La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/07/2025 | LUXEMBOURG | N°49777

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 juillet 2025, 49777


Tribunal administratif N° 49777 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49777 5e chambre Inscrit le 6 décembre 2023 Audience publique du 2 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A) et Madame (B), …, contre un bulletin d’impôt, en matière d’impôt sur le revenu

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49777 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 décembre 2023 par Monsieur (A) et Madame (B), demeurant ensemble à L-

…, tendant à la réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2021, émis

le 11 janvier 2023, et du « refus implicite de la réclamation du 7 avril 2023 auprès du directeur...

Tribunal administratif N° 49777 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49777 5e chambre Inscrit le 6 décembre 2023 Audience publique du 2 juillet 2025 Recours formé par Monsieur (A) et Madame (B), …, contre un bulletin d’impôt, en matière d’impôt sur le revenu

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49777 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 décembre 2023 par Monsieur (A) et Madame (B), demeurant ensemble à L-

…, tendant à la réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2021, émis le 11 janvier 2023, et du « refus implicite de la réclamation du 7 avril 2023 auprès du directeur de l’Administration des contributions directes » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 février 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin déféré ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur (A) en ses explications et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en sa plaidoirie à l’audience publique du 22 janvier 2025.

En date du 1er juillet 2022, Monsieur (A) a déposé une déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2021 par la voie électronique au bureau d’imposition Luxembourg 2, ci-

après désigné par « le bureau d’imposition ».

Par courrier du 28 septembre 2022, le bureau d’imposition informa Monsieur (A), en exécution du § 205, alinéa (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », qu’une imposition collective des partenaires ne serait possible que pour les résidents conformément à l’article 3bis, alinéa (1) LIR, ce qui ne serait pas le cas pour sa partenaire, Madame (B), qui serait « fonctionnaire UE depuis son arrivée au Luxembourg », tout en le priant de formuler des objections éventuelles pour le 19 octobre 2022 au plus tard.

Par courrier électronique du 4 octobre 2022, Monsieur (A) s’adressa au bureau d’imposition afin de solliciter « les références de l’article et de la loi stipulant l’impossibilité de l’imposition collective pour les personnes qui sont fonctionnaires européens depuis leur arrivé au Luxembourg. ».

1 Par courrier électronique du même jour, le bureau d’imposition lui répondit dans les termes suivants : « […] veuillez trouver ci-joint l’extrait de l’article 13 du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union Européenne. […] Madame (B) est donc à considérer comme non-résident. Les dispositions du partenariat suivant art. 3bis LIR ne sont applicables que si les 2 partenaires sont des contribuables résidents. Ainsi, une imposition collective suivant art.

3bis n’est pas possible dans [v]otre cas ».

Par courrier électronique du 10 octobre 2022, Monsieur (A) s’adressa à nouveau au bureau d’imposition dans les termes suivants : « […] au Luxembourg, « être contribuable résident » et la domiciliation fiscale sont deux choses différentes : « Au Luxembourg, en ce qui concerne le droit fiscal interne, une personne physique est considérée comme: contribuable résident si elle a son domicile fiscal ou son séjour habituel au Grand-Duché de Luxembourg » […] Comme en témoigne le certificat de résidence que je vous ai envoyé précédemment, Madame (B) a son séjour habituel au Grand-Duché de Luxembourg depuis plusieurs années. […] ».

Par courrier électronique du lendemain, le bureau d’imposition répondit ce qui suit :

« […] le domicile fiscal et le séjour habituel au Luxembourg sont effectivement 2 choses différentes. Même si votre partenaire a son séjour habituel au Luxembourg, elle n’est pas considérée comme résidente fiscale luxembourgeoise, dû au fait qu’elle a établie sa résidence au Luxembourg en raison uniquement de l’exercice de ses fonctions au service de l’Union Européenne. […] ».

En date du 11 janvier 2023, le bureau d’imposition émit à l’encontre de Monsieur (A) le bulletin d’impôt sur le revenu de l’année 2021 avec l’indication que « [l]’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants […] [:] Imposition collective impssible car Mme (B) fonctionnaire UE […] est venue au Luxembourg pour l’exercice de ses fonctions – par conséquent Mme garde résidence fiscale pays d’origine ».

Par un courrier du 7 avril 2023, reçu par l’administration des Contributions directes, désignée ci-après par « l’administration », le 12 avril 2023, Monsieur (A) et Madame (B), désignés ci-après par « les consorts (A)-(B) », introduisirent auprès du directeur de l’administration, ci-après désigné par « le directeur », une réclamation contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2021, émis en date du 11 janvier 2023.

