Tribunal administratif N° 52930 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52930 4e chambre Inscrit le 30 mai 2025 Audience publique du 20 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52930 du rôle et déposée le 30 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Samira MABCHOUR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, assigné à résidence à la maison retour sise à L-…, tendant principalement à la réformation et, subsidiairement, à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 12 mai 2025 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Samuel BECHATA, en remplacement de Maître Samira MABCHOUR, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 juin 2025.
Le 24 février 2025, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC, que l’intéressé avait introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 23 juin 2020. Il s’avéra encore que le 27 janvier 2025, l’intéressé avait fait l’objet d’une « Einreiseverweigerung » lui délivrée par les autorités allemandes.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de 1 détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après le « règlement Dublin III », Monsieur (A) fit encore l’objet d’un entretien en date du 20 mars 2025.
Le même jour, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues allemands en vue de la reprise en charge de l’intéressé sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut initialement refusée par lesdites autorités en date du 25 mars 2025, mais finalement, sur réclamation du ministère du 27 mars 2025, acceptée en date du 10 avril 2025 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du même règlement.
Par décision du 12 mai 2025, notifiée à l’intéressé en mains propres le 14 mai 2025, le ministre informa Monsieur (A) de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Allemagne sur le fondement des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 24 février 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 24 février 2025 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 20 mars 2025. En mains également une interdiction d'entrée sur le territoire allemand, datée du 27 janvier 2025, que vous avez remise lors de l'introduction de votre demande de protection internationale au Luxembourg.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 24 février 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 23 juin 2020.
Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 20 mars 2025.
2 Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 20 mars 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 10 avril 2025 en vertu de l'article 18(1)d.
2) Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.
Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3) Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 23 juin 2020.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d'origine une première fois en 2010. Vous auriez été en Europe jusqu'en 2016, quand vous seriez retourné pour quelques mois en Tunisie. Vous auriez quitté la Tunisie pour la deuxième fois en septembre 2016 à bord d'une embarcation clandestine en direction de l'Italie. Après avoir passé deux ans en Italie, vous auriez décidé de rejoindre l'Allemagne où vous auriez vécu illégalement jusqu'en 2020, quand vous avez décidé d'introduire une demande de protection internationale. Votre demande a ultimement été rejetée, mais vous auriez continué à séjourner à … jusqu'en 2025. En janvier 2025, vous auriez quitté l'Allemagne pendant une semaine afin de rencontrer vos parents en France. Lorsque vous auriez essayé de retourner en Allemagne, vous auriez fait l'objet d'un 3 contrôle à la frontière. Vu l'absence de visa ou de titre de séjour valable, les autorités allemandes vous ont refusé l'entrée sur le territoire allemand. Finalement, vous auriez décidé de vous rendre au Luxembourg où vous seriez arrivé en train, le 23 février 2025.
Monsieur, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que l'Allemagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l'Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que l'Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, l'Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.
Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l'Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence l'Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l'Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».
4 Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.
torture.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers l'Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Allemagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n'ont pas été constatées. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et, subsidiairement, à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 12 mai 2025.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
5 A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, tout en rappelant certains des rétroactes passés en revue ci-avant, donne à considérer que dans le cadre de son parcours migratoire, il aurait connu plusieurs épisodes de précarité extrême et de désocialisation prolongée.
En droit, le demandeur invoque en premier lieu une impossibilité juridique de son transfert vers l’Allemagne en raison du fait qu’il y aurait fait l’objet d’une interdiction d'entrée délivrée en date du 27 janvier 2025, lui interdisant expressément sa réadmission sur ce territoire pour une durée indéterminée, circonstance parfaitement connue par le ministre du fait qu’il aurait remis cet acte aux autorités luxembourgeoises lors de l'introduction de sa demande de protection internationale.
L'article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoyant, sans ambiguïté, que le transfert ne pourrait avoir lieu que si l'Etat requis serait effectivement en mesure de prendre en charge un demandeur, cette exigence constituerait une condition de légalité du transfert, et non une simple formalité procédurale, tel que cela ressortirait d’un arrêt K. c.
