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18/06/2025 | LUXEMBOURG | N°52935

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 juin 2025, 52935


Tribunal administratif N° 52935 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52935 1re chambre Inscrit le 30 mai 2025 Audience publique du 18 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous d’autres alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52935 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2025 par Maîtr

e Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lu...

Tribunal administratif N° 52935 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52935 1re chambre Inscrit le 30 mai 2025 Audience publique du 18 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous d’autres alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52935 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2025 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Soudan) et être de nationalité soudanaise, connu sous d’autres alias, actuellement assigné à résidence à la maison retour, sise à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 15 mai 2025 de le transférer vers la France comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 juin 2025.

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Le 3 décembre 2024, Monsieur (A), connu sous d’autres alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judicaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) avait irrégulièrement franchi la frontière grecque le 5 septembre 2024 et introduit une demande de protection internationale en Grèce le 12 septembre 2024.

En date du 12 décembre 2024, les autorités luxembourgeoises soumirent à leurs homologues grecs une demande d’information sur base de l’article 34 du règlement (UE) 1n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 6 février 2025, les autorités grecques informèrent les autorités luxembourgeoises que Monsieur (A) avait été transféré vers la France en application de l’article 17 (2) du règlement Dublin III.

En date du 14 février 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 17 (2) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les autorités françaises le 10 avril 2025 sur base du même article.

Par décision du 15 mai 2025, notifiée à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 17 (2) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 3 décembre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 17(2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains, le rapport de Police Judiciaire du 3 décembre 2024 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 3 décembre 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière grecque en date du 5 septembre 2024 et que vous avez introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 12 septembre 2024.

Sur cette base, une demande d’informations en vertu de l’article 34 du règlement DIII a été adressée aux autorités grecques en date du 13 décembre 2024. Les autorités grecques ont informé que vous avez été transféré vers la France en application de l’article 17(2) du 2règlement DIII.

Par conséquent, une demande de prise en charge en vertu de l’article 17(2) a été adressée aux autorités françaises en date du 14 février 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 11 avril 2025.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

L’article 17(2) du règlement DIII dispose que l’Etat membre responsable peut à tout moment, avant qu’une première demande soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n’est pas responsable au titre des critères 8 à 11 et 16.

Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale qu’en date du 25 octobre 2024, la France a accepté de vous prendre en charge en application de l’article 17(2) du règlement DIII après votre demande de protection internationale en Grèce du 12 septembre 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d’origine le 1er juin 2024. Vous auriez embarqué sur un bateau en Libye et vous auriez été secouru en mer par un navire de la police grecque. Selon vos dires, vous auriez été contraint d’introduire une demande de protection internationale, mais vous auriez quitté la Grèce peu après. Contrairement aux résultats de nos recherches et aux informations de la part des autorités grecques et françaises, vous auriez pris un vol vers … à l’aide de documents falsifiés. Quatre jours plus tard, vous seriez parti au Luxembourg.

3Monsieur, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en France, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités françaises ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes françaises, notamment judiciaires.

Les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 3, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons 4humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la France, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la susdite décision ministérielle du 15 mai 2025.

Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Prétentions des parties A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.

En droit, il invoque une violation de l’article 4 du règlement Dublin III, au motif que son droit à l’information n’aurait pas été respecté, alors qu’il n’aurait pas reçu les explications minimales prévues à l’alinéa 1er a) à f) dudit article.

Ensuite, le demandeur soulève, en substance, une violation de l’article 3 (2) du règlement Dublin III, au motif de l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.

5Après s’être emparé de l’arrêt C-411/10, C-493/10 du 21 décembre 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », le demandeur soutient que la France devrait être considérée comme ne respectant pas le système européen commun d’asile du fait de ne pas disposer de structures d’hébergement convenables pour accueillir dignement les demandeurs de protection internationale. De ce fait, il devrait être admis que le système d’asile français ne respecterait pas les droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale, ce qui constituerait une défaillance systémique dans la procédure de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, « au sens de l’interprétation donnée par la CJUE à l’article 4 du Règlement ». Il précise, dans ce contexte, s’être trouvé à la rue lors de son séjour en France.