Par requête déposée le 6 décembre 2023 au greffe du tribunal administratif, les consorts (A)-(B) ont introduit un recours tendant à la réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2021, émis le 11 janvier 2023, ainsi que du « refus implicite de la réclamation du 7 avril 2023 auprès du directeur de l’Administration des contributions directes ».

1. Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours S’agissant, tout d’abord, de la compétence du tribunal pour statuer sur le recours sous analyse, force est de souligner que conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par la « loi du 7 novembre 1996 », il est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’imposition, étant encore précisé qu’un recours dirigé directement contre un bulletin d’imposition n’est prévu à l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la même loi que dans 2 l’hypothèse où une réclamation a été introduite par le contribuable et qu’aucune réponse n’est intervenue dans un délai de six mois.

Il est constant en cause que suite à la réclamation introduite le 12 avril 2023 par les consorts (A)-(B) auprès du directeur contre le bulletin de l’impôt litigieux émis le 11 janvier 2023, aucune décision directoriale n’est intervenue.

Force est dès lors de constater que le tribunal est en tout état de cause compétent pour connaître du recours en réformation en ce qu’il est dirigé directement contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2021.

Ledit recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’audience des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours pour autant qu’il est dirigé contre une décision implicite de refus du directeur, ainsi qualifiée, à la suite de la réclamation datée du 7 avril 2023 visant le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2021.

Monsieur (A) n’a pas plus spécifiquement pris position par rapport à la question ainsi soulevée par le tribunal, tandis que le délégué du gouvernement a conclu à l’irrecevabilité du recours pour autant qu’il est dirigé contre une décision implicite de refus du directeur.

Force est de constater que s’il est exact que l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la loi du 7 novembre 1996 dispose : « Lorsqu’une réclamation au sens du §228 de la loi générale des impôts […] a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant […] peu[t] considérer la réclamation […] comme rejetée […] et interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation […] » et reprend ainsi textuellement l’article 4, paragraphe (1) de la même loi, à savoir « les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée », disposition dont découle une décision implicite de refus, il n’en demeure pas moins qu’il résulte des documents parlementaires que le législateur n’a pas prévu la création d’une décision implicite de refus en cas de silence du directeur suite à l’introduction d’une réclamation contre un bulletin d’impôt1.

Par voie de conséquence, le tribunal est amené à conclure que l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996 n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence du directeur suite à une réclamation, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », et non pas contre une décision implicite de refus du directeur2.

Dans la mesure où aucune décision directoriale n’a été adoptée par l’effet du silence de plus de six mois après l’introduction de la réclamation, le recours sous analyse est irrecevable 1 Voir doc. parl. 3940A, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p. 5, ad (3) 3. : « Par opposition au domaine administratif, le silence de l’administration n’est pas à considérer comme le rejet de la demande. […] Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé, non pas contre une décision implicite de rejet mais contre la déclaration initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée. ».

2 Trib. adm. 25 novembre 1998, n° 10308 à 10311 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n°1354 et les autres références y citées.

3 pour défaut d’objet pour autant qu’il est dirigé contre une prétendue décision implicite de refus du directeur.

Par ailleurs, quant à la demande figurant au dispositif de la requête introductive d’instance, tendant à voir « enjoindre à [l’administration] d’accepter l’imposition collective pour l’année 2021 et les années suivantes », Monsieur (A) s’est, sur question afférente du tribunal à l’audience publique des plaidoiries par rapport à la compétence du tribunal pour connaître de cette demande, rapporté à prudence de justice.

Il y a lieu de relever, d’une part, que la requête introductive d’instance délimite définitivement les débats3. En l’espèce, il est constant que la réclamation des demandeurs était dirigée exclusivement contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2021, émis le 11 janvier 2023. Par ailleurs, la formulation du recours sous examen est claire en ce qu’elle ne vise sous la partie « II – Description des faits » et sous la partie « III - Argumentation juridique » uniquement le bulletin de l’impôt précité du 11 janvier 2023. Ce n’est que dans le dispositif du recours et uniquement dans un bout de phrase que les demandeurs mentionnent « les années suivantes » sans aucune explication ou précision à cet égard.

Il s’ensuit qu’en ce qui concerne les années subséquentes à l’année 2021, aucune décision administrative n’est déférée au tribunal, de sorte que le tribunal n’est pas compétent pour connaître de la demande formulée par les demandeurs au dispositif de la requête d’instance, tendant à voir enjoindre à l’administration « d’accepter l’imposition collective pour […] les années suivantes », étant encore souligné que la volonté d’être imposé collectivement doit être clairement et annuellement exprimée par les deux partenaires, alors qu’une imposition collective risque, le cas échéant, d’être désavantageuse4 et que par ailleurs les contribuables en question deviennent codébiteurs solidaires d’un impôt commun fixé en fonction de leurs capacités contributives.

