Tribunal administratif N° 52761 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52761 2e chambre Inscrit le 28 avril 2025 Audience publique du 16 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52761 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 avril 2025 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 18 avril 2025 ayant déclaré irrecevable sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point d), de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 mai 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Evelyne LORDONG en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 mai 2025.
Le 19 juillet 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
En date des 3 et 9 janvier 2023, Monsieur (A) passa des entretiens avec un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes sur les motifs sous-tendant sa demande de protection internationale.
Par décision du 2 février 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 5 février 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », refusa de faire droit à la demande en obtention d’une protection internationale de Monsieur (A) 1comme étant non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
Par décision du 2 avril 2024, le ministre accorda à Monsieur (A) un report à l’éloignement valable jusqu’au 2 octobre 2024 en vertu de l’article 125bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personne et l’immigration.
En date du 13 mai 2024, les autorités allemandes adressèrent à leurs homologues luxembourgeois une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », demande qui fut acceptée par les autorités luxembourgeoises le 15 mai 2024 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du même règlement.
Le transfert de l’intéressé vers le Luxembourg fut exécuté le 6 novembre 2024.
En date du 21 novembre 2024, les autorités allemandes adressèrent à leurs homologues luxembourgeois une nouvelle demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande à laquelle ces derniers firent droit en date du 26 novembre 2024 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du même règlement.
Le 11 février 2025, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 25 février 2025, Monsieur (A) passa un entretien avec un agent du ministère sur les motifs sous-tendant sa seconde demande de protection internationale.
Par décision du 18 avril 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur (A) que sa nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015. Cette décision est libellée comme suit : « […] En date du 11 février 2025, vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28 (2) d) de la Loi de 2015, votre demande de protection internationale ultérieure est irrecevable.
21. Quant aux faits et rétroactes procéduraux Il ressort de votre dossier administratif que vous aviez déjà introduit une première demande de protection internationale au Luxembourg le 19 juillet 2022. À l’appui de cette demande, vous aviez déclaré avoir quitté l’Afghanistan en avril 2022 car vous auriez craint pour votre vie après avoir été accusé à tort par les Taliban de travailler pour l’ancien gouvernement afghan, alors que votre père, votre frère et vos beaux-frères auraient effectivement occupé de telles fonctions et pris part aux combats contre eux. Vous aviez précisé que la vieille de la prise de pouvoir des Taliban, vos beaux-frères auraient fui en Iran avec vos sœurs après avoir déposé leurs armes. Resté en Afghanistan avec vos parents et vos frères faute de visa, vous auriez été arrêté une semaine plus tard lors d’une fouille de votre domicile par les Taliban, qui auraient trouvé des armes et des preuves des activités militaires de votre famille. Vous auriez été emmené, interrogé, torturé pendant trois jours, puis violé avant d’être libéré et hospitalisé. En mars 2022, votre père aurait été arrêté, menacé de mort et sommé de livrer ses enfants aux Taliban, qui vous considéraient comme apte au combat en raison des armes retrouvées chez vous et de vos liens supposés avec l’ancien gouvernement. En avril 2022, vous auriez quitté l’Afghanistan avec le reste de votre famille.
Par décision ministérielle du 2 février 2024, la Direction générale de l’immigration vous a notifié le rejet de votre demande de protection internationale. Ce refus reposait sur une remise en cause de la crédibilité de vos déclarations, au motif que vous n’aviez versé aucun document probant à l’appui de votre demande, que vos déclarations présentaient des incohérences manifestes et que leur caractère mensonger était démontré de manière évidente, d’autant plus qu’une recherche menée sur les réseaux sociaux avait permis d’établir votre présence en Turquie depuis 2018.
Le 21 mars 2024 vous avez été convoqué à vous présenter en date du 28 mars 2024 dans le cadre du retour volontaire, rendez-vous lors duquel vous avez affirmé prochainement introduire une demande de report à l’éloignement.
Le 2 avril 2024, sur décision du Ministre, vous aviez bénéficié d’un report à l’éloignement valable jusqu’au 2 octobre 2024.
