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07/07/2025 | LUXEMBOURG | N°53083

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 juillet 2025, 53083


Tribunal administratif N° 53083 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:53083 1re chambre Inscrit le 27 juin 2025 Audience publique 7 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22, L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 53083 du rôle et déposée le 27 juin 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître

Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou...

Tribunal administratif N° 53083 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:53083 1re chambre Inscrit le 27 juin 2025 Audience publique 7 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22, L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 53083 du rôle et déposée le 27 juin 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Turquie) et être de nationalité turque, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 28 mai 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Albert JACO, en remplacement Maître Lukman ANDIC, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 juillet 2025.

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Le 22 janvier 2024, Monsieur (A), connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date par les autorités luxembourgeoises dans la base de données Eurodac révéla que Monsieur (A) avait auparavant introduit une demande de protection internationale en Autriche le 19 septembre 2022, ainsi qu’en Allemagne le 21 septembre 2022.

Le 31 janvier 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue dedéterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

En date du 5 février 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues autrichiens une demande de reprise en charge de Monsieur (A), basée sur l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Par courrier du 6 février 2024, les autorités autrichiennes refusèrent la reprise en charge de Monsieur (A).

Le même jour, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de Monsieur (A), basée sur l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Par courrier du 12 février 2024, les autorités allemandes informèrent les autorités luxembourgeoises de leur acceptation de la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Par décision du 26 avril 2024, notifiée en mains propres à l’intéressé le 6 mai 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Le recours contentieux introduit par Monsieur (A) à l’encontre de cette décision fut rejeté par le tribunal administratif par jugement du 19 juin 2024, inscrit sous le numéro 50471 du rôle.

Le 22 juillet 2024, Monsieur (A) fut transféré vers l’Allemagne.

Le 28 mai 2025, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère une deuxième demande de protection internationale.

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Par arrêté du 28 mai 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre ordonna, sur le fondement de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de ladite décision. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« (…) Vu l'article 22 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

2 Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de transfert du 26 avril 2024 ;

Considérant que l’intéressé a été transféré vers l’Allemagne en date du 22 juillet 2024 en vertu de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Considérant que l’intéressé est revenu sur le territoire luxembourgeois malgré ma décision de transfert du 26 avril 2024 et après l’exécution effective de la mesure de transfert vers l’Allemagne ;

Vu que l’intéressé a introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg en date du 28 mai 2025 ;

Considérant qu’une nouvelle demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue du transfert de l’intéressé vont être engagées ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de l'intéressé comme défini à l'article 22, paragraphe (2), point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée ;

Considérant qu'afin de garantir le transfert de l'intéressé, le placement en rétention est ordonné ; (…) ».

Le 6 juin 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de Monsieur (A), basée sur l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Par courrier du 11 juin 2025, les autorités allemandes informèrent les autorités luxembourgeoises de leur acceptation de la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Le 24 juin 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 28 mai 2025 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision en question.

Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur fait valoir qu’à la suite de son transfert en Allemagne en date du 22 juillet 2024, il serait retourné en Turquie pendant 7 mois avant d’introduire une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg.

Le demandeur conclut tout d’abord à l’incompétence de l’Allemagne pour connaître de sa demande de protection internationale, étant donné qu’il se serait trouvé dans son pays d’origine entre mi-septembre 2024 et fin mars 2025, de sorte que l’Allemagne ne serait plus responsable de sa demande de protection internationale.

Le demandeur invoque ensuite une violation de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 en précisant qu’il aurait exprimé sa volonté de faire l’objet de mesures moins coercitives.

En se basant sur l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », ainsi que l’article 8 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par « la directive 2013/33/UE », il donne à considérer dans ce contexte que le placement en rétention devrait rester une mesure exceptionnelle.

Le demandeur cite ensuite les articles 2 et 3 de la CEDH en faisant valoir qu’il présenterait un état psychiatrique fragile, dans la mesure où il souffrirait de schizophrénie associée à des idées suicidaires, qui nécessiterait une surveillance médicale continue en milieu hospitalier. Un placement en rétention serait dès lors inadapté à son état de santé et il devrait être placé en milieu hospitalier sinon tout autre établissement spécialisé dans lequel des soins appropriés à son état de santé mental lui seraient offerts.

Le demandeur soutient ensuite que le ministre resterait en défaut d’établir qu’il pourrait être retenu au Centre de rétention sans danger pour sa santé.

Il expose que la privation de liberté devrait être proportionnée et justifiée et que sa rétention ne respecterait pas l’équilibre entre les objectifs de la rétention et la protection de ses droits fondamentaux.