Bundesasylamt (C-245/11) de la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », ayant confirmé que le respect effectif du droit d’asile dans l’État requis serait un prérequis indispensable à tout transfert Dublin, ce qui impliquerait une vérification concrète de l’accessibilité à la procédure d’asile dans l’Etat de destination.
Or, une interdiction d’entrée en vigueur en Allemagne empêcherait tout accès audit territoire, situation rendant ainsi impossible l’exercice du droit d’asile, y compris l’introduction d’une nouvelle demande ou l’exercice d’un recours, et constituant une atteinte directe aux droits garantis par les articles 18 (droit d’asile) et 47 (droit à un recours effectif) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte ».
En l’espèce, le non-respect de cette condition par l’administration luxembourgeoise révèlerait une erreur de droit manifeste, rendant illégale la décision de transfert litigieuse.
En deuxième lieu, le demandeur conclut à une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après la « CEDH », ainsi que de l’article 4 de la Charte, en ce que la décision n’aurait pas pris en compte le risque réel et sérieux de traitements inhumains et dégradants auquel il serait exposé à la suite de son transfert vers l’Allemagne.
De plus l'article 19, paragraphe (2) de la Charte interdirait le renvoi d'un individu vers un pays où il existe un risque sérieux qu'il soit exposé à un tel traitement, même indirectement.
Il ressortirait d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, dénommée ci-
après « la CourEDH », dans une affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce (n° 30696/09) que la protection contre les traitement inhumains et dégradants s'appliquerait pleinement aux transferts opérés en vertu du règlement Dublin III, de sorte que, tel que précisé dans un arrêt Tarakhel c. Suisse (n° 29217/12) de la même Cour, il serait exigé, avant tout transfert, de procéder à une évaluation individualisée, actuelle et concrète du risque de mauvais traitement dans l'État requis.
Le demandeur donne à considérer qu’il présenterait un profil de vulnérabilité élevé, souffrant de troubles psychiatriques sévères et notamment d'un stress post-traumatique 6 chronique lié à son parcours migratoire et à son expérience de marginalisation en Europe. En effet, il aurait vécu plusieurs années en Allemagne, sans y bénéficier d'une protection adéquate, ni d'un accès effectif aux soins médicaux, ni d'un accompagnement social.
Sa précédente demande d'asile ayant été rejetée en Allemagne, il aurait, par la suite, été frappé d'une interdiction d'entrée, ce qui témoignerait de la précarité extrême dans laquelle il aurait évolué sur ce territoire.
Il se réfère encore dans ce contexte à de multiples sources concordantes attestant de défaillances persistantes du système d'accueil allemand, notamment en ce qui concerne la prise en charge des personnes vulnérables sur le plan psychique, tel que les récents rapports de l'Asylum Information Database (AIDA) (2023), du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile (EUAA), ainsi que les déclarations du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, lesquels souligneraient tous des insuffisances structurelles en matière d'accès aux soins, d'hébergement adapté, et de garanties procédurales pour les demandeurs d'asile présentant des troubles mentaux.
En outre, le demandeur estime que le risque de se voir expulsé, directement ou indirectement, vers la Tunisie, où il redouterait de faire l'objet de persécutions, ne pourrait pas être écarté, d’autant plus que l’interdiction d'entrée en vigueur dont il aurait fait l’objet constituerait un cas typique de refoulement indirect au sens de l'article 19, paragraphe (2) de la Charte et de l'article 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, dénommée ci-après « la Convention de Genève ».
En troisième lieu, le demandeur fait plaider que la décision déférée serait entachée d’une erreur manifeste d'appréciation résultant de l'absence d'une évaluation individualisée de sa situation.
Il se réfère à l’article 24 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, dénommée ci-après « la directive 2013/32/UE », qui imposerait aux Etats membres d'identifier et de prendre en considération les besoins particuliers des demandeurs, notamment en cas de vulnérabilités médicales ou psychologiques, afin de garantir une procédure adaptée.
