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09/07/2025 | LUXEMBOURG | N°49156

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juillet 2025, 49156


Tribunal administratif Numéro 49156 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49156 5e chambre Inscrit le 12 juillet 2023 Audience publique du 9 juillet 2025 Recours formé par la société à responsabilité limitée (AA) SARL, … contre des bulletins d’imposition, en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49156 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 juillet 2023 par la société en commandite simple OGIER (LUX

EMBOURG) SCS, établie et ayant son siège social à L-2453 Luxembourg, 2-4, rue Eugène Ruppert...

Tribunal administratif Numéro 49156 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49156 5e chambre Inscrit le 12 juillet 2023 Audience publique du 9 juillet 2025 Recours formé par la société à responsabilité limitée (AA) SARL, … contre des bulletins d’imposition, en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49156 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 juillet 2023 par la société en commandite simple OGIER (LUXEMBOURG) SCS, établie et ayant son siège social à L-2453 Luxembourg, 2-4, rue Eugène Ruppert, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, représentée par son gérant commandité actuellement en fonctions, la société à responsabilité limitée OGIER Luxembourg (GP) SARL, établie et ayant son siège social à L-2453 Luxembourg, 2-4, rue Eugène Ruppert, elle-même représentée aux fins de la présente procédure par Maître Audrey BERTOLOTTI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil de gérance actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal de l’année d’imposition 2019, ainsi que du bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2020.

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2023 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 janvier 2024 par la société en commandite simple OGIER (LUXEMBOURG) SCS, préqualifiée au nom de sa mandante, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2024 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins d’impôt déférés ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Romain DEL DEGAN, en remplacement de Maître Audrey BERTOLOTTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mars 2025.

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En date du 1er juillet 2021, la société à responsabilité limitée (AA) SARL, ci-après désignée par la « société (AA) », déposa sa déclaration fiscale pour l’année d’imposition 2019 auprès de l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par l’« 1administration », électroniquement.

En date du 14 juillet 2021, le bureau d’imposition … de l’administration, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit à l’égard de la société (AA), sur le fondement du § 100a, alinéa (1) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO » :

- les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année d’imposition 2019, et - les bulletins d’établissement de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2020.

Par courrier du 24 août 2021, réceptionné le 26 août 2021, la société (AA) s’adressa, par l’intermédiaire de la société à responsabilité limitée (BB) SARL, ci-après désignée par la « société (BB) », au préposé du bureau d’imposition dans les termes suivants :

« […] Nous revenons vers vous à la suite de l’imposition provisoire (parag. 100a AO) du 14 juillet 2021 et concernant la société (AA) S.à r.l., pour l’année 2019.

Veuillez noter que nous estimons que les comptes annuels 2019 ne reflètent pas adéquatement la réalité économique de la société et ainsi n’en donnent pas une image fidèle.

Ainsi, les comptes annuels 2019 de la société (AA) S.à r.l. vont prochainement faire l’objet de modification(s).

Par conséquent, une déclaration fiscale (formulaire 500) rectificative vous sera à nouveau transmise pour l’année 2019. […] ».

En date du 11 novembre 2021, la société (AA) déposa sa déclaration fiscale rectificative pour l’année d’imposition 2019 auprès de l’administration électroniquement.

Par courrier du 18 novembre 2021, réceptionné le 30 novembre 2021 par la société (AA), le préposé du bureau d’imposition accusa la bonne réception de la « déclaration fiscale rectificative de l’année 2019 », tout en indiquant que « […] j’ai le regret de vous informer que le bulletin d’imposition de l’impôt sur le revenu de l’année 2019 est coulé en force décidée et que partant un redressement par le bureau d’imposition n’est plus possible (§ 94 alinéa 1er AO). […] ».

Par courrier électronique du 1er décembre 2021, la société (BB) répondit, au nom de la société (AA), au prédit courrier du 18 novembre 2021 dans les termes suivants : « […] vous refusez de prendre en considération la déclaration fiscale rectificative de l’année 2019 sur la base du fait que le bulletin d’imposition provisoire du 14 juillet 2021 est coulé en force décidée et qu’ainsi un redressement n’est plus possible.

Veuillez noter qu’en date du 24 août 2021 un courrier recommandé a été adressé au Préposé du Bureau … (voir pièce jointe) pour l’informer que les comptes annuels de 2019 ne donnent pas une image fidèle de la société et qu’ainsi ils vont faire l’objet d’une modification, tout comme la déclaration fiscale pour l’année 2019.

2En effet, une déclaration fiscale ne peut être considérée comme étant valable que sur la base de comptes annuels qui donnent une image fidèle de la société et ainsi de sa réalité économique et de sa capacité contributive.

Je vous remercie dès lors de bien vouloir prendre en considération la déclaration fiscale 2019 modifiée sur la base des comptes annuels 2019 modifiés. […] ».

