Tribunal administratif N° 48737 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48737 4e chambre Inscrit le 24 mars 2023 Audience publique du 24 juin 2025 Recours formé par la société à responsabilité limitée (AA), …, contre une décision du directeur de l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA en matière d’amende (L.12.11.2004)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48737 du rôle et déposée le 24 mars 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Thierry POULIQUEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AA), établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son gérant actuellement en fonction, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA du 6 janvier 2023 ayant prononcé une amende administrative de 17.400 euros à son encontre en application de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 juin 2023 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Thierry POULIQUEN déposé au greffe du tribunal administratif le 22 septembre 2023 pour le compte de sa mandante ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 octobre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Thierry POULIQUEN et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles BARBABIANCA en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 mars 2025.
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Dans le cadre de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, ci-après désignée par « la loi du 12 novembre 2004 », l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA, ci-après désignée par « l’AED », procéda le 6 octobre 2022 à un contrôle sur place au sein de la société à responsabilité limitée (AA), ci-après désignée par « la Société », au terme duquel elle rédigea un rapport de contrôle, notifié à la Société, dans sa version provisoire, en date du 23 novembre 2022, proposant, en guise de conclusion, « (…) au Directeur de décider de la prononciation d'une mesure et/ou sanction administrative(s) en vertu de l'article 8-4 de la loi LBC/FT.», en 1raison du non-respect par la Société des obligations imposées par les articles 2-2, 3 et 4 ladite loi. La date de notification du rapport définitif fut fixée au 20 janvier 2023.
Par décision du 6 janvier 2023, fixant sa date de notification à la Société au 20 janvier 2023, le directeur de l’AED, ci-après désigné « le directeur », infligea à cette dernière une amende administrative d’un montant de 17.400 euros, sur base de la motivation suivante :
« (…) Vu le titre 1, Chapitre 1, Article 2-(I) 10bis) de la loi modifiée du 12 novembre 2004, visant les promoteurs immobiliers, au sens de la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales, établis ou agissant au Luxembourg, qui sont tenus au respect des dispositions des articles 2-2, 3 et suivants, 4 et suivants et 5 de la prédite loi ;
Vu que l'administration de l'Enregistrement, des Domaines et de la TVA a effectué en date du 6 octobre 2022 un contrôle sur place auprès de la société (AA) dans le cadre de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ;
Qu'au vu des faits et conclusions cités au rapport de contrôle, l'administration de l'Enregistrement, des Domaines et de la TVA conclut que la société (AA) ne respecte pas ses obligations professionnelles conformément aux dispositions des articles 2-2, 3 et 4 de la prédite loi ;
Qu'en vertu de ce qui précède et en vertu de l'article 8-4 (2) f, il est décidé par la présente de prononcer une amende administrative à l'encontre de la société (AA) à hauteur de :
17.400,00.- EUR (dix-sept mille quatre cents euros) (…) ».
Par un courrier électronique du 10 janvier 2023, la Société s’adressa comme suit à l’AED :
« (…) Ci-joint la très belle lettre reçu ce jour concernant la décision administrative de votre direction l'encontre de notre société.
Je me dois de vous dire que le montant de l'amende et tout simplement scandaleux et disproportionné et encore je pèse mes mots ! La démarche de votre administration n'est clairement pas dans un but de trouver un quelconque terroriste financier ni d'aider les entreprise luxembourgeoises de petite envergure telle que la nôtre à se mettre en conformité mais et belle et bien là pour prendre de l'argent à tout prix ! Je ne conteste pas le fait d'avoir reçu une amende mais bel et bien le montant de celle-
ci que nous prenons comme une vrai injustice au vu des éléments.
De plus nous constatons qu'il y a des incohérences entre votre rapport manuel et le définitif qui comme vous le savez nous est parvenu trop tard pour des raisons indépendantes de votre volonté.
2Alors que nous sommes déjà dans une conjoncture très compliquée pour notre profession cela vient nous enfoncer encore plus… Bravo ! (…) ».