D’ailleurs, les personnes transférées vers la France dans le cadre du règlement Dublin III bénéficieraient d’aucune priorité en matière d’hébergement, alors que les capacités d’accueil déjà existantes s’avéreraient insuffisantes pour les demandeurs de protection internationale présents sur le territoire français. Dans ce contexte, un rapport de la Cour des Comptes française mettrait en évidence l’insuffisance des moyens financiers alloués à l’accueil des demandeurs de protection internationale.

Le demandeur fait encore valoir que, s’étant converti à une autre religion, il redouterait, en cas de transfert vers la France, de ne pas être « accepté » par ses compatriotes soudanais appartenant à son ancienne communauté religieuse, susceptibles de le reconnaître sur le territoire français.

Au vu de tout ce qui précède, le ministre aurait dû faire application de l’article 17 (1) du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’il n’est pas tenu par l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée, et plus particulièrement du moyen tiré d’une violation de l’article 4 du règlement Dublin III, le tribunal relève que ledit article, intitulé « Droit à l’information », prévoit que « 1. Dès qu’une demande de protection internationale est introduite au sens de l’article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l’application du présent règlement, et notamment:

a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d’une autre demande dans un État membre différent […] ;

b) des critères de détermination de l’État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, […] ;

c) de l’entretien individuel en vertu de l’article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout 6autre parent dans les États membres, […] ;

d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ;

e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d’exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ;

f) de l’existence du droit d’accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées […], ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits […].

2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3.

Si c’est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l’entretien individuel visé à l’article 5. […] ».

En l’espèce, il se dégage du dossier administratif que lors de l’introduction de sa demande de protection internationale en date du 3 décembre 2024, le demandeur a indiqué que sa langue maternelle était l’arabe. Ensuite, il ressort sans équivoque d’un document daté au 3 décembre 2024, signé par le demandeur, qu’à cette même date, l’intéressé « […] a reçu en mains propres et a pris connaissance […] » d’une « Brochure d’informations pour demandeurs de protection internationale en langue arabe », ainsi que d’une « Brochure d’informations sur le règlement Dublin pour les demandeurs d’une protection internationale « Partie A » en langue arabe ».

Il s’ensuit que le moyen tenant à une violation de l’article 4 du règlement Dublin III est à rejeter pour manquer de fondement.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 17 (2) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A), prévoit que : « L’État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l’État membre responsable, ou l’État membre responsable, peut à tout moment, avant qu’une 7première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n’est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit. […] ».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer Monsieur (A) vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 17 (2) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur est la France, où il avait, de manière non contestée, été transféré par les autorités grecques en application du même article du règlement Dublin III et que les autorités françaises ont accepté de le reprendre en charge en date du 10 avril 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers la France.

Force est ensuite de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de la France, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais il soutient que son transfert vers ledit pays violerait les articles 3 (2), alinéa 2 et 17 (1) du règlement Dublin III, ainsi que, de l’entendement du tribunal, l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».

A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Quant au moyen tiré de la violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que cet article prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des 8défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3 (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.

A cet égard, le tribunal relève que la France est tenue au respect, en adhérant aux textes légaux communautaires et en tant que signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par « la Convention torture », ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres, ainsi que les Etats y adhérant, peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4. Dans un arrêt du 16 février 20175, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres et les Etats y adhérant.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 78.

3 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

9l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.

En l’espèce, il incombe au demandeur de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation en France, telle que décrite par lui, atteindrait le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.

Il ressort des développements du demandeur que ce dernier fonde l’existence de défaillances systémiques en France sur une absence de structures d’hébergement convenables pour accueillir dignement les demandeurs de protection internationale. Il convient de relever, à cet égard, que si certes les deux articles de presse versés en cause font état de contraintes budgétaires au sein du dispositif national d’accueil français et de difficultés ponctuelles de gestion, ils ne permettent néanmoins pas de retenir de manière générale l’existence, à l’heure actuelle, de défaillances systémiques en France, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, 7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.