Il convient de noter que lors de la notification de la décision ministérielle du 2 février 2024, la Direction générale de l’immigration avait proposé de vous accorder, à titre exceptionnel, une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié, sous réserve de la transmission des pièces requises. Le 3 avril 2024, votre ancien mandataire, Maître Hakima GOUNI, avait officiellement informé la Direction générale de l’immigration de votre intention de faire valoir cette alternative. Ainsi, aucun recours en réformation contre cette décision n’avait été introduit devant le Tribunal administratif.
Puis, le 13 mai 2024, les autorités allemandes ont signalé à la Direction générale de l’immigration que vous aviez sollicité une demande de protection internationale en Allemagne.
En conséquence, le 15 mai 2024, les autorités luxembourgeoises ont donné leur accord pour votre transfert depuis l’Allemagne, lequel a été exécuté le 9 octobre 2024.
Le 6 novembre 2024, vous avez été convoqué à la Direction générale de l’immigration où les modalités d’un retour volontaire vous ont été exposées. Vous avez refusé cette option et exprimé votre volonté de retourner en Allemagne afin d’y rejoindre des membres de votre famille.
3Le 21 novembre 2024, les autorités allemandes ont de nouveau contacté la Direction générale de l’immigration afin de signaler l’introduction d’une nouvelle demande de protection internationale de votre part. À la suite de ces échanges, le 26 novembre 2024, le Luxembourg a formellement approuvé votre transfert. Sans attendre l’exécution de cette procédure, vous avez quitté l’Allemagne de votre propre initiative et êtes revenu au Luxembourg de manière autonome.
Finalement, le 11 février 2025, vous vous êtes présenté à la Direction générale de l’Immigration pour introduire au Luxembourg votre deuxième demande de protection internationale.
2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale ultérieure Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous êtes né le … à … en Afghanistan, de nationalité afghane, de confession musulmane sunnite et d’ethnie Tadjik.
Sur votre fiche de motifs manuscrite rédigée le 11 février 2025, vous avez indiqué avoir introduit une deuxième demande de protection internationale « Parce que ma vie était en danger. J’ai fui l’Afghanistan par crainte pour ma vie » (fiche manuscrite).
Puis, le 25 février 2025, lors de votre entretien ministériel, vous avez confirmé que vous ne seriez pas retourné en Afghanistan depuis l’introduction de votre première demande de protection internationale au Luxembourg.
Vous avez ensuite déclaré que vous craindriez de retourner en Afghanistan car « ma vie est en danger (…) je serais interpellé par les Taliban car j’ai travaillé pour l’Etat et ma famille aussi » (p.4/10 du rapport d’entretien). Dans ce contexte, vous affirmez cette fois-ci que vous auriez travaillé pour le compte de l’ancien gouvernement afghan dans un poste de … dans le quartier … du district de …, dans la province de …, de 2020 à 2021. Ainsi, vous auriez contrôlé la circulation routière, armé d’une kalachnikov, et vous auriez fouillé des véhicules pour vérifier s’ils ne transportaient pas des bombes ou de la drogue. Vous ajoutez que vous auriez été « enregistré auprès de la police » et que vous auriez possédé « une carte policière », que vous auriez perdue lors de votre trajet entre la Bosnie et la Croatie, malgré le fait que « je n’étais pas policier, mais on nous a donné cette carte » (p.8/10 du rapport d’entretien).
L’agent ministériel en charge de votre entretien vous a alors interrogé sur l’absence de mention de cette activité professionnelle lors de votre première demande de protection internationale, d’autant plus que vous aviez alors affirmé être … et …. Vous avez expliqué que vous auriez exercé ces tâches trois jours par semaine au poste de …, consacrant le reste du temps à vos autres professions. Pour justifier ensuite cette omission, vous avez affirmé que « mon avocat ne m’a pas dit de parler de ce sujet. Je n’avais pas de preuves non plus mais maintenant j’ai des preuves ainsi que concernant le travail de membres de ma famille auprès de l’Etat », puis « « un Afghan ici m’a conseillé de ne pas dire que je travaillais pour l’Etat, car sinon on m’aurait demandé de monter et démontrer une Kalachnikov. Je ne sais pas le faire (…) C’est pour cela que j’avais très peur si vous m’aviez demandé de monter ou démonter une arme » (p.4 et 5/10 du rapport d’entretien). Face aux doutes de l’agent ministériel sur la crédibilité de votre réponse, vous avez réaffirmé vos propos selon lesquels « je ne savais pas qu’il fallait vous le dire, comme je n’avais pas de preuves et comme je vous ai dit j’avais peur de devoir démonter et monter une arme » (p.5/10 du rapport d’entretien).