Le demandeur se réfère ensuite à l’article 15, paragraphe (2) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115/CE », en faisant valoir que ledit article n’aurait pas été transposé en droit luxembourgeois et qu’aucune disposition de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ne prévoirait la remise en liberté du ressortissant de pays tiers en cas d’illégalité de la décision de placement. Il soutient que cette disposition serait néanmoins suffisamment claire et inconditionnelle, de sorte qu’elle devrait avoir un effet direct.

Il soutient qu’il présenterait suffisamment de garanties de représentation et qu’il aurait démontré sa volonté de coopérer avec les autorités luxembourgeoises pour établir qu’il n’existerait aucun risque de fuite dans son chef.

Le demandeur se réfère ensuite à l’article 9 de la directive 2013/33/UE en soutenant que « la réalité de [son] éloignement (…) [serait] discutable alors qu’à ce jour aucune date de transfert » n’aurait été fixée et que « les perspectives d’éloignement (…) [seraient] plus que floues » dans la mesure où aucun plan de vol n’aurait été établi.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Outre de retracer les faits et rétroactes repris ci-avant, il fait d’abord valoir qu’un risque de fuite non négligeable serait établi dans le chef du demandeur, dans la mesure où ce dernier serait de nouveau présent sur le territoire luxembourgeois après l’exécution effective d’une mesure de transfert en date du 22 juillet 2024.

La partie gouvernementale soutient que ce constat ne serait pas invalidé par l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait quitté le territoire des Etats membres à la suite de son transfert vers l’Allemagne.

Le délégué du gouvernement donne encore à considérer que le demandeur serait connu sous plusieurs alias, ce qui constituerait un indice supplémentaire d’un risque de fuite.

Il estime que suffisamment de diligences auraient été entreprises dans le cadre de la procédure Dublin III pour justifier la mesure de placement en rétention et que l’application de mesures moins coercitives ne serait pas possible, dans la mesure où Monsieur (A) ne disposerait pas de l’original de son passeport, respectivement ne présenterait pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite et qu’il ne paraîtrait pas être en mesure de fournir une garantie financière à hauteur de 5.000 euros.

Il conclut au rejet des moyens ayant trait à une violation des articles 5 de la CEDH et 15 de la directive 2008/115/CE.

Quant à l’état de santé du demandeur, il donne à considérer que ce dernier serait resté en défaut de soumettre au tribunal des éléments d’ordre médical permettant d’établir l’existence, la gravité ou la nature exacte des troubles de santé mentale dont il allègue souffrir et que l’article 9 de la loi modifiée du 28 mai 2009 portant création et organisation du Centre de rétention, ci-après désignée par « la loi du 28 mai 2009 », prévoirait justement que les retenus auraient droit aux soins médiaux requis dans l’intérêt de leur santé et au traitement indispensable de leurs maladies.

Analyse du tribunal Il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 22, paragraphes (2) et (3) de la loi du 18 décembre 2015 : « (2) Un demandeur ne peut être placé en rétention que :

(…) d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride (refonte) et lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement. Le risque non négligeable de fuite est présumé dans les cas suivants :

i.

si le demandeur s’est précédemment soustrait, dans un autre État membre, à la détermination de l’État responsable de sa demande de protection internationale 5 en vertu du droit de l’Union européenne ou à l’exécution d’une décision de transfert ou d’une mesure d’éloignement ;

ii.

si le demandeur fait l’objet d’un signalement dans le SIS aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour conformément au règlement (UE) 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières, modifiant la convention d’application de l’accord de Schengen et modifiant et abrogeant le règlement (CE) n ° 1987/2006, tel que modifié, ou d’un signalement aux fins de retour conformément au règlement (UE) 2018/1860 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 relatif à l’utilisation du système d’information Schengen aux fins du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, tel que modifié ;

iii.

si le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale dans l’État membre responsable ;

iv.

si le demandeur est de nouveau présent sur le territoire luxembourgeois après l’exécution effective d’une mesure de transfert ou s’il s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure de transfert ;

v.

si le demandeur a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un document d’identité ou de voyage ou s’il a fait usage d’un tel document ;

vi.

si le demandeur a dissimulé des éléments de son identité ou s’il est démontré qu’il a fait usage d’identités multiples soit sur le territoire luxembourgeois, soit sur celui d’un autre État membre ;

vii.

si le demandeur qui a refusé le lieu d’hébergement proposé ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou si le demandeur qui a accepté le lieu d’hébergement proposé a abandonné ce dernier sans motif légitime ;

viii.

si le demandeur a exprimé l’intention de ne pas se conformer à une décision de transfert vers l’État responsable de sa demande de protection internationale ou si une telle intention découle clairement de son comportement ;

ix.

si le demandeur, sans motif légitime et bien que régulièrement convoqué ou informé, ne s’est pas soumis à une mesure préparatoire et nécessaire à l’exécution matérielle de son transfert vers l’État membre responsable ou s’il a antérieurement manifesté son intention de ne pas se conformer à une telle mesure ;

(…) (3) La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.