9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.

11 Ibid., pt. 92.

12 Ibid., pt. 93.

10qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par les articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH.

Par ailleurs, le tribunal constate que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH »), relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (« UNHCR »). Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la France dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile française qui exposerait les personnes concernées à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III et de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.

Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable13.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte14, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant15.

Or, en l’espèce, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que, suite à son transfert vers la France par les autorités grecques, les droits du demandeur n’y auraient pas été respectés de manière personnelle et concrète. Il ne se dégage pas non plus des 13 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

14 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

15 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88.

11éléments du dossier qu’au cours de son séjour en France, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant, ni qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfait, et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités françaises avant de le transférer. La simple allégation du demandeur selon laquelle il aurait vécu à la rue pendant les quatre jours où il se serait trouvé en France est insuffisante, notamment au vu de la courte durée de son séjour sur le territoire français, pour conclure à l’existence d’un risque de traitements inhumains et dégradants en cas de transfert dans ledit pays.

Il en est de même pour son affirmation selon laquelle les personnes transférées en France dans le cadre d’une procédure Dublin ne seraient pas prioritaires en ce qui concerne l’hébergement, affirmation qui reste, d’ailleurs, à l’état de pure allégation.

S’agissant ensuite de sa crainte d’être exposé, en France, à des discriminations ou de mauvais traitements en raison de sa conversion à une autre religion, le tribunal constate que le demandeur ne rapporte aucun élément probant de nature à établir la réalité de ladite conversion.

Il s’ensuit que cette crainte reste également à l’état de pure allégation. Par ailleurs, il n’est, en tout état de cause, pas non plus établi que les autorités françaises ne pourraient ou ne voudraient pas lui accorder une protection appropriée contre des infractions pénales dont il pourrait, le cas échéant, être victime du fait de sa prétendue conversion.

Outre le fait que le demandeur n’a, ainsi, pas établi que, dans son cas précis, ses droits ne seraient pas garantis en cas de retour en France, il n’a pas non plus prouvé que, de manière générale, les droits des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale en France ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en France aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates16 étant relevé que la France est signataire de la Charte, de la CEDH, du Pacte international des droits civils et politiques, de la Convention torture, ainsi que de la Convention de Genève et devrait, à ce titre, en appliquer les dispositions.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’asile français est à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système d’accueil et d’aide français n’était pas conforme aux normes européennes.

Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé, en cas de transfert vers la France, et nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques, à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Ainsi, l’argumentation afférente est à rejeter dans son ensemble.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III, au motif 16 Voir, pour les demandeurs de protection internationale : article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

12de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».

A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres17, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201718.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge19, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration20.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que pour conclure à une violation de l’article 17 (1), précité, du règlement Dublin III, le demandeur invoque, en substance, la même argumentation que celle développée à l’appui de ses moyens tirés de la violation de l’article 3 (2) du règlement Dublin III, ainsi que de l’article 4 de la Charte.

Or, le tribunal vient ci-avant de retenir qu’un transfert du demandeur vers la France n’est pas de nature à l’exposer à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, alors que, d’une part, la preuve de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, n’a pas été rapportée en l’espèce et, d’autre part, le demandeur n’a pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, un transfert vers la France l’exposerait à un tel risque, nonobstant le constat de l’absence de défaillances systémiques, au sens de cette dernière disposition du règlement Dublin III.

Dans ces circonstances, le tribunal conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1), précité, du règlement Dublin III.

Le moyen tiré de la violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III encourt, dès lors, le rejet.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à 17 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

18 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

19 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 et les autres références y citées.

20 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

13rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 juin 2025 par :

Daniel WEBER, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Shania HAMES.

s. Shania HAMES s. Daniel WEBER 14


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 52935
Date de la décision : 18/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-18;52935 ?

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