4 À l’appui de votre deuxième demande de protection internationale, vous versez :
- Une photocopie de la traduction en anglais de votre Tazkira ;
- trois photographies vous illustrant avec une veste « camouflage » ;
- une photographie où vous apparaissez avec une arme de chasse ;
- deux photographies de votre arcade sourcilière blessée ;
- trois photographies d’une homme en tenue militaire et portant une Kalachnikov qui serait votre père ;
- deux photographies représentant des militaires afghans dont l’un serait le « frère de mon beau-frère » (p.6/10 du rapport d’entretien);
- une photographie représentant plusieurs hommes en uniforme militaire qui seraient « mes collègues (…) malheureusement je ne figure pas sur cette photo » (p.6/10 du rapport d’entretien) ;
- une photographie représentant des militaires afghans qui seraient « des collègues de mon père » (p.6/10 du rapport d’entretien) ;
- trois photocopies de documents, respectivement une lettre d’appréciation et deux attestations, délivrés pour le compte d’un dénommé « (B) » qui serait votre beau-
frère, avec leur traduction en langue française ;
- une photocopie de la carte de travail de votre beau-frère ;
- vingt photographies représentant l’un de vos beaux-frères lors de ces activités militaires, respectivement sur une jeep militaire, accompagné de ses collègues de travail, ou tenant différentes armes dans ses mains, comme une kalachnikov ou un lance-roquette.
3. Quant à l’irrecevabilité de votre demande de protection internationale ultérieure En vertu des articles 28 (2), point d) et 32 de la Loi de 2015, le Ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.
Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, deuxièmement, que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, troisièmement, qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.
En ce qui concerne le premier motif de fuite invoqué à la base de votre deuxième demande de protection internationale, respectivement celui ayant trait à vos craintes de subir des représailles de la part des Taliban alors que vous auriez travaillé pour le compte des 5anciennes autorités afghanes en exerçant des activités de contrôle à un poste de sécurité entre 2020 et 2021, il sied de relever que ces craintes peuvent être considérées comme des faits nouveaux.
Toutefois, avant tout autre développement, il est important de soulever que la crédibilité de ce motif est sérieusement remise en doute. Les incohérences et le caractère tardif de sa mention suggèrent qu’il a été fabriqué dans le seul but de justifier l’introduction d’une nouvelle demande de protection internationale et de renouveler vos chances.
Dans ce contexte, il est tout d’abord pertinent de rappeler brièvement un des points cruciaux qui avait été recensé dans la décision ministérielle du 2 février 2024 rejetant votre première demande de protection internationale. En effet, dans cette décision, il avait notamment été souligné que des recherches ministérielles effectuées sur les réseaux sociaux, respectivement sur votre compte Facebook « (A) », avaient révélé que vous vous trouviez en Turquie depuis l’année 2018. Quand bien même vous avez pris le soin de supprimer entre-
temps toutes ces publications dénonçant le caractère fallacieux de vos déclarations, ces éléments relatifs à votre présence en Turquie continuent d’être déterminants et ne permettent pas de considérer les nouveaux faits survenus en Afghanistan entre 2020 et 2021 - que vous invoquez à l’appui de votre deuxième demande de protection internationale comme étant crédibles.
Par ailleurs, votre présence prolongée en Turquie avait été corroborée par vos multiples interactions sur Facebook en langue turque depuis 2018, et parfois en persane. Cette observation avait ensuite conduit à remettre en cause vos déclarations fallacieuses selon lesquelles vous seriez analphabète, un subterfuge que vous avez avancé pour justifier votre désintérêt à rédiger vos motifs sur la fiche manuscrite lors de l’introduction de votre première demande de protection internationale. Quand bien même vous avez également supprimer entre-temps ces publications compromettantes pour votre crédibilité, il est regrettable de constater que vous persistez à vouloir induire en erreur les autorités luxembourgeoises en maintenant votre prétendue incapacité à écrire en déclarant lors de votre entretien ministériel du 25 février 2025 que vous ne sauriez capable de le faire que « très peu » (p.8/10 du rapport d’entretien).