Par courrier du « 20 avril 2021 », réceptionné le 16 décembre 2021 par la société (AA), le préposé du bureau d’imposition répondit audit courrier électronique du 1er décembre 2021 dans les termes suivants : « […] Je suis au regret de vous informer que votre courrier du 24 août 2021, informant le Bureau d’imposition … que les comptes annuels 2019 de la société susmentionnée vont prochainement faire l’objet de modification(s) ne peut donner lieu à une rectification sur base du §94, alinéa 1 AO, car aucune précision n’a été apportée quant aux faits qui auraient dû être redressés.

De ce fait, en vertu du § 245 de la loi générale des impôts, la déclaration remise le 11 novembre 2021 ne saurait donc servir de base à une rectification. […] ».

Il ressort des éléments du dossier fiscal qu’un entretien téléphonique eut lieu le 4 janvier 2022 au cours duquel il fut convenu qu’en raison d’une erreur de date, le courrier précité serait renvoyé à la société (AA).

Par courrier du 4 janvier 2022, réceptionné le 10 janvier 2022 par la société (AA), le préposé du bureau d’imposition adressa un courrier identique à celui daté du « 20 avril 2021 » à la société (AA).

Par courrier électronique du 25 janvier 2025, la société (AA) informa, par l’intermédiaire de la société (BB), le bureau d’imposition notamment de l’incapacité financière de la société (AA) à payer les montants d’impôt fixés sur base de la déclaration fiscale originelle suite au refus du bureau d’imposition de « prendre en compte la déclaration fiscale rectificative 2019 » qui serait établie sur base des comptes annuels modifiés.

Par courrier du 18 février 2022, réceptionné le 22 février 2022 par l’administration, indiquant avoir pour objet « Recours hiérarchique formel […] », la société (AA) s’adressa, par l’intermédiaire de la société (BB), au directeur de l’administration, ci-après désigné par le « directeur », comme suit :

« […] Au nom et pour le compte de notre cliente […], qui s’estime lésée, nous vous soumettons la réclamation concernant :

Les décisions émises en dates des 18 novembre 2021 et 04 janvier 2022 pour le compte du Bureau d’imposition … et qui ont trait à l’imposition suivante : [les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année 2019 et le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2020]. […] La déclaration fiscale rectificative 2019 a été préparée sur la base des comptes annuels 2019 modifiés.

Veuillez trouver ci-dessous un bilan pro-forma qui met en évidente en « jaune » les éléments du bilan 2019 qui ont été modifiés. Ces éléments ne sont pas contestés par Monsieur 3le Préposé. […]. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 juillet 2023, la société (AA) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal de l’année d’imposition 2019, ainsi que du bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2020.

I) Quant à la compétence du tribunal En ce qui concerne la compétence des juridictions administratives en matière fiscale, le tribunal rappelle que celle-ci leur est attribuée à travers l’article 8, paragraphe 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », selon lequel le tribunal administratif est compétent pour connaître des contestations relatives aux impôts directs de l’Etat, à l’exception des impôts dont l’établissement et la perception sont confiés à l’administration de l’Enregistrement et des Domaines et à l’administration des Douanes et Accises, ainsi que celles relatives aux impôts et taxes communaux, à l’exception des taxes rémunératoires.

En l’espèce, il échet de constater que le recours contentieux introduit par la société (AA) a trait, en substance, à des contestations relatives aux impôts directs, alors qu’il est dirigé contre les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal de l’année d’imposition 2019, ainsi que contre le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2020, tous émis le 14 juillet 2021, de sorte que le tribunal est compétent pour en connaître, en vertu du de l’article 8, paragraphe (1) précité de la loi du 7 novembre 1996.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

II) Quant à la recevabilité du recours Conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi du 7 novembre 1996 précitée, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre des bulletins de l’impôt.

Un recours dirigé directement contre un bulletin dressé par un bureau d’imposition est irrecevable omisso medio si ledit bulletin et les contestations formulées n’ont pas été soumis préalablement pour examen et décision au directeur1.

En l’espèce, les parties sont en désaccord sur la question de savoir si le courrier du 26 août 2021 de la société (AA) qualifie de réclamation, étant précisé que la recevabilité du recours sous examen est fonction de ladite qualification au regard des dispositions légales susvisées.

Arguments et moyens des parties Dans sa requête introductive d’instance, la société (AA) explique, dans le cadre de son analyse de la « recevabilité du recours », que le bureau d’imposition aurait, à tort, qualifié son courrier du 26 août 2021 de demande de redressement au sens du § 94 AO en lieu et place de celle de réclamation.

1 Trib. adm. 6 août 1997, n° 9574, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1349 et les autres références y citées.

4Tout en indiquant que la « Réclamation étant succinctement rédigée », il aurait « a minima » appartenu au bureau d’imposition, conformément aux « dispositions de l’AO » et à « une jurisprudence bien établie », d’apporter une réponse en lui demandant de clarifier la nature de sa demande, et à défaut, de transmettre ladite demande au directeur pour une prise de position de sa part sur la nature de sa demande, la société (AA) se référant à un arrêt de la Cour administrative du 9 janvier 2018, inscrit sous le numéro 39755C du rôle.