2. Quant au fond Arguments et moyens des parties A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs rappellent les faits et rétroactes passés en revue ci-avant.

En droit et pour contester la motivation du bulletin litigieux selon laquelle Madame (B) garderait sa « résidence fiscale [dans son] pays d’origine » alors qu’elle serait venue au Luxembourg pour l’exercice de ses fonctions en tant que fonctionnaire de l’Union européenne, les demandeurs font valoir, d’une part, que le terme de « résidence fiscale » ne serait pas « mentionné » dans la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, désignée ci-après par « LIR », laquelle comporterait uniquement la notion de « domicile fiscale », et, d’autre part, qu’aux termes de l’article 3bis, alinéa (1), point a) LIR seraient imposés collectivement sur demande conjointe et à condition d’avoir partagé pendant l’année d’imposition un domicile ou une résidence commune, les partenaires résidents dont le partenariat a existé du début à la fin de l’année d’imposition, ledit article ne requérant dès lors 3 Cour adm., 17 juin 1997, n° 9481C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 941 et les autres références y citées.

4 En ce sens trib. adm., 16 novembre 2016, n° 36922 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 960 et les autres références y citées.

4 seulement une résidence commune au Luxembourg pour pouvoir bénéficier de l’imposition collective.

Or, selon l’article 13 du Protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, désigné ci-après par le « Protocole », Madame (B) aurait établi sa « résidence » au Luxembourg uniquement en raison de l’exercice de ses fonctions au service de l’Union européenne, de sorte qu’elle serait « résidente » au Luxembourg. A cela s’ajouterait que d’après l’administration communale de Luxembourg, ils partageraient une « résidence commune » avec leur enfant à Luxembourg, de sorte qu’ils seraient à qualifier de « partenaires résidents ».

Les demandeurs sont dès lors d’avis qu’ils rempliraient toutes les conditions pour pouvoir bénéficier de l’imposition collective conformément à l’article 3bis, alinéa (1), point a) LIR, tout en insistant sur le fait qu’en leur imposant une condition supplémentaire, qui ne serait pas prévue par la loi, la partie étatique créerait une situation d’insécurité juridique.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé en arguant, en substance, que les demandeurs ne rempliraient pas les conditions requises par l’article 3bis LIR pour prétendre à une imposition collective, alors (i) qu’ils ne qualifieraient pas de « partenaires résidents » au sens dudit article 3bis LIR et (ii) que la demande conjointe en vue d’accéder à l’imposition collective ferait défaut.

Analyse du tribunal Le tribunal tient en premier lieu à rejeter l’écrit communiqué au tribunal le 23 janvier 2025 par voie électronique, soit après la prise en délibéré de l’affaire à l’audience publique du 22 janvier 2025, par application de l’article de l’article 8, paragraphe (6) de la loi du la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement devant les juridictions administratives, d’après lequel « Toute pièce versée après que le juge-rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt en est ordonné par le tribunal. », étant relevé que ladite disposition s’inscrit évidemment dans le souci du respect du principe du contradictoire et plus loin des droits de la défense.

En ce qui concerne ensuite l’analyse du bien-fondé du recours sous examen, il est constant en cause que Madame (B), qui est de nationalité estonienne, a déclaré son partenariat avec Monsieur (A) auprès de la Ville de Luxembourg le 18 décembre 2019 et qu’elle a résidé au cours de l’année 2021 à la même adresse que son partenaire, au Luxembourg, où elle travaille pour compte de la Cour de justice de l’Union européenne, désignée ci-après par la « CJUE ».

Les parties sont, toutefois, en désaccord, d’une part, sur la question de savoir si les demandeurs peuvent être considérés comme « partenaires résidents » au sens de l’article 3bis LIR, plus particulièrement au regard de la qualité de fonctionnaire européen de Madame (B) en vue d’une éventuelle imposition collective et, d’autre part, par rapport à l’existence ou non d’une demande conjointe en vue d’accéder à l’imposition collective au sens dudit article 3bis LIR.

L’article 3bis LIR dispose que « Sont imposés collectivement, sur demande conjointe et à condition d’avoir partagé pendant toute l’année d’imposition un domicile ou une résidence commun 5 a) les partenaires résidents dont le partenariat a existé du début à la fin de l’année d’imposition;

b) les partenaires qui deviennent contribuables résidents au cours de l’année d’imposition lorsque le partenariat a existé du début à la fin de l’année d’imposition ».

