Tribunal administratif N° 48519 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48519 5e chambre Inscrit le 10 février 2023 Audience publique du 9 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48519 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 février 2023 par Maître Gilles PLOTTKE, ayant à l’époque été inscrit en tant qu’avocat à la Cour au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), ayant demeuré professionnellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 8 novembre 2022, référencée sous le numéro (1) du rôle, ayant rejeté sa demande de remise gracieuse ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 avril 2023 ;
Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif par courrier électronique le 11 mars 2025 par Maître Antonio RAFFA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), préqualifié ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale déférée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Zofia WHITE en sa plaidoirie à l’audience publique du 2 avril 2025, Maître Antonio RAFFA n’ayant été ni présent, ni représenté.
Par courrier daté du 6 septembre 2022 et réceptionné le 8 septembre 2022 par l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par « l’administration », Maître Antonio RAFFA, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, s’adressa au directeur de l’administration, ci-après désigné par « le directeur », au nom de Monsieur (A), pour lui demander de « suspendre les mesures d’exécution engagées contre [s]on mandant » et pour se voir « accorder un rendez-vous à telles fins que de droit ». Le même courrier indiqua :
« La présente vaut, d’ores et déjà, recours gracieux. ».
Par courrier daté du 22 septembre 2022, l’administration pria le litismandataire de l’époque de Monsieur (A) de clarifier, pour le 10 octobre 2022 au plus tard, si la demande datée du 6 septembre 2022 constitue une contestation au sens du § 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », ci-après désignée « AO », ou une demande en remise gracieuse au sens du § 131 AO.
1 Par courrier daté du 4 octobre 2022, le directeur écrivit au litismandataire de l’époque de Monsieur (A) ce qui suit : « […] Faisant suite à votre demande en suspension des mesures d’exécution engagées à l’encontre de Monsieur (A), je vous informe que nous ne pouvons pas donner une suite favorable à la prédite demande de sorte que nous poursuivrons le recouvrement forcé. […] ».
En date du 10 octobre 2022, un courrier électronique fut envoyé à l’administration, renseignant comme expéditeur « p. Me Gilles PLOTTKÉ empêché, pour le secrétariat de l’étude Plottké & Associates (SàRL en attente d’agrément) ». Ledit courrier électronique fit suite au courrier de l’administration du 22 septembre 2022 dans les termes suivants : « […] Dans le cadre de cette affaire et ne disposant pas de l’intégralité du dossier relatif à l’Administration des Contributions Directes, ma réponse est ainsi de la teneur suivante : -
dans la mesure où les taxations d’office effectuées à l’encontre de mon mandant seraient encore susceptibles d’un quelconque recours - à cet égard, je vous serais reconnaissant de bien vouloir le cas échéant me l’indiquer -, il serait des plus préjudiciables de renoncer à cette voie de recours, de sorte que dans cette hypothèse, je profiterais donc de cette possibilité, pour autant que ces mesures ne soient pas entièrement prescrites ce dont j’attends confirmation de votre part, pour contester les taxations intervenues alors. - pour autant que la totalité des taxations d’office intervenues à l’encontre de mon mandant n’est pas d’ores et déjà coulée en force de chose jugée et que toutes les voies de recours ne sont pas expirées, je sollicite, pour compte de mon mandant, la remise gracieuse de l’impôt dû, respectivement d’une partie de celui-ci, en considération de la rigueur objective et subjective de ce dossier.
Dans le cas de la remise gracieuse, je vous saurais gré de bien vouloir m’accorder un rendez-
vous pour que je puisse de vive voix vous présenter les arguments justifiant la demande d’obtention d’une remise gracieuse, totale ou partielle, de l’impôt dû. […] ».
Par courrier électronique du 12 octobre 2022, renseignant comme expéditeur « pour le secrétariat de l’étude Plottké & Associates (SàRL en attente d’agrément) », il fut accusé réception du courrier du directeur du 4 octobre 2022 et il fut demandé à celui-ci de « reconsidérer [sa] position quant à une éventuelle suspension provisoire des mesures d’exécution ».
Par courrier daté du 17 octobre 2022, l’administration recontacta le litismandataire de l’époque de Monsieur (A) pour réitérer sa demande de précision concernant la nature du courrier du 6 septembre 2022, et notamment pour demander s’il entendait introduire, pour le compte de son mandant, une contestation ou une demande en remise gracieuse.
Par courrier daté du 27 octobre 2022 envoyé au litismandataire de l’époque de Monsieur (A), l’administration confirma son intention de poursuivre le recouvrement forcé à l’encontre de son mandant malgré son courriel du 12 octobre 2022.