Or, le bureau d’imposition se serait contenté de garder le silence suite à la notification de sa « réclamation » jusqu’à ce qu’elle dépose sa déclaration fiscale rectificative, et aurait fourni sa réponse défavorable à une date où elle aurait été forclose dans sa « demande de redressement ». Le bureau d’imposition aurait ainsi non seulement procédé à une qualification erronée de sa demande, mais ne lui aurait surtout pas permis de faire valoir ses droits conformément aux « dispositions de l’AO ».

La société (AA) prend, ensuite, position par rapport aux conditions visées au § 249 AO en vue d’admettre la qualification de réclamation, lesquelles seraient réduites au strict minimum.

Premièrement, outre que sa « réclamation » désignerait clairement qu’elle-même en aurait été l’auteur, il ressortirait du § 249, alinéa (1) AO qu’une désignation incorrecte du recours serait sans conséquences, de sorte que le fait que sa « réclamation » ne préciserait pas « sa nature » ne pourrait pas lui porter préjudice, ni emporter une autre qualification par le bureau d’imposition.

Deuxièmement, la société (AA) indique qu’elle aurait clairement, conformément au § 249, alinéa (2) AO, indiqué se sentir lésé par « la décision » contestée dont elle aurait demandé le réexamen, au motif qu’elle aurait indiqué que ses comptes annuels concernant l’exercice 2019, sur base desquels sa déclaration fiscale initiale aurait été basée, « ne reflètent pas adéquatement la réalité économique de la société et ainsi n’en donnent pas une image fidèle ». Par cette formulation, la société (AA) indique qu’elle aurait sollicité « la remise en cause générale de l’imposition établie par les Bulletins 2019 », ce qui distinguerait sa demande d’une demande de redressement au sens du § 94 AO.

Troisièmement, la société (AA) donne à considérer qu’elle aurait valablement pu introduire sa « réclamation » auprès du bureau d’imposition conformément au § 249, alinéa (3) AO.

Quatrièmement, la société (AA) fait valoir qu’elle aurait clairement indentifié les « Bulletins 2019 » dans sa « réclamation », de même que les motifs de contestations afférents.

Elle en conclut que son courrier du 26 août 2021 qualifierait de réclamation.

La société (AA) poursuit ses explications en faisant valoir qu’en cas de doute sur la qualification dudit courrier, le bureau d’imposition aurait été tenu de le continuer au directeur pour que celui-ci analyse sa demande. Une telle obligation découlerait du § 252, alinéa (1) AO et de la jurisprudence des juridictions administratives. En cas de doute sur la nature de sa demande, la qualification de réclamation aurait de toute façon dû être retenue au motif que la notion devrait être interprétée de façon large et que la qualification de réclamation devrait être retenue toutes les fois qu’elle présente un intérêt pour le contribuable. Or, en l’espèce, il ressortirait des « Bulletins 2019 » qu’un montant d’impôt dû de plusieurs centaines de milliers 5d’euros aurait été fixé, alors que la déclaration fiscale rectificative déposée par la suite aurait fait état de pertes fiscales reportables « pour plusieurs dizaines de millions d’euros ». L’écart d’imposition en sa faveur démontrerait son intérêt à voir sa situation fiscale corrigée.

La société (AA) en conclut que son courrier du 26 août 2021 aurait ainsi été introduit avant l’expiration du délai de trois mois, lequel commencerait à courir à compter de la notification des « Bulletins 2019 » du 14 juillet 2021. Le § 245, alinéa (1) AO aurait ainsi été respecté. Comme sa « réclamation » serait restée sans réponse de l’administration depuis plus de six mois, son recours contentieux aurait valablement pu être introduit au greffe du tribunal administratif.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours sous examen aux motifs, d’une part, qu’aucune réclamation n’aurait été introduite en l’espèce, et, d’autre part, que même à admettre que le courrier du 26 août 2021 puisse qualifier de réclamation, la société (AA) n’aurait pas été valablement représentée par la signature d’un seul de ses gérants, eu égard aux statuts qui exigeraient la signature conjointe de deux gérants.

Par rapport à la question de l’existence d’une réclamation, le délégué du gouvernement rappelle que le litismandataire de la société (AA) aurait introduit le recours sous examen en date du 12 juillet 2023, tandis que la société (AA) aurait déposé électroniquement une déclaration fiscale le 1er juillet 2021 sur le site Internet « www.guichet.public.lu », ce qui aurait conduit à l’émission automatique des bulletins d’impôt litigieux le 14 juillet 2021 sur base du § 100a AO. Le représentant étatique donne à considérer que par courrier recommandé avec avis de réception du 26 août 2021, qui serait erronément qualifié de réclamation, la société (AA) aurait informé le bureau d’imposition que ses comptes annuels au 31 décembre 2019 seraient erronés et qu’ils feraient « l’objet de modification(s). Par conséquent, une déclaration fiscale (formulaire 500) rectificative vous sera à nouveau transmise pour l’année 2019 ».

Ensuite, Monsieur (A), qui serait l’associé de la société (BB), prétendrait qu’il aurait introduit un « Recours hiérarchique formel » le 22 février 2022 contre les décisions du bureau d’imposition datées des 18 novembre 2021 et 4 janvier 2022, tel que cela ressortirait de l’objet de ce courrier. Le représentant étatique estime que ce recours serait ambigu au motif que la société (AA) y indiquerait en même temps qu’elle « s’estime lésée, nous vous soumettons la réclamation suivante […] ». Il fait toutefois valoir que ce courrier ne qualifierait pas de réclamation au sens du § 228 AO, mais de recours hiérarchique formel au sens du § 237 AO.