Partant, Monsieur, il est déconcertant d’observer que, malgré les éléments clairs et les preuves exposées dans la décision ministérielle du 2 février 2024, vous renouvelez des mensonges similaires dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale.
C’est-à-dire que, quand bien même il avait été démontré que vous n’êtes manifestement pas analphabète et que vous résidiez en Turquie depuis 2018, vous continuez à faire état des mêmes assertions démenties, notamment en prétendant être resté en Afghanistan jusqu’en avril 2022 et en affirmant que vous auriez travaillé dans un poste de … de 2020 à 2021. Cette insistance à maintenir des déclarations déjà réfutées, témoigne de votre intention manifeste de continuer à manipuler sans scrupule les autorités luxembourgeoises.
De surcroît, les pièces complémentaires que vous versez à l’appui de votre deuxième demande de protection internationale afin d’étayer votre prétendue participation aux activités d’un poste de sécurité se révèlent non seulement dénuées de toute force probante, mais elles dénoncent aussi le caractère frauduleux de votre nouvelle demande.
S’agissant tout d’abord des trois photographies (numéro 1, 8 et 9) sur lesquelles vous apparaissez vêtu d’une veste militaire, ainsi que celle où vous posez avec une arme de chasse (numéro 2), il convient de souligner que celles-ci sont insuffisantes pour établir de manière 6crédible votre prétendue engagement effectif auprès d’un poste de sécurité. Outre l’absence de tout élément permettant d’attester de votre présence en Afghanistan sur ces clichés - d’autant plus qu’un paquet de cigarettes visible sur une photographie (numéro 1) contient des inscriptions en langue turque - le simple port d’une veste militaire ne saurait constituer une preuve tangible de votre appartenance à une force de sécurité. Ce type de vêtement est en effet largement accessible à l’achat, tant dans les commerces spécialisés que sur le marché informel, et il est fréquemment porté à des fins strictement vestimentaires ou par simple effet de mode, sans aucun lien avec une activité professionnelle dans le domaine militaire ou sécuritaire. Quant à la présence d’une arme de chasse sur l’une des photographies, elle ne permet pas davantage d’établir un lien avec les fonctions que vous prétendez avoir exercées, d’autant plus qu’elle ne corrobore pas vos propres déclarations lors de votre entretien ministériel, où vous affirmiez avoir généralement porté une Kalachnikov. Enfin, votre tentative d’instrumentaliser une photographie (numéro 10) illustrant des hommes en tenu militaire est particulièrement révélatrice de votre démarche frauduleuse. Vous la présentez en affirmant qu’il s’agirait de « mes collègues (…) malheureusement je ne figure pas sur cette photo » (p.6/10 du rapport d’entretien). Or, il appert que cette photographie ne vous est en rien spécifique puisqu’elle a été retrouvée sur divers moteurs de recherche et a été massivement utilisé au cours des dernières années par différentes agences de presse pour illustrer leurs articles. Il est donc manifeste que vous avez sciemment détourné un visuel générique pour tenter d’appuyer un récit fallacieux.
Une telle tentative de manipulation des faits, en plus de compromettre définitivement votre crédibilité, démontre votre volonté persistante de tromper les autorités en instrumentalisant des éléments dénués de toute valeur probante. Ainsi, les pièces que vous avez versées ne sauraient être considérées comme des preuves susceptibles d’appuyer votre récit de votre deuxième demande, et ne permettent en aucun cas d’attester de la véracité de vos déclarations quant à votre prétendue activité dans un poste de sécurité en Afghanistan.
Faisant abstraction de ces considérations relatives au manque de crédibilité de vos déclarations et de votre attitude frauduleuse, il n’en demeure pas moins, Monsieur, que ces nouveaux faits que vous invoquez à l’appui de votre deuxième demande de protection internationale se seraient produits avant votre prétendu départ d’Afghanistan en avril 2022, et donc avant l’introduction de votre première demande de protection internationale au Luxembourg en juillet 2022. Dès lors, il échet de retenir que vous auriez dû être en mesure de faire valoir ces nouveaux faits lors de votre première demande, ce qui signifie que vous ne remplissez pas la troisième condition énoncée par l’article 32 de la Loi de 2015. De surcroit, l’absence de tout recours de votre part contre la décision ministérielle du 2 février 2024, rejetant votre première demande de protection internationale, implique que vous en avez accepté les conclusions en pleine connaissance de cause, et que vous ne disposiez d’aucun élément nouveau ou complémentaire à faire valoir à l’appui de votre requête.