Par décision en matière gracieuse du 8 novembre 2022 référencée sous le numéro (1) du rôle, dont il est constant en cause qu’elle fut notifiée à Maître PLOTTKE le 9 novembre 2022, le directeur se référa à « la demande présentée le 8 septembre 2022 par Maître Gilles Plottké […] en sa qualité de conseil et au nom du sieur (A), ayant pour objet une remise par voie gracieuse de l’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 1998 à 2020, ainsi que des intérêts de retard, des astreintes infligées pour les années 2012 à 2021, ainsi que des avances de l’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 2021 et 2022 » et rejeta ladite demande en remise gracieuse dans les termes suivants :
2 « […] Vu la demande présentée le 8 septembre 2022 par Maître Gilles Plottké, demeurant professionnellement à L-1020 Luxembourg, 54, rue d’Anvers, BP 2038, en sa qualité de conseil et au nom du sieur (A), ayant pour objet une remise par voie gracieuse de l’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 1998 à 2020, ainsi que des intérêts de retard, des astreintes infligées pour les années 2012 à 2021, ainsi que des avances de l’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 2021 et 2022 ;
Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (AO), tel qu’il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;
Considérant que la demande de remise gracieuse est motivée par une situation financière difficile ;
Considérant que pour les années d’imposition 1998 à 2017 le bulletin d’imposition le plus récent concernant l’impôt sur le revenu des personnes physiques a été émis en date du 26 août 2020 ;
Considérant qu’en vertu du paragraphe 131 AO, sur demande justifiée endéans les délais du paragraphe 153 AO, le directeur de l’administration des contributions directes accordera une remise d’impôt ou même la restitution, dans la mesure où la perception de l’impôt dont la légalité n’est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;
Considérant qu’en vertu du § 153 AO, les droits à restitution permis en dehors des cas visés aux §§ 151 et 152 AO s’éteignent si la demande en remise gracieuse ou en restitution n’a pas été introduite avant la fin de l’année qui suit celle de la survenance des faits à l’origine du droit ;
Considérant qu’en l’espèce la demande en remise gracieuse concernant l’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 1998 à 2017, entrée le 6 septembre 2022, n’a donc pas été introduite dans le délai précité ;
Considérant que le paragraphe 131 AO n’autorise pas le directeur à faire abstraction de la déchéance légale ainsi encourue par le demandeur ;
Considérant que pour les années 2018 à 2020 le bureau d’imposition compétent a procédé à bon droit à la taxation des revenus du requérant sur base du paragraphe 217 AO, compte tenu des données de la cause ; que le requérant doit s’imputer à lui-même les conséquences éventuellement désavantageuses des taxations effectuées contre lesquelles il n’a pas estimé opportun d’introduire dans les délais du paragraphe 228 AO une réclamation motivée ;
Considérant que pour les avances des années 2021 et 2022, les impositions n’étant pas encore établies, que dans la mesure où la fixation effective de l’impôt des années en question devrait déclencher une cote d’impôt inférieure aux avances débitées, un recalcul sera opéré en conséquence ;
Considérant qu’une demande de remise d’impôt qui n’est pas encore liquidé est 3irrecevable, dès que la rigueur de la perception ne peut être appréciée ni mesurée, faute de connaître le chiffre à percevoir (C.A. N°16398C du 15 juillet 2003) ;
Vu le § 131 de la loi générale des impôts (AO) concernant les astreintes infligées pour les années 2012 à 2021 ;
Considérant que cette disposition, qui permet au directeur de l’Administration des contributions directes ou à son délégué d’accorder une remise ou une restitution en équité, suppose un impôt, c’est-à-dire, d’après la définition du § 1 AO, le montant d’une contribution obligatoire aux charges publiques, à l’exclusion de toute autre somme ;
qu’en l’absence d’une disposition spéciale telle l’article 155 L.I.R. pour les intérêts de retard, l’astreinte n’est donc pas susceptible de remise selon le § 131 AO ;
qu’il ne s’agit néanmoins pas d’une lacune de la loi pouvant entraîner une diminution des droits du contribuable, car le § 95 AO donne à l’autorité qui a fixé l’astreinte le pouvoir de la retirer ou de la réduire, lorsque la mesure lui apparaît a posteriori injustifiée en raison ou en équité (§ 93 AO) ;
Considérant encore qu’outre son état d’indigence, il faudra que le contribuable soit digne de la remise gracieuse. Ceci suppose que sa situation économique ne lui soit pas imputable (cf. T.A. N°39857 du 20 septembre 2018) ;
Considérant que force est de constater que le requérant a à travers son inaction contribué à sa situation financière actuelle ; partant, en raison du fait d’avoir contribué soi-
même à la genèse de sa situation économique difficile, le demandeur ne saurait se voir accorder une remise gracieuse au sens du paragraphe 131 AO (cf. T.A. N°39857 du 20 septembre 2018) ;
Considérant que partant les conditions pouvant légalement justifier une remise gracieuse ne sont pas remplies ;
PAR CES MOTIFS, DÉCIDE :
La demande en remise gracieuse est rejetée. […] ».
En date du 9 novembre 2022, un courrier électronique renseignant en tant qu’expéditeur « p. Me Gilles PLOTTKÉ empêché, pour le secrétariat de l’étude Plottké & Associates (SàRL en attente d’agrément) » fut envoyé à l’administration, ledit courrier électronique ayant été libellé comme suit : « […] Le présent courriel pour accuser bonne réception de votre missive du 27 octobre 2022, dont je prends connaissance. Je vous remercie de votre prompte prise de position. Dès lors, je constate que dans mon dernier courrier électronique du 10 octobre 2022, je me suis exprimé d’une manière imprécise et malheureuse, qui a pu vous induire en erreur. Dans l’immédiat, je vous serais reconnaissant de bien vouloir me faire savoir si d’éventuelles contestations des taxations d’office de la part de mon mandant ne seraient pas d’ores et déjà prescrites. À défaut de prescription, je me réserve donc expressément et formellement le droit de contester les taxations d’office concernées. Si en revanche, toute contestation potentielle des taxations d’office concernées serait d’ores et 4déjà prescrite, je serais bien contraint alors de me limiter à introduire une demande de remise gracieuse de l’impôt dû. Dès lors, en l’état et dans un premier temps, je vous saurais gré de bien vouloir me faire savoir si je peux utilement contester les taxations d’office émises dès lors que cette action ne serait pas encore prescrite. Bien évidemment, et dans un deuxième temps, je ne manquerai pas alors d’introduire une demande de remise gracieuse. Il est entendu que je me tiens toujours à votre entière disposition pour tout renseignement complémentaire que vous désireriez obtenir. […] ».
Par courrier daté du 28 novembre 2022, le directeur répondit au courrier électronique du 9 novembre 2022 susvisé en confirmant sa décision en matière gracieuse du 8 novembre 2022 et en priant le litismandataire de l’époque de Monsieur (A) de se référer aux instructions sur les voies de recours figurant dans ladite décision.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 février 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du directeur du 8 novembre 2022, précitée.
1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Arguments et moyens des parties Dans son mémoire en réponse et quant à la recevabilité du recours, le délégué du gouvernement fait valoir qu’il n’y aurait pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à l’encontre de la décision directoriale du 8 novembre 2022, alors qu’un recours en réformation contre les décisions du directeur ayant statué sur les mérites d’une demande de remise gracieuse serait prévu par les dispositions combinées du § 131 AO et de l’article 8, paragraphe 3, point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 ».
Le délégué du gouvernement conclut ensuite à la tardiveté de la requête introductive d’instance déposée le 10 février « 2022 » au motif que la décision litigieuse aurait, d’après les propres affirmations du litismandataire de l’époque de Monsieur (A), été notifiée le 9 novembre 2022, date qui correspondrait également au tampon figurant sur la copie de la décision versée en cause par ledit litismandataire. Ainsi, selon le délégué du gouvernement, le délai pour introduire un recours devant le tribunal aurait expiré le 9 février « 2022 », à minuit.