Or, l’article 8, paragraphe (1), point 3 de la loi du 7 novembre 1996 ne permettrait pas d’introduire directement un recours contentieux au greffe du tribunal administratif en cas de silence du directeur par rapport à un recours hiérarchique formel, tel que les juridictions administratives l’auraient confirmé à plusieurs reprises, le représentant étatique affirmant que le directeur ne se serait justement pas prononcé sur la requête de la société (AA) datée du 22 février 2022. Le délégué du gouvernement ajoute que le mandat daté du 18 février 2021 et annexé au courrier du 22 février 2022 préciserait expressément qu’il ne vaudrait que pour introduire un « recours hiérarchique formel » contre les « décisions des 18 novembre 2021 et 04 janvier 2022 », celles du bureau d’imposition. Il explique encore que même en qualifiant le courrier du 22 février 2022 de réclamation, elle serait tardive au motif que les bulletins litigieux auraient tous été émis le 14 juillet 2021.

En tout état de cause, le recours sous examen serait uniquement dirigé contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2019, ainsi que le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier de 6l’année 2020. Or, il serait de droit qu’un tel recours serait irrecevable omisso medio dès lors qu’un bulletin n’aurait pas été préalablement soumis pour examen au directeur en vue d’une prise de décision, de sorte qu’à défaut de réclamation de la société (AA), son recours déposé au greffe du tribunal administratif serait irrecevable.

Le délégué du gouvernement fait ensuite valoir que le courrier du 26 août 2021 ne qualifierait pas de réclamation. Il se réfère au contenu de ce courrier dans lequel la société (AA) aurait rendu attentif le bureau d’imposition sur le caractère erroné de ses comptes annuels, et au fait que la société (AA) n’aurait remis une déclaration fiscale rectificative qu’en date du 11 novembre 2011, soit après l’expiration du délai de trois mois pour solliciter un redressement au sens du § 94, alinéa (1) AO. Ce serait pour cette raison que la société (AA) entendrait désormais voire requalifier le courrier du 26 août 2021 de réclamation au motif qu’il aurait, de son côté, été introduit endéans le délai de trois mois conformément au § 245 AO. Le courrier du 26 août 2021 ne serait qu’une « simple lettre d’information » dans laquelle la société (AA) se serait limitée à renseigner qu’elle ferait parvenir au bureau d’imposition une déclaration fiscale rectificative pour l’année d’imposition 2019 sans indiquer à aucun moment qu’elle entendrait contester les bulletins d’impôt litigieux. Cette conclusion s’imposerait d’autant plus au regard du courrier de réponse daté du 1er décembre 2021 de la société (AA) au refus du bureau d’imposition du 18 novembre 2021.

Pour le surplus, le délégué du gouvernement expose encore son argumentation par rapport à la question de savoir si la société (AA) aurait été valablement représentée par la signature d’un seul de ses gérants, alors que les statuts auraient exigé une signature conjointe.

Dans son mémoire en réplique, la société (AA) conclut au rejet du moyen d’irrecevabilité soulevé par la partie étatique.

La société (AA) indique ne pas contester que son courrier du 22 février 2022 serait un recours hiérarchique formel, lequel constituerait un recours procédural distinct de celui d’une réclamation, et que ledit courrier ne devrait pas être assimilé à une réclamation au sens du § 228 AO. Elle ajoute qu’elle « n’entend discuter ni la forme ni le fond de ce recours hiérarchique dans le cadre de la présente instance », en indiquant que les développements de l’Etat quant à ce recours hiérarchique ne seraient pas pertinents en l’espèce.

La société (AA) se réfère, ensuite, à sa requête introductive d’instance dans laquelle elle aurait rappelé les exigences formelles de recevabilité d’une réclamation au regard des dispositions du § 249 AO, ainsi que les obligations de diligence de l’administration à son égard.

Elle se réfère encore notamment à un jugement du tribunal administratif du 22 mai 2023, inscrit sous le numéro 46506 du rôle, pour soutenir sa thèse et dont les circonstances auraient été comparables à celles de l’espèce.

Pour le surplus, la société (AA) prend encore position par rapport au reproche du délégué du gouvernement au sujet de l’absence alléguée de signature conjointe de la « réclamation » par ses deux co-gérants.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement maintient que le courrier du 26 août 2021 ne serait qu’une « simple lettre d’intention » dans laquelle la société (AA) aurait informé l’administration de ce qu’elle allait prochainement faire, de son projet futur de publier de nouveaux comptes, et de déposer une « réclamation rectificative », ce qu’elle n’aurait toutefois fait qu’après l’expiration du délai de réclamation, en date du 11 novembre 72021. Ce « courrier d’intention » ne qualifierait ni de réclamation, ni de demande de redressement, au motif qu’il n’indiquerait aucune correction à faire et qu’il n’aurait apporté aucune précision quant aux faits qui auraient dû être redressés, tel que le bureau d’imposition l’aurait relevé. Contrairement au prescrit du § 249 AO, la société (AA) n’aurait ainsi pas demandé de réexamen de son imposition au motif qu’elle aurait été lésée par cette imposition.