Ce principe découlerait également de l'article 4 de la Charte qui consacrerait le respect de la dignité humaine et l'interdiction des traitements inhumains.
La CourEDH, dans son arrêt Tarakhel c. Suisse aurait également exigé une évaluation individualisée et approfondie, surtout en cas de vulnérabilité de la personne concernée, avant tout transfert vers un autre Etat membre, contrôle incluant l'analyse des conditions d'accueil, des soins disponibles et des soutiens sociaux dans l'Etat de destination.
Or, en l'espèce, la décision déférée ne mentionnerait à aucun moment son état de santé, ni son parcours migratoire, ni les impacts psychiatriques de sa trajectoire d'exil. De même, il n’aurait pas été procédé à une expertise médicale, ni à un entretien adapté, de sorte à ne pas avoir pu en tirer des conséquences par rapport à son instabilité mentale documentée.
7 Dès lors, en procédant à une analyse purement administrative, dénuée de toute prise en compte de sa situation humaine concrète, le ministre aurait commis une erreur manifeste d'appréciation, ainsi qu'une violation du droit à une procédure équitable garanti par l'article 47 de la Charte.
En dernier lieu, le demandeur conclut à une violation de l'article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III par le refus injustifié d'appliquer la clause de souveraineté y prévue.
Si ce pouvoir ne serait pas illimité, il s'inscrirait dans la logique humanitaire et protectrice du régime d'asile européen commun, destiné à éviter que le mécanisme Dublin ne produise des effets contraires à la dignité humaine, en particulier dans des situations exceptionnelles de vulnérabilité, ou lorsque l'État désigné ne pourrait, concrètement, garantir le respect des droits fondamentaux.
Ainsi, la CJUE aurait, dans un arrêt C.K. c. Slovénie (C-578/16), affirmé que le recours à l'article 17, paragraphe (1) deviendrait une obligation juridique lorsque le transfert exposerait la personne concernée à un risque réel de traitement inhumain ou dégradant, notamment en raison de troubles médicaux graves.
Or, en l'espèce, il remplirait tous les critères d'une situation humanitaire exceptionnelle, alors qu’il souffrirait de troubles psychiques sévères, se trouverait dans une situation de rupture sociale complète et disposerait au Luxembourg d'un environnement protecteur incluant des liens familiaux stables, un début de prise en charge psychologique et une possibilité de reconstruction sociale.
Le demandeur reproche à la décision déférée de ne pas avoir justifié son refus de faire usage de la clause de souveraineté, par une motivation individualisée, respectivement par une appréciation concrète des circonstances exceptionnelles du dossier.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
Le tribunal relève ensuite qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de l’examen de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
8 L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour reprendre en charge Monsieur (A), prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».
Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale, laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.
Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précités, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A) était l’Allemagne où il a déposé une demande de protection internationale notamment en date du 23 juin 2020, laquelle a été refusée le 3 juillet 2020, et que les autorités allemandes ont accepté sa reprise en charge en date du 10 avril 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre comme étant responsable pour connaître de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner et de ne pas l’examiner, étant relevé que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Allemagne, respectivement, l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande de protection internationale.
Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que le demandeur a fait l’objet, de la part des autorités allemandes, d’une « Einreiseverweigerung » en date du 27 janvier 2025, au moment où il a voulu entrer de nouveau sur le territoire allemand après avoir quitté son domicile allemand le 21 août 2020, alors que les autorités allemandes ont, par la suite, expressément accepté sa reprise en charge en demandant qu’il leur soit remis au point de frontière Wasserbilligerbrück, tout en informant le ministre que le demandeur est attendu dans un centre de primo accueil à …, de sorte qu’il n’y a aucun empêchement juridique à son transfert vers l’Allemagne ni une impossibilité de transfert au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, respectivement une violation du droit à l’asile et du droit à un recours effectif au sens des articles 18, respectivement 47 de la Charte, invoqués par le demandeur dans ce contexte.