Le délégué du gouvernement invoque en outre l’irrecevabilité du recours pour libellé obscur, au motif que ledit recours ne contiendrait pas d’exposé sommaire des faits et moyens, que les taxations et arriérés y seraient en même temps contestés et reconnus, qu’aucune iniquité ni objective ni subjective n’y serait soulevée, et que le demandeur n’opposerait pas de violation d’une disposition légale au directeur mais se prévaudrait de principes généraux de droit non soutenus et qui ne résisteraient pas à une analyse sommaire.
Monsieur (A) n’a pas pris position par rapport aux moyens d’irrecevabilité de son recours ainsi soulevés.
Appréciation du tribunal En ce qui concerne d’abord la compétence du tribunal pour connaître du recours sous analyse, et conformément aux dispositions combinées du § 131 AO et de l’article 8, paragraphe 5(3), point 1. de la loi du 7 novembre 1996, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur portant rejet d’une demande de remise gracieuse d’impôts. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation, et il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
En ce qui concerne ensuite la question de la recevabilité ratione temporis du recours, et même s’il est constant en cause que la décision directoriale litigieuse du 8 novembre 2022 a été notifiée au mandataire de Monsieur (A) en date du 9 novembre 2022, date qui correspond également au tampon figurant sur la copie de la décision versée parmi les pièces de celui-ci, il échet de rappeler que le § 88 AO dispose en ses alinéas (1) à (3) que :
« (1) Für Zustellungen gelten die Vorschriften der Zivilprozessordnung über Zustellungen von Amts wegen.
(2) Zustellen können auch Beamte der Steuer-, der Polizei- oder der Gemeindeverwaltung.
(3) Die Behörde kann durch eingeschriebenen Brief zustellen. Die Zustellung gilt mit dem dritten Tag nach der Aufgabe zur Post als bewirkt, es sei denn, dass der Zustellungsempfänger nachweist, dass ihm das zuzustellende Schriftstück nicht innerhalb dieser Zeit zugegangen ist. […] ».
Il se dégage du § 88 AO que si la « Zustellung » doit, au vœu de son alinéa (1), en principe être opérée en conformité avec les dispositions de la « Zivilprozessordnung » - renvoi qui doit être compris au Luxembourg comme visant le Nouveau Code de procédure civile (NCPC) -, il autorise à travers son alinéa (3) toute « Behörde » visée par ses dispositions, donc également le directeur en sa qualité de « Rechtsmittelbehörde » au sens des §§ 228 et suivants AO, à utiliser un mode simplifié de « Zustellung » par le biais de la notification par voie de « eingeschriebener Brief » dans tous les cas où la « Zustellung » est prescrite, partant notamment pour une décision directoriale sur réclamation, laquelle est « geschlossen zuzustellen » comme prescrit par le § 258, alinéa (2) AO.1 En vue de déterminer les formalités obligatoirement attachées à l’envoi d’un « eingeschriebener Brief », il convient de constater que la « Zustellung » au sens du § 88 AO s’analyse par essence en une remise actée entourée d’un certain formalisme, lequel est destiné à constituer une preuve de la réception de l’acte à notifier par son destinataire. L’originalité de l’alinéa (3) du § 88 AO par rapport à son alinéa (1) réside dans le fait que l’autorité est dispensée de l’obligation de s’aménager une preuve concrète de la prise de connaissance effective de l’acte par son destinataire et que l’autorité est seulement tenue de prouver la date à laquelle l’enveloppe contenant l’acte a été remise à la poste. En outre, la preuve concrète de la réception par le destinataire est remplacée par l’alinéa (3) en cas de notification par « eingeschriebener Brief » par une présomption juris tantum de réception au troisième jour après la remise à la poste2.
Il en découle que le § 88, alinéa (3) AO autorise les autorités visées à procéder à une notification par voie de lettre recommandée simple, un avis de réception n’étant pas requis au vu de la dispense de la preuve d’une réception effective par le destinataire, et que la seule 1 Trib. adm 21 juin 2004, n° 17075 du rôle, conf. par Cour adm. 13 janvier 2005, n° 18477C du rôle, Pas. adm.
2024, V° Impôts, n° 1239 et les autres références y citées.
2 Ibidem.
6preuve à charge de l’autorité étant celle de la remise de l’acte à la poste sous forme de pli fermé expédié en tant que lettre recommandée3.
Ainsi, la date de réception effective ne devient pertinente que si le contribuable n’a pas reçu la décision endéans le délai présumé – c’est seulement dans cette mesure que la présomption de réception est réfragable4. Il n’incombe donc pas au tribunal de vérifier la date de réception effective de la décision du directeur, en l’occurrence la décision du 8 novembre 2022, mais uniquement de s’assurer que le recours a été introduit dans le délai imparti par rapport à la date présumée de réception de cette décision.
En l’espèce, il y a lieu d’admettre que la remise à la poste de la décision du 8 novembre 2022 a eu lieu le même jour, au regard du document du dossier fiscal intitulé « Brm.- Soit l’expédition annexée de la décision directoriale du 8 NOV. 2022 […] », datant lui-même du 8 novembre 2022 et indiquant que « [l]a notification de la décision a été faite directement par la division gracieux ».
La date de commencement du délai de recours de trois mois, prévu par l’article 8, paragraphe (4) de la loi du 7 novembre 1996 lequel dispose que « Le délai pour l’introduction des recours visés aux points 1. et 2. ci-avant est de trois mois. », à l’encontre de la décision directoriale du 8 novembre 2022, est donc le vendredi 11 novembre 2022. Le recours déposé le 10 février 2023 a partant été introduit dans le délai prévu par la loi.
En ce qui concerne finalement le moyen d’irrecevabilité pour libellé obscur de la requête introductive d’instance soulevé par le délégué du gouvernement, il convient de le rejeter alors qu’il ressort de manière non équivoque de la requête introductive instance quel acte est déféré au tribunal, et que le délégué du gouvernement a valablement pu, dans le respect du principe du contradictoire, prendre position par rapport aux moyens avancés par Monsieur (A) sans se méprendre sur leur portée.
Le recours en réformation est donc recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
2) Quant au fond Arguments et moyens des parties A l’appui de sa requête et en fait, le demandeur explique qu’il aurait commencé à travailler au Luxembourg en 1990 en tant qu’avocat, mais qu’il aurait « manqué à ses obligations de déclaration régulière de ses revenus », résultant pour lui en des taxations d’office lesquelles auraient accru ses difficultés financières alors qu’elles n’auraient pas reflété ses revenus réels.