Le représentant étatique argumente encore que la société (AA) aurait dû faire preuve d’un minimum de diligences concernant la formulation du contenu de sa requête afin de mettre le bureau d’imposition en mesure de déterminer s’il s’agit effectivement d’une réclamation. Il ajoute qu’il n’y aurait eu aucun doute quant à la portée du courrier du 26 août 2021, de sorte que l’administration n’aurait pas eu besoin de se renseigner auprès de la société (AA) sur le sens à donner à sa déclaration.

Pour le surplus, le délégué du gouvernement développer encore son argumentation suivant laquelle la réclamation n’aurait pas été signée conjointement par deux gérants de la société (AA).

Analyse du tribunal L’objet de ce volet du litige sur la question de savoir si le courrier du 26 août 2021, précité, de la société (AA) adressé au bureau d’imposition qualifie de réclamation, tel qu’elle l’affirme, étant précisé qu’il n’est pas litigieux que ledit courrier a, en tout état de cause, été introduit endéans le délai de réclamation de trois mois visé au § 245 AO.

En revanche, le tribunal n’est pas saisi de la question de la qualification du courrier du 22 février 2022, précité, invoqué de part et d’autre, étant donné que la société (AA) a expressément indiqué que ce courrier ne qualifiait pas de réclamation.

Le § 94, alinéa (1) AO, lequel dispose que « Les bulletins d’impôt […] ainsi que les décisions administratives à caractère individuel […] ne peuvent être retirés ou modifiés qu’à la double condition que le contribuable y consente expressément et qu’il ne se trouve pas forclos dans le cadre d’un recours contentieux […] », crée la possibilité pour l’administration de modifier des bulletins d’impôts sous la double condition du consentement exprès du contribuable et de la non expiration des délais de recours contentieux.

La distinction entre une demande en redressement sur le fondement du § 94 AO et une réclamation au sens du § 228 AO réside dans l’objectif poursuivi, en ce que la demande en redressement tend à redresser un point ponctuel et précis de l’imposition, tandis que la réclamation tend à remettre en cause l’imposition dans son ensemble2.

Le § 249 AO, ayant trait à la forme des réclamations prévues par le § 228 AO3, dispose dans ses deux premiers alinéas :

« (1) Die Rechtsmittel können schriftlich eingereicht oder zu Protokoll erklärt werden.

Es genügt, wenn aus dem Schriftstück hervorgeht, wer das Rechtsmittel eingelegt hat.

2 Trib. adm., 9 mai 2012, n° 28983 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1185 (1er volet) et les autres références y citées.

3 « Les décisions visées aux §§ …, 166 alinéa 3, 211, 212, 212a alinéa 1, 214, 215, 215a, 235, 396 alinéa 1 et 402 peuvent être attaquées dans un délai de trois mois par voie de réclamation devant le directeur de l’Administration des contributions directes ou son délégué. ».

8Einlegung durch Telegramm ist zulässig. Unrichtige Bezeichnung des Rechtsmittels schadet nicht.

(2) Ein Rechtsmittel gilt als eingelegt, wenn aus dem Schriftstück oder der Erklärung hervorgeht, dass sich der Erklärende durch die Entscheidung beschwert fühlt und Nachprüfung begehrt ».

S’il est vrai que cette disposition légale réduit les exigences de forme d’une réclamation au strict minimum, il n’en reste pas moins qu’elle requiert expressis verbis que la formulation de la réclamation doit faire ressortir que le contribuable se considère lésé par le bulletin d’impôt en cause et qu’il sollicite un réexamen de son imposition.

Même si aucun formalisme n’est imposé au contribuable en ce qui concerne l’introduction de sa réclamation, néanmoins faut-il que le contribuable fasse preuve d’un minimum de diligences concernant la formulation du contenu de la requête, de sorte que celui qui en est saisi soit en mesure de la qualifier utilement notamment quant à la question de savoir s’il s’agit effectivement d’une réclamation. Il importe de préciser à qui le contribuable a voulu s’adresser et s’il entendait que le bureau procède au retrait du bulletin ou d’un point du bulletin ou s’il voulait remettre en cause l’imposition en transmettant son dossier au directeur qui pourrait alors procéder au réexamen intégral de sa situation fiscale aux termes du § 299 AO, pouvant même entraîner une modification in pejus de l’imposition opérée. Dans cette mesure, il appartient au contribuable d’indiquer clairement ses intentions, étant donné que les deux procédés ont des répercussions autrement différentes4.

Tel que cela se dégage des documents parlementaires à la base de la loi du 7 novembre 19965, la distinction entre une demande de modification sur le fondement du § 94 AO et une réclamation au sens du § 228 AO réside dans l’objectif poursuivi, en ce que la demande de redressement tend à redresser un point ponctuel et précis de l’imposition, tandis que la réclamation tend à remettre en cause l’imposition dans son ensemble. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le § 94 AO n’est pas limité au redressement d’erreurs purement matérielles6.