Les explications que vous avancez dans le cadre de votre entretien ministériel pour justifier cette omission lors de votre première demande de protection internationale ne sont par ailleurs aucunement convaincantes et ne font que renforcer davantage le constat du caractère dérisoire de vos déclarations. En effet, il est difficilement compréhensible que vous n’auriez pas révélé vos prétendues activités passées au sein d’un poste de sécurité en Afghanistan en raison de l’absence de conseil de votre mandataire : « Mon premier avocat ne m’a pas dit de parler de ce sujet. Je n’avais pas de preuves non plus » (p.4/10 du rapport d’entretien). Tout d’abord, il est particulièrement incohérent que vous invoquiez désormais l’absence de preuves comme motif de votre silence, alors même que, lors de votre première 7demande, vous aviez exposé d’autres motifs de persécution sans disposer du moindre élément probant à l’appui de vos déclarations. Cette contradiction illustre parfaitement le caractère opportuniste de votre nouvel argument, qui ne vise qu’à pallier l’absence d’explication rationnelle quant à cette omission. Puis, l’explication selon laquelle votre premier mandataire ne vous aurait pas conseillé d’évoquer ces prétendus nouveaux faits est totalement dénué de crédibilité. Il est non seulement improbable qu’un avocat dissuade son client d’invoquer un élément aussi crucial à l’appui de sa demande, ou ne l’encourage pas à le faire, mais il est également invraisemblable qu’une personne réellement menacée en raison de ses fonctions sécuritaires passe sous silence un fait aussi déterminant. Ainsi, si vous aviez véritablement fui l’Afghanistan pour ces nouvelles raisons, vous l’auriez spontanément mentionné dès le dépôt de votre première demande, indépendamment des conseils de votre mandataire. Enfin, votre raisonnement selon lequel vous auriez redouté de devoir « monter et démonter une Kalachnikov » (p.4/10 du rapport d’entretien) à la Direction générale de l’Immigration pour prouver vos connaissances en matière de sécurité est particulièrement difficile à retenir. Si vous aviez réellement exercé les fonctions que vous prétendez, de nombreuses autres possibilités, bien plus probantes, auraient permis d’attester votre expérience, sans qu’un tel exercice soit nécessaire ou de telles préoccupations ne viennent entraver votre esprit. Cette explication soulève ainsi des doutes légitimes quant à la cohérence de votre récit et la manière dont vous avez présenté les éléments essentiels de votre deuxième demande.
En définitive, à supposer même que vous ayez réellement exercé les fonctions alléguées au sein d’un poste de sécurité en Afghanistan - ce qui est expressément contesté - rien ne permet d’établir que vous étiez, sans faute de votre part, dans l’impossibilité de faire valoir ces faits lors de votre première demande. Ces éléments, connus de vous dès l’origine, auraient dû être présentés spontanément, compte tenu de leur importance. Leur omission, insuffisamment justifiée, ne saurait être attribuée à des circonstances indépendantes de votre volonté. La condition d’irrecevabilité prévue à l’article 32 de la Loi de 2015 doit dès lors être considérée comme remplie.
En ce qui concerne le deuxième motif de fuite, respectivement celui ayant trait à vos craintes de subir des représailles de la part des Taliban en raison des activités professionnelles de vos membres de famille au service des anciennes autorités afghanes, il sied de rappeler qu’il s’agissait déjà du motif principal de votre première demande de protection internationale.
Ainsi, ce motif ne constitue en soit pas un nouvel élément, mais les pièces que vous versez à l’appui de votre deuxième demande de protection internationale pour corroborer cette crainte peuvent être considéré comme étant des éléments nouveaux.
Cependant, encore faut-il que lesdites pièces augmentent de manière significative la probabilité que vous remplissez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et que vous ayez été dans l’incapacité de faire valoir ces éléments au cours de la précédente procédure ou au cours de la phase contentieuse. Or, ceci n’est manifestement pas le cas en l’espèce.
