La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/06/2025 | LUXEMBOURG | N°52889

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juin 2025, 52889


Tribunal administratif N° 52889 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52889 2e chambre Inscrit le 21 mai 2025 Audience publique du 19 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous un autre alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52889 du rôle et déposée le 21 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée CHATEAUX Avocats SARL, inscrite sur la liste V du tablea

u de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2...

Tribunal administratif N° 52889 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52889 2e chambre Inscrit le 21 mai 2025 Audience publique du 19 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous un autre alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52889 du rôle et déposée le 21 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée CHATEAUX Avocats SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2157 Luxembourg, 7, rue Mil Neuf Cents, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B225797, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Alexandre CHATEAUX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), connu sous un autre alias, déclarant être né le … à … (…) et être de nationalité djiboutienne, actuellement assigné à résidence à …, sise à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 6 mai 2025 de le transférer vers la France comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en sa plaidoirie à l’audience publique du 12 juin 2025, Maître Alexandre CHATEAUX s’étant excusé et rapporté à ses écrits.

___________________________________________________________________________

Le 17 janvier 2025, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date par les autorités luxembourgeoises dans la base 1 de données EURODAC révéla que Monsieur (A) avait auparavant introduit deux demandes de protection internationale en France en date des 9 août 2022 et 18 décembre 2024.

Le 6 février 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le même jour, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Monsieur (A), basée sur l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les autorités françaises par courrier du 16 février 2025 sur le fondement du même article.

Par arrêté du 26 février 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », assigna l’intéressé à … pour une durée de trois mois à compter de la notification de la décision en question.

Par décision du 6 mai 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 8 mai 2025, le ministre informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 17 janvier 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judicaire du 17 janvier 2025 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 6 février 2025.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 17 janvier 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac 2 a révélé que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en France en date des 9 août 2022 et 18 décembre 2024.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 6 février 2025.

Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités françaises en date du 6 février 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 17 février 2025.

2.

Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3.

Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 17 janvier 2025 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en France en date des 9 août 2022 et 18 décembre 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d'origine le 9 mai 2022 en avion 3 en direction de la France. Vous déclarez être entré sur le territoire des Etats membres grâce à un visa touristique établi par les autorités françaises. Vous auriez séjourné du 10 mai 2022 jusqu'au 17 janvier 2025 à … en France avant de vous rendre en train au Luxembourg. Vous déclarez être arrivé au Luxembourg en date du 17 janvier 2025.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 6 février 2025, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez avoir quitté la France parce qu'on vous y aurait notifié un ordre de quitter le territoire français. Un retour vers la France serait problématique pour vous, car la France a des relations politiques avec le ….

Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires françaises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités 4 luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence la France. Vous ne faites valoir aucun indice que la France ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions belges, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII.

En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la France, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n'ont pas été constatées. [ …] ».

5 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 6 mai 2025.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Prétentions des parties A l’appui de son recours, le demandeur expose, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.

En droit, le demandeur invoque en premier lieu la violation, par la décision déférée, du principe de non-refoulement, tel que consacré notamment à l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative aux statuts des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Après avoir relevé que ledit principe, lequel serait garanti en droit européen et international, supposerait qu’un Etat ne pourrait pas adopter une mesure d’éloignement à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers, même en situation irrégulière, à partir du moment où il existe un risque que l’intéressé soit exposé, dans le pays de destination, à des traitements inhumains ou dégradants au sens des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« Charte »), il soutient qu’en l’espèce, son transfert vers la France l’exposerait à un risque de refoulement indirect vers son pays d’origine où il subirait des persécutions politiques. Comme la France aurait d’ores et déjà rejeté sa demande de protection internationale, il estime qu’il y aurait un risque avéré que « cette décision soit réitérée sans qu’une autre demande de protection ne soit examinée ».

Le demandeur souligne que suivant la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE »), la présomption, certes renforcée, suivant laquelle les Etats membres respectent les droits fondamentaux serait réfragable. Il appartiendrait en conséquence aux autorités nationales d’évaluer concrètement et individuellement si les droits fondamentaux d’un demandeur de protection internationale seront respectés dans l’Etat membre responsable.

Il s’ensuivrait encore que le ministre ne saurait, en l’espèce, se contenter de se retrancher derrière l’adhésion de la France à divers instruments internationaux pour affirmer que ledit Etat membre respecte effectivement les exigences des instruments juridiques en question. Ce constat s’imposerait d’autant plus que le demandeur avait déjà fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire français et ce en méconnaissance, par la France, du principe de non-refoulement.