Il découle de la disposition légale précitée que des partenaires peuvent être imposés collectivement, à condition qu’ils aient formulé une demande conjointe en ce sens et qu’ils aient partagé durant toute l’année d’imposition en question un domicile commun, respectivement une résidence commune, étant encore précisé que tant pour les partenaires résidents que pour les partenaires devenant résidents au cours de l’année d’imposition, le partenariat doit avoir existé du début à la fin de l’année fiscale. Il convient de noter que ces conditions sont à respecter cumulativement.

Dans la mesure où l’article 2, alinéa (1) LIR, aux termes duquel : « Les personnes physiques sont considérées comme contribuables résidents si elles ont leur domicile fiscal ou leur séjour habituel au Grand-Duché. Les personnes physiques sont considérées comme contribuables non résidents si elles n’ont pas leur domicile fiscal ni leur séjour habituel au Grand-Duché et si elles disposent de revenus indigènes au sens de l’article 156. », détermine les conditions à remplir par une personne physique afin d’être considérée comme contribuable résident au Luxembourg au titre d’une année d’imposition, et qu’il n’est pas contesté que les consorts (A)-(B) ont habité ensemble au Luxembourg pendant l’année litigeuse, ils seraient dès lors, a priori, à considérer, pour l’année fiscale 2021, au regard de la législation nationale applicable, comme des contribuables résidents susceptibles d’être imposés collectivement, étant précisé que pour qualifier de « partenaires résidents5 » conformément à l’article 3bis LIR, ceux-ci doivent être considérés comme contribuables résidents au sens de l’article 2 LIR.

Le bureau d’imposition a toutefois considéré que dans la mesure où Madame (B) était entrée au service de la CJUE depuis son arrivée au Luxembourg, elle serait à considérer comme ayant gardé sa résidence fiscale dans son pays d’origine, au motif qu’elle aurait bénéficié des dispositions de l’article 13 du Protocole aux termes duquel : « Pour l’application des impôts sur les revenus et sur la fortune, des droits de succession ainsi que des conventions tendant à éviter les doubles impositions conclues entre les pays membres de l’Union, les fonctionnaires et autres agents de l’Union qui, en raison uniquement de l’exercice de leurs fonctions au service de l’Union, établissent leur résidence sur le territoire d’un pays membre autre que le pays du domicile fiscal qu’ils possèdent au moment de leur entrée au service de l’Union sont considérés, tant dans le pays de leur résidence que dans le pays du domicile fiscal, comme ayant conservé leur domicile dans ce dernier pays si celui-ci est membre de l’Union. Cette disposition s’applique également au conjoint dans la mesure où celui-ci n’exerce pas d’activité professionnelle propre ainsi qu’aux enfants à charge et sous la garde des personnes visées au présent article. […] ».

Cette disposition établit ainsi une répartition des compétences fiscales entre l’Etat membre où le fonctionnaire ou agent au service de l’Union avait son domicile fiscal avant son entrée au service de l’Union et l’Etat membre où il exerce lesdites fonctions par la suite6.

5 Souligné par le tribunal.

6 Cour adm., 12 juillet 2022, n° 46573C, disponible sur le site www.justice.public.lu; Guy Poos, Notions fiscales de base concernant l’impôt sur le revenu, Etudes Fiscales 124/127, commentaire 2.21., p.55.

6 Il s’ensuit que, dans la mesure où l’article 13 du Protocole énonce expressément que le fonctionnaire ou agent au service de l’Union européenne doit être considéré par tous les Etats membres concernés comme ayant conservé son domicile sur le territoire de son Etat membre de provenance « [p]our l'application des impôts sur les revenus et sur la fortune », l’Etat membre de destination se trouve empêché par cette disposition de reconnaître dans le chef d’un tel fonctionnaire ou agent l’existence d’une résidence ou d’un domicile sur son territoire pour l’application de toute sa législation nationale en matière d’impôt sur le revenu7, ledit article dérogeant, en effet, à la détermination du domicile fiscal en droit national et s’inscrivant dans un régime fiscal d’exception, traduisant plus particulièrement une restriction partielle à la souveraineté des Etats membres en matière fiscale, consentie au vœu de l’article 17, alinéa 1er, du Protocole « exclusivement dans l’intérêt de » l’Union européenne afin de garantir à tous les fonctionnaires et agents de l’Union européenne un traitement identique consistant dans une exemption d’impôts nationaux sur les rémunérations leur versées par une institution de l’Union européenne, tout en conservant leur domicile dans le pays de leur domicile fiscal d’origine8.