S’agissant d’abord de la première condition précitée, il s’avère que les photographies versées et les photocopies d’attestations attribuées à des personnes que vous présentez comme des membres de votre famille, ne sauraient suffire à modifier l’appréciation initiale de votre situation. En effet, par rapport aux trois photographies d’un individu en uniforme militaire tenant une Kalachnikov, rien ne corrobore votre affirmation selon laquelle il s’agirait de votre père. Au contraire, cette prétention entre même en contradiction avec vos propres déclarations lors de votre première demande de protection internationale, au cours de laquelle vous aviez 8expressément affirmé que votre père ne portait pas d’uniforme militaire. De surcroît, l’uniforme visible sur la photographie laisse entrevoir un nom partiellement lisible, « (C) », qui ne correspond en rien aux noms et prénoms que vous aviez précédemment fournis pour votre père, à savoir « (D) ». Ainsi, non seulement ces photographies ne prouvent aucunement l’identité de la personne qui y figure, mais elles ne démontrent en rien un lien de filiation entre cette personne et vous-même.
En outre, votre tentative de renforcer votre récit par des éléments visuels prétendument probants s’appuie encore une fois sur des procédés manifestement frauduleux. En particulier, la photographie numéro 11 que vous avez versée, censée représenter « des collègues de mon père » (p.6/10 du rapport d’entretien) s’avère être une image extraite d’un article publié par l’agence de presse « (AA) » en novembre 2018. Cet article traite du début des entraînements des nouvelles recrues de la police nationale afghane dans la province … et de leur présentation au chef de la police de ladite province, (E). Cela ne s’aligne donc aucunement sur votre propre récit selon lequel votre père aurait principalement exercé ses fonctions auprès d’hommes politiques influents, tels que (F) et (G), dans la province de …. Ainsi, votre tentative de faire passer cette image publique et accessible sur Internet pour une photographie spécifique en votre possession constitue une instrumentalisation délibérée d’un document externe dans le but de tromper une énième fois les autorités luxembourgeoises.
En ce qui concerne les diverses photocopies d’attestations que vous avez versées ainsi que les photographies d’un individu que vous présentez comme étant votre beau-frère, elles ne sauraient davantage suffire à établir un lien de filiation entre vous et cette personne. En effet, aucun élément probant ne permet de confirmer que l’individu figurant sur ces documents est bien votre beau-frère, et ces pièces ne comportent aucun indice objectif attestant d’un lien familial avec vous. De plus, au regard des nombreuses incohérences et manipulations relevées dans votre dossier, la Direction générale de l’immigration ne saurait être en mesure de vous accorder le bénéfice du doute. Tel qu’exposé précédemment, vous avez déjà eu recours à plusieurs stratagèmes fallacieux tenant à instrumentaliser des photographies afin d’accréditer votre récit. Cette démarche délibérément trompeuse jette un doute sérieux sur l’authenticité des autres documents que vous versés, y compris donc les attestations et les photographies censées représenter votre beau-frère. Dès lors, en l’absence de toute preuve tangible et fiable permettant d’établir un lien de filiation avéré, ces pièces ne sauraient en aucun cas être considérées comme des éléments nouveaux susceptibles de remettre en cause l’appréciation initiale de votre situation.
S’agissant ensuite de la deuxième condition précitée, faisant encore une fois abstraction de ces considérations relatives au manque de crédibilité de vos déclarations et de votre démarche frauduleuse, il n’en demeure pas moins, Monsieur, que ces nouveaux éléments que vous versez à l’appui de votre deuxième demande de protection internationale auraient pu être versés à l’appui de votre première demande de protection au Luxembourg en juillet 2022.
Ainsi, vous ne remplissez pas les conditions énoncées par l’article 32 de la Loi de 2015.
Partant votre demande en obtention d’une protection internationale est déclarée irrecevable.
Conformément à l’article 35 (3) et 36 (2), la présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de quinze jours à partir de la notification 9de la présente. Le recours contre la présente décision d’irrecevabilité n’a pas d’effet suspensif.
La décision du Tribunal administratif n’est pas susceptible d’appel. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 18 avril 2025.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a soulevé l’incompétence du tribunal pour connaître du présent recours en réformation en soutenant qu’en vertu de l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, seul un recours en annulation aurait valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée ayant déclaré irrecevable la deuxième demande de protection internationale de Monsieur (A) sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la même loi.