3 Ibidem.
4 Cour adm., 7 juillet 2022, n° 47209C du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu. Voir aussi en ce sens :
Fatima Chaouche et Joëlle Lyaudet, Fiscalité des personnes physiques, 2e édition, mise à jour au 1er mars 2023, édition Larcier, p. 886, n° 1414 : « La notification de la décision directoriale est accompagnée d’une présomption de notification qui débute le troisième jour après remise à la poste de la décision directoriale. Pour des raisons de sécurité juridique, cette présomption se fondant sur un délai de trois jours après remise à la poste ne peut être réduite au profit de la date effective à laquelle le courrier recommandé a été précisément remis aux mains du contribuable. ».
7Le demandeur précise qu’il ne contesterait pas la légalité desdites taxations d’office, et estime que « celles-ci [seraient] sauf erreur ou omission, de droit », mais il insiste qu’il serait « incontestable et incontesté que lesdites taxations, indubitablement, ne reflète[raie]nt nullement [s]es revenus réels ». Le demandeur explique qu’il n’aurait jamais contesté lesdites taxations d’office, et qu’il les aurait laissées devenir totalement définitives à son encontre.
Le demandeur explique qu’il aurait exercé son métier jusqu’au 16 janvier 2018, date à laquelle le Conseil disciplinaire et administratif d’appel de l’Ordre des avocats de Luxembourg et de Diekirch aurait pris la décision de le condamner à l’interdiction à vie d’exercer la profession d’avocat, et soutient qu’il n’aurait pas pu exposer ses arguments et faire valoir ses droits au cours de ladite procédure, ce qui aurait constitué une violation flagrante du principe du contradictoire. Il précise à cet égard qu’une requête en grâce serait en cours de finalisation et serait déposée dans les meilleurs délais entre les mains de qui de droit et à telles fins que de droit.
Il expose avoir signalé au magistrat présidant l’audience du Conseil disciplinaire précité du mardi 5 décembre 2017, ayant conduit à la décision précitée du 16 janvier 2018, que le fait de refuser le renvoi serait une erreur d’appréciation manifeste, erreur qui serait amplement prouvée par deux certificats médicaux émanant de médecins spécialistes et urgentistes de la Clinique …, et insiste qu’il se serait depuis lors « adressé, à deux reprises, au magistrat concerné ».
Le demandeur explique que la sanction intervenue, qui serait « à tout le moins disproportionnée », aurait eu des conséquences dramatiques dans son chef, le privant de facto de toutes ressources qui lui auraient permis de continuer de payer ses différents impôts, mais aussi d’apurer les sommes redues à titre d’arriérés aux administrations concernées.
Le demandeur fait valoir qu’il « conteste[rait] expressément et formellement les sommes qui lui ont été régulièrement mises en compte alors qu’elles repose[raie]nt sur des supposés revenus que [lui-même] n’a[urait] jamais perçus et ne perç[evrait] pas depuis au moins l’année 2018 », en ajoutant que « quoiqu’il en soit, [il] reconnaît[rait] bien évidemment redevoir des montants aux administrations fiscale et sociale », tout en soulignant qu’il « conviendra[it] toutefois que ces montants soient dûment établis sur la base des revenus réels et effectifs perçus, à l’époque, par [lui] ».
Il soutient que, dans ce contexte, il aurait demandé à l’administration un certain nombre de dispositions et de renseignements, comme la mise en suspens des poursuites et autres exécutions forcées diligentées jusqu’à l’établissement des sommes réellement dues par lui, ainsi qu’un rendez-vous lors duquel des pièces comptables auraient pu être soumises, affirmant que l’ensemble de ces demandes lui aurait permis d’expliquer plus en détail « les éléments de sa vie privée l’ayant conduit à cette situation catastrophique » et de soumettre à l’administration « l’option d’une imposition forfaitaire globale » qui aurait assuré une juste et équitable perception de l’impôt. Selon le demandeur, une telle approche aurait probablement permis de trouver une « issue réaliste » à sa situation actuelle, ce qui aurait été dans l’intérêt de chacune des parties en présence. Il ajoute à cet égard qu’il serait non seulement dans l’intérêt de l’administration qu’une imposition « tant soit peu réaliste » intervienne et que l’impôt soit dûment acquitté, mais aussi dans son intérêt, à plus de 60 ans, que sa vie redevienne planifiable et qu’il dispose de revenus réguliers « sans la crainte d’être perpétuellement poursuivi ».
8Le demandeur ajoute qu’il serait aussi dans son intérêt de pouvoir attaquer la décision précédemment évoquée de radiation à vie du Barreau de Luxembourg en vue de se faire inscrire de nouveau sur le Tableau de l’Ordre, et qu’une « transaction » avec l’administration lui semblerait être un préalable à toute demande de réinscription au Tableau de l’Ordre des Avocats. Il souligne qu’une telle réinscription lui assurerait d’ailleurs des revenus réguliers, ce qui serait également dans l’intérêt de l’administration.
En droit, le demandeur fait valoir qu’il y aurait lieu de réformer la décision directoriale déférée pour violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH », ainsi que des dispositions constitutionnelles luxembourgeoises et des dispositions impératives de la loi.
Le demandeur est d’avis que l’administration n’aurait pas pris en considération le fait qu’il aurait pris l’initiative de l’approcher afin de tenter de régler une situation qui deviendrait intenable pour lui à l’abord de sa retraite. Il soutient que « l’application stricto sensu des dispositions légales » ne permettrait pas à l’administration d’appréhender son dossier qui présenterait des spécificités particulières, raison pour laquelle il aurait sollicité un rendez-vous auprès d’elle afin d’examiner son dossier.
Le demandeur soutient qu’« à la lecture de la décision directoriale, il [serait] à constater une simple application pure et simple des dispositions légales, sans autre considération ».
Il considère en outre que la décision directoriale serait injustifiée et peu, sinon non motivée, alors que le directeur ne ferait que le « renvoyer purement et simplement […] à la situation qui [aurait été] la sienne et qui [serait] toujours la sienne, sans aucune visibilité, ni aucun espoir qu’elle puisse se régler d’un commun accord et dans l’intérêt bien compris de chacune des parties prenantes ».
