Tribunal administratif Numéro 53064 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:53064 1re chambre Inscrit le 25 juin 2025 Audience publique extraordinaire du 4 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière d’assignation à résidence (art. 22, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 53064 du rôle et déposée le 25 juin 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Samira MABCHOUR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Egypte) et être de nationalité égyptienne, connu sous différents alias, actuellement assigné à résidence à la maison retour sise à L-…, tendant, aux termes de son dispositif, à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 5 juin 2025 l’assignant à résidence à la maison retour pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en sa plaidoirie à l’audience publique du 2 juillet 2025.
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Le 8 mai 2025, Monsieur (A), connu sous différents alias, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par la police grand-ducale, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC, que l’intéressé avait introduit des demandes de protection internationale en Allemagne, les 9 juillet 2017, 14 juillet 2020, 21 avril 2021, 3 avril 2024 et 21 août 2024, aux Pays-Bas, les 13 novembre 2017, 26 novembre 2020, 20 mars 2023 et 11 novembre 2024, en Belgique, les 19 mai 2021 et 29 mars 2024, en Suisse, le 1er septembre 2023 et en Autriche, le 9 novembre 2023.
Il s’avéra encore que le 7 mai 2024, l’intéressé avait été signalé dans le Système d’information Schengen (« SIS ») par la Belgique au motif suivant : « Ressortissant d’un pays tiers en vue d’une décision de retour ».
1Le 12 mai 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Le 21 mai 2025, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues belges en vue de la reprise en charge de l’intéressé sur le fondement de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée sur base de l’article 18 (1) c) du règlement Dublin III par lesdites autorités le 27 mai 2025.
Par décision du 5 juin 2025, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur (A) de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers la Belgique sur le fondement des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18 (1) c) du règlement Dublin III.
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre ordonna l’assignation à résidence de Monsieur (A) à la maison retour sise à L-… pour une durée de trois mois à partir de la notification de l’arrêté en question. Cette décision est libellée comme suit :
« […] Vu l’article 22 (2) d) et 22 (3) a), b), c) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, (3), point b) peut être efficacement appliquée.
Arrête:
Art. 1.- Monsieur (A), né le … à … (Egypte) et de nationalité égyptienne, est assigné à résidence à la maison retour sise à …, L-… pour une durée de trois mois à partir de la notification du présent arrêté. La personne susvisée a l’obligation de se présenter durant cette période quotidiennement au plus tard à 23h00 du soir ainsi qu’à 08h00 du matin au personnel de la structure prémentionnée.
Art. 2.- La personne susvisée est informée qu’en cas de défaut de respect de l’obligation imposée ou en cas de risque de fuite, la mesure pourra être révoquée et le placement en rétention pourra être ordonné comme prévu à l’article 22, paragraphe (2) d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, auquel le tribunal est seul tenu, à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 5 juin 2025.
Etant donné que l’article 22 (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision ordonnant une mesure moins coercitive que le placement en rétention, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en 2l’espèce, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de Monsieur (A), alors que celui-ci aurait disparu de la maison retour depuis le 10 juin 2025 et qu’il aurait introduit, en date du 16 juin 2025, une nouvelle demande de protection internationale en France, de sorte qu’il ne saurait plus tirer un avantage de la sanction de la décision ministérielle déférée.
Monsieur (A) n’a pas autrement pris position quant au moyen d’irrecevabilité lui ainsi opposé pour ne pas avoir été présent ni représenté à l’audience publique des plaidoiries.
A cet égard, le tribunal relève que l’intérêt conditionne la recevabilité d’un recours contentieux. En matière de contentieux administratif, portant, comme en l’espèce, sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut en tirer un avantage corrélatif de la sanction de la décision par le juge administratif1.
L’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés2.
Si, stricto sensu, l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action, doit être vérifié au jour du jugement sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, d’encombrer le rôle des juridictions administratives et d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de devoir se justifier inutilement devant les juridictions administratives, exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation, sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier3.
Or, la première personne à pouvoir justifier s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande, et ce, en établissant qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés et que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès4.
1 Cour adm., 14 juillet 2009, n° 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse n° 2 et les autres références y citées.
2 Trib. adm. prés., 27 septembre 2002, n° 15373 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 11 mai 2016, n° 35579 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 37 et les autres références y citées.
4 Ibid.
3En l’espèce, force est de relever qu’il ressort des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que Monsieur (A) ne se trouve plus sur le territoire luxembourgeois pour avoir déposé une nouvelle demande de protection internationale en France en date du 16 juin 2025, c’est-à-
dire, six jours après sa disparition de la maison retour et neuf jours avant l’introduction de la présente requête introductive d’instance tendant à la réformation de la décision l’assignant à résidence dans ladite structure.
Or, par ce comportement le demandeur a non seulement démontré son manque d’intérêt pour le déroulement et le maintien de son recours intenté le 25 juin 2025 mais il échet également de constater que le demandeur ne saurait tirer aucun avantage de la sanction déférée par le juge administratif. En effet, une éventuelle réformation de la décision l’assignant à résidence à la maison retour par une assignation dans une autre structure d’hébergement, telle que sollicitée par le demandeur, ne saurait lui procurer aucune satisfaction, étant donné qu’il ne s’est plus trouvé sur le territoire luxembourgeois au moment de l’introduction de son recours contentieux pour avoir introduit une nouvelle demande de protection internationale en France.
Il s’ensuit que le recours sous examen est à déclarer irrecevable pour défaut d’intérêt à agir dans le chef du demandeur.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare compétent pour connaître du recours en réformation ;
le déclare irrecevable pour d’défaut d’intérêt à agir dans le chef de Monsieur (A) ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 4 juillet 2025 par :
Michèle STOFFEL, vice-président, Géraldine ANELLI, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Michèle STOFFEL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juillet 2025 Le greffier du tribunal administratif 4