6 On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite ;

l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire.

Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. (…) ».

Il y a encore lieu de relever que le paragraphe (4) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose comme suit : « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. (…) ».

L’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, sur base duquel la mesure litigieuse a été prise, qui renvoie à l’article 28 du règlement Dublin III, permet dès lors de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative pour une duréemaximale de trois mois en vue de garantir les procédures de transfert prévues par ledit règlement, sous condition, (i) qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de cette personne, risque de fuite qui est présumé dans les circonstances précitées, (ii) que le placement en rétention soit proportionnel et (iii) que d’autres mesures moins coercitives ne puissent être efficacement appliquées.

L’article 22, paragraphe (3) de la même loi ajoute que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues à ses points a), b) et c) - à savoir, (i) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, (ii) l’assignation à résidence, assortie, le cas échéant, d’une mesure de surveillance électronique, et (iii) le dépôt d’une garantie financière d’un montant de cinq mille euros - ne peut être efficacement appliquée.

L’article 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 précise, par renvoi au règlement Dublin III, que la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et que les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter le transfert dans les meilleurs délais et que le placement en rétention ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Le tribunal se doit tout d’abord de relever qu’il n’est pas tenu par l’ordre des moyens tel que présenté par le demandeur mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

S’agissant tout d’abord du moyen ayant trait à l’incompétence de l’Allemagne pour connaître de la demande de protection internationale du demandeur, il convient de relever que les contestations afférentes concernent le bien-fondé d’une décision de transfert ultérieure.

Dans la mesure où le tribunal est, dans le cadre du recours sous analyse, saisi de l’unique décision du ministre du 28 mai 2025 de soumettre l’intéressé à une mesure de rétention sur base de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 l’argumentation du demandeur n’est pas pertinente.

A titre superfétatoire, s’agissant de la référence faite par le demandeur à l’article 19 du règlement Dublin III1, il échet de constater, d’un côté, que ledit article ne cite que des causes 1 « (…) 2. Les obligations prévues à l’article 18, paragraphe 1, cessent si l’État membre responsable peut établir, lorsqu’il lui est demandé de prendre ou reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres pendant une durée d’au moins trois mois, à moins qu’elle ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité délivré par l’État membre responsable.

Toute demande introduite après la période d’absence visée au premier alinéa est considérée comme une nouvelle demande donnant lieu à une nouvelle procédure de détermination de l’État membre responsable.

8 de cessation de responsabilité pouvant être invoquées par l’Etat requis, alors que l’Allemagne a expressément accepté de reprendre en charge le demandeur en date du 11 juin 2025 sans invoquer une cessation de sa responsabilité sur base de l’article 19 du règlement Dublin III et, d’un autre côté, qu’en tout état de cause, les deux reçus et tickets de caisse d’une pharmacie turque versés par le demandeur à l’appui de son recours ne sont pas de nature à démontrer une sortie du territoire des Etats membres pendant au moins trois mois, étant donné qu’ils sont datés du 1er décembre 2024, respectivement du 15 janvier 2025, de sorte que le demandeur ne saurait utilement se prévaloir de l’article 19, paragraphe (2) du règlement Dublin III. Il échet, par ailleurs, encore de relever que le demandeur n’allègue pas et a fortiori ne prouve pas être retourné en Turquie en exécution d’une décision de retour ou d’une mesure d’éloignement dans le sens de l’article 19, paragraphe (3) du règlement Dublin III.

En ce qui concerne ensuite le bien-fondé de la décision déférée et en particulier les contestations du demandeur relatives au risque de fuite dans son chef, il convient en premier lieu de rappeler que l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (…) Le risque non négligeable de fuite est présumé dans les cas suivants :

(…) iv. si le demandeur est de nouveau présent sur le territoire luxembourgeois après l’exécution effective d’une mesure de transfert ou s’il s’est soustrait à l’exécution d’une mesure de transfert ou s’il s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure de transfert ;

(…) vi. si le demandeur a dissimulé des éléments de son identité ou s’il est démontré qu’il a fait usage d’identités multiples soit sur le territoire luxembourgeois, soit sur celui d’un autre Etat membre ;

(…) ».