Le demandeur en conclut qu’en procédant à son transfert vers la France, le ministre méconnaîtrait lui-même le principe fondamental qu’est celui du non-refoulement.

Le demandeur s’empare ensuite des dispositions de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III pour reprocher au ministre de ne pas avoir procédé à une évaluation individualisée et approfondie des risques qu’il encourrait en cas de transfert en France, et ce malgré l’existence d’éléments concrets qui démontreraient qu’un tel transfert l’exposerait, en 6 raison de sa situation particulière, à un risque réel de refoulement indirect et donc à des traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine. Il estime que le défaut de prise en compte de ces éléments, conjugué à l’absence de garanties effectives « quant à [sa] protection […] en France », constitueraient une violation manifeste des obligations résultant de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.

Le demandeur continue en donnant à considérer que même si le tribunal ne devait pas retenir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil en France, il n’en resterait pas moins qu’il devrait venir à la conclusion qu’au vu de sa situation personnelle, le ministre devrait s’abstenir de procéder à son transfert, ce d’autant plus que l’Etat de … ne pourrait pas être considéré comme étant un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015.

Enfin, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir fait application de la clause de souveraineté inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III alors même qu’il existerait un risque sérieux qu’en France il fasse l’objet d’un refoulement indirect vers son pays d’origine et ce pour les raisons plus amplement développées ci-dessus, tout en insistant sur la gravité des menaces pesant sur lieu, ainsi que sur sa situation de vulnérabilité. Il estime que le défaut d’application de la clause de souveraineté constituerait une méconnaissance grave, par le ministre, de ses obligations internationales et européennes en matière de protection des demandeurs d’asile et qu’en conséquence, il y aurait lieu de constater la violation, par le ministre, du « principe de confiance légitime et de droit acquis » dans son chef.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

En vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A), prévoit que « L’État membre 7 responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. […] ».

Il est constant en cause que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur (A), mais bien la France, Etat dans lequel il a déposé des demandes de protection internationale en date des 9 août 2022 et 18 décembre 2024 et qui a accepté de reprendre en charge le concerné le 16 février 2025. Ainsi, c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner la demande de protection internationale déposée au Luxembourg par Monsieur (A) et de le transférer vers la France.

En l’espèce, le demandeur, qui ne conteste pas cette compétence de principe des autorités françaises, et, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises pour traiter sa demande de protection internationale, respectivement les suites à y réserver, soutient, en substance, que la décision de le transférer vers la France serait contraire à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, en ce qu’il risquerait plus particulièrement d’y être refoulé vers son pays d’origine en violation de l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi qu’à l’article 17, paragraphe (1) du même règlement.

Il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans le pays de transfert qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat et doit poursuivre la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Le tribunal relève tout d’abord qu’en vertu de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des 8 défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.

A cet égard, le tribunal relève que la France est tenue au respect, en tant qu’Etat membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Convention torture »), ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres, ainsi que les Etats y adhérant, peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.

Dans son arrêt, précité, du 16 février 20175, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres et les Etats y adhérant.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne, ainsi que les Etats y adhérant sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, pt.

78.

3 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

9 en charge par un Etat peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, du règlement Dublin III requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.

En l’espèce, il y a tout d’abord lieu de relever que Monsieur (A) - dont la situation est celle d’un demandeur de protection internationale définitivement débouté en France, de sorte que c’est sur cette toile de fond que ses contestations sont à examiner - ne fournit aucun élément dont il se dégage que les conditions matérielles des demandeurs de protection internationale en France seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelle que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.

8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10 Ibid., pt. 92.

11 Ibid., pt. 93.

10 Le tribunal relève encore qu’outre de ne pas fournir de précisions quant à la situation des demandeurs de protection internationale définitivement déboutés et transférés en France dans le cadre du règlement Dublin III, l’intéressé n’invoque pas non plus une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’Homme (« UNHCR »). Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la France de ressortissants djiboutiens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile française qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Le demandeur reste, en tout état de cause, en défaut de rapporter la preuve que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en France risquent systématiquement de ne pas être respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient en France aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que la France est signataire de la CEDH et de la Convention torture, de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Par ailleurs, même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder au système d’aide français - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents français -, respectivement si le demandeur devait estimer que le système d’aide français serait à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes compétentes. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système français ne serait pas conforme aux normes européennes.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays, de sorte que le moyen tenant à l’existence de défaillances systémiques en France est à rejeter pour ne pas être fondé.

Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable12.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, 12 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

11 même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte13, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant14.

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé15.

En l’espèce, le tribunal constate que Monsieur (A) n’allègue et a fortiori n’établit pas, que ce soit au cours de la phase précontentieuse ou contentieuse, que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés en France dans le cadre du traitement de sa demande de protection internationale. A cet égard, il y a plus particulièrement lieu de relever que le demandeur n’a pas fait état de problèmes concrets en relation avec le traitement de sa demande de protection internationale, voire en relation avec le rejet définitif de celle-ci. Par ailleurs, le demandeur reste également en défaut de démontrer qu’au cours de son séjour en France, ses propres conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, ni qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités françaises avant de le transférer.

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres éléments, il n’est pas établi que, compte tenu de sa situation personnelle, Monsieur (A) serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert vers la France, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III. L’argumentation afférente est dès lors à rejeter.

En ce qui concerne encore la crainte du demandeur de faire l’objet d’un refoulement indirect vers son pays d’origine, il y a tout d’abord lieu de préciser que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202316, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours 13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

14 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88.

15 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

16 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-297/21, C-315/21 et C-328/21.

12 contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat membre requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat membre, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat membre requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale. Des divergences d’opinions entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat membre requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.

Par ailleurs, et en tout état de cause, le tribunal se doit de relever que la décision entreprise n’implique pas un retour au pays d’origine, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande de protection internationale, respectivement de ses suites, soit en l’espèce la France, ce pays ayant, comme relevé ci-dessus, reconnu sa compétence pour reprendre en charge l’intéressé, ce point n’étant d’ailleurs pas contesté.

Le tribunal relève ensuite que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un risque d’être renvoyé dans son pays d’origine alors même qu’il y encourrait un risque sérieux de subir des traitements inhumains ou dégradants.

Il convient, dans ce contexte, de rappeler que la France respecte a priori - le demandeur ne fournissant aucun indice tangible permettant au tribunal d’en douter - en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions les droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention torture, ainsi que, plus particulièrement, le principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et que ledit Etat membre dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés, le règlement Dublin III qualifiant d’ailleurs explicitement, en son considérant 3, les Etats membres comme pays sûrs respectant le principe de non-refoulement (« À cet égard, et sans affecter les critères de responsabilité posés par le présent règlement, les États membres, qui respectent tous le principe de non-refoulement, sont considérés comme des pays sûrs par les ressortissants de pays tiers »).

A cela s’ajoute qu’il n’apparaît de toute façon pas que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »). Le règlement Dublin III cherche, en effet, à pallier les mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.

Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments produits par le demandeur que si les autorités françaises devaient décider de le rapatrier en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il serait exposé dans son pays d’origine à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates.

13 Dans ces circonstances et compte tenu des éléments soumis au tribunal, il n’est pas établi que le transfert du demandeur vers la France exposerait ce dernier à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré à l’article 33 de la Convention de Genève. Le moyen afférent est dès lors à rejeter.

S’agissant enfin du moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».

A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres17, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201718.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge19, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration20.

Pour se voir appliquer l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, le demandeur invoque son risque d’être refoulé par les autorités françaises vers son pays d’origine en méconnaissance du principe de non-refoulement.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise que les prétentions du demandeur en relation avec sa crainte d’un retour forcé vers son pays d’origine qui serait contraire au principe de non-

refoulement ne sont pas fondées, il ne saurait valablement s’appuyer sur cette même argumentation pour se voir appliquer la clause de souveraineté.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que le demandeur n’a pas mis en avant des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte qu’il ne saurait être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de ladite clause. Ce constat n’est, en tout état de cause, pas ébranlé par l’invocation tout à fait sommaire de la prétendue vulnérabilité du 17 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, pt. 65.

18 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

19 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 et les autres références y citées.

20 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

14 demandeur laquelle n’est sous-tendue par aucun élément probant. Le moyen afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Si le demandeur invoque encore une violation par le ministre « du principe de confiance légitime et de droit acquis », le tribunal se doit de relever que ce moyen est à écarter faute pour le demandeur d’expliquer concrètement dans quelle mesure ces principes auraient été méconnus par le ministre. Or, un moyen simplement suggéré sans être sous-tendu effectivement encourt le rejet étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même l’argumentation juridique qui aurait pu se trouver à la base du moyen invoqué.

A défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 19 juin 2025 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 15


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 52889
Date de la décision : 19/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-19;52889 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award