En renvoyant à un jugement du tribunal administratif du 20 avril 2022, inscrit sous le numéro 45492 du rôle, il fait valoir que la requête introductive d’instance se limiterait à demander la réformation de la décision déférée sans faire allusion à aucun moment à une éventuelle demande en annulation de celle-ci.
Il s’ensuivrait que le tribunal devrait se déclarer incompétent alors que le requérant ne saurait conférer une compétence à une juridiction au-delà des dispositions légales applicables lesquelles seraient d’ordre public.
Cette conclusion serait renforcée par le fait que même si la requête indiquait être dirigée contre la décision ministérielle du 18 avril 2025 par le biais de laquelle le ministre a déclaré irrecevable la deuxième demande de protection internationale de Monsieur (A) en vertu des dispositions de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, les développements y contenus laisseraient penser que le requérant semblerait en réalité attaquer la décision du ministre ayant « déclaré non fondée sa demande en obtention d’une protection internationale et subsidiaire, et a ordonné à ce dernier de quitter le territoire au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ».
A l’audience des plaidoiries, le litismandataire du requérant a, en substance, fait valoir qu’il aurait sollicité la réformation de la décision du 18 avril 2025 alors que celle-ci refuserait de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur (A), tout en reprochant plus particulièrement au ministre d’avoir commis une erreur d’appréciation alors que Monsieur (A) n’aurait pas introduit une deuxième demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg à son retour de Francfort, de sorte que le ministre « reste[rait] responsable » du traitement de la demande de protection internationale de celui-ci.
Le tribunal constate qu’il se dégage sans équivoque du dossier administratif que la première demande de protection internationale de Monsieur (A) a été refusée par décision du ministre du 2 février 2024 ayant acquis autorité de chose décidée à défaut par le requérant d’avoir introduit un recours contentieux à l’encontre de ladite décision et que le 11 février 2025 celui-ci a introduit auprès du service compétent du ministère une deuxième demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 laquelle a été déclarée irrecevable en vertu des dispositions de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 par décision du ministre du 18 avril 2025. Dès lors, l’affirmation du litismandataire du requérant à l’audience des plaidoiries selon laquelle Monsieur (A) n’aurait pas introduit une nouvelle demande de protection internationale au Grand-Duché de 10Luxembourg à son retour de Francfort est rejetée pour être contredite par les éléments du dossier administratif.
C’est également à tort que le litismandataire de Monsieur (A) reproche au ministre d’avoir rejeté la demande de protection internationale du requérant pour être « non fondée », celui-ci ayant, au contraire, déclaré irrecevable la deuxième demande de protection internationale de celui-ci du 11 février 2025 sur base de l’article 28, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, tel que cela a été retenu ci-avant.
Force est ensuite de constater que Monsieur (A) a, selon les termes non équivoques employés tant au dispositif qu’au corps de la requête introductive d’instance, fait introduire un recours tendant exclusivement à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 18 avril 2025, sans qu’il ne se dégage à aucun endroit de ladite requête une quelconque demande visant à annuler la prédite décision pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou encore violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, étant à cet égard précisé qu’en l’absence d’intention manifeste contraire, les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, tel que cerné à travers la requête introductive d’instance 1.
Or, dans la mesure où l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation en matière de demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28, paragraphe (2) de la même loi, seul un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle du 18 avril 2025.
A cet égard, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours2.
Dès lors, eu égard au fait qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la présente matière, tel que souligné à juste titre par le délégué du gouvernement, le tribunal est amené à se déclarer incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision déférée. En effet, la requête introductive d’instance, qui pose le cadre du recours sans que la nature du recours que le requérant a entendu introduire puisse être modifiée par la suite, fait référence au seul recours en réformation, de sorte que le tribunal ne saurait entrevoir un recours autre que le recours en réformation et tendant, le cas échéant, à l’annulation de la décision du 18 avril 2025.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
condamne le requérant aux frais et dépens de l’instance.
1 Trib. adm., 13 juin 2005, n° 19368 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 399 (1er volet) et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 28 mai 1997, n° 9667 du rôle, confirmé par Cour adm., 16 octobre 1997, n° 10082C du rôle, Pas.
adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 9 et les autres références y citées.
11Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 16 juin 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
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