Il s’ensuit que par nécessité de maintenir l’application uniforme du Protocole, en ce qui concerne le régime fiscal des fonctionnaires de l’Union européenne, la répartition des compétences établie par l’article 13 du Protocole ne peut être remise en cause par la prise en considération du domicile effectif, étant entendu que, conformément aux dispositions de l’article 13, le fonctionnaire n’a pas le choix de déplacer son domicile fiscal dans un Etat autre que celui de son domicile fiscal d’origine9, sauf si ce dernier peut apporter la preuve qu’il avait déjà pris des mesures pour réaliser le transfert de son domicile indépendamment de son entrée au service de l’Union européenne10.

En outre, tel que l’a dit pour droit la CJUE, les fonctionnaires et autres agents au service de l’Union sont en effet soumis à des règles particulières en matière fiscale, qui les distinguent des autres travailleurs11.

Tel que relevé ci-dessus, le bulletin litigieux est basé sur la prémisse que, en application de l’article 13 du Protocole, depuis son entrée au service de l’Union européenne, Madame (B), en sa qualité de ressortissante d’un des pays membres de l’Union européenne, aurait toujours conservé son domicile fiscal dans son « pays d’origine », soit l’Etat membre où elle avait son domicile fiscal avant son entrée au service de l’Union européenne. En l’espèce, il n'est pas contesté que l’établissement de la résidence de Madame (B) au Luxembourg revêt un caractère exclusivement professionnel du fait de son emploi auprès de la CJUE, de sorte à déclencher, à son endroit, les effets de l’article 13 du Protocole.

Par suite de l’application de l’article 13 du Protocole, Madame (B) est considérée avoir conservé son domicile fiscal dans son Etat d’origine ce qui empêche, dès lors, la reconnaissance d’une résidence ou d’un domicile au Luxembourg dans son chef.

7 Cour adm., 12 juillet 2022, n° 46573C, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 125.

8 Trib. adm., 10 février 2020, n° 41546, disponible sur le site www.justice.public.lu.

9 Idem.

10 CJUE, 17 juin 1993, X c. Staatsecretaris van Financiën, C-88/92, EU:C:1993:246 ; Cour adm., 12 juillet 2022, n° 46573C, disponible sur le site www.justice.public.lu; Guy Poos, Notions fiscales de base concernant l’impôt sur le revenu, Etudes Fiscales 124/127, commentaire 2.21., p.55.

11 CJUE, 11 novembre 2003, Schilling c. Finanzamt Nürnberg-Süd, C-209/01, EU:C:2003:610, pt. 29, cité ainsi par Cour adm., 12 juillet 2022, n° 46573C, disponible sur le site www.justice.public.lu.

7 En effet, l’imposition collective des partenaires sur demande est susceptible d’être reconnue lorsque chacun des deux partenaires a la qualité de contribuable résident ou lorsque les deux partenaires ont la qualité de contribuable non résident. Or, le statut particulier de Madame (B) empêche précisément la prise en compte de sa situation réelle quant à sa résidence qui reste fixée d’autorité par l’effet de l’article 13 du Protocole dans son pays d’origine.

Il se dégage dès lors d’une lecture combinée des articles 2 LIR et 13 du Protocole ainsi que des considérations qui précèdent, qu’aucun reproche ne saurait être adressé au bureau d’imposition pour avoir considéré que Madame (B) revêtait la qualité de contribuable non résident au cours de l’année d’imposition litigieuse et qu’en conséquence, les demandeurs ne remplissaient pas les conditions pour pouvoir opter pour une imposition collective sur base de l’article 3bis LIR au cours de l’année 2021, l’examen du respect de la condition relative à l’introduction d’une demande conjointe en vue d’accéder à l’imposition collective au sens de l’article 3bis LIR devenant surabondant, étant donné que les conditions de l’article 3bis LIR sont, tel que relevé ci-avant, à respecter cumulativement.

Au vu de ces considérations, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation pour autant qu’il est dirigé contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2021, émis le 11 janvier 2023 ;

déclare irrecevable le recours pour autant qu’il est dirigé contre un « refus implicite de la réclamation du 7 avril 2023 auprès du directeur de l’Administration des contributions directes » ;

se déclare incompétent pour statuer sur la demande des demandeurs d’« enjoindre à [l’administration des Contributions directes] d’accepter l’imposition collective pour […] les années suivantes » ;

pour le surplus, reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 juillet 2025 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge, Georges GEDGEN, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

8 s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 juillet 2025 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 49777
Date de la décision : 02/07/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-07-02;49777 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award