En particulier, le demandeur se prévaut d’une violation des principes généraux du droit et des dispositions impératives de la loi, notamment de l’article 6, paragraphe 1er de la CEDH en argumentant que ladite convention s’appliquerait aux décisions du directeur en matière gracieuse alors qu’une telle décision constituerait une appréciation portant sur des droits et obligations de caractère civil, ainsi que des « dispositions de la Constitution luxembourgeoises », ceci en raison des quatre considérations suivantes :
En premier lieu, le demandeur est d’avis qu’il y aurait eu violation du principe du contradictoire au motif que l’administration n’aurait pas fait suite à ses demandes d’être entendu dans ses explications concernant la décision déférée. Il expose qu’il serait de jurisprudence désormais établie que, dans le cadre d’une décision administrative individuelle, l’autorité administrative aurait l’obligation de faire respecter le principe du contradictoire, et il se réfère à cet égard à un jugement du tribunal administratif du 5 février 1997 portant le numéro 9170 du rôle. Il estime que la décision déférée devrait encourir la réformation du fait que le principe du contradictoire et ses droits de la défense n’auraient pas été observés. Il argumente qu’au regard des différents courriers échangés entre son mandataire et l’administration, aucune des précisions apportées par son mandataire n’aurait été prise en considération et aucune des questions posées n’aurait reçu de réponse, ce qui l’aurait laissé « dans l’ignorance la plus totale ». Le demandeur regrette que « [s]a bonne foi et [s]a volonté de trouver une issue à la situation » n’auraient pas été prises en considération, mais au 9contraire auraient été évacuées par l’administration « sans autre examen ». Il estime que la décision litigieuse prendrait ainsi « des allures de voie de fait ».
En deuxième lieu, le demandeur soulève une violation du principe de confiance légitime, lequel constituerait un principe général tant du droit luxembourgeois que du droit communautaire et regrouperait une série de « sous principes » comme « le principe de sécurité juridique, le principe du respect des droits acquis, le principe de prévisibilité et de clarté des actes applicables, le principe de bonne foi, le principe de publicité des actes, le principe de non rétroactivité étroitement liés au principe du droit au juge prévu par les articles 6 et 13 de la [CEDH] ». En l’espèce, il fait valoir une « violation manifeste au principe de légalité des peines mais également du principe de sécurité juridique », en estimant qu’il y aurait eu « une faute manifeste dans l’exercice de l’activité normative de [l’administration] en raison du fait que la décision [serait] intervenue sans concertation ni information préalable ». Ainsi, la décision litigieuse porterait « atteinte au principe de confiance légitime alors que basée sur une violation des principes précités de bonne foi et du droit au juge ». Le demandeur fait savoir qu’il se réserverait le droit de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle sur le point susvisé, ainsi que le cas échéant à la Cour de Justice de l’Union européenne. Pour le surplus, il considère que l’administration détiendrait « la double qualité de législateur et de juge » dans le sens où elle « sanctionne[rait] elle-même les prétendus manquements aux dispositions légales qu’elle édicte[rait] ». Il se réfère à cet égard à l’arrêt « PROCOLA c. Luxembourg » de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », dans lequel un tel cumul de fonction aurait été déclaré intolérable et contraire aux droits du procès équitable. Il estime que ce serait encore une question de constitutionnalité qui mériterait d’être toisée, et que la décision critiquée encourrait également la réformation, sinon l’annulation de ce chef.
En troisième lieu, le demandeur reproche à la décision litigieuse un défaut de motivation, et soutient qu’elle violerait les règles de droit de la défense en vigueur et notamment les dispositions de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, ci-après désignée par « la loi du 1er décembre 1978 », et les articles 6 et 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’État et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ». Il considère que la décision directoriale, alors même qu’elle porterait rejet de sa demande en remise gracieuse, n’aurait pas été, ou aurait été peu, étayée, et ce malgré les itératives demandes de son mandataire « quant à savoir si des recours étaient encore possibles, notamment à l’encontre des diverses taxations d’office émises à [sa] charge ». Le demandeur souligne que l’obligation de communiquer le dossier administratif serait prescrite à l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, mais qu’en l’espèce, les demandes formulées par son mandataire, qui « pourraient de facto s’apparenter à une demande de communication du dossier » – une demande qui aurait par ailleurs été « formulée expressément et formellement dans notamment les courriers des 10 octobre et 9 novembre 2022 » –, n’aurait « pas même été rejetée puisque pas même analysée et considérée ». Le demandeur reproche à la décision directoriale d’être intervenue « le 8 novembre 2022 -, avant même d’avoir répondu à la demande formulée, notamment aux termes d’un courriel de rappel du 9 novembre 2022 ».
Il considère en conséquence qu’à défaut pour l’administration ou le directeur de lui avoir communiqué l’intégralité de son dossier comme sollicité, la décision litigieuse serait entachée d’un défaut de motivation, qui serait constitutif d’une illégalité externe.
En quatrième lieu, le demandeur soutient que la décision litigieuse violerait les formes destinées à protéger les intérêts privés en méconnaissant le principe selon lequel une décision 10administrative devrait contenir elle-même la preuve de sa validité. Ce principe aurait été reconnu par un jugement du tribunal administratif du 13 janvier 1998 portant le numéro 9652 du rôle et confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 8 octobre 1998 portant le numéro 10580C du rôle, de même que par une décision du Conseil d’Etat du 7 novembre 1993 portant le numéro 8335 du rôle. Or, en l’espèce, rien n’attesterait que ce principe aurait été respecté.
Le demandeur fait valoir que « dans le cadre d’un recours en annulation tel qu’en l’espèce, le juge administratif [serait] appelé à apprécier la légalité de la décision lui soumise en considération de la situation de fait et de droit au jour où elle a été prise », se référant à cet égard à un jugement du tribunal administratif du 20 septembre 2000 portant le numéro 11879 du rôle, et ajoute que « la violation des formes légales, si elle devait être constatée -
quod non -, entraîne[rait] l’annulation de la décision ».
Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours pour ne pas être fondé.
En fait, le délégué du gouvernement souligne tout d’abord que le passif fiscal du demandeur « s’élève[rait] à … € », et que celui-ci, depuis le début de sa carrière professionnelle, « n’a[urait] jamais déposé la moindre déclaration d’impôt et ne le [ferait] toujours pas ». Le délégué du gouvernement souligne que ledit défaut de dépôt se prolongerait « depuis 32 ans (!) déjà » et que le demandeur « ne paie[rait] absolument rien, zéro ».