D’un autre côté, il convient de relever que le § 249, alinéa (2) AO commande une interprétation large de la notion de réclamation, sans toutefois qu’il n’instaure de présomption en faveur d’une qualification de réclamation. Les déclarations du contribuable doivent être considérées comme l’expression de sa volonté d’exercer un recours contentieux toutes les fois que la voie de la réclamation est celle qui présente de l’intérêt pour lui, le critère essentiel étant en effet celui de définir le but que le contribuable entend atteindre en substance et de voir quelle voie de recours permet d’atteindre ce but. Au besoin il faut que l’administration se renseigne auprès du contribuable sur le sens à donner à sa déclaration7.

Afin de conférer la portée nécessaire à l’interprétation large de la notion de réclamation, il y a lieu de tenir compte, afin d’examiner la substance des déclarations du contribuable, non 4 Trib. adm., 21 novembre 2005, n° 19625 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1182 (1er volet) et les autres références y citées.

5 Doc. parl. n° 3940, amendements apportés par la commission suite à l’avis complémentaire du Conseil d’Etat, commentaire des articles, page 9.

6 Trib. adm., 9 mai 2012, n° 28983 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1185 (1er volet) et les autres références y citées.

7 Trib. adm., 13 décembre 2004, n° 17626 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1184 (1er volet) et les autres références y citées.

9pas seulement de ses déclarations expressément formulées, mais également de celles qui se dégagent nécessairement du contenu global des documents soumis dans le contexte donné8.

Il ne saurait être déduit de l’absence du terme « réclamation » que la société demanderesse n’aurait pas entendu introduire une réclamation. Ainsi, il n’y a pas lieu de se limiter aux termes employés, mais de replacer la demande introduite dans son contexte général.

La qualification donnée par le contribuable à sa réclamation, si elle est importante, n’est pas toujours déterminante. En aucun cas, les déclarations obscures des contribuables ne doivent être interprétées de la façon la plus favorable, la moins fastidieuse pour l’administration9.

En l’espèce, le tribunal constate, sur le plan formel, que l’omission de la mention de « réclamation » dans le courrier du 26 août 2021 sous analyse n’est, tel que l’explique à juste titre la société (AA), pas déterminante, étant donné que la qualification litigieuse dudit courrier ne saurait dépendre des seuls termes utilisés. Outre le fait que le § 249, alinéa (1) AO in fine, précité, précise expressément qu’une « Unrichtige Bezeichnung des Rechtsmittels schadet nicht », il convient en effet de tenir compte du contenu global et du contexte donné, tel que relevé ci-avant.

Dans le même ordre d’idée, il y a lieu de préciser que c’est à juste titre que la société (AA) argumente que la circonstance que le courrier du 26 août 2021 a été adressé au bureau d’imposition, et non au directeur, ne porte pas à critique et est d’ailleurs conforme aux dispositions du § 249, alinéa (3) AO10 qui prévoit précisément l’introduction auprès du bureau d’imposition, auteur du bulletin contesté, comme un mode de dépôt d’une réclamation11, encore que cet élément est susceptible de constituer un indice à prendre en considération pour tendre vers l’une ou l’autre qualification.

Sur le plan de la substance, le tribunal constate néanmoins que dans son courrier du 26 août 2021, cité in extenso ci-avant, la société (AA) a certes fait référence dans l’objet de cet écrit à une « Imposition du 14/07/2021 », renvoyant ainsi aux bulletins d’impôts litigieux émis en date du 14 juillet 2021, et dans le corps de l’écrit à « l’imposition provisoire » fondée sur le § 100a AO relative à l’année d’imposition 2019.

Or, loin de faire part au bureau d’imposition de la moindre contestation de cette imposition, la société (AA) s’est limitée à faire référence à des considérations comptables abstraites en indiquant estimer que ses propres comptes annuels concernant l’exercice 2019 ne reflèteraient pas la réalité économique, de sorte qu’ils ne donneraient pas une « image fidèle ».

La société (AA) s’est ensuite limitée à informer le bureau d’imposition que ses comptes annuels feraient « prochainement » l’objet de « modification(s) » et qu’en conséquence, une nouvelle déclaration fiscale rectificative lui serait transmise.

Contrairement à ce qu’affirme la société (AA), il ne résulte pas « clairement » de ces éléments qu’elle aurait été lésée par son imposition. Au contraire, les quatre phrases qui composent le courrier du 26 août 2021 sont dépourvues non seulement du moindre motif de 8 Trib. adm., 5 janvier 2012, n° 27606 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm., 26 juillet 2012, n° 29808C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1184 (2e volet) et les autres références y citées.

Impôts, n° 679) 9 Jean Olinger, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, Etudes fiscales, numéros 81/82/83/84/85, novembre 1989, n° 76 ; trib. adm., 9 janvier 2019, n° 40485 du rôle, Pas. adm. 2024, n° 1186 (4e volet).

10 « Die Rechtsmittel sind bei der Geschäftstelle der Behörde anzubringen, deren Bescheid angefochten wird. ».