Or, force est de constater qu’il ressort du dossier administratif, d’une part que le demandeur est connu sous différents alias et, d’autre part, qu’il est retourné au Luxembourg au plus tard le 28 mai 2025, date d’introduction de sa demande de protection internationale, après avoir été transféré vers l’Allemagne en date du 22 juillet 2024, en exécution de la décision ministérielle, précitée, du 26 avril 2024.

Au vu de ces seules considérations, il y a lieu d’admettre qu’un risque de fuite non négligeable est présumé dans le chef de celui-ci, de sorte que c’est a priori à juste titre que le ministre a pris une décision de placement en rétention à son encontre.

En ce qui concerne ensuite les développements du demandeur suivant lesquels la 3. Les obligations prévues à l’article 18, paragraphe 1, points c) et d), cessent lorsque l’État membre responsable peut établir, lorsqu’il lui est demandé de reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres en exécution d’une décision de retour ou d’une mesure d’éloignement délivrée à la suite du retrait ou du rejet de la demande.

Toute demande introduite après qu’un éloignement effectif a eu lieu est considérée comme une nouvelle demande et donne lieu à une nouvelle procédure de détermination de l’État membre responsable. »mesure de rétention à son encontre serait incompatible avec son état de santé et constituerait un traitement inhumain et dégradant dans son chef, le tribunal constate qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que tel serait le cas. En effet, le demandeur reste en défaut de documenter son état de santé d’une quelconque façon, de sorte que les moyens y relatifs encourent le rejet, étant encore précisé qu’en application de l’article 9 de la loi du 28 mai 2009 le demandeur a, en tout état de cause, droit aux soins médicaux requis au cours de son séjour au Centre de rétention.

En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur relatives aux perspectives d’un aboutissement de son transfert vers l’Allemagne, respectives aux diligences entreprises par le ministre en vu dudit transfert, il échet de constater qu’il ressort du dossier administratif que depuis le placement en rétention du demandeur en date du 28 mai 2025, le ministre a sollicité la reprise en charge de l’intéressé aux autorités allemandes en date du 6 juin 2025, qui ont répondu en date du 11 juin 2025 que le transfert pourrait s’effectuer via l’aéroport de Munich.

Il ne résulte d’aucun élément du dossier administratif que depuis cette date une démarche supplémentaire concrète en vue du transfert du demandeur, telle qu’au moins une demande à la police grand-ducale d’organiser matériellement le transfert, aurait été entreprise.

Si certes, le dossier administratif contient une demande de renseignements effectuée via le Centre de coopération policière et douanière (« CCPD ») en date du 18 juin 2025 ainsi qu’un rapport d’entretien Dublin III ayant eu lieu en date du 24 juin 2025, il n’en reste pas moins que ces deux démarches ne sont pas en lien avec le transfert matériel du demandeur vers l’Allemagne, dont les autorités ont déjà accepté la reprise en charge en date du 11 juin 2025, soit il y a plus de trois semaines.

A cet égard, le tribunal rappelle qu’un placement au Centre de rétention constitue une mesure privative de liberté qu’il échet d’écourter au maximum et qu’il appartient corrélativement aux services ministériels d’accomplir toutes les diligences nécessaires, de façon à écourter au maximum la privation de liberté inhérente à une mesure de rétention. En effet, un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, le placement en rétention devant constituer une période transitoire avant l’acheminement de la personne retenue vers son pays d’origine, voire vers tout autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner Or, au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que les démarches entreprises par les autorités luxembourgeoises afin d’organiser le transfert du demandeur vers l’Allemagne ne sont pas suffisamment diligentes au sens de l’article 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant, et notamment en ce qui concerne l’application de mesures moins coercitives, que le recours est fondé, de sorte que par réformation de la décision déférée, il y a lieu d’ordonner la libération immédiate du demandeur.

Le demandeur sollicite encore l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Cette demande est cependant à rejeter, étant donné que le demandeur n’a pas établi en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant, par réformation de la décision déférée du 28 mai 2025, ordonne la libération immédiate de Monsieur (A) du Centre de rétention ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par le demandeur ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 juillet 2025 par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président Annemarie THEIS, premier juge en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 juillet 2025 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 53083
Date de la décision : 07/07/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-07-07;53083 ?

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