Après avoir rappelé les rétroactes et les principes régissant une remise gracieuse, le délégué du gouvernement s’oppose aux moyens en droit du demandeur.
Il fait référence à un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 30 mars 1993 portant le numéro …, duquel il découlerait que le directeur ne serait pas à considérer comme une juridiction lorsqu’il statue sur une réclamation. Selon le délégué du gouvernement, il en découlerait a fortiori que le directeur ne serait pas à considérer comme une juridiction lorsqu’il est saisi d’une demande en remise gracieuse. Par ailleurs, le délégué du gouvernement explique que la CEDH ne serait, en général, pas applicable lors de la prise d’une décision administrative, en faisant référence à cet égard à un arrêt de la Cour administrative du 6 mars 2018 portant le numéro 39372C du rôle, ni plus spécialement en matière fiscale, tel que cela ressortirait d’un arrêt de la Cour administrative du 14 mars 2019 qui porterait le numéro « 42016-C » du rôle.
Par rapport au moyen du demandeur suivant lequel son droit à un procès équitable aurait été violé, le délégué du gouvernement insiste que ledit moyen ne serait nullement soutenu alors que le demandeur n’indiquerait pas en quoi ses droits auraient été violés à travers la procédure applicable en matière gracieuse. Le délégué du gouvernement ajoute qu’il n’incomberait pas au tribunal de compléter ledit moyen du demandeur.
Par rapport au moyen du demandeur suivant lequel le principe du contradictoire aurait été violé, le délégué du gouvernement fait valoir que la jurisprudence invoquée par le demandeur ne serait pas pertinente alors que le directeur n’aurait pas statué d’office en aggravant la situation du demandeur ou en sanctionnant celui-ci. Par ailleurs, la procédure administrative non contentieuse ne serait pas applicable en matière fiscale conformément à l’article 5 de la loi du 1er décembre 1978. Il n’y aurait pas non plus lieu d’appliquer le « pendant fiscal » de ladite disposition, qui serait prévu par le § 205, alinéa (3) AO, alors qu’en l’espèce on ne se trouverait pas dans une situation où le directeur se serait écarté de manière 11significative d’une déclaration. Le délégué du gouvernement souligne que le « Recht auf Gehör » ne signifierait pas que le contribuable soit effectivement entendu, mais seulement qu’il puisse faire valoir ses observations, ce qui aurait été le cas en l’espèce alors que le demandeur aurait pu présenter ses moyens et observations par écrit. Aucune disposition légale n’obligerait le directeur de procéder à l’audition d’un demandeur de remise gracieuse ou d’accorder un rendez-vous au mandataire de celui-ci.
Par rapport au moyen du demandeur ayant trait à la sécurité juridique, le délégué du gouvernement soutient que ce moyen serait avancé « sans le moindre développement », en insistant plus particulièrement sur le fait que, contrairement à l’affirmation du demandeur, l’administration « ne serait ni « législateur », ni « juge » ».
Par rapport au moyen du demandeur tendant à un défaut de motivation, le délégué du gouvernement fait valoir que la décision directoriale litigieuse serait motivée et rappelle que le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne serait pas applicable. En outre, il n’incomberait pas au directeur de prodiguer des conseils juridiques au mandataire du demandeur pour lui faire savoir si des voies de recours étaient encore ouvertes à l’encontre d’impositions opérées par taxation d’office, le délégué du gouvernement soulignant à cet égard que ledit mandataire serait un avocat à la Cour. Le délégué du gouvernement insiste sur le fait que les voies de recours seraient indiquées au verso des bulletins de même que sur le site internet de l’administration, et qu’une recherche aurait permis au mandataire du demandeur, dont l’étude serait notamment spécialisée en droit fiscal, de répondre à sa propre question. Par ailleurs, le délégué du gouvernement soutient qu’un défaut de motivation ne serait pas à sanctionner par l’annulation de la décision déférée alors que le directeur pourrait la compléter en cours d’instance, ce qui ne serait pourtant pas nécessaire en l’espèce.
Par rapport au moyen du demandeur tiré d’une violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, le délégué du gouvernement estime qu’il ne ressortirait pas du recours du demandeur de quelle violation concrète celui-ci se plaindrait.
Appréciation du tribunal En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
Le tribunal constate à titre liminaire qu’il n’est pas saisi, à défaut de tout moyen afférent du demandeur, du volet de la décision à travers lequel le directeur a retenu la tardiveté de la demande en remise gracieuse introduite le 8 novembre 2022 en ce qui concerne l’impôt dû au titre des années d’imposition 1998 à 2017. De même, le demandeur n’a formulé aucun moyen pour contester l’appréciation du directeur suivant laquelle sa demande en remise gracieuse serait irrecevable pour les avances des années 2021 et 2022, et non fondée en ce qui concerne les astreintes infligées pour les années 2012 à 2021, de sorte que le tribunal n’est pas non plus saisi desdites questions.
Pour le surplus, le tribunal constate qu’à l’appui de son recours, le demandeur conteste tant la légalité externe que la légalité interne de la décision déférée. Etant donné que l’examen de la légalité externe doit précéder celui de la légalité interne, le tribunal analysera de prime abord les moyens tirés de la légalité externe de la décision déférée.
12A cet égard, le demandeur reproche en substance à ladite décision (i) une violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, (ii) un défaut de motivation, (iii) une violation du principe du contradictoire et des droits de la défense, (iv) d’avoir opéré un cumul entre les fonctions « de législateur et de juge », et (v) une violation de l’article 6, paragraphe 1er de la CEDH.
Pour ce qui est du premier moyen ayant trait aux exigences formelles, le demandeur se limite à reprocher à la décision déférée de ne pas contenir la preuve de sa propre validité. A défaut de toute précision du demandeur quant au vice de forme concret qu’il estime avoir été commis, ou quant à la garantie procédurale de laquelle il se serait ainsi vu priver, il échet de rejeter le moyen sous analyse, étant donné qu’il n’incombe pas au tribunal de rechercher les éventuels argumentaires susceptibles de sous-tendre un moyen non explicité.