11 Cour adm., 16 février 2016, n° 35979C du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.

10contestation, mais également d’une quelconque mention d’un grief relatif à son imposition ou des conséquences éventuelles concrètes que ces considérations comptables auraient eu sur sa propre imposition, le seul fait de faire mention à la « réalité économique » étant insuffisant.

Dès lors, contrairement à ce que la société (AA) fait plaider, le contenu du courrier du 26 août 2021 ne qualifie pas de demande de « remise en cause générale de l’imposition » relative à l’année 2019.

Les brèves explications fournies dans le courrier du 26 août 2021 ne constituent, en réalité, qu’une déclaration d’intention de la société (AA) destinée à mettre le bureau d’imposition dans l’expectative d’une future déclaration fiscale rectificative à venir qui ne s’est, au demeurant, matérialisée que près de trois mois plus tard avec le dépôt d’une déclaration fiscale rectificative le 11 novembre 2021 et partant plus de six mois après l’émission des bulletins d’impôts litigieux le 14 juillet 2021. Cette conclusion est d’ailleurs corroborée par la société (AA) elle-même dans son courrier du 1er décembre 2021, précité, dans lequel son litismandataire de l’époque explique de manière non équivoque que dans son courrier du 26 août 2021, la société (AA) a écrit au préposé du bureau d’imposition « pour l’informer que les comptes annuels de 2019 ne donnent pas une image fidèle de la société et qu’ainsi ils vont faire l’objet d’une modification, tout comme la déclaration fiscale pour l’année 2019 »12.

Or, il incombe au contribuable d’expliquer, au moins sommairement, au bureau d’imposition ou au directeur, au mieux, l’(les) élément(s) concret(s) de son imposition qui lui cause(nt) grief(s), mais en tout cas au minimum que l’imposition lui cause grief, en vue de mettre l’autorité administrative en mesure de saisir qu’il sollicite un réexamen intégral de son imposition. Il ne suffit pas d’informer le bureau d’imposition de l’existence d’erreurs ou d’irrégularités comptables sans, à tout le moins, faire part de l’existence d’un grief dans l’imposition établie sur base cette comptabilité que le contribuable estime être erronée.

Etant donné que dans le courrier du 26 août 2021, la société (AA) n’argumente aucunement qu’elle aurait eu un intérêt à voire modifier sa cote d’impôt fixée dans les bulletins d’impôt litigieux, et encore qu’elle argumente dans le cadre du recours sous examen que suivant sa déclaration fiscale rectificative, sa cote d’impôt aurait dû être négative compte tenu de l’existence de pertes fiscales reportables, le constat demeure que dans son courrier du 26 août 2021, il n’est (i) ni fait référence à sa cote d’impôt, (ii) ni fait état de pertes reportables qui n’auraient pas été prises en compte dans la fixation de cette cote d’impôt, (iii) ni encore fait mention d’une quelconque annexe, telle qu’une déclaration fiscale rectificative.

La manifestation de l’existence d’un grief peut d’ailleurs se faire en annexant une déclaration fiscale rectificative à l’appui de son courrier valant réclamation.

Il est en effet admis qu’un formulaire de déclaration fiscale reprenant l’ensemble des revenus et des dépenses déductibles du contribuable et accompagné des annexes et justificatifs requis par les dispositions légales ou réglementaires ou par les mentions du formulaire, dont notamment les documents comptables de synthèse relatifs à une activité soumise à l’obligation de tenir une comptabilité, doit être considérée comme suffisante pour avoir mis le directeur en mesure de procéder à un réexamen du cas d’imposition en cause, d’éventuelles lacunes ou 12 Souligné par le tribunal.

11incohérences étant un motif pour le directeur de faire usage des pouvoirs d’investigation lui conférés dans le cadre de la procédure de réclamation13.

Or, en l’espèce, force est de constater que la société (AA) n’a justement pas déposé de formulaire de déclaration fiscale à l’appui du courrier du 26 août 2021 sous examen, mais bien plus tard, en date du 11 novembre 2021, autrement dit en dehors du délai de réclamation de trois mois, tel que relevé ci-avant. C’est cet élément qui distingue fondamentalement la situation de la société (AA) de celle de l’affaire ayant donné lieu au jugement du tribunal administratif du 22 mai 2023. Dans cette affaire, le contribuable concerné avait d’ailleurs encore annexé des pièces justificatives relatives aux frais d’obtention dont il avait tiré l’existence d’un grief dans sa cote d’impôt, ce qui n’est pas non plus le cas de la société (AA).

Le tribunal ne partage pas la position de la société (AA) suivant laquelle il aurait appartenu au bureau d’imposition de s’enquérir auprès d’elle de sa véritable intention en application du § 252, alinéa (1) AO qui dispose que « Die Rechtsmittelbehörde hat zu prüfen, ob das Rechtsmittel zulässig und in der vorgeschriebenen Form und Frist eingelegt ist. Mangelt es an einem dieser Erfordernisse, so ist das Rechtsmittel als unzulässig zu verwerfen. ».