Par une décision du 23 janvier 2023, le directeur confirma la sanction querellée sur base de la motivation suivante :
« (…) En tant que promoteur immobilier, vous êtes de par l'article 2-(I), 10bis) de la loi modifiée du 12 novembre 2004 (ci-après la « Loi LBC/FT »), tenu aux obligations professionnelles de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme.
Dans le rapport de contrôle sur place qui vous a été transmis en même temps que l'amende, ont été décrits les éléments de fait constatant vos manquements à la Loi LBC/ FT, dont notamment une non-conformité à l'obligation de vigilance, plus particulièrement reflétée par le défaut d'identification et de vérification aussi bien au niveau de la clientèle qu'au niveau des bénéficiaires économiques, le défaut de détermination du profil risque du client en fonction d'une analyse risque ainsi qu'une fréquence de vigilance inexistante et ce dans l'entièreté des dossier contrôlés.
Quant à l'obligation d'organisation interne, le constat est sans appel puisque aucun manuel de procédure interne n'a été mis en place et la réalisation d'une analyse risque fait tout simplement défaut.
Il est impérativement à rappeler que l'obligation d'organisation interne a des répercussions directes sur l'obligation de vigilance. En effet, l'analyse risque permet d'évaluer les facteurs de risques (cf. Liste non-exhaustive des facteurs de risques prévues par la loi LBC/FT, annexes II, III et IV) et de déterminer le niveau de risque du client et/ou bénéficiaire économique permettant au professionnel d'adapter sa fréquence de vigilance au niveau de risque du client.
Les éléments de fait décrits dans le rapport de contrôle sur place s'apprécient le jour même du contrôle.
L'AED en tant qu'autorité de contrôle peut prononcer en vertu de l'article 8-4 (2), f) « des amendes administratives d'un montant de deux fois le montant de l'avantage tiré de la violation, lorsqu'il est possible de déterminer celui-ci, ou d'un montant de 1.000.000 d'euros. » Concernant le montant de l'amende, celle-ci fonde sur des éléments de fait constatés lors du contrôle sur place par nos vérificateurs du Service criminalité financière ainsi que sur les critères fixés par la loi modifiée du 12 novembre 2004 (LBC/FT) tels qu'exprimés à l'article 8-5.
Au vu de ce qui précède, la décision de sanction est maintenue.
J'attire votre attention sur la possibilité d'un second contrôle par les vérificateurs du Service criminalité financière afin d'évaluer les mesures prises pour vous conformer à la loi LBC/FT.
3À ce titre, je vous informe que si des manquements sont à nouveau constatés en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, cela sera considéré comme un comportement récidiviste et alourdira la sanction prononcée.
Je vous informe qu'en matière de lutte contre le blanchiment, un recours administratif est prévu à l'article 8-7 de la loi modifiée du 12 novembre 2004, disposant « qu'un recours en pleine juridiction est ouvert devant le Tribunal administratif à l'encontre des décisions des autorités de contrôle prises dans le cadre du présent chapitre. Le recours doit être introduit sous peine de forclusion dans le délai d'un mois à partir de la notification de la décision attaquée ».
Pour plus d'informations, je vous invite à consulter la loi modifiée du 12 novembre 2004, ainsi que notre rubrique « Blanchiment » sur le site vww.pfi.public.lu, mettant à disposition un guide en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, pour le secteur immobilier. (…) » En date du 20 février 2023, le litismandataire de la Société adressa un courrier au directeur ayant comme objet : « (…) Recours gracieux contre (i) la décision directoriale du 6 janvier 2023 à l'encontre de la société BG Promotion S.à r.l., (ii) la note explicative ainsi que (iii) le rapport de contrôle sur place (…) ».
En date du 24 février 2023, le directeur répondit au litismandataire de la Société dans les termes suivants :
« (…) Faisant suite à votre courrier du 20 février 2023, je tiens à vous informer qu'une réponse aux doléances de votre client lui a été adressée en date du 23 janvier 2023.