Pour ce qui est du deuxième moyen de légalité externe invoqué par le demandeur, ayant trait à un défaut de motivation de la décision déférée ainsi qu’à un défaut de communication du dossier administratif, il convient de préciser que le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n’est pas applicable en matière de contentieux fiscal. En effet, aux termes de l’article 5 de la loi du 1er décembre 1978 « [l]a présente loi et ses règlements d’exécution ne s’appliquent pas à la matière des contributions directes ». Les moyens du demandeur fondés sur une prétendue violation des articles 6 et 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, règlement d’exécution de la loi du 1er décembre 1978 précitée, sont partant à rejeter.
A titre superfétatoire, le tribunal constate, au regard du contenu de la décision déférée, que celle-ci est suffisamment motivée tant en fait qu’en droit, en ce que, sur le fondement des §§ 131 et 153 AO, la demande en remise gracieuse introduite le 8 septembre 2022 pour le compte du demandeur a été considérée par le directeur comme (i) tardive en ce qui concerne l’impôt dû au titre des années d’imposition 1998 à 2017, (ii) non justifiée pour ce qui est de l’impôt dû au titre des années 2018 à 2020, plus particulièrement au motif que le demandeur devrait s’imputer à lui-même les conséquences désavantageuses de ses taxations d’office, (iii) irrecevable pour les avances des années 2021 et 2022, au motif que lesdites impositions n’auraient pas encore été établies, et (iv) non fondée en ce qui concerne les astreintes infligées pour les années 2012 à 2021, en raison d’un défaut de base légale. Par ailleurs, le directeur a ajouté que le demandeur ne serait pas digne de bénéficier d’une remise gracieuse, alors que celui-ci aurait contribué par son inaction à son état d’indigence. En présence des motifs susvisés, aucun défaut de motivation ne saurait donc être reproché à la décision déférée.
Toujours à titre superfétatoire, le tribunal relève que, contrairement aux allégations du demandeur, son courrier électronique du 10 octobre 2022 ne contenait pas de demande de communication du dossier qui aurait été « formulée expressément et formellement ». Si le mandataire du demandeur y a certes indiqué qu’il ne disposerait pas de l’intégralité du dossier fiscal de son mandant, il n’en a point sollicité la communication, de manière qu’il ne saurait être reproché au directeur, statuant sur la demande de remise gracieuse – d’ailleurs introduite le 8 septembre 2022 et donc en tout état de cause avant ledit courrier du 10 octobre 2022 –, de ne pas avoir pris position quant à une éventuelle demande de communication du dossier.
S’agissant du troisième moyen de légalité externe du demandeur tendant à une violation du principe du contradictoire et de ses droits de la défense, au motif qu’il n’aurait « jamais été mis à même d’être entendu dans ses explications » alors que sa demande d’un rendez-vous, ainsi que les questions posées par son mandataire à l’administration, seraient restées sans suites, il échet de constater en tout premier lieu que le demandeur est lui-même à 13l’origine de la demande de remise gracieuse de sorte qu’il lui appartenait de présenter les moyens et arguments à l’appui de sa demande. La décision déférée étant donc intervenue à l’initiative du demandeur lui-même, il ne saurait pas reprocher au directeur de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire. Dans le même ordre d’idées, il convient d’ajouter qu’aux termes du § 131 AO, une demande en remise gracieuse doit être « dûment justifiée », ce qui non seulement met à charge du demandeur l’obligation de présenter au directeur tous les moyens par lesquels il entend soutenir sa demande, mais s’oppose également à ce que, par l’envoi purement formel d’un courrier dépourvu de motivation, le demandeur puisse – de facto – suspendre le délai pour l’introduction d’une demande en remise gracieuse tel que prévu par le § 153 AO. Il échet partant de rejeter ledit moyen.
En outre, il convient de rejeter, pour défaut de pertinence, l’argumentation du demandeur fondée sur un jugement du tribunal du 5 février 1997, portant le numéro 9170 du rôle, par lequel le tribunal avait souligné la nécessité pour l’administration d’informer l’administré de son intention de prendre une décision en dehors de l’initiative dudit administré et de lui donner la possibilité d’être entendu. En effet, comme le fait remarquer à juste titre le délégué du gouvernement, les faits sous analyse ne constituent pas une intervention d’office de l’administration. Le principe du « Audi alteram partem », dont le jugement précité avait fait application, ne peut pas avoir été violé en l’espèce alors que l’initiative d’une demande en remise gracieuse émane forcément du contribuable lui-même et non de l’administration.
Les moyens du demandeur tendant à une violation du principe du contradictoire et de ses droits de la défense sont donc à rejeter.
Il échet en quatrième lieu de rejeter l’argumentation du demandeur selon laquelle, contrairement aux principes de l’arrêt « PROCOLA c. Luxembourg » de la CourEDH, l’administration « détien[drait] la double qualité de législateur et de juge dans le sens où elle sanctionne[rait] elle-même les prétendus manquements aux dispositions légales qu’elle édicte », étant donné que l’administration n’a manifestement ni la qualité de législateur, ni celle de juge. A défaut de toute explication à l’appui du moyen afférent, ce dernier est à rejeter pour être simplement suggéré. En effet, il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties dans la présentation de leurs moyens.
S’agissant cinquièmement du moyen du demandeur selon laquelle la décision déférée violerait l’article 6, paragraphe 1er de la CEDH – une disposition qui s’appliquerait, selon le demandeur, aux faits de l’espèce au motif que le directeur aurait procédé à une « appréciation portant sur les droits et obligations de caractère civil » en examinant et en rejetant sa demande en remise gracieuse –, il convient de rappeler que dans son arrêt Ferrazzini c. Italie du 12 juillet 2001 portant le numéro 44759/98 du rôle, la CourEDH a clarifié que « le contentieux fiscal échappe au champ des droits et obligations de caractère civil, en dépit des effets patrimoniaux qu’il a nécessairement quant à la situation des contribuables » pour retenir que l’article 6, paragraphe 1er de la CEDH n’était pas applicable aux faits à la base dudit arrêté.
L’application de l’article 6 de la CEDH est donc exclue en matière purement fiscale5. Il convient dès lors de retenir que l’article 6, paragraphe 1er de la CEDH ne s’applique pas dans le cadre du recours sous analyse, celui-ci échappant pareillement au champ des droits et obligations de caractère civil. A titre superfétatoire, le tribunal rappelle que l’ensemble des griefs invoqués par le demandeur au soutien d’une violation dudit article 6, paragraphe 1er de 5 Cour adm., 9 janvier 2018, n° 39755C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Droits de l’homme et libertés fondamentales, n° 61.