S’il ressort de cette disposition qu’il incombe au directeur de vérifier, avant tout autre progrès en cause si une réclamation a été introduite dans le délai de la loi et, à défaut de respect de ce délai, de la déclarer irrecevable pour tardivité14, il est de jurisprudence que cette disposition confère également au directeur la compétence exclusive pour décider si un écrit émanant d’un contribuable est à qualifier de réclamation au regard de l’exigence du § 249, alinéa (2) AO suivant laquelle une réclamation doit comporter l’allégation d’un grief et une demande de réexamen de l’imposition. Il s’ensuit qu’en cas de doute si un écrit est à considérer comme une réclamation ou non, le bureau d’imposition, qui a épuisé sa compétence d’instruction du cas d’imposition par l’émission du bulletin d’impôt, est tenu de soumettre cet écrit au directeur pour lui permettre de décider sur la qualification du contenu de cet écrit, mais ne peut pas prendre lui-même une décision quant à l’existence et la recevabilité d’une réclamation15.

Or, dans le cas d’espèce, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement argumente qu’aucun doute n’a pu naître dans l’esprit du préposé du bureau d’imposition quant à la nature de l’écrit litigieux, alors que le courrier du 26 août 2021 ne se caractérise pas par l’existence de termes ambigus qu’il aurait incombé au bureau d’imposition de dissiper, notamment en le soumettant au directeur en vue d’une qualification, mais se caractérise par une absence de termes révélant l’existence d’un grief concret dans le chef de la société (AA) et d’une volonté de la société (AA) d’obtenir le réexamen global de son imposition, tout en encourant le risque d’une reformatio in peius, et se limite à une information abstraite aux termes de laquelle une déclaration rectificative suivrait, sans autre précision.

Dès lors, la société (AA) n’est pas fondée à reprocher au bureau d’imposition d’être resté dans le « silence » jusqu’au dépôt de sa déclaration fiscale rectificative pour la qualifier, isolément, de demande de redressement au sens du § 94 AO et l’informer qu’une telle demande ne serait plus admissible compte tenu de l’expiration du délai de trois mois qui conditionne l’octroi d’une telle demande conformément à l’alinéa (1) dudit § 94 AO, précité.

13 Cour adm., 29 mars 2018, n° 39536C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1217 et les autres références y citées.

14 Trib. adm., 4 juillet 2023, n° 46017 du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.

15 Cour adm., 9 janvier 2018, n° 39755C du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.

12En tout état de cause, un contribuable ne peut pas, en connaissance de cause, rédiger un courrier « succinctement » et ensuite attendre du bureau d’imposition qu’il s’adresse à lui pour lui demander d’expliciter ses propos ou sa demande. Une telle inversion des rôles ne saurait être admise. C’est au contribuable d’effectuer, dans une première étape, le minimum de diligences pour formuler sa demande. Ce n’est qu’en cas de doute que le bureau d’imposition est, dans une deuxième étape, tenu de le dissiper en s’adressant soit au contribuable concerné, soit en soumettant la demande au directeur en vue de procéder à sa qualification.

Pour être tout à fait complet, le tribunal est encore amené à préciser que le formulaire de déclaration fiscale déposé auprès de l’administration en date du 11 novembre 2021 ne saurait d’ailleurs être considéré comme une simple annexe additionnelle au courrier du 26 août 2021, lequel a été déposé endéans le délai de réclamation de trois mois, dont il y aurait lieu de tenir compte conformément au § 85 AO16, étant donné que pris isolément, ce courrier ne saurait qualifier de réclamation, tel que retenu ci-avant.

Il résulte des considérations qui précèdent que le courrier du 26 août 2021 ne qualifie pas de réclamation au sens du § 228 AO.

En conséquence, à défaut pour la société (AA) d’avoir régulièrement introduit une réclamation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal de l’année d’imposition 2019, ainsi que contre le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2020 préalablement au dépôt du recours contentieux sous examen, celui-ci est à déclarer irrecevable omisso medio pour être directement dirigé contre lesdits bulletins.

L’examen du second moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du gouvernement est partant surabondant.

III) Quant à l’effet suspensif Au vu de l’issue du litige, la demande tendant à voir ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel sur base de l’article 35 de la loi de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par la « loi du 21 juin 1999 », est à rejeter, alors que pareille demande ne saurait être admise en cas de jugement portant rejet du recours17.

IV) Quant à l’indemnité de procédure La société (AA) sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de 10.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, demande à laquelle s’oppose le délégué du gouvernement.

Eu égard à l’issue du litige, le tribunal rejette la demande en question.

16 § 85 AO: « Solange die Behörde nicht entschieden hat, hat sie auch das nach Ablauf einer Frist Vorgebrachte zu prüfen. ».

17 Trib. adm., 16 août 2000, n° 12214 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 625 et l’autre référence y citée.

13Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours principal en réformation irrecevable ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande tendant à voir ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel ;

rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure formulée par la société à responsabilité limitée (AA) SARL ;

condamne la société à responsabilité limitée (AA) SARL aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2025 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Georges GEDGEN, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2025 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 49156
Date de la décision : 09/07/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-07-09;49156 ?

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