Par conséquent, je vous prie de bien vouloir vous référer audit courrier. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2023, la Société a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision directoriale précitée du 6 janvier 2023.
Etant donné que la décision précitée a été prise sur base de l’article 8-4, paragraphe (2), point f) de la loi du 12 novembre 2014 et qu’aux termes de l’article 8-7 de cette même loi, « [u]n recours en pleine juridiction est ouvert devant le Tribunal administratif à l’encontre des décisions des autorités de contrôle prises dans le cadre du présent chapitre. Le recours doit être introduit sous peine de forclusion dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision attaquée. », le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision directoriale précitée du 6 janvier 2023, telle que déférée.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour cause de forclusion, alors que la requête introductive d’instance aurait été déposée en date du 24 mars 2023, soit plus de deux mois après la notification de la décision déférée du 6 janvier 2023.
Il donne à considérer dans ce contexte qu’en date du 10 janvier 2023, la Société aurait formé un recours gracieux contre la sanction administrative prononcée le 6 janvier 2023, recours qui aurait été rejeté par une décision confirmative du directeur du 23 janvier 2023, laquelle aurait, en application de l'article 13, paragraphe (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 4portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après la « loi du 21 juin 1999 », fait courir un nouveau délai de recours contentieux d’un mois à partir de la notification de ladite décision gracieuse du 23 janvier 2023.
Par conséquent, le recours déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 mars 2023 seulement devrait être déclaré irrecevable, car introduit hors délai.
La partie gouvernementale fait encore dupliquer qu’elle n’aurait pas hâtivement et erronément qualifié le courrier électronique de la Société du 10 janvier 2023 en tant que recours gracieux, alors qu’un tel recours non formellement défini par un texte, porté devant l'auteur de la décision administrative contestée, serait valable dès qu’il ferait apparaître un litige avec l'administration, ce qui serait clairement le cas aux termes dudit courriel litigieux dans lequel le directeur de la Société aurait soutenu que « Je ne conteste pas le fait d'avoir reçu une amende, mais bel et bien le montant de celle-ci que nous prenons comme une vraie injustice au vu des éléments. De plus, nous constatons qu'il y a des incohérences entre votre rapport manuel et le définitif.[…] ».
Ce serait dès lors à bon droit que l’AED aurait considéré le courriel litigieux du 10 janvier 2023 comme un recours gracieux dirigé contre la décision directoriale du 6 janvier 2023, pour y répondre par une décision confirmative sur recours gracieux prise en date du 23 janvier 2023.
La Société, de son côté, ayant, dans sa requête introductive d’instance, justifié la recevabilité ratione temporis de son recours par le fait d’avoir agi dans le délai d’un mois depuis la notification, en date du 28 février 2023, de la réponse du directeur, datée du 24 février 2023, à son recours gracieux introduit en date du 20 février 2023, fait encore répliquer que le courrier électronique de la Société du 10 janvier 2023 ne saurait en aucun cas être considéré comme un recours gracieux, alors que ce dernier n’aurait pas été destiné à l'autorité ayant pris la décision, ni même à l'autorité hiérarchiquement supérieure, mais au vérificateur du service anti-fraude de l'AED en charge de son dossier.
Par ailleurs, le message ne contiendrait ni les contestations ni les termes suffisants à emporter une reconsidération de la décision directoriale du 6 janvier 2023.
La Société fait souligner que d’après la doctrine, un recours gracieux se définirait comme un recours non formellement défini par un texte, porté soit devant l'autorité même qui a pris la décision, soit devant l'autorité hiérarchiquement supérieure pour exercer le recours contre tout acte émanant d'une autorité publique, exception faite des actes juridictionnels, qui ne serait soumis à aucune condition de capacité ni d'intérêt, et dans le cadre duquel le requérant pourrait invoquer tous moyens de droit, de fait, d'équité ou d'opportunité.
Ainsi, on ne se trouverait donc pas en présence d'un recours gracieux, lorsque l'administré ne contesterait pas en droit ou en opportunité la décision lui notifiée, mais demanderait à l'administration, en l'absence de toute décision antérieure, de prendre position sur ses prétentions. Il en serait de même d'un courrier qui accuse réception de la décision administrative et se borne, pour le surplus, à formuler des questions complémentaires.
Ne constituant pas un recours gracieux, le courrier électronique litigieux du 10 janvier 2023 aurait dès lors laissé à la Société la possibilité de notifier formellement un tel recours gracieux, expressément qualifié comme tel et remplissant les conditions définies par la 5jurisprudence, dans le délai d'un mois à partir de la notification de la décision directoriale, fixée au 20 janvier 2023.
Il s’ensuivrait que le dépôt de la requête introductive d’instance dans le mois de la date de la décision confirmative de l'AED du 24 février 2023, prise sur ledit recours gracieux du 20 février 2023, serait recevable pour avoir été introduit dans les formes et les délais de la loi.
Quant à la question de la qualification du courrier électronique litigieux du 10 janvier 2023, force est d’abord au tribunal de relever qu’il est de jurisprudence que la seule condition à laquelle est soumis le recours gracieux est l'existence d'un litige entre l'administration et l'administré, étant donné que les requêtes adressées à l'administration en dehors de toute contestation n'entrent pas dans cette notion. Ainsi, il n'y a pas de recours gracieux si le requérant ne conteste pas la validité ou l'opportunité d'un acte administratif1.
Or, en l’espèce et contrairement à ce qui est soutenu par la Société, c’est à bon droit que la partie gouvernementale a pu qualifier le courrier électronique du 10 janvier 2023, cité in extenso ci-avant, de recours gracieux, alors que la Société, par référence expresse à la décision directoriale du 6 janvier 2023, émet clairement des contestations quant au montant de l’amende prononcée à son encontre, notamment par rapport à la taille de son entreprise et la conjoncture très compliquée pour la profession, de même qu’elle estime, tel qu’également relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, que les conclusions du rapport final, sur lequel la décision s’appuie, ne correspondraient pas à celles du « rapport manuel », de sorte à émettre des doutes sur le bien-fondé de l’envergure des violations constatées à la base de la sanction administrative lui infligée, dont elle ne conteste cependant pas le principe.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la Société selon laquelle son courrier électronique du 10 janvier 2023 ne saurait être considéré comme un recours gracieux du fait de ne pas avoir été adressé personnellement au directeur dont émane la décision déférée du 6 janvier 2023, mais à l’agent de contrôle en charge du dossier, alors que, même si un recours gracieux est censé être adressé directement à l’autorité ayant pris la décision querellée, l’autorité à laquelle il est ainsi fait référence est en l’occurrence bien l’AED, représentée par son directeur, administration auprès de laquelle travaille également le destinataire direct du courrier du 10 janvier 2023, d’autant plus qu’en application du principe général figurant à l’article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l´Etat et des communes2, il appartient à tout agent saisi d’une demande d’un administré de faire en sorte de transmettre sans délai ladite demande à l’autorité compétente au sein de sa propre administration.
C’est dès lors à bon droit que le directeur a pu considérer le courrier électronique de la Société du 10 janvier 2023 comme étant un recours gracieux dirigé contre la décision déférée du 6 janvier 2023, de sorte que sa réponse y relative, figurant dans son courrier du 23 janvier 2023 et prenant position par rapport aux contestations y émises par la Société, est à considérer comme une décision gracieuse confirmative au sens de l’article 13, paragraphe (2) de la loi du 21 juin 1999 en vertu duquel « Toutefois, si la partie intéressée a adressé un recours gracieux
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1 Trib. Adm. 15 décembre 2004, n° 17971 du rôle, conf. par Cour adm. 9 juin 2005, n° 19200C du rôle, Pas. adm.
2024, V° Procédure administrative non contentieuse n° 199 et les autres références y citées.
2 Article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Toute autorité administrative saisie d´une demande de décision examine d´office si elle est compétente.
Lorsqu´elle s´estime incompétemment saisie, elle transmet sans délai la demande à l´autorité compétente, en en avisant le demandeur. (…) ».
6à l'autorité compétente avant l'expiration du délai de recours fixé par la disposition qui précède ou d'autres dispositions législatives ou règlementaires, le délai du recours contentieux est suspendu et un nouveau délai commence à courir à partir de la notification de la nouvelle décision qui intervient à la suite de ce recours gracieux ».
Il s’ensuit que le nouveau délai d’un mois pour introduire un recours contentieux a commencé à courir à partir de la notification de la décision du 23 janvier 2023, prise sur recours gracieux, laquelle a eu lieu en date du 30 janvier 2023, tel que cela ressort de l’avis de réception y relatif de la Post versé par la partie gouvernementale.
Selon l’article 3, paragraphe 1er, de la Convention européenne sur la computation des délais, signée à Bâle, le 16 mai 1972, approuvée par la loi du 30 mai 1984, les délais exprimés en jours, semaines, mois, années, courent à partir du dies a quo, minuit, jusqu’au dies ad quem, minuit.
Aux termes de l’article 1258 du Nouveau Code de procédure civile, « lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, il expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la signification qui fait courir le délai. A défaut d'un quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois. ».
Dès lors, dans la mesure où le délai d’un mois a recommencé à courir à partir du 30 janvier 2023, il a expiré le mardi 28 février 2023, fin du mois en question, faute, pour le mois, de février d’avoir un quantième identique à celui de la date de départ.
Etant donné que le recours aurait dès lors dû être introduit au plus tard en date du 28 février 2023, le dépôt au greffe du tribunal administratif de la requête introductive d’instance en date du 24 mars 2023, par rapport à la décision du 6 janvier 2023, est à déclarer irrecevable ratione temporis pour être forclos.
Cette conclusion n’est pas énervée par la circonstance que le litismandataire a encore en date du 20 février 2023, certes dans le délai du recours contentieux ayant commencé à courir le 20 janvier 2023, introduit un nouveau recours gracieux, alors qu’il est de jurisprudence que recours gracieux sur recours gracieux ne vaut, d’autant plus que la réponse du directeur à ce dernier recours gracieux se limite à un simple renvoi à sa décision gracieuse du 23 janvier 2023, sans procéder à une nouvelle analyse des moyens invoqués dans le courrier du 20 février 2023., et partant sans prendre une nouvelle décision susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.
En effet, il y a lieu de souligner que le délai du recours contentieux ne peut en principe être interrompu qu’une seule fois à la suite de l’introduction, dans le délai légal, d’un recours gracieux, à moins que l’autorité compétente ne consente à rouvrir l’instruction et à réexaminer la cause, à condition qu’elle se trouve en présence d’éléments nouveaux, c’est-à-dire de faits s’étant produits à la suite de la première décision et qui sont de nature à modifier la situation personnelle du demandeur3, ce qui n’est cependant pas le cas en l’espèce, alors que, tel que relevé ci-avant, le directeur, sans procéder à une nouvelle analyse du dossier, s’est contenté de
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3 Trib. adm., 3 avril 1997, n° 9753 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse n°263 et les autres références y citées.
7renvoyer le litismandataire de la Société à sa décision gracieuse prise en date du 23 janvier 2023 par rapport au premier recours gracieux.
Il s’ensuit que le deuxième recours gracieux est dépourvu d’effets juridiques, de sorte à ne pas avoir fait courir de nouveau délai contentieux.
Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande en allocation d’une indemnité de procédure à hauteur de 5.000 euros, telle que sollicitée par la partie demanderesse sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare irrecevable le recours en réformation dirigé contre la décision directoriale du 6 janvier 2023 ;
laisse les frais et dépens de l’instance à la charge de la partie demanderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 juin 2025 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 8