En ce qui concerne ensuite l’argumentation du demandeur selon laquelle son transfert en Allemagne violerait les articles 3 de la CEDH, ainsi que 4, 19, paragraphe (2) et 47 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, de même que l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, il échet d’abord de préciser que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non invoqué en l’espèce, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), précité, 9 du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
En l’espèce, le tribunal constate que si le demandeur ne se réfère pas expressément à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III dans ce contexte, il fait cependant valoir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne, de sorte à avoir implicitement mais nécessairement invoqué la disposition afférente.
S’agissant de l’argumentation quant à l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, le tribunal rappelle qu’en vertu de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.
La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.
A cet égard, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en adhérant aux textes légaux communautaires et en tant que signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève, et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.
2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 78.
10 le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.
Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres, ainsi que les Etats y adhérant, peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4. Dans son arrêt, précité, du 16 février 20175, la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres et les Etats y adhérant.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui 3 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.
6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.
7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.jurad.etat.lu.
8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.
9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.
11 porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.
En l’espèce, le demandeur estime que les défaillances systémiques en Allemagne résulteraient des conditions d’accueil et d’hébergement dégradées auxquelles les demandeurs de protection internationale devraient faire face dans ce pays.
Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, une simple référence à des rapports internationaux non autrement référencées ne saurait suffire à cet égard.
Le tribunal est ainsi amené à constater que le demandeur est resté en défaut d’établir qu’il existerait de manière générale des défaillances systémiques en Allemagne, en ce sens que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.
Quant à la situation personnelle du demandeur, il ressort de l’acceptation de la reprise en charge de la part des autorités allemandes que ce dernier est invité à se présenter dans un centre de primo-accueil, de sorte qu’il ne saurait d’ores et déjà conclure à une situation de précarité extrême en cas de transfert vers l’Allemagne. Il ressort par ailleurs des éléments du dossier et notamment de l’entretien du demandeur en date du 20 mars 2025 que ce dernier a voulu volontairement retourner en Allemagne en janvier 2025, après s’être rendu en France pour y rencontrer ses parents, de même qu’il y avait été logé dans un centre de réfugiés et qu’il y était assisté par un avocat dans le cadre de son recours contre la décision lui refusant une demande de protection internationale, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il y aurait personnellement dû faire face à des défaillances systémiques dans l’accueil des demandeurs de protection internationale.
Finalement, le tribunal constate que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH, relative à une suspension générale des transferts vers l’Allemagne, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Allemagne de ressortissants tunisiens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile 11 Ibid., pt. 92.
12 Ibid., pt. 93.
12 allemande qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Allemagne de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III et des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.
Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable.13 Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte14, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant.15 Néanmoins, il ne se dégage pas de cette jurisprudence que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.
En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, que les Etats membres liés par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par la « directive Accueil », sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au 13 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
14 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.
15 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
88.
13 minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats (…) ». Elle a retenu ensuite que « (…) dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. (…) »16.
Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « (…) d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert (…) » 17.
Cette jurisprudence vise dès lors l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée18.
La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposant, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.
16 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.
17 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point 96.
18 Ibidem, point 83.
14 Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.
Il appartient dès lors au tribunal, compte tenu des développements du demandeur à cet égard, de vérifier si l’état de santé de celui-ci présente une gravité telle qu’il ne peut sérieusement être exclu que son transfert entraînerait pour lui un risque réel de traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH19.
Or, en l’espèce, force est de constater que si le demandeur fait actuellement état d’un état de santé psychique gravement atteint en raison de son parcours migratoire, cette affirmation reste à l’état de pure allégation, en ce qu’elle est non seulement contredite par ses propres explications lors de son entretien du 20 mars 2025, où il avait encore indiqué qu’il se trouverait en bonne santé20, mais qu’elle n’est en plus basée sur la moindre documentation médicale versée à l’appui.
