du demandeur.
Il en résulte que l’allégation du demandeur selon laquelle il nécessiterait une thérapie ciblée reposant sur la prise continue et ininterrompue d’un traitement spécifique n’est étayée par aucun élément probant. Il n’est pas davantage démontré que son état de santé actuel présente le degré de gravité visé par la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 2017, justifiant la reconnaissance d’une particulière vulnérabilité, ni, surtout, qu’un retour en Grèce aurait ipso facto des conséquences significatives et irrémédiables sur ledit état de santé.
En outre, en ce qui concerne l’accès aux soins de santé en Grèce pour Monsieur (A1), il y a lieu tout d’abord de relever qu’il se dégage du rapport médical du 14 mai 2025 qu’il a pu bénéficier d’un suivi médical même après l’obtention du statut de réfugié. Ensuite, quant à la condition tenant notamment à la détention d’une adresse pour obtenir une AMKA afin d’accéder aux soins, telle qu’elle ressort du susdit rapport de l’OSAR, le tribunal constate que si le demandeur soutient dans sa requête introductive d’instance que la recherche d’un logement s’avérerait particulièrement difficile en Grèce, il a néanmoins déclaré lors de son entretien ministériel qu’il lui était, au contraire, possible de trouver un hébergement14. Il s’ensuit que même si cette recherche peut s’avérer difficile, elle n’est, selon ses propres déclarations, pas vouée à l’échec.
Il en est de même pour l’accès à l’emploi. En effet, si le demandeur affirme avoir entrepris des démarches actives et continues en ce sens, cette déclaration reste toutefois à l’état de pure allégation. En tout état de cause, le demandeur ne démontre pas qu’il se trouverait, pour des raisons personnelles, dans l’impossibilité d’accéder à un emploi en Grèce. La seule circonstance tenant à la barrière linguistique et à la charge exclusive d’un enfant, si elle peut compliquer cette recherche, ne saurait suffire à établir une impossibilité réelle.
Il s’ensuit que si la situation du demandeur, en cas de retour en Grèce, peut s’avérer difficile, aucun élément du dossier sous analyse ne permet toutefois de conclure à l’absence de toute perspective d’amélioration, résultant d’efforts pouvant raisonnablement être exigés de lui, étant rappelé, dans ce contexte, qu’il ne démontre pas l’existence d’une vulnérabilité particulière dans son chef.
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, le tribunal conclut que le demandeur ne rapporte pas la preuve que du fait de son état de santé, il courrait un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, en cas de retour en Grèce.
Au vu des développements faits ci-avant, il n’est pas établi que compte tenu de leur situation personnelle, le demandeur, respectivement sa fille, seraient exposés à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de retour en Grèce, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques atteignant le seuil de gravité dégagé par la jurisprudence, précitée, de la CJUE.
14 Rapport d’audition, page 2 : « Je pouvais trouver un hébergement ».
12 L’ensemble des considérations qui précédent amènent le tribunal à rejeter le moyen du demandeur ayant trait à un traitement inhumain et dégradant en Grèce pour ne pas être fondé.
Il s’ensuit qu’à défaut d’autres moyens, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2025 Le greffier du tribunal administratif 13