14la CEDH, et notamment la prétendue violation du principe du contradictoire, a d’ores et déjà été rejeté par le tribunal, de manière que de toute façon, aucune violation de l’article 6, paragraphe 1er de la CEDH n’aurait pu être retenue en l’espèce.
Il échet partant de rejeter le moyen du demandeur ayant trait à une violation de l’article 6, paragraphe 1er de la CEDH.
En ce qui concerne ensuite la légalité interne de la décision directoriale déférée, le demandeur reproche en substance à ladite décision une violation du principe de confiance légitime, ainsi que du principe de sécurité juridique et des autres « sous principes » qui en découleraient.
Il échet d’abord de rejeter, à défaut de toute motivation circonstanciée, l’allégation du demandeur selon laquelle le principe de la légalité des peines aurait été violé en l’occurrence, étant rappelé par ailleurs qu’en statuant sur une demande en remise gracieuse, le directeur n’inflige pas de peine.
En ce qui concerne ensuite l’argumentation du demandeur selon laquelle l’administration aurait violé les principes de sécurité juridique, de confiance légitime et de bonne foi, en rejetant sa demande en remise gracieuse « sans concertation ni information préalable », le tribunal rappelle, conformément aux développements qui précèdent, que l’initiative de la demande en remise gracieuse émanait du demandeur et non de l’administration. Par ailleurs, l’administration n’a aucunement dévié d’une pratique antérieure, ni menacé un quelconque droit acquis du demandeur, en examinant et en rejetant la demande en remise gracieuse de celui-ci. Par ailleurs, il ne ressort pas des arguments du demandeur en quoi l’administration aurait adopté un comportement de mauvaise foi.
De même, il convient d’écarter le moyen du demandeur tendant à une violation du principe d’accès au juge, alors que ledit accès ne se trouve aucunement entravé en l’espèce, la preuve en étant que le demandeur a valablement pu introduire le recours sous examen.
L’ensemble des moyens du demandeur tirés d’une violation du principe de confiance légitime et de ses « sous principes » sont donc à écarter.
Quant au fond, le demandeur a ensuite fait référence à plusieurs reprises à sa situation économique prétendument fragile, de manière à avoir fait état d’une rigueur subjective dans son chef et à reprocher au directeur d’avoir rejeté à tort, pour ne pas être justifiée, la demande en remise gracieuse, ceci par rapport aux seules années d’imposition 2018 à 2020.
Aux termes du § 131 AO, une remise gracieuse se conçoit « […] dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable […] ».
Il résulte de cette disposition qu’une remise gracieuse n’est envisageable que, soit objectivement ratione materiae, si l’application de la législation fiscale conduit à un résultat contraire à l’intention du législateur, soit subjectivement ratione personae dans le chef du contribuable concerné, si la perception de l’impôt apparaît comme constituant une rigueur incompatible avec le principe d’équité, sa situation personnelle étant telle que le paiement de 15l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables6.
Une demande de remise d’impôts s’analyse exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale et ne comporte par nature aucune contestation de la légalité de la fixation de cette même dette – la fonction de la remise en équité n’étant pas d’abolir les délais pour exercer un droit –7, en ce sens qu’aucune contestation tenant au caractère excessif allégué dans le chef de l’imposition en question ne saurait être prise en considération comme telle au titre d’une remise gracieuse8.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que la requête introductive d’instance est formulée à tout le moins de manière ambiguë, voire contradictoire, étant donné que le demandeur fait valoir, notamment, qu’il « ne conteste[rait] pas ex-post la légalité des taxations d’office, puisque celles-ci [seraient], sauf erreur ou omission, de droit » tout en insistant que « lesdites taxation, indubitablement, ne reflète[raient] nullement [s]es revenus réels ». Le demandeur affirme pourtant, en même temps, qu’il « conteste[rait] expressément et formellement les sommes » en ajoutant que « quoiqu’il en soit, [il] reconnaît[rait] bien évidemment redevoir des montants aux administrations fiscale et sociale », tout en précisant « [q]u’il conviendr[ait] toutefois que ces montants soient dûment établis sur la base des revenus réels et effectifs perçus ».
Dans la mesure où le demandeur a entendu contester la légalité de son imposition par ses développements cités ci-dessus, de telles contestations ne sauraient être accueillies, et il convient partant au tribunal de les écarter.
Quant à la rigueur subjective dont le demandeur fait état, le tribunal constate que, si le demandeur a, certes, fait mention de certaines difficultés économiques auxquelles il devrait actuellement faire face, notamment en raison de son « interdiction à vie d’exercer la profession d’avocat », il ne fournit aucune pièce pour prouver son état d’indigence, et n’établit donc pas non plus que la rigueur de son imposition serait subjectivement inéquitable.
En tout état de cause, et comme l’a retenu à juste titre le directeur, le demandeur n’est pas digne de bénéficier d’une remise gracieuse, alors qu’il est lui-même à l’origine des conséquences désavantageuses résultant des taxations d’office effectuées à son encontre, d’abord en ce qu’il a manqué à ses obligations déclaratives pendant « 32 ans » d’après les explications non contestées du délégué du gouvernement, ce qui est constitutif d’un défaut de diligence patent, et ensuite en ce qu’il n’a pas introduit, comme l’a retenu le directeur, de réclamation en temps utile contre les taxations en cause.
Partant, au vu des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens notamment en rapport avec l’équité objective de la perception de l’impôt, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
6 Cour adm. 29 juillet 2015, n° 35480C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 877 (4e volet) et les autres références y citées.
7 Trib. adm., 17 octobre 2001, n° 13099 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 877 (2e volet) et les autres références y citées.
8 Cour adm., 11 janvier 2007, n° 22033C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 879 (1er volet) et les autres références y citées.
16Compte tenu de l’issue du litige, le demandeur est à débouter de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure de 2.000 euros fondée sur l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 8 novembre 2022, référencée sous le numéro (1) du rôle ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et lu à l’audience publique du 9 juillet 2025 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Georges GEDGEN, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2025 Le greffier du tribunal administratif 17