Il ne ressort pas non plus des pièces versées au dossier que le demandeur n’avait ou n’aurait pas d’accès à des soins en Allemagne.
Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur reste en défaut de verser une quelconque pièce, voire de soumettre au tribunal un quelconque élément concret, susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas bénéficier en Allemagne des soins médicaux dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.
A défaut d’autres éléments soumis à l’appréciation du tribunal, le demandeur est resté en défaut d’établir que son transfert vers l’Allemagne pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers l’Allemagne.
Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale débouté de sa demande, au système de santé allemand, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit internes, voire devant les instances européennes adéquates.
A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des 19 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.
20 Rapport Dublin III du 20 mars 2025, p. 2 : « Etat de santé : Je vais bien. » 15 informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne par le biais de la communication aux autorités allemandes des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.
Partant, le tribunal est amené à retenir qu’il ne se dégage pas des éléments lui soumis que le demandeur se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière s’opposant à son transfert vers l’Allemagne.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il n’est pas démontré qu’il existe un risque réel et avéré que le transfert du demandeur s’opère, dans ce contexte, en violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, respectivement que le ministre ait commis une erreur d’appréciation à cet égard.
En ce qui concerne ensuite le moyen du demandeur tiré, dans ce contexte, d’une violation, par le ministre, du principe de non-refoulement prévu aux articles 19, paragraphe (2) de la Charte et 33 de la Convention de Genève, au motif que son transfert vers l’Allemagne constituerait un refoulement au sens de ladite disposition et contraire à l’article 3 de la CEDH, il y a tout d’abord lieu de préciser que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202321, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale.
Des divergences d’opinion entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.
Par ailleurs, et en tout état de cause, le tribunal se doit de relever que la décision ministérielle déférée n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur mais désigne uniquement l’Etat responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites, étant souligné que ledit Etat, en l’occurrence l’Allemagne, a reconnu être compétent pour reprendre le demandeur en charge.
Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il courrait un risque d’être renvoyé arbitrairement vers son pays d’origine par les autorités allemandes, force est au tribunal de constater que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un tel risque. Il ne fournit plus particulièrement aucun élément de nature à démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à son égard et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.
21 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-297/21, C-315/21 et C-328/21.
16 Par ailleurs, il n’appert de toute façon pas que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant, tel que relevé ci-dessus, précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only », le règlement Dublin III cherchant, en effet, à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat de leur choix.
A cela s’ajoute qu’il ne se dégage pas des éléments produits par le demandeur que si les autorités allemandes devaient néanmoins décider de le rapatrier en violation de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 33 de la Convention de Genève, alors même que dans son pays d’origine, il serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie et son intégrité physique, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates22. Par ailleurs, même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait possible au demandeur de saisir la CourEDH pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de demander aux autorités allemandes de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.
Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé, en cas de transfert vers l’Allemagne à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH respectivement de faire l’objet d’un refoulement. Ainsi, l’argumentation afférente est à rejeter dans son ensemble.
En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…). », il y a lieu de relever que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres23, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201724.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge25, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration26.
22 Voir article 26 de la directive Accueil.
23 CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, N.S. e.a., affaires jointes C-411/10 et C-493/10, point 65.
24 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16 PPU, points 88 et 97.
25 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 (3e volet) et les autres références y citées.
26 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.
17 Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision ministérielle déférée par rapport à l’article 3 de la CEDH, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, y compris en ce qu’il est resté en défaut d’établir qu’il risquerait des traitements inhumains ou dégradants en cas de transfert vers l’Allemagne, plus particulièrement au regard de son état de santé, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur alors même que cet examen incombe aux autorités allemandes. Il est encore relevé, dans ce contexte, que l’affirmation du demandeur, dans sa requête introductive d’instance, selon laquelle il aurait un support familial au Luxembourg, est contredite par ses propres explications dans son entretien du 20 mars 2025. Il en va de même en ce qui concerne une prétendue prise en charge médicale au Luxembourg.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